La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2002 | MONACO | N°27009

Monaco | Tribunal de première instance, 12 juin 2002, Sociétés Overseas Seafood Operations, Delta Pêche SA, R. C. SARL, et Oso Iberica c/ État de Monaco


Abstract

Référés

Difficulté d'exécution d'une décision judiciaire et non d'une mesure d'expertise - Compétence du Juge des référés non conditionnée par l'urgence - Refus de l'État de communiquer des documents : refus injustifié, obligation incombant à toutes les parties d'apporter leur concours à la justice et de respecter le pacte relatif au procès équitable et à l'égalité de tous, absence de méconnaissance du principe de la séparation des fonctions administratives et judiciaires

Résumé

S'estimant victimes d'actes de concurrence déloyale de

la part de la société anonyme monégasque Unima Europe, les sociétés demanderesses ont obtenu en...

Abstract

Référés

Difficulté d'exécution d'une décision judiciaire et non d'une mesure d'expertise - Compétence du Juge des référés non conditionnée par l'urgence - Refus de l'État de communiquer des documents : refus injustifié, obligation incombant à toutes les parties d'apporter leur concours à la justice et de respecter le pacte relatif au procès équitable et à l'égalité de tous, absence de méconnaissance du principe de la séparation des fonctions administratives et judiciaires

Résumé

S'estimant victimes d'actes de concurrence déloyale de la part de la société anonyme monégasque Unima Europe, les sociétés demanderesses ont obtenu en référé l'instauration d'une mesure d'expertise confiée à l'expert Alain Dulac ;

L'ordonnance de référé du 14 mars 2001 charge ce mandataire de justice, notamment :

« de prendre connaissance des documents ayant pu être recueillis par les demanderesses sur les activités de la société Unima Europe et d'obtenir de cette société tous documents commerciaux estimés utiles à l'accomplissement de sa mission ; (...)

de décrire son activité à Monaco depuis le commencement d'exploitation ; (...)

de manière générale, de recueillir tous éléments permettant à la juridiction qui sera éventuellement saisie d'apprécier si la société Unima Europe s'est livrée ou se livre à des actes de concurrence déloyale (...) »

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 décembre 2001 adressée au directeur de l'Expansion Économique, l'expert Dulac a manifesté en ces termes le souhait d'obtenir des renseignements détenus par ce service administratif :

« (...) je souhaiterais obtenir le document de présentation du projet économique de la société Unima Europe Sam que cette dernière a établi pour effectuer sa demande d'obtention d'une autorisation préalable du Gouvernement Princier afin d'exercer son activité commerciale en Principauté.

Ce document qui a été adressé à votre Direction contient vraisemblablement des éléments de marché, de stratégie, d'organisation ainsi que des perspectives et des prévisions tant en termes d'exploitation qu'en termes financiers.

Ce document revêt, à mon sens, un caractère important et utile à l'accomplissement de ma mission.

Je l'ai réclamé à plusieurs reprises à la société Unima Europe Sam mais cette dernière refuse de me transmettre ce document » ;

Cette demande n'ayant pas été satisfaite, les sociétés demanderesses, par requête du 20 mars 2002, ont sollicité de notre part l'autorisation de se faire délivrer les documents de présentation du projet économique de la société Unima Europe établis dans le cadre de sa demande d'autorisation d'exercice et, plus généralement, tous les documents ayant pu être remis dans le cadre de l'obtention des autorisations administratives ;

Par l'ordonnance précitée du 22 mars suivant, nous avons autorisé les sociétés requérantes à se faire délivrer par la Direction de l'Expansion Économique, avec le concours d'un huissier de justice, copie des documents sollicités ;

Il résulte d'un procès-verbal de constat établi le 4 avril 2002 par Maître Claire Notari, huissier, que la Direction de l'Expansion Économique, sur instruction de son autorité de tutelle, a refusé de déférer à cette ordonnance, ce qui motive la présente instance ;

Dans ses conclusions l'État estime d'abord que la conclusion d'urgence requise par l'article 414 du Code de procédure civile n'est pas remplie, ce qui ôterait sa compétence au juge des référés ;

Ensuite, il se prévaut des difficultés sérieuses, qui feraient obstacle à la demande :

- absence aux débats de la société Unima Europe, pourtant directement concernée ;

- demande de l'expert outrepassant sa mission et conflit de compétences entre le magistrat chargé du contrôle de l'expertise et le juge des référés ;

- violation de la règle « non bis in idem » en ce que les sociétés demanderesses disposent déjà d'un titre judiciaire ;

- principe d'ordre public, édicté par l'article 6 de la Constitution, suivant lequel la séparation des fonctions administrative et judiciaire est assurée ;

À l'audience des plaidoiries, le conseil des demanderesses s'est défendu d'avoir invoqué un texte français au soutien de son action ;

Il a précisé que la référence à « l'article 145 » du Code de procédure civile résulte d'une erreur matérielle par inversion des chiffres ; il a confirmé le même jour par écrit que sa demande était fondée sur l'article 415 de ce code ;

Il ne peut qu'être pris acte de cette rectification, l'indication de l'article 145 (relatif à la copie des exploits judiciaires) procédant à l'évidence d'une erreur, dans la mesure où l'assignation se réfère expressément à la difficulté d'exécution de l'ordonnance du 22 mars 2002 ;

L'article 415 du Code de procédure civile ouvre aux plaideurs la faculté de soumettre en référé au Président du Tribunal de première instance les difficultés d'exécution d'une décision judiciaire ;

L'ordonnance du 22 mars 2002, rendue en application de l'article 851 du Code de procédure civile, constitue bien une décision judiciaire au sens de l'article 415 ;

La saisine du Président du Tribunal, statuant en référé, se justifierait encore par le fait que l'ordonnance sur requête a formellement réservé cette voie de recours, conformément aux prévisions de l'article 852-2 du Code de procédure civile ;

Par ailleurs l'urgence requise par l'article 414 du Code de procédure civile n'est pas une condition d'application de l'article 415 dont l'autonomie, dans le domaine qu'il concerne, n'est pas contestable ;

En conséquence le moyen d'incompétence doit être rejeté ;

Les « contestations sérieuses » alléguées

De telles contestations, d'ordinaire invoquées dans le cadre de l'article 414 pour caractériser l'existence d'un préjudice au principal, doivent s'analyser, dans la présente instance fondée sur l'article 415, en autant de moyens ou d'arguments opposés à la demande ;

La difficulté d'exécution dont les demanderesses se prévalent procède du refus de l'État de délivrer les documents sollicités ;

La société Unima Europe n'est pas concernée par l'ordonnance du 22 mars 2002, même s'il peut être soutenu qu'il lui appartenait au premier chef de communiquer les renseignements sollicités par l'expert ;

En conséquence le grief relatif à l'absence de cette société à la présente instance s'avère inopérant ;

Le juge chargé du contrôle de l'exécution de l'expertise ordonnée le 14 mars 2001 dispose, aux termes de l'article 307 du Code de procédure civile, d'une compétence pour trancher « les difficultés auxquelles se heurte l'exécution d'une mesure d'instruction » ;

Cette compétence ne fait pas échec à celle reconnue au Président du Tribunal en matière de difficulté d'exécution d'une décision judiciaire ;

En l'espèce, le litige ne concerne pas l'exécution de la mesure d'expertise, au sens strict, mais se rapporte à l'exécution de l'ordonnance du 22 mars 2002.

La mission dont l'expert est investi n'est pas limitée à la description de l'activité de la société Unima Europe depuis son commencement d'exploitation ; ainsi qu'il a été dit, il lui appartient de recueillir tous documents commerciaux estimés utiles ainsi que tous les éléments permettant d'éclairer les juridictions sur les actes de concurrence déloyale imputés à cette société ;

Le courrier de l'expert Alain Dulac au Directeur de l'Expansion Économique contient une motivation sérieuse de la demande ; dès lors que l'expert, aux termes d'une argumentation exclusive d'abus, affirme que le document sollicité est important et utile à l'accomplissement de sa mission, sa demande doit être considérée comme formulée dans le cadre du mandat judiciaire dont il est investi ;

En l'occurrence, le dossier de présentation du projet économique établi par la société Unima Europe pour l'obtention de l'autorisation administrative - dont les éléments ne peuvent être précisés et décrits par avance, ce qui légitime la référence peu précise aux « documents de présentation du projet économique » et « aux pièces annexes à ce projet » - apparaît bien susceptible d'aider l'expert à remplir sa mission ;

L'ordonnance du 22 mars 2002 ne prévoit pas d'obligation directe de délivrance des documents dont s'agit à la charge de l'État ; cette circonstance apparaît donc de nature à justifier la demande visant à imposer à l'État de communiquer les pièces sollicitées ;

L'article 6 de la Constitution, aux termes duquel « la séparation des fonctions administrative, législative et judiciaire est assurée », ne serait pas affecté par une décision conforme à celle actuellement demandée ;

L'État n'indique d'ailleurs pas en quoi la règle de séparation des fonctions serait atteinte par une telle décision, sauf à se référer à un arrêt de la Cour d'appel du 18 juin 1973 ;

La référence à cet arrêt n'apparaît pas pertinente ; cette décision isolée, émanant d'une juridiction du fond, prononcée voilà près de trente ans en fonction d'un environnement juridique très différent, ne présente pas en effet le caractère d'une jurisprudence à valeur normative susceptible de s'imposer pour la solution du présent litige, d'autant qu'elle s'inscrivait à l'époque dans un courant jurisprudentiel français avec lequel la Cour de cassation a rompu, par une décision de principe constamment réaffirmée depuis, rendue par sa première chambre civile le 21 juillet 1987 ;

Par cette décision, la Cour de cassation française - juridiction de l'ordre judiciaire - a estimé que l'obligation d'apporter son concours à la justice pour la manifestation de la vérité s'impose aussi bien aux personnes publiques qu'aux personnes privées et que le juge civil peut ordonner à une personne publique la production d'un élément de preuve, sans que soit pour autant méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ;

Pour sa part, le juge administratif français applique le même principe en se reconnaissant le droit d'adresser des injonctions d'instruction à l'Administration depuis 1936, soit bien avant l'introduction en France du texte en vertu duquel « chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité » (loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 ayant modifié l'article 10 du Code civil) ;

La règle fondamentale posée par ce texte français apparaît devoir être transportée à Monaco, la Principauté, comme tout État de droit, étant soucieuse de garantir le meilleur fonctionnement possible des pouvoirs publics et donc de ses tribunaux ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, qui y a été introduit par ordonnance du 12 février 1998, affirme les principes du droit de chacun à un procès équitable et de l'égalité de tous devant les tribunaux et cours de justice, ce qui suppose le concours de toutes personnes concernées à la manifestation de la vérité en justice et le traitement égalitaire des justiciables à la recherche d'un élément de preuve, quelle que soit la personne qui le détient ;

L'État, dont la mission première est d'assurer le bon fonctionnement des institutions dont il a la charge - en particulier du service public de la justice - ne saurait s'affranchir de la règle ci-dessus mentionnée, étant relevé que nul n'est fondé à se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée ;

En définitive les moyens soulevés en défense doivent être rejetés, le refus de délivrance opposé par l'État, n'étant pas jugé légitime ; en conséquence, il y a lieu d'ordonner que l'État, par son service de la Direction de l'Expansion Économique, devra communiquer aux sociétés demanderesses copie des documents réclamés, par application du principe lui faisant obligation de concourir à la justice pour la manifestation de la vérité, ce principe n'apparaissant pas de nature à constituer une immixtion du pouvoir judiciaire dans le fonctionnement de l'Administration dès lors que les mesures d'obtention des preuves détenues par un tiers sont étrangères à la règle constitutionnelle de séparation des fonctions.

Motifs

Ordonnance de référé,

Considérant les faits suivants :

S'estimant victimes d'actes de concurrence déloyale de la part de la société anonyme monégasque Unima Europe, les sociétés demanderesses ont obtenu en référé l'instauration d'une mesure d'expertise confiée à l'expert Alain Dulac ;

L'ordonnance de référé du 14 mars 2001 charge ce mandataire de justice, notamment :

« de prendre connaissance des documents ayant pu être recueillis par les demanderesses sur les activités de la société Unima Europe et d'obtenir de cette société tous documents commerciaux estimés utiles à l'accomplissement de sa mission ;

(...)

de décrire son activité à Monaco depuis le commencement d'exploitation ;

(...)

de manière générale, de recueillir tous éléments permettant à la juridiction qui sera éventuellement saisie d'apprécier si la société Unima Europe s'est livrée ou se livre à des actes de concurrence déloyale (...) » ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 décembre 2001 adressée au directeur de l'Expansion Économique, l'expert Dulac a manifesté en ces termes le souhait d'obtenir des renseignements détenus par ce service administratif :

« (...) je souhaiterais obtenir le document de présentation du projet économique de la société Unima Europe Sam que cette dernière a établi pour effectuer sa demande d'obtention d'une autorisation préalable du Gouvernement Princier afin d'exercer son activité commerciale en Principauté.

Ce document qui a été adressé à votre Direction contient vraisembablement des éléments de marché, de stratégie, d'organisation ainsi que des perspectives et des prévisions tant en termes d'exploitation qu'en termes financiers.

Ce document revêt, à mon sens, un caractère important et utile à l'accomplissement de ma mission.

Je l'ai réclamé à plusieurs reprises à la société Unima Europe Sam mais cette dernière refuse de me transmettre ce document » ;

Cette demande n'ayant pas été satisfaite, les sociétés demanderesses, par requête du 20 mars 2002, ont sollicité de notre part l'autorisation de se faire délivrer les documents de présentation du projet économique de la société Unima Europe établis dans le cadre de sa demande d'autorisation d'exercice et, plus généralement, tous les documents ayant pu être remis dans le cadre de l'obtention des autorisations administratives ;

Par l'ordonnance précitée du 22 mars suivant, nous avons autorisé les sociétés requérantes à se faire délivrer par la Direction de l'Expansion Économique, avec le concours d'un huissier de justice, copie des documents sollicités ;

Il résulte d'un procès-verbal de constat établi le 4 avril 2002 par Maître Claire Notari, huissier, que la Direction de l'Expansion Économique, sur instruction de son autorité de tutelle, a refusé de déférer à cette ordonnance, ce qui motive la présente instance ;

Dans ses conclusions, l'État estime d'abord que la condition d'urgence requise par l'article 414 du Code de procédure civile n'est pas remplie, ce qui ôterait sa compétence au juge des référés ;

Ensuite, il se prévaut de difficultés sérieuses, au nombre de cinq, qui feraient obstacle à la demande :

* absence aux débats de la société Unima Europe pourtant directement concernée ;

* demande de l'expert outrepassant sa mission et conflit de compétences entre le magistrat chargé du contrôle de l'expertise et le juge des référés ;

* invocation d'un texte français (article 145 du Nouveau Code de procédure civile) au soutient de la demande ;

* violation de la règle « non bis in idem » en ce que les sociétés demanderesses disposent déjà d'un titre judiciaire ;

* principe d'ordre public, édicté par l'article 6 de la Constitution, suivant lequel la séparation des fonctions administrative et judiciaire est assurée ;

Sur quoi :

Le fondement de la demande :

Attendu qu'à l'audience des plaidoiries, le conseil des demanderesses s'est défendu d'avoir invoqué un texte français au soutien de son action ;

Qu'il a précisé que la référence à « l'article 145 » du Code de procédure civile résulte d'une erreur matérielle par inversion des chiffres ; qu'il a confirmé le même jour par écrit que sa demande était fondée sur l'article 415 de ce code ;

Attendu qu'il ne peut qu'être pris acte de cette rectification, l'indication de l'article 145 (relatif à la copie des exploits judiciaires) procédant à l'évidence d'une erreur, dans la mesure où l'assignation se réfère expressément à la difficulté d'exécution de l'ordonnance du 22 mars 2002 ;

La compétence :

Attendu que l'article 415 du Code de procédure civile ouvre aux plaideurs la faculté de soumettre en référé au Président du Tribunal de première instance les difficultés d'exécution d'une décision judiciaire ;

Que l'ordonnance du 22 mars 2002, rendue en application de l'article 851 du Code de procédure civile, constitue bien une décision judiciaire au sens de l'article 415 ;

Attendu que la saisine du Président du Tribunal, statuant en référé, se justifierait encore par le fait que l'ordonnance sur requête a formellement réservé cette voie de recours, conformément aux prévisions de l'article 852-2 du Code de procédure civile ;

Attendu par ailleurs que l'urgence requise par l'article 414 du Code de procédure civile n'est pas une condition d'application de l'article 415 dont l'autonomie, dans le domaine qu'il concerne, n'est pas contestable ;

Attendu en conséquence que le moyen d'incompétence doit être rejeté ;

Les « contestations sérieuses » alléguées :

Attendu que de telles contestations, d'ordinaire invoquées dans le cadre de l'article 414 pour caractériser l'existence d'un préjudice au principal, doivent s'analyser, dans la présente instance fondée sur l'article 415, en autant de moyens ou d'arguments opposés à la demande ;

Attendu, en premier lieu, que la difficulté d'exécution dont les demanderesses se prévalent procède du refus de l'État de délivrer les documents sollicités ;

Que la société Unima Europe n'est pas concernée par l'ordonnance du 22 mars 2002, même s'il peut être soutenu qu'il lui appartenait au premier chef de communiquer les renseignements sollicités par l'expert ;

Attendu en conséquence que le grief relatif à l'absence de cette société à la présente instance s'avère inopérant ;

Attendu, en deuxième lieu, que le juge chargé du contrôle de l'exécution de l'expertise ordonnée le 14 mars 2001 dispose, aux termes de l'article 307 du Code de procédure civile, d'une compétence pour trancher « les difficultés auxquelles se heurte l'exécution d'une mesure d'instruction » ;

Que cette compétence ne fait pas échec à celle reconnue au Président du Tribunal en matière de difficulté d'exécution d'une décision judiciaire ;

Attendu qu'en l'espèce, le litige ne concerne pas l'exécution de la mesure d'expertise, au sens strict, mais se rapporte à l'exécution de l'ordonnance du 22 mars 2002 ;

Attendu que la mission dont l'expert est investi n'est pas limitée à la description de l'activité de la société Unima Europe depuis son commencement d'exploitation ; qu'ainsi qu'il a été dit, il lui appartient de recueillir tous documents commerciaux estimés utiles ainsi que tous éléments permettant d'éclairer les juridictions sur les actes de concurrence déloyale imputés à cette société ;

Attendu que le courrier de l'expert Alain Dulac au Directeur de l'Expansion Économique contient une motivation sérieuse de la demande ; que dès lors que l'expert, aux termes d'une argumentation exclusive d'abus, affirme que le document sollicité est important et utile à l'accomplissement de sa mission, sa demande doit être considérée comme formulée dans le cadre du mandat judiciaire dont il est investi ;

Attendu qu'en l'occurrence, le dossier de présentation du projet économique établi par la société Unima Europe pour l'obtention de l'autorisation administrative - dont les éléments ne peuvent être précisés et décrits par avance, ce qui légitime la référence peu précise aux « documents de présentation du projet économique » et « aux pièces annexées à ce projet » - apparaît bien susceptible d'aider l'expert à remplir sa mission ;

Attendu, en troisième lieu, que l'ordonnance du 22 mars 2002 ne prévoit pas d'obligation directe de délivrance des documents dont s'agit à la charge de l'État ; que cette circonstance apparaît donc de nature à justifier la demande visant à imposer à l'État de communiquer les pièces sollicitées ;

Attendu, en quatrième lieu, que l'article 6 de la Constitution, aux termes duquel « la séparation des fonctions administrative, législative et judiciaire est assurée », ne serait pas affecté par une décision conforme à celle actuellement demandée ;

Que l'État n'indique d'ailleurs pas en quoi la règle de séparation des fonctions serait atteinte par une telle décision, sauf à se référer à un arrêt de la Cour d'appel du 18 juin 1973 ;

Attendu que la référence à cet arrêt n'apparaît pas pertinente ; que cette décision isolée, émanant d'une juridiction du fond, prononcée voilà près de trente ans en fonction d'un environnement juridique très différent, ne présente pas en effet le caractère d'une jurisprudence à valeur normative susceptible de s'imposer pour la solution du présent litige, d'autant qu'elle s'inscrivait à l'époque dans un courant jurisprudentiel français avec lequel la Cour de cassation a rompu, par une décision de principe constamment réaffirmée depuis, rendue par sa première chambre civile le 21 juillet 1987 ;

Attendu que par cette décision, la Cour de cassation française - juridiction de l'ordre judiciaire - a estimé que l'obligation d'apporter son concours à la justice pour la manifestation de la vérité s'impose aussi bien aux personnes publiques qu'aux personnes privées et que le juge civil peut ordonner à une personne publique la production d'un élément de preuve, sans que soit pour autant méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ;

Que pour sa part, le juge administratif français applique le même principe en se reconnaissant le droit d'adresser des injonctions d'instruction à l'Administration depuis 1936, soit bien avant l'introduction en France du texte en vertu duquel « chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité » (loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 ayant modifié l'article 10 du Code civil) ;

Attendu que la règle fondamentale posée par ce texte français apparaît devoir être transposée à Monaco, la Principauté, comme tout État de droit, étant soucieuse de garantir le meilleur fonctionnement possible des pouvoirs publics et donc de ses tribunaux ; que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, qui y a été introduit par ordonnance du 12 février 1998, affirme les principes du droit de chacun à un procès équitable et de l'égalité de tous devant les tribunaux et cours de justice, ce qui suppose le concours de toutes les personnes concernées à la manifestation de la vérité en justice et le traitement égalitaire des justiciables à la recherche d'un élément de preuve, quelle que soit la personne qui le détient ;

Le fond du litige :

Attendu que l'État, dont la mission première est d'assurer le bon fonctionnement des institutions dont il a la charge - en particulier du service public de la justice - ne saurait s'affranchir de la règle ci-dessus mentionnée, étant relevé que nul n'est fondé à se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée ;

Attendu en définitive que les moyens soulevés en défense doivent être rejetés, le refus de délivrance opposé par l'État n'étant pas jugé légitime ; qu'en conséquence, il y a lieu d'ordonner que l'État, par son service de la Direction de l'Expansion Économique, devra communiquer aux sociétés demanderesses copie des documents réclamés, par application du principe lui faisant obligation de concourir à la justice pour la manifestation de la vérité, ce principe n'apparaissant pas de nature à constituer une immixtion du pouvoir judiciaire dans le fonctionnement de l'Administration dès lors que les mesures d'obtention des preuves détenues par un tiers sont étrangères à la règle constitutionnelle de séparation des fonctions ;

Attendu que les dépens de la présente ordonnance doivent être mis à la charge de l'État, par application des articles 421, alinéa 2 et 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Statuant dans le cadre de la difficulté d'exécution de notre ordonnance du 22 mars 2002,

Disons que l'État de Monaco, par sa Direction de l'Expansion Économique, devra communiquer aux sociétés demanderesses, dans les quinze jours de la signification de la présente décision, copie des documents mentionnés dans cette ordonnance.

Composition

M. Narmino, prés. Trib. prem. inst. ; Mes Michel et Sbarrato, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27009
Date de la décision : 12/06/2002

Analyses

Procédure civile ; Concurrence - Général


Parties
Demandeurs : Sociétés Overseas Seafood Operations, Delta Pêche SA, R. C. SARL, et Oso Iberica
Défendeurs : État de Monaco

Références :

ordonnance du 12 février 1998
articles 421, alinéa 2 et 231 du Code de procédure civile
article 851 du Code de procédure civile
ordonnance du 22 mars 2002
article 10 du Code civil
article 415 du Code de procédure civile
article 6 de la Constitution
loi n° 72-626 du 5 juillet 1972
article 307 du Code de procédure civile
article 414 du Code de procédure civile
Code de procédure civile
article 852-2 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2002-06-12;27009 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award