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16/05/2002 | MONACO | N°27000

Monaco | Tribunal de première instance, 16 mai 2002, Société Inchcape Shipping Services (Cyprus) c/ T.


Abstract

Concurrence déloyale

Action en responsabilité - Preuve du non-respect de l'obligation de non concurrence rapportée

Résumé

Suivant acte sous seing privé du 21 septembre 1995, enregistré à Monaco le 29 mars 2000 et expressément régi par le droit monégasque, G. T., la société civile particulière dénommée C. et J.-L. G. ont vendu à la société de droit chypriote Inchcapeshipping Services (Cyprus) Ltd 1 000 actions représentant la majorité du capital de la société anonyme monégasque dénommée Monaco Maritime.

G. T. s'engageait en o

utre :

- durant une période minimale de trois ans, à rester au service de la société cédée et lui four...

Abstract

Concurrence déloyale

Action en responsabilité - Preuve du non-respect de l'obligation de non concurrence rapportée

Résumé

Suivant acte sous seing privé du 21 septembre 1995, enregistré à Monaco le 29 mars 2000 et expressément régi par le droit monégasque, G. T., la société civile particulière dénommée C. et J.-L. G. ont vendu à la société de droit chypriote Inchcapeshipping Services (Cyprus) Ltd 1 000 actions représentant la majorité du capital de la société anonyme monégasque dénommée Monaco Maritime.

G. T. s'engageait en outre :

- durant une période minimale de trois ans, à rester au service de la société cédée et lui fournir son assistance dans le maintien de ses relations avec les clients « que ce soit en qualité d'employé ou autrement pendant cette période » (article 6-2) ;

- pendant une durée minimum de trois années ou pendant la durée de son contrat de travail, à ne pas « directement ou indirectement, gérer, s'intéresser à, s'occuper de, ou travailler dans une activité concurrente de la Société », sur le territoire de la Principauté de Monaco et du département français des Alpes-Maritimes (article 6-1 intitulé « non-concurrence »).

Le lendemain 22 septembre 1995, la société Monaco Maritime et G. T. ont conclu un contrat de travail portant embauche de ce dernier en qualité de directeur commercial, chargé de participer « au développement des activités de croisière en Méditerranée Orientale de la société Inchcape Shipping Services (Europe) Ltd ».

Cette convention comportait notamment une clause de non-concurrence similaire à celle déjà insérée dans le contrat de vente visant toute activité « concurrente même partiellement ou potentiellement avec l'activité actuelle de la Société » ; elle précisait toutefois à son article 8 intitulé « Exclusivité » :

- « La Société ne s'opposera pas à ce que Monsieur T. entreprenne des activités professionnelles directement ou indirectement non concurrentes à celles de la Société. Monsieur T. ne pourra toutefois être salarié d'une autre entreprise que Monaco Maritime, à l'exception de la continuation de ses emplois actuels auprès de l' » Office Maritime Monégasque et l'Office des Transports Maritimes.

En cas de renouvellement ou de prorogation du contrat de travail, cette tolérance sera reconduite pour une année supplémentaire.

De plus, Monaco Maritime ne s'opposera pas à ce que Monsieur G. T. conserve ses fonctions de gérant des sociétés à responsabilité limitée françaises Aéromar qui poursuit l'activité d'agence de voyages telle qu'exploitée à ce jour par Nice Maritime, et Nice Maritime, appelée à changer de dénomination sociale, dont l'activité consiste actuellement à détenir et gérer un local à usage d'entrepôt sur la commune de Cap d'Ail «.

Il ressort soit de l'acte introductif d'instance soit de ses conclusions ultérieures, que la société demanderesse invoque un préjudice né de la dévalorisation des actions qu'elle a acquises, représentant la majeure partie du capital de la société Monaco Maritime, et soutient que cette dévalorisation est la conséquence de la violation par G. T. de ses engagements contractuels.

Un tel préjudice est bien susceptible d'être subi personnellement par la société Inchcape Shipping Services ; elle a donc bien qualité à agir pour solliciter la réparation.

La société Inchcape Shipping Services invoque la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de vente du 21 septembre 1995.

Le contrat comporte également l'engagement de G. T. de rester temporairement au service de la société Monaco Maritime ; il est donc exact qu'il existe un lien entre la vente et le contrat de travail, conclu le 22 septembre 1995 entre G. T. et la société Monaco Maritime, qui ne constitue, selon l'article 5.3 de l'acte de vente, qu'une modalité d'exécution de cet engagement.

Cependant que les deux conventions conservent leur autonomie juridique ; l'obligation de non-concurrence est principalement une des contreparties de l'achat à G. T. de ses parts ; à défaut même d'une clause expresse, ce dernier aurait d'ailleurs été tenu, conformément à l'article 1468 du Code civil, de la garantie d'éviction de tout ou partie de la chose vendue qui aurait limité son droit de prospecter la clientèle de la société Monaco Maritime dans le cadre d'une activité concurrente.

La clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail au bénéfice de la société Monaco Maritime n'a qu'un caractère accessoire à l'égard de la société Inchcape Shipping Services et ne peut avoir pour intérêt, dans le cadre de la présente instance, que d'éclairer le Tribunal sur la commune intention des parties dans le cas où l'interprétation de la clause stipulée dans le contrat de vente serait nécessaire.

Il en découle :

- d'une part, que la société Inchcape Shipping Services est en droit de se prévaloir de la clause stipulée à son profit dans l'acte de vente auquel elle était partie, qu'elle a bien à ce titre la qualité de créancière et qu'il n'y a donc aucune atteinte au principe de l'effet relatif des contrats résultant de l'article 1020 du Code civil ;

- d'autre part, qu'en raison de l'autonomie entre les deux contrats, la question de la validité de la clause insérée au contrat de travail n'est pas susceptible d'influer sur la clause stipulée dans le cadre de l'acte de vente ;

- et enfin, qu'il est donc sans intérêt pour la solution du présent litige d'attendre qu'il ait été définitivement statué sur l'instance engagée devant le Tribunal du travail à l'occasion de laquelle G. T. a contesté la validité de l'obligation de non-concurrence contractée par lui envers la société Monaco Maritime.

Il y a donc lieu de rejeter la demande reconventionnelle tendant à l'annulation de la cause litigieuse.

Il ressort de multiples pièces versées aux débats par la société demanderesse sous le n° 21 qu'en 1997 et 1998, G. T. a établi à l'intention de compagnies de navigation des factures proforma, valant offres commerciales, sur des imprimés à l'en-tête » Monaco maritime/ISS « ; systématiquement à côté de l'indication de son propre nom, il apposait un cachet ovale portant le texte » G. T. Courtier Maritime «, accompagné de l'adresse et des numéros de téléphones, de télex et de télécopie de la société Monaco Maritime.

L'article L. 512-3 du Code de la mer, résultant de la loi n° 1.198 du 27 mars 1998, comme antérieurement l'article 9 de l'ordonnance du 7 mars 1917 sur le courtage maritime, autorise les courtiers maritimes, outre les fonctions qui leur sont spécialement conférées, à exercer toutes activités commerciales ; l'activité de courtier maritime constitue donc, au sens du contrat de vente du 21 septembre 1995, une activité partiellement ou potentiellement concurrente à celle de la société Monaco Maritime.

Rien ne rendait nécessaire l'usage du cachet litigieux alors que les factures proforma concernaient non des actes réservés aux courtiers maritimes, mais des services relevant de l'agence maritime ; l'apposition de ce tampon constitue par elle-même un acte de concurrence puisque G. T. y invoquait une qualité propre, distincte de celle de préposé de la société Monaco Maritime ; cette qualité donnait par ailleurs lieu à une publicité particulière susceptible d'aggraver la confusion entre les deux fonctions puisque G. T. apparaissait en 1997 dans l'annuaire téléphonique professionnel de la Principauté sous la rubrique » courtiers maritimes (pièce n° 56 du dossier Inchcape).

G. T. a ensuite manifesté son intention de se substituer purement et simplement à son employeur ; la pièce n° 19 de la demanderesse montre que sur une lettre circulaire adressée le 1er juin 1998 à tous ses agents par la compagnie Princess Cruises, le cachet de la société Monaco Maritime initialement porté au-dessus du cadre destiné à recevoir un avis de réception a été masqué à l'aide de bandelettes adhésives de correction sur lesquelles a été apposé le cachet de courtier de G. T. ; aucune indication de la société Monaco Maritime n'apparaît donc plus sur le document ; précédemment, au bas d'une autre circulaire du 26 mars 1998, G. T. avait déjà fait usage de son cachet, tout en inscrivant dans la rubrique destinée au nom de l'agence les mots « MCO Maritime » (pièce n° 20).

Loin de se limiter à des documents internes à l'entreprise, l'utilisation du cachet était ainsi sciemment portée à la connaissance de la clientèle.

Ce comportement revêt en conséquence un caractère fautif ; il tend à démontrer que G. T. a renforcé l'affirmation de son rôle personnel à partir de 1998, au point d'apparaître à l'époque de son licenciement comme le seul interlocuteur des clients de son employeur.

En outre, au-delà de l'entretien de cette confusion, G. T. s'est bel et bien livré à une activité concurrente alors qu'il était encore au service de son employeur.

Dans un message télécopié daté du 27 avril, qui se rattache manifestement à l'année 1998 puisqu'une mention d'envoi porte en marge la date du 6 mai 1998, le Capitaine W. K. délivre à G. T. une véritable attestation tendant à démontrer que ce dernier « est le seul agent et représentant de Wind Star Cruises et des vaisseaux Wind Star, Wind Spirit, Wind Song et Wind Surf pour toutes les escales de ces vaisseaux dans le port de Nice et agit en notre nom. Ceci inclut l'escale d'inauguration du Wind Surf à Nice et toutes les activités opérationnelles en relations avec cette escale ».

Ces termes se rapportent à l'évidence à l'activité d'agence maritime orientée vers les compagnies de croisière, telle qu'elle a été décrite dans le contrat de vente du 21 septembre 1995 ; la compagnie en cause faisait partie de la clientèle de la société Monaco Maritime telle qu'elle est énumérée en annexe à ce contrat ; il ne peut y avoir aucune erreur sur la portée du message puisque son auteur signale en préambule qu'il a pour cause une erreur de la Chambre de Commerce de Nice, « apparemment... contactée par Inchcape » et que cet écrit est destiné à être produit à L. M., directeur des ports de Nice (n° 121 du dossier T.) ; G. T. concurrençait donc sciemment son employeur en dépit des démarches commerciales de ce dernier.

Il y a donc là aussi une violation particulièrement grave de l'obligation de non-concurrence.

Dès son licenciement G. T. a manifesté sa volonté de rester en contact avec la clientèle de la société Monaco Maritime ; il a ainsi adressé le 21 août 1998 à la société Marco Polo un message annonçant qu'il ne faisait plus partie de Monaco Maritime « société que j'ai créée en 1991 et qui, depuis cette époque, avait le plaisir de traiter les escales pour votre compte à Monaco et dans les autres ports importants de la Côte d'Azur et de la côte méditerranéenne française » ; il précisait qu'il pouvait désormais être contacté à l'adresse de l'Office Maritime Monégasque ou de sa filiale française à Marseille et précisait que S. H. et S. B. « qui m'ont aidé à développer les activités », quittaient également Monaco Maritime ; il remerciait le client pour sa confiance et concluait en espérant avoir l'opportunité de le rencontrer prochainement (pièce n° 36 du dossier Inchcape).

De pareils termes démontrent que G. T. avait toujours l'intention de travailler avec la société Marco Polo et l'invitait de façon explicite à le suivre ; un courrier identique a été adressé le 25 août 1998 à la société Airtours (pièce n° 37 du dossier Inchcape) à partir d'un imprimé strictement identique, y compris la signature, seul le nom du destinataire étant laissé en blanc ; ce fait établit l'intention d'assurer une large diffusion de ce document à l'ensemble des clients connus par G. T..

Ces offres écrites ont été suivies d'une action de démarchage de la clientèle.

Il ressort en effet de l'attestation établie par P. K., destinataire pour la société Marco Polo du message du 21 août 1998, que G. T. et S. H., licenciée en même temps que lui, sont venus le 10 septembre 1998 le rencontrer dans ses bureaux à Londres pour le prévenir du fait qu'ils ne travaillaient plus pour la société Inchcape et lui expliquer :

- que G. T. ne pouvait pas exercer les fonctions d'agent portuaire à Cannes ou Monte Carlo « pour des raisons juridiques » ;

- que S. H. avait quant à elle l'intention de proposer ses services d'agent portuaire au sein d'une société dénommée « Monaco Port Services » (pièce n° 33).

Monaco Port Services est en réalité la dénomination commerciale de la société en nom collectif monégasque P. P. et H. B., constituée le 2 février 1998 et autorisée le 7 juillet suivant, dont l'objet social vise notamment l'activité d'agence maritime, de représentation de compagnies de navigation et d'avitaillement, concurrente à celle de la société Monaco Maritime.

Il est vrai que G. T. n'apparaît pas parmi les dirigeants de cette société, il est néanmoins établi qu'il en est proche ; le seul fait d'avoir assisté S. H. lors de son offre de service à P. K. constitue déjà le fait de s'intéresser à cette société ; d'autres éléments viennent au demeurant confirmer que G. T. collabore avec cette entité :

- dès le 28 septembre 1998, la compagnie Sea Cloud Cruises, client de Monaco Maritime, s'inquiète de l'organisation de sa prochaine escale l'année suivante, préparée avec G. T. avant licenciement, et précise que, notamment pour les excursions à terre, son affréteur a continué ensuite à travailler avec T. et a négocié avec lui des arrangements « à travers la société de G. T. : Monaco Port Services » (pièce n° 50 du dossier Inchcape) ;

- alors que la compagnie Wind Star Cruises a attesté en avril 1998 par un de ses commandants, comme on l'a vu plus haut, qu'elle avait pour agent G. T., le tableau récapitulatif des escales de croisières établi pour l'année 1999 par la Chambre de Commerce de Nice au sujet du port de Nice-Villefranche montra que son agent est devenu Monaco Port Services (pièce n° 61 du dossier Inchcape).

- près d'un an plus tard, le 5 juillet 1999, la société Philippine Transmarine Carriers, demandant à Monaco Port Services d'intervenir pour l'obtention d'un visa français au bénéfice d'un équipage, a adressé son courrier à l'intention de S. H. et G. T. (pièce n° 53).

Il en résulte clairement que G. T. s'est, au mépris de son obligation de non-concurrence, intéressé à une société concurrente de Monaco Maritime et a travaillé pour elle.

La discussion instaurée par les parties sur le caractère probant des déclarations faites à l'occasion de sommations interpellatives n'est pas de nature à porter atteinte à la valeur des éléments qui viennent d'être exposés.

Après avoir dans un premier temps, sur la sommation de la demanderesse, clairement affirmé que G. T. s'était toujours présenté à la Capitainerie du port de Nice comme travaillant pour Monaco Port Services (pièce n° 89 du dossier Inchcape), le Commandant A. D. a ensuite répondu à une contre-sommation de G. T. que « les écrits qui ont été faits ne reflètent pas les paroles exactement prononcées » et qu'il n'était pas en mesure de préciser les éléments de fait et les circonstances lui permettant d'affirmer que G. T. avait semblé agir uniquement pour le compte de Monaco Port Services (pièce n° 161 du dossier T.).

Si ces déclarations successives pourraient faire naître un doute sur la qualité exacte prise par G. T. dans ses rapports avec la Capitainerie, il n'en demeure pas moins qu'elles établissent qu'il a effectivement exercé à Nice, dans le secteur visé par la clause de non-concurrence, des activités se rattachant aux tâches d'une agence maritime et a ainsi encore manqué à ses obligations.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Suivant acte sous seing privé du 21 septembre 1995, enregistré à Monaco le 29 mars 2000 et expressément régi par le droit monégasque, G. T., la société civile particulière dénommée C. et J.-L. G. ont vendu à la société de droit chypriote Inchcape Shipping Services (Cyprus) Ltd 1 000 actions représentant la majorité du capital de la société anonyme monégasque dénommée Monaco Maritime ;

G. T. s'engageait en outre :

* durant une période minimale de trois ans, à rester au service de la société cédée et lui fournir son assistance dans le maintien de ses relations avec les clients « que ce soit en qualité d'employé ou autrement pendant cette période » (article 6-2) ;

* pendant une durée minimum de trois années ou pendant la durée de son contrat de travail, à ne pas « directement ou indirectement, gérer, s'intéresser à, s'occuper de, ou travailler dans une activité concurrente de la Société », sur le territoire de la Principauté de Monaco et du Département français des Alpes-Maritimes (article 6-1 intitulé « Non-concurrence ») ;

Les parties convenaient que, sur le prix des actions, la somme de 750 000 francs devait demeurer séquestrée comme « garantie des déclarations des vendeurs » prévues à l'article 3 ; ce séquestre était organisé par une convention distincte du même jour ;

Le lendemain 22 septembre 1995, la société Monaco Maritime et G. T. ont conclu un contrat de travail portant embauche de ce dernier en qualité de directeur commercial, chargé de participer « au développement des activités de croisière en Méditerranée Orientale de la société Inchcape Shipping Services (Europe) Ltd » ;

Cette convention comportait notamment une clause de non-concurrence similaire à celle déjà insérée dans le contrat de vente visant toute activité « concurrente même partiellement ou potentiellement avec l'activité actuelle de la Société » ; elle précisait toutefois à son article 8 intitulé « Exclusivité » :

* « La Société ne n'opposera pas à ce que Monsieur T. entreprenne des activités professionnelles directement ou indirectement non concurrentes à celles de la Société. Monsieur T. ne pourra toutefois être salarié d'une autre entreprise que Monaco Maritime, à l'exception de la continuation de ses emplois actuels auprès de l'Office Maritime Monégasque et l'Office des Transports Maritimes.

En cas de renouvellement ou de prorogation du contrat de travail, cette tolérance sera reconduite pour une année supplémentaire.

De plus, Monaco Maritime ne s'opposera pas à ce que Monsieur G. T. conserve ses fonctions de gérant des sociétés à responsabilité limitée françaises Aéromar qui poursuit l'activité d'agence de voyages telle qu'exploitée à ce jour par Nice Maritime, et Nice Maritime, appelée à changer de dénomination sociale, dont l'activité consiste actuellement à détenir et gérer un local à usage d'entrepôt sur la commune de Cap d'Ail » ;

Par courrier du 21 août 1998, la société Monaco Maritime a notifié à G. T. sa décision de procéder à son licenciement pour faute grave ; une instance a été engagée à ce sujet devant le Tribunal du Travail ;

Un litige séparé oppose la société Inchcape Shipping Services et G. T. ; il a donné lieu aux deux instances présentement soumises au Tribunal de première instance :

1° Instance enregistrée sous le n° 93 du rôle de l'année 1998-1999

Autorisée par une ordonnance du 10 septembre 1998, la société Inchcape Shipping Services (Cyprus) Ltd faisait procéder le 18 septembre 1998 à une saisie-arrêt entre les mains de l'établissement bancaire Barclays Bank pour obtenir paiement de la créance née selon elle du détournement par G. T. de la clientèle de la société Monaco Maritime vers d'autres sociétés, provisoirement évaluée à la somme de 1 307 886 francs ; par le même exploit, elle faisait assigner G. T. en validation de cette saisie ;

Le tiers saisi déclarait détenir sur un compte séquestre ouvert au nom de la société saisissante la somme de 822 275,33 francs ; dans sa déclaration complémentaire du 7 octobre 1998, il élevait ce montant à 828 243,27 francs et précisait que ces sommes demeuraient indisponibles aux termes de la convention de séquestre du 22 septembre 1995 ;

Par assignation au référé du 1er octobre 1998, G. T. a sollicité la rétractation de l'ordonnance susvisée du 10 septembre 1998 et la mainlevée subséquente de la saisie-arrêt ; selon ordonnance de référé en date du 5 septembre 1999, le Président du Tribunal de première instance a dit n'y avoir lieu de faire droit à ces demandes ;

Suivant arrêt infirmatif rendu le 27 juin 2000, la cour d'appel prononçait la mainlevée de la saisie-arrêt ;

Par jugement avant dire droit du 9 mars 2000, le Tribunal rejetait l'exception de caution judicatum solvi présentée par G. T. et renvoyait les parties à conclure au fond ;

Par conclusions du 14 juin 2000, la société demanderesse élargissait ses demandes et sollicitait, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

* la validation de la saisie-arrêt ;

* la condamnation de G. T. à lui payer la somme principale de 6 000 000 francs, représentant la perte de valeur de la société Monaco Maritime pour les années 1996 à 1999, outre des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la mauvaise foi et la résistance abusive de son adversaire à hauteur de 500 000 francs ;

* acte de ses réserves de réclamer réparation au titre du préjudice supplémentaire pouvant être révélé par les résultats comptables de la société Monaco Maritime postérieurs à l'année 1999 ;

Elle maintenait ses demandes dans ses écritures des 25 avril et 22 novembre 2001 et sollicitait en outre la jonction de cette instance avec celle ouverte sous le n° 563 qui sera analysée plus loin ;

Tout en se réservant la possibilité de former un recours contre le jugement avant dire droit, G. T. s'opposait aux prétentions de son adversaire par des conclusions des 8 février 2001, 17 octobre 2001 et 20 février 2002 :

* il soulevait leur irrecevabilité en raison d'une part de la force jugée attachée selon lui à l'arrêt rendu le 27 juin 2000 par la cour d'appel, d'autre part de l'absence de qualité à agir de son adversaire ;

* au fond il demandait au Tribunal de dire et juger nulle la clause de non-concurrence insérée au contrat du 21 septembre 1995 et de constater tant l'absence de toute faute de sa part que l'inexistence d'un préjudice qui lui soit imputable ;

* il formait une demande reconventionnelle tendant à la condamnation de son adversaire à lui payer la somme de 500 000 francs, convertie dans le dernier état de ses écritures à la somme de 76 224,51 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice occasionné par l'engagement d'une procédure abusive, vexatoire et dénuée de fondement sérieux ;

2° Instance enregistrée sous le n° 653 du rôle de l'année 1998-1999

Agissant cette fois en vertu d'une ordonnance d'autorisation du 8 mars 1999, la société Inchcape Shipping Services (Cyprus) Ltd requérait le 10 mars suivant l'inscription d'une hypothèque provisoire sur des biens immobiliers appartenant à G. T. pour sûreté du paiement d'une créance provisoirement évaluée à 2 200 000 francs, également fondée sur le détournement de la clientèle de la société Monaco Maritime ; par l'exploit susvisé du 7 mai 1999, la société requérante faisait assigner G. T. en vue, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

* de la validation de l'inscription provisoire ;

* de sa condamnation à lui payer la somme principale de 3 118 450 francs, outre des dommages-intérêts complémentaires pour 200 000 francs ;

Par son arrêt du 18 janvier 2000, la cour d'appel ordonnait la consignation auprès du Greffier en chef, constitué comme séquestre, de la somme de 2 200 000 francs et la mainlevée de l'inscription provisoire d'hypothèque sur justification de cette consignation ; la somme consignée était déposée le 6 avril 2000 entre les mains du séquestre et l'inscription hypothécaire était radiée le lendemain ;

Statuant avant dire droit le 9 mars 2000, le Tribunal rejetait l'exception de caution judicatum solvi opposée par G. T. et ordonnait la poursuite de l'instance ;

Par conclusions des 14 juin 2000, 25 avril 2001 et 22 novembre 2001, la société demanderesse élevait ses demandes aux mêmes montants que ceux réclamés dans le cadre de l'instance n° 93 et sollicitait de même la jonction avec cette instance ; elle demandait en outre de dire que les sommes consignées devront lui être versées jusqu'à concurrence ou en déduction de la créance qui sera mise à la charge de son adversaire ;

Dans ses écritures des 8 février 2001, 17 octobre 2001 et 20 février 2002, G. T. opposait les mêmes moyens de défense que ceux déjà indiqués ; à titre reconventionnel, il demandait avec le bénéfice de l'exécution provisoire la mainlevée immédiate de la consignation et la condamnation de son adversaire à lui payer la somme de 500 000 francs, soit 76 224,51 euros, à titre de dommages-intérêts ;

Le débat commun à ces deux instances peut être ainsi exposé :

Sur la recevabilité des demandes :

* G. T. soutient que son adversaire est sans qualité pour demander à la place de la société Monaco Maritime la réparation du préjudice résultant de la perte d'une partie de son chiffre d'affaires ; il invoque en outre l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 27 juin 2000 par la cour d'appel, portant mainlevée de la saisie-arrêt ;

* la société demanderesse s'estime recevable à poursuivre la réparation du préjudice personnel qu'elle subit en raison de la perte de valeur de son investissement représenté par les actions de la société Monaco Maritime qu'elle a acquises ;

Sur la validité de la clause de non-concurrence :

* G. T. expose que la clause insérée dans le contrat de cession et celle stipulée dans le contrat de travail constituent une seule obligation indivisible ; il fait valoir qu'elle est contraire au principe de l'effet relatif des contrats puisqu'elle assimile « la cession d'actions au contrat de travail qui comporte des engagements spécifiques pris envers des parties contractantes différentes » ; il prétend en outre qu'elle doit suivre le sort de la clause inscrite au contrat de travail, illicite comme contraire à la liberté du travail, dont l'annulation a été sollicitée devant le Tribunal du travail ;

* la société demanderesse répond que la clause litigieuse n'impose d'obligations qu'entre les parties à l'acte de cession, même si elle peut indirectement profiter à la société Monaco Maritime et que la référence qu'elle fait au contrat de travail, voulue par ces parties, ne heurte en rien le principe de l'effet relatif des contrats ; elle estime inopérantes les critiques visant le contrat de travail alors que le Tribunal de première instance n'a pas compétence pour connaître de la validité de ce contrat distinct ; elle conteste par ailleurs toute atteinte à la liberté du travail alors que G. T. a toujours exercé de nombreuses activités parallèles ;

Sur la portée de la clause de non-concurrence :

* G. T. interprète la notion d' « activité actuelle » de la bénéficiaire de la clause comme l'activité qu'elle exerce réellement ;

* pour la société demanderesse, la clause concerne plus largement l'activité de la société Monaco Maritime telle qu'elle est définie dans son objet social, non modifié depuis l'acte de cession ;

Sur les faits et actes reprochés à G. T. :

* plusieurs faits qualifiés de détournement ou d'appropriation de clientèle sont invoqués :

* faits mettant en cause la société Monaco Shipchandler, devenue Monaco Ship : la société demanderesse, après avoir relevé que cette société a le même objet et la même adresse qu'elle et que son nom actuel n'est que la traduction anglaise de la dénomination « Monaco Maritime », affirme qu'alors qu'elle se trouvait en sommeil, elle a effectué et facturé à partir de 1998 des prestations pour des clients de Monaco Maritime dont un salarié, F. P., a même été débauché pour rejoindre la Société Monaco Shipchandler, animée par G. T. qui en est le président-délégué ; elle soutient que le seul fait d'avoir occupé ce poste suffit à caractériser une violation de la clause de non-concurrence et que son adversaire s'est en outre livré à un détournement de clientèle sous couvert d'actes de sous-traitance ; G. T. réplique que l'activité d'avitaillement des navires exercée par la société Shipchandler est distincte de celle d'agence maritime, que cette société n'a pas modifié sa dénomination sociale, que l'identité d'adresse est inopérante alors que la société Monaco Maritime a elle-même occupé une partie des locaux loués par Shipchandler, que le fait de vendre des marchandises à des navires faisant partie de la clientèle de Monaco Maritime n'est nullement un acte de concurrence déloyale, d'autant que certaines ventes ont été directement facturées à cette dernière, et qu'il n'y a eu aucun débauchage à l'occasion de la démission de F. P., due à la modification de ses conditions de rémunération par la société Monaco Maritime et au refus de cette dernière de lui rembourser des frais de déplacement ;

* faits intéressant l'Office Monégasque Maritime : la société Inchcape Shipping Services reproche à G. T. d'avoir fait apparaître les numéros de téléphone et de télécopie de cet Office dont il est le président-délégué sur des documents à l'en-tête de la société Monaco Maritime, d'avoir procédé pour l'Office, au mépris de principes commerciaux élémentaires et d'une pratique bien établie, à la facturation directe des clients de cette société dans le but « d'établir un contact direct avec les clients... afin de pouvoir à terme les détourner plus aisément » vers des entités dirigées par T., et d'avoir là aussi procédé au débauchage d'une employée, S. B. ; G. T. prétend au contraire que les activités en cause étaient différentes de celles de la société Monaco Maritime, qu'il existait des rapports commerciaux entre cette société et l'Office Maritime Monégasque, même après le licenciement de G. T., que les documents litigieux n'étaient que des messages internes étrangers à la clientèle, que la facturation directe invoquée ne tendait nullement à établir un contact avec le client mais à obtenir paiement d'une prestation en l'état d'un litige avec la société Inchcape Shipping Services, et que la démission de S. B. était exclusive de tout débauchage ; la société demanderesse réplique au sujet de la facturation qu'elle n'a aucunement été débitrice de l'Office et que même si une telle créance avait existé, elle n'aurait pu justifier une démarche auprès des clients de la société Monaco Maritime, non concernée ;

* faits intéressant la société C. : la demanderesse voit également dans cette société, animée par une personne ayant travaillé 19 ans aux côtés de G. T., un écran utilisé par ce dernier, qui en est le dirigeant occulte, pour détourner la clientèle ; G. T. qualifie ces allégations de « fantaisistes » en l'absence de toute pièce justificative et précise que G. C. était en droit, après avoir été licencié par la société Monaco Maritime, de créer sa propre affaire et d'entrer en concurrence avec son ancien employeur ;

* faits mettant en cause la société Monaco Port Services : là encore la demanderesse fait valoir que G. T. détourne la clientèle d'armateurs de cette dernière en agissant sous le couvert de la société Monaco Port Services, officiellement animée par B., un de ses amis ; elle ajoute qu'il a en outre prémédité le départ vers cette société de S. H., qui a subitement quitté le 10 août 1998 son poste à la société Monaco Maritime et démarche avec lui la clientèle ; G. T. conteste toute violation de la clause de non-concurrence alors qu'il avait légitimement accompagné S. H. à l'effet de proposer les services de l'Office Maritime Monégasque France, ayant son siège à Marseille, hors du champ de la clause et que S. H. n'était nullement tenue par un engagement de non-rétablissement ; les parties s'opposent en outre sur la portée d'une sommation interpellative délivrée à A. D., capitaine du Port de Nice, la demanderesse voyant la preuve de l'association de G. T. à la société Monaco Port Services, tandis que ce dernier en conteste tant la portée que la force probante ;

* autres faits : la société Inchcape Shipping Services invoque encore l'utilisation par son adversaire de son tampon personnel de courtier maritime sur des documents émanant de la société Monaco Maritime et des écrits dans lesquels il se présente comme agent maritime aux lieu et place de la société, et voit dans ces faits la volonté de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle et d'apparaître comme son seul et unique interlocuteur ; elle lui reproche en outre les termes de courriers qu'il a adressés aux clients après son licenciement pour leur annoncer son départ et leur faire connaître ses nouvelles coordonnées ; G. T. nie avoir commis une quelconque faute alors que le nom ou les numéros téléphoniques de la société Monaco Maritime figuraient à côté de son cachet personnel, que les documents en cause n'étaient que de « purs mémos internes » sans incidence sur la clientèle et que la société Monaco Maritime a d'ailleurs bénéficié indûment des honoraires versés par la société Princess Cruises qui auraient dû lui revenir en sa qualité de courtier ;

* sur la décision rendue le 18 octobre 2001 par le Tribunal du Travail : la demanderesse expose que cette juridiction a déjà reconnu la violation de l'obligation de non-concurrence et a débouté G. T. de ses demandes d'indemnisation ; ce dernier signale qu'il a interjeté partiellement appel de cette décision ;

Sur le préjudice :

* la demanderesse explique que son préjudice est constitué par la perte de valeur des actions de la société Monaco Maritime consécutive à la perte de clientèle et à la baisse catastrophique de son chiffre d'affaires causées par les agissements déloyaux de G. T. ; s'appuyant sur les résultats du travail réalisé par l'expert-comptable P., elle estime que la valeur a diminué dans la même proportion que le chiffre d'affaires, soit près de 70 % entre 1996 et le 30 juin 1999 ;

* G. T. oppose à ces prétentions les rapports critiques de B. D., expert comptable, dont il ressort que la valeur de la société Monaco Maritime, loin de diminuer, se serait accrue entre 1996 et 1998, et que l'expert-comptable P. aurait procédé à des « retraitements » sans s'expliquer ni sur sa méthode ni sur ses éléments de calcul ; il invoque également, parmi les chefs devenus définitifs du jugement rendu le 18 octobre 2001 par le Tribunal du travail, le « motif décisoire » selon lequel la chute du chiffre d'affaires « yachts » est en réalité imputable au licenciement du responsable de cette activité, notifié le 15 octobre 1996 ;

* la discussion se concentre notamment sur les points suivants :

* activité d'escale de croisière dans les ports français de la Côte d'Azur : alors que la société demanderesse prétend que les résultats de cette activité doivent être déduits des comptes de la société Monaco Maritime puisque la clientèle correspondante appartenait dès 1995 à la société Inchcape Shipping Services, G. T. rappelle que son adversaire a en réalité acquis en 1995 tant la société Monaco Maritime que sa filiale française Nice Maritime et soutient que la plupart de la clientèle litigieuse appartenait déjà à l'une ou l'autre de ces sociétés, de sorte qu'elle doit être prise en considération dans le chiffre d'affaires de Monaco Maritime, dont les livres ne permettent d'ailleurs aucune division de clientèle ;

* prise en compte des résultats de l'exercice 1999 : G. T. estime qu'ils ne doivent pas être inclus dans les calculs puisqu'il était pour cette période totalement étranger à la gestion de la société, imputable au seul groupe Inchcape ; la demanderesse répond que ces résultats, dûment vérifiés et portés à la connaissance de G. T. en sa qualité d'actionnaire, sont indispensables pour évaluer le préjudice ;

* réintégration de provisions : G. T. s'oppose à la diminution des résultats par le jeu de provisions afférentes à des litiges opposant la société Monaco Maritime, d'une part à lui-même, d'autre part à S. H. ;

* retraitements : G. T. qualifie d'arbitraires des déductions relatives à des opérations du « groupe Inchcape » (chiffre d'affaires en France, frais et charges refacturés à Monaco Maritime), d'ailleurs invérifiables faute de provenir de la comptabilité de la société qui ne devrait pas être affectée par des opérations n'intéressant que le groupe ;

Sur quoi :

Attendu que les deux instances ci-dessus analysées sont fondées sur les mêmes causes et tendent aux mêmes fins ; que les moyens présentés par les parties, tant en demande qu'en défense, sont identiques ;

Qu'il est indispensable à la bonne administration de la justice d'ordonner leur jonction ;

I. Sur la recevabilité des demandes principales :

Attendu qu'il ressort soit de l'acte introductif d'instance soit de ses conclusions ultérieures, que la société demanderesse invoque un préjudice né de la dévalorisation des actions qu'elle a acquises, représentant la majeure partie du capital de la société Monaco Maritime, et soutient que cette dévalorisation est la conséquence de la violation par G. T. de ses engagements contractuels ;

Qu'un tel préjudice est bien susceptible d'être subi personnellement par la société Inchcape Shipping Services ; qu'elle a donc bien qualité à agir pour en solliciter la réparation ;

Attendu que la cour d'appel, par son arrêt du 27 juin 2000, a statué sur l'appel interjeté contre l'ordonnance de référé du 21 juin 1999 par laquelle le Président du Tribunal de première instance avait rejeté la demande de G. T. tendant à la mainlevée de l'ordonnance ayant autorisé la saisie-arrêt ; que la cour a infirmé cette ordonnance et ordonné la mainlevée sollicitée au seul motif que la créance litigieuse se trouvait déjà suffisamment garantie par la consignation mise par ailleurs à la charge de G. T. ;

Attendu qu'aucune autorité de la chose jugée ne peut être tirée de cet arrêt quant à l'existence ou l'inexistence de la créance litigieuse ; que la cour d'appel, tout comme le magistrat dont la décision lui était déférée, n'a pu statuer qu'en tant que juge des référés ; qu'il ressort de l'article 414 du Code de procédure civile que les décisions prises en référé ne préjudicient pas au principal et n'ont donc de ce chef aucune autorité de chose jugée ; qu'en outre, la cour s'est prononcée sans même examiner le principe de la créance ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de rejeter l'exception d'irrecevabilité présentée par G. T. ;

II. Sur la validité de la clause de non-concurrence :

Attendu que la société Inchcape Shipping Services invoque la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de vente du 21 septembre 1995 ;

Attendu que le contrat comporte également l'engagement de G. T. de rester temporairement au service de la société Monaco Maritime ; qu'il est donc exact qu'il existe un lien entre la vente et le contrat de travail, conclu le 22 septembre 1995 entre G. T. et la société Monaco Maritime, qui ne constitue, selon l'article 5.3 de l'acte de vente, qu'une modalité d'exécution de cet engagement ;

Attendu cependant que les deux conventions conservent leur autonomie juridique ; que l'obligation de non-concurrence est principalement une des contreparties de l'achat à G. T. de ses parts ; qu'à défaut même d'une clause expresse, ce dernier aurait d'ailleurs été tenu, conformément à l'article 1468 du Code civil, de la garantie d'éviction de tout ou partie de la chose vendue qui aurait limité son droit de prospecter la clientèle de la société Monaco Maritime dans le cadre d'une activité concurrente ;

Qua la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail au bénéfice de la société Monaco Maritime n'a qu'un caractère accessoire à l'égard de la société Inchcape Shipping Services et ne peut avoir pour intérêt, dans le cadre de la présente instance, que d'éclairer le Tribunal sur la commune intention des parties dans le cas où l'interprétation de la clause stipulée dans le contrat de vente serait nécessaire ;

Attendu qu'il en découle :

* d'une part, que la société Inchcape Shipping Services est en droit de se prévaloir de la clause stipulée à son profit dans l'acte de vente auquel elle était partie, qu'elle a bien à ce titre la qualité de créancière et qu'il n'y a donc aucune atteinte au principe de l'effet relatif des contrats résultant de l'article 1020 du Code civil ;

* d'autre part, qu'en raison de l'autonomie entre les deux contrats, la question de la validité de la clause insérée au contrat de travail n'est pas susceptible d'influer sur la clause stipulée dans le cadre de l'acte de vente ;

* et enfin, qu'il est donc sans intérêt pour la solution du présent litige d'attendre qu'il ait été définitivement statué sur l'instance engagée devant le Tribunal du travail à l'occasion de laquelle G. T. a contesté la validité de l'obligation de non-concurrence contractée par lui envers la société Monaco Maritime ;

Qu'il y a donc lieu de rejeter la demande reconventionnelle tendant à l'annulation de la clause litigieuse ;

III. Sur la violation de la clause de non-concurrence et les autres fautes reprochées à G. T. :

Attendu que la clause litigieuse vise « l'activité actuelle » de la société Monaco Maritime ;

Attendu que cette société a pour objet déclaré au Répertoire du commerce et de l'industrie l'exploitation d'un fonds de commerce d'agence maritime, toutes opérations d'aconage, de consignation de transit, de remorquage, d'avitaillement, de réparation, de manutention, d'affrètement, d'achat et vente de navires, la représentation de compagnies de navigation, l'exploitation d'une agence de voyage, d'un bureau de change manuel et de location de véhicules ;

Attendu cependant que les parties ne se sont pas référées à l'ensemble de ces points ;

Attendu que le contrat exclut nécessairement du domaine de la clause l'activité de location de véhicules puisqu'il évoque à son article 5.2 sa cessation avant le 31 décembre 1995 et la prise en considération de sa cession dans les comptes de la société ;

Attendu que les parties ont en outre décrit elles-mêmes la société dans le préambule du contrat comme :

* d'une part, une agence maritime orientée vers l'organisation d'escales de croisières en Méditerranée auprès d'une clientèle de groupes internationaux orientés sur les produits de luxe ;

* d'autre part, une agence de voyages non encore développée ;

Que la société Inchcape Shipping Services y explique qu'elle compte sur les perspectives de développement de sa propre activité de croisière en Méditerranée ;

Attendu que les parties ont donc agi avec l'intention de permettre à la société Inchcape de tirer elle-même, au travers de la société Monaco Maritime, les bénéfices d'activités liées à la croisière qu'elle devait jusque là confier à des prestataires de services ; que la clause de non-concurrence s'applique donc, selon leur commune volonté, à tous les services nécessaires à l'organisation des croisières ;

Que G. T. lui-même a confirmé cette façon de voir à l'occasion d'un entretien publié le 17 août 1998 par le journal Nice-Matin où il explique que « l'agence Monaco Maritime organise les escales des bateaux de croisière. Elle s'occupe de la réservation des places à quai, du débarquement des passagers, s'assure que les bateaux pourront recevoir du fuel et un ravitaillement en eau, etc. On s'occupe également de tout ce qui concerne le transit, les transferts des bateaux aux hôtels ou à l'aéroport, la réservation des vedettes lorsque le bateau est en rade à l'extérieur du port. De même pour l'embarquement. Une fois que les passagers sont à terre on se charge de l'organisation des excursions à Grasse, Saint-Paul, Monaco... » (pièce n° 45 du dossier Inchcape) ;

Attendu que l'avitaillement, c'est-à-dire la fourniture des produits alimentaires, du carburant et des autres fournitures nécessaires à la vie à bord des navires, fait notamment partie de l'activité envisagée ; que le fait que la société Inchcape Shipping Services ait manifestement autorisé G. T. à rester à la tête de la Société Nouvelle Monaco Shipchandler, locataire de locaux sous-loués à la société Monaco Maritime, est sans incidence sur l'interprétation du contrat ; que s'il est vrai que cette société a notamment pour objet statutaire les fournitures générales pour la navigation, son objet comprend également les opérations de représentation et de courtage ainsi que l'achat et la vente de bateaux ; que la société Inchcape n'y a pas vu un concurrent puisqu'au cours des pourparlers préalables à la vente, elle écrivait dans un courrier du 22 mars 1995 avoir été informée par G. T. du fait que l'activité réelle de cette société était limitée à « une petite quantité de facturation en relation avec l'immatriculation des yachts, les réparations... » hors de toutes autres fournitures (pièce n° 17 du dossier T.) ; que G. T. lui-même l'avait confortée dans cette idée puisqu'il écrivait le 28 février 1995 que l'objet de sa société « permettrait à ISS d'étendre son activité commerciale au-delà des objets de Monaco Maritime » (pièce n° 12-1 du dossier T.), ce qui montre bien que les objets réels des deux sociétés étaient distincts ;

Attendu en revanche que le maintien de l'autonomie de la société Shipchandler, dont le rachat avait été envisagé en même temps que celui de la société Monaco Maritime, montre que la société Inchcape Shipping Services n'a pas entendu placer dans le champ de la clause de non-concurrence les activités de réparation, d'achat et de vente de navires ;

Qu'en outre, le rapprochement de la clause litigieuse avec celle insérée au contrat de travail montre que G. T. a été autorisé à conserver ses fonctions au sein de la société française Aéromar, ayant pour objet l'exploitation d'une agence de voyage ; qu'il a ainsi été admis, dans le seul cadre de cette entreprise, à concurrencer la société Monaco Maritime en tant qu'agent de voyage ;

Attendu que le même contrat de travail lui permettait également de conserver son emploi auprès de la société Office Maritime Monégasque dont il était président délégué ; que cette faculté était parfaitement compatible avec la clause de non-concurrence puisque l'objet statutaire de cette société, orienté autour du transport de marchandises (commissionnaire agréé en douane, transitaire, commissionnaire, déménagement, entrepôt et magasinage, manutention, emballage, entrepôt, gestion de stocks, location de véhicules utilitaires et d'engins, courtage d'assurances) est parfaitement distinct de l'activité de la société Monaco Maritime ;

A. Sur les faits antérieurs au licenciement de G. T. :

1° Sur l'utilisation du numéro de télécopieur de la société Monaco Maritime :

Attendu que ce grief n'est pas fondé ;

Que selon les pièces produites (n° 23 à 25 du dossier Inchcape), la société Office Maritime Monégasque avait pour numéro en mai 1998 le 92-05-19-59 ; qu'il est exact que des messages télécopiés établis à l'en-tête de la société Monaco Maritime montrent qu'ils ont été transmis par ce numéro ; que cependant, ils portent l'indication « Fax émis par : 377 92 05 19 59 O.M.M. » ; qu'il en résulte non pas que G. T. aurait utilisé abusivement la ligne de Monaco Maritime, mais qu'il a au contraire fait usage de la ligne de l'Office Maritime pour envoyer à la direction de Marseille de la société Inchcape des messages urgents relatifs à la société Monaco Maritime ;

Attendu qu'il ne peut y avoir là aucun acte de concurrence ni même aucun fait fautif ;

2° Sur les agissements liés à l'activité de la société Shipchandler :

Attendu que le seul fait pour G. T. d'exercer les fonctions de président délégué de cette société ne suffit pas à caractériser une violation de la clause de non-concurrence ; que la société Inchcape Shipping Services en était parfaitement informée dès l'origine de ses relations avec T. puisqu'elle avait envisagé d'acquérir la société Shipchandler, mais y a renoncé (pièce n° 13 du dossier T.) ; qu'il ressort de l'acte de vente des parts de la société Monaco Maritime que cette dernière était sous-locataire de la société Shipchandler (article 5.2) ; que la société Shipchandler a ainsi refacturé en 1997 à la société Monaco Maritime des frais téléphoniques qu'elle avait acquittés pour son compte, afférents aux locaux sous-loués et que ces factures lui ont été réglées (pièces n° 137 et suivantes du dossier T.) ;

Attendu qu'en réalité, comme il l'a été constaté plus haut, les activités de la société Shipchandler, alors limitées à des services comme l'immatriculation des yachts ou des réparations, ne faisaient pas d'elle un concurrent pour la société Monaco Maritime ;

Attendu qu'il convient en outre de rechercher si G. T. a ultérieurement utilisé la société Shipchandler pour se livrer à des actes de concurrence qui lui étaient interdits ;

Attendu que le fait que la société Shipchandler se soit également fait connaître sous la dénomination Monaco Ship n'est pas probant ; que ce fait, loin d'être apparu soudainement en 1998, peut être constaté dès mars 1997 ; qu'il était d'ailleurs connu de la société Monaco Maritime puisqu'en réponse à une facture téléphonique établie au nom de Shipchandler, elle a effectué elle-même le 3 novembre 1997 un paiement à l'ordre de « Monaco Ship » (pièce n° 141 du dossier T.) ;

Attendu qu'il est établi que la société Shipchandler a émis plusieurs factures relatives à la fourniture de fruits et légumes, de bière, de cadenas et de produits de nettoyage à l'ordre de compagnies de navigation :

* deux factures du 5 mai 1998 pour 16 922,79 et 1 138,60 francs à l'ordre de Silver Cloud ;

* facture du 26 mai 1998 pour 220 francs à l'ordre de Queen Élizabeth II ;

* facture du 20 août 1998 pour 88 colis de produits d'entretien à Silver Cloud ;

Que ces faits sont cependant équivoques ; que les produits de nettoyage ont en effet donné lieu à un message adressé à la société Inchcape Shipping à Amsterdam pour lui demander d'avertir le client, la livraison devant être faite au navire lors d'une escale dans ce port (pièce n° 15 du dossier Inchcape) ; que de même, l'ordre de confirmation du fournisseur Écolab, annoté par un représentant de la société Shipchandler, indique pour agent portuaire la société Inchcape (pièce n° 18) ; que ces documents sont ainsi de nature à démontrer que la société Shipchandler a en réalité agi en collaboration avec la société Inchcape à l'occasion des livraisons, ce qui exclut toute concurrence ; que ce fait est corroboré par une autre facture du 28 juillet 1998, relative à la fourniture de tubes médicaux au Grand Princess, qui porte la signature « P. C. », c'est-à-dire P. C., dont d'autres pièces du dossier montrent qu'il a exercé des responsabilités au sein de la société Monaco Maritime (pièces n° 50 et 51 du dossier Inchcape) et notamment celle d'administrateur (pièce n° 83) ;

3° Sur tes autres agissements :

Attendu qu'il ressort de multiples pièces versées au débats par la société demanderesse sous le n° 21 qu'en 1997 et 1998, G. T. a établi à l'intention de compagnies de navigation des factures proforma, valant offres commerciales, sur des imprimés à l'en-tête « Monaco maritime/ISS » ; que systématiquement à côté de l'indication de son propre nom, il apposait un cachet ovale portant le texte « G. T. Courtier Maritime », accompagné de l'adresse et des numéros de téléphone, de télex et de télécopie de la société Monaco Maritime ;

Attendu l'article L. 512-3 du Code de la mer, résultant de la loi n° 1.198 du 27 mars 1998, comme antérieurement l'article 9 de l'ordonnance du 7 mars 1917 sur le courtage maritime, autorise les courtiers maritimes, outre les fonctions qui leur sont spécialement conférées, à exercer toutes activités commerciales ; que l'activité de courtier maritime constitue donc, au sens du contrat de vente du 21 septembre 1995, une activité partiellement ou potentiellement concurrente à celle de la société Monaco Maritime ;

Attendu que rien ne rendait nécessaire l'usage du cachet litigieux alors que les factures proforma concernaient non des actes réservés aux courtiers maritimes, mais des services relevant de l'agence maritime ; que l'apposition de ce tampon constitue par elle-même un acte de concurrence puisque G. T. y invoquait une qualité propre, distincte de celle de préposé de la société Monaco Maritime ; que cette qualité donnait par ailleurs lieu à une publicité particulière susceptible d'aggraver la confusion entre les deux fonctions puisque G. T. apparaissait en 1997 dans l'annuaire téléphonique professionnel de la Principauté sous la rubrique « courtiers maritimes » (pièce n° 56 du dossier Inchcape) ;

Attendu que G. T. a ensuite manifesté son intention de se substituer purement et simplement à son employeur ; que la pièce n° 19 de la demanderesse montre que sur une lettre circulaire adressée le 1er juin 1998 à tous ses agents par la compagnie Princess Cruises, le cachet de la société Monaco Maritime initialement porté au-dessus du cadre destiné à recevoir un avis de réception a été masqué à l'aide de bandelettes adhésives de correction sur lesquelles a été apposé le cachet de courtier de G. T. ; qu'aucune indication de la société Monaco Maritime n'apparaît donc plus sur le document ; que précédemment, au bas d'une autre circulaire du 26 mars 1998, G. T. avait déjà fait usage de son cachet, tout en inscrivant dans la rubrique destinée au nom de l'agence les mots « Mco Maritime » (pièce n° 20) ;

Que loin de se limiter à des documents internes à l'entreprise, l'utilisation du cachet était ainsi sciemment portée à la connaissance de la clientèle ;

Attendu que ce comportement revêt en conséquence un caractère fautif ; qu'il tend à démontrer que G. T. a renforcé l'affirmation de son rôle personnel à partir de 1998, au point d'apparaître à l'époque de son licenciement comme le seul interlocuteur des clients de son employeur ;

Attendu en outre qu'au-delà de l'entretien de cette confusion, G. T. s'est bel et bien livré à une activité concurrente alors qu'il était encore au service de son employeur ;

Que dans un message télécopié daté du 27 avril, qui se rattache manifestement à l'année 1998 puisqu'une mention d'envoi porte en marge la date du 6 mai 1998, le Capitaine W. K. délivre à G. T. une véritable attestation tendant à démontrer que ce dernier « est le seul agent et représentant de Wind Star Cruises et des vaisseaux Wind Star, Wind Spirit, Wind Song et Wind Surf pour toutes les escales de ces vaisseaux dans le port de Nice et agit en notre nom. Ceci inclut l'escale d'inauguration du Wind Surf à Nice et toutes les activités opérationnelles en relations avec cette escale » ;

Que ces termes se rapportent à l'évidence à l'activité d'agence maritime orientée vers les compagnies de croisière, telle qu'elle a été décrite dans le contrat de vente du 21 septembre 1995 ; que la compagnie en cause faisait partie de la clientèle de la société Monaco Maritime telle qu'elle est énumérée en annexe à ce contrat ; qu'il ne peut y avoir aucune erreur sur la portée du message puisque son auteur signale en préambule qu'il a pour cause une erreur de la Chambre de Commerce de Nice, « apparemment... contactée par Inchcape » et que cet écrit est destiné à être produit à L. M., directeur des ports de Nice (n° 121 du dossier T.) ; que G. T. concurrençait donc sciemment son employeur en dépit des démarches commerciales de ce dernier ;

Attendu qu'il y a donc là aussi une violation particulièrement grave de l'obligation de non-concurrence ;

B. Sur les faits concomitants ou postérieurs au licenciement de G. T. :

1° Sur les faits intéressant la société Office Maritime Monégasque :

Attendu qu'il est établi que le client H. a chargé la société Monaco Maritime de prendre en charge 50 cartons de vins et spiritueux à débarquer du navire Seaborn Legend et de les faire mettre en entrepôt d'importation sous douane en attendant de les confier à un transporteur terrestre ; que la société a sous-traité cette tâche à l'Office Monégasque Maritime suivant message télécopié du 9 octobre 1998 ;

Que cependant, au lieu de demander paiement de sa prestation à la société Monaco Maritime, l'Office a facturé directement la compagnie Seaborn qui l'a réglé (pièces n° 27 à 30 du dossier Inchcape) ; que cette initiative est personnellement imputable à G. T. qui a annoté en ce sens le courrier de protestation de la société Monaco Maritime (pièce n° 29) ;

Attendu que ce comportement démontre une volonté de traiter directement avec la clientèle de la société Monaco Maritime, au lieu de rester dans son rôle normal de sous-traitant, et constitue une nouvelle atteinte à l'obligation de non-concurrence ;

2° Sur les autres faits :

Attendu que dès son licenciement, G. T. a manifesté sa volonté de rester en contact avec la clientèle de la société Monaco Maritime ; qu'il a ainsi adressé le 21 août 1998 à la société Marco Polo un message annonçant qu'il ne faisait plus partie de Monaco Maritime « société que j'ai créée en 1991 et qui, depuis cette époque, avait le plaisir de traiter les escales pour votre compte à Monaco et dans les autres ports importants de la Côte d'Azur et de la Côte méditerranéenne française » ; qu'il précisait qu'il pouvait désormais être contacté à l'adresse de l'Office Maritime Monégasque ou de sa filiale française à Marseille et précisait que S. H. et S. B. « qui m'ont aidé à développer les activités », quittaient également Monaco Maritime ; qu'il remerciait le client pour sa confiance et concluait en espérant avoir l'opportunité de le rencontrer prochainement (pièce n° 36 du dossier Inchcape) ;

Attendu que de pareils termes démontrent que G. T. avait toujours l'intention de travailler avec la société Marco Polo et l'invitait de façon explicite à le suivre ; qu'un courrier identique a été adressé le 25 août 1998 à la société Airtours (pièce n° 37 du dossier Inchcape) à partir d'un imprimé strictement identique, y compris la signature, seul le nom du destinataire étant laissé en blanc ; que ce fait établit l'intention d'assurer une large diffusion de ce document à l'ensemble des clients connus par G. T. ;

Attendu que ces offres écrites ont été suivies d'une action de démarchage de la clientèle ;

Qu'il ressort en effet de l'attestation établie par P. K., destinataire pour la société Marco Polo du message du 21 août 1998, que G. T. et S. H., licenciée en même temps que lui, sont venus le 10 septembre 1998 le rencontrer dans ses bureaux à Londres pour le prévenir du fait qu'ils ne travaillaient plus pour la société Inchcape et lui expliquer :

* que G. T. ne pouvait pas exercer les fonctions d'agent portuaire à Cannes ou Monte Carlo « pour des raisons juridiques » ;

* que S. H. avait quant à elle l'intention de proposer ses services d'agence portuaire au sein d'une société dénommée « Monaco Port Services » (pièce n° 33) ;

Attendu que Monaco Port Services est en réalité la dénomination commerciale de la société en nom collectif monégasque P. P. et H. B., constituée le 2 février 1998 et autorisée le 7 juillet suivant, dont l'objet social vise notamment l'activité d'agence maritime, de représentation de compagnies de navigation et d'avitaillement, concurrente à celle de la société Monaco Maritime ;

Attendu que s'il est vrai que G. T. n'apparaît pas parmi les dirigeants de cette société, il est néanmoins établi qu'il en est proche ; que le seul fait d'avoir assisté S. H. lors de son offre de service à P. K. constitue déjà le fait de s'intéresser à cette société ; que d'autres éléments viennent au demeurant confirmer que G. T. collabore avec cette entité :

* dès le 28 septembre 1998, la compagnie Sea Cloud Cruises, client de Monaco Maritime, s'inquiète de l'organisation de sa prochaine escale l'année suivante, préparée avec G. T. avant son licenciement, et précise que, notamment pour les excursions à terre, son affréteur a continué ensuite à travailler avec T. et a négocié avec lui des arrangements « à travers la société de G. T. : Monaco Port Services » (pièce n° 50 du dossier Inchcape) ;

* alors que la compagnie Wind Star Cruises a attesté en avril 1998 par un de ses commandants, comme on l'a vu plus haut, qu'elle avait pour agent G. T., le tableau récapitulatif des escales de croisières établi pour l'année 1999 par la Chambre de Commerce de Nice au sujet du port de Nice-Villefranche montre que son agent est devenu Monaco Port Services (pièce n° 61 du dossier Inchcape) ;

* près d'un an plus tard, le 5 juillet 1999, la société Philippine Transmarine Carriers, demandant à Monaco Port Services d'intervenir pour l'obtention d'un visa français au bénéfice d'un équipage, a adressé son courrier à l'intention de S. H. et G. T. (pièce n° 53) ;

Attendu qu'il en résulte clairement que G. T. s'est, au mépris de son obligation de non-concurrence, intéressé à une société concurrente à Monaco Maritime et a travaillé pour elle ;

Attendu que la discussion instaurée par les parties sur le caractère probant des déclarations faites à l'occasion de sommations interpellatives n'est pas de nature à porter atteinte à la valeur des éléments qui viennent d'être exposés ;

Attendu qu'après avoir dans un premier temps, sur la sommation de la demanderesse, clairement affirmé que G. T. s'était toujours présenté à la Capitainerie du port de Nice comme travaillant pour Monaco Port Services (pièce n° 89 du dossier Inchcape), le Commandant A. D. a ensuite répondu à une contre-sommation de G. T. que « les écrits qui ont été faits ne reflètent pas les paroles exactement prononcées » et qu'il n'était pas en mesure de préciser les éléments de fait et les circonstances lui permettant d'affirmer que G. T. avait semblé agir uniquement pour le compte de Monaco Port Services (pièce n° 161 du dossier T.) ;

Attendu que si ces déclarations successives pourraient faire naître un doute sur la qualité exacte prise par G. T. dans ses rapports avec la Capitainerie, il n'en demeure pas moins qu'elles établissent qu'il a effectivement exercé à Nice, dans le secteur visé par la clause de non-concurrence, des activités se rattachant aux tâches d'une agence maritime et a ainsi encore manqué à ses obligations ;

Attendu en revanche que rien ne vient établir que G. T. ait pu être associé en droit ou en fait de la société en commandite simple C. & Cie, immatriculée le 28 juillet 1998, concurrente de Monaco Maritime ;

Que ni le fait que sa création ait été contemporaine du licenciement de T., ni la circonstance que son fondateur G. C. soit un ancien salarié de Monaco Maritime, licencié en 1996, n'établissent que G. T. y ait été intéressé ou lui ait fourni son travail ;

C. Sur le débauchage de salariés de la société Monaco Maritime :

Attendu que l'article 25 de la constitution monégasque garantit la liberté du travail ; que la loi n° 729 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail interdit tout engagement perpétuel et reconnaît notamment au salarié embauché pour une durée indéterminée le droit de mettre fin au contrat, sous réserve de l'observation d'un délai de préavis ;

Que la liberté du travail implique la liberté de l'embauche ; que tout employeur est en principe libre d'embaucher un salarié à moins qu'une clause de non-concurrence souscrite par le salarié au profit de son ancien employeur n'y fasse obstacle ; qu'hors d'une telle clause, l'employeur peut même solliciter le personnel encore lié à une autre entreprise ; qu'une telle démarche revêt cependant un caractère fautif lorsqu'il recourt à des manœuvres ou des agissements frauduleux dans le but de porter atteinte aux intérêts d'un concurrent, par exemple en cherchant par la captation de son personnel à désorganiser son activité, à s'approprier ses secrets de fabrication ou ses connaissances particulières, ou à détourner sa clientèle ;

Attendu qu'il résulte du dossier qu'outre G. T., trois employés ont quitté la société Monaco Maritime à une époque voisine de son propre départ :

* F. P. a démissionné le 15 avril 1998 en expliquant que ses conditions de travail ne correspondaient pas à ce qui lui avait été proposé et que les frais d'un déplacement professionnel ne lui avaient pas été remboursés (pièce n° 17 du dossier Inchcape) ;

* S. B. a démissionné le 28 juillet 1998 en se plaignant de ne plus recevoir le paiement d'heures supplémentaires et de primes d'escale (pièce n° 41 du dossier Inchcape) ;

* S. H. a été licenciée le 20 août 1998 au motif d'un abandon de poste lié selon la lettre de licenciement à des difficultés sur le paiement d'heures supplémentaires ;

Attendu que F. P. a été embauchée le 4 mai 1998 par l'Office Maritime Monégasque en tant que secrétaire trilingue avant de démissionner une nouvelle fois le 17 août 1998 (pièces n° 40 et 41 du dossier T.) ; que cependant, elle est alors manifestement entrée au service de la société Shipchandler, au nom de laquelle elle a signé un courrier dès le 20 août suivant (pièce n° 15 du dossier Inchcape) ;

Attendu que S. B. a de son côté été embauchée le 14 septembre 1998 par l'Office Maritime Monégasque en tant que secrétaire bilingue (pièce n° 123 du dossier T.) ;

Attendu qu'il a été constaté plus haut que S. H., qualifiée de chef d'agence de Monaco Maritime (pièce n° 69 du dossier T.) s'est mise au service de la société Monaco Port Services ;

Attendu qu'il n'est cependant pas établi que G. T. ait recouru à des manœuvres pour amener ces salariées à quitter la société Monaco Maritime ; qu'il apparaît au contraire que leur départ a été l'aboutissement d'une dégradation progressive de leurs relations avec leur employeur ;

Attendu que ces employées travaillaient auparavant à Nice dans un bureau dont la société Inchcape a également pris le contrôle et ont été transférées en janvier 1998 à Monaco à l'occasion de la suppression de ce bureau ; que des difficultés sont manifestement apparues lorsque la direction d'Inchcape a remis en cause certains avantages salariaux et a réorganisé leurs conditions de travail ; qu'à partir d'avril 1998, de nombreux échanges entre G. T. et la direction d'Inchcape à Marseille reviennent sur cette question et évoquent le refus des salariées de travailler en fin de semaine à défaut des contreparties qu'elles réclament (pièces n° 82 à 111 du dossier T.) ; que le 15 avril 1998, la direction d'Inchcape se plaignait de comportements désobligeants de l'équipe de Monaco et de sa réticence, à œuvrer pour le bien commun du groupe (pièce n° 77 du dossier T.) ;

Attendu que le Tribunal ne peut pas présumer que ces difficultés auraient été artificiellement créées ou entretenues par T., faute d'éléments probants en ce sens ;

Que le fait que F. P. et S. B. aient été réembauchées dans des sociétés dirigées par G. T. n'est pas non plus probant, d'autant qu'il n'est pas démontré que leurs fonctions les mettaient en mesure d'inciter la clientèle à les suivre ; qu'elles n'étaient dépositaires d'aucun secret commercial, T. connaissant mieux qu'elles l'activité de la société dont il était le fondateur ; que la nature de leurs fonctions ne permet pas non plus de présumer que leur départ était de nature à désorganiser la société Monaco Maritime ; qu'elles ne sont d'ailleurs pas parties simultanément puisque plus de trois mois ont séparé leurs démissions respectives ; que ce délai mettait leur employeur en mesure de prendre les décisions nécessaires à leur remplacement ;

Attendu qu'il n'est pas non plus établi que G. T. aurait sciemment manœuvré pour provoquer le licenciement de S. H. dont la société Monaco Maritime a elle-même pris l'initiative ;

Qu'en revanche, comme le Tribunal l'a déjà retenu plus haut, il s'est ensuite associé aux activités concurrentielles de S. H. au sein de Monaco Port Services et les a facilitées, enfreignant ainsi personnellement l'obligation de non-concurrence qui pesait sur lui ;

IV. Sur le préjudice subi et sa réparation :

Attendu que la responsabilité de G. T. est engagée en raison de l'inexécution de ses obligations contractuelles ; qu'en pareil cas les dommages dus aux créanciers doivent en principe correspondre, selon l'article 1004 du Code civil, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ;

Attendu que la société demanderesse n'invoque aucune privation de gain et se prévaut seulement de la perte de valeur de la société Monaco Maritime constatée au 31 décembre 1999, date de clôture de l'exercice comptable de l'année 1999 ; qu'elle précise que cette diminution n'est que la conséquence de la perte de clientèle et de la baisse du chiffre d'affaires subies par la société Monaco Maritime ;

Attendu que la réparation doit être limitée à la seule perte causée par les actes de concurrence commis par G. T. en violation de ses obligations, telles qu'elles ont été caractérisées par le Tribunal ;

A. Sur le travail de l'expert-comptable P. :

Attendu que les actes illicites susceptibles d'entraîner une perte de clientèle n'ont été constatés qu'à partir de l'année 1998 et se sont poursuivis en 1999 ; qu'il est donc sans intérêt de procéder, comme l'a fait l'expert-comptable P., à une comparaison à partir de 1995, date d'achat des parts de la société ; qu'il y a seulement lieu de rechercher dans quelle mesure les agissements de T. ont pu influer en 1998 et 1999 sur la clientèle et le chiffre d'affaires de la société Monaco Maritime ;

Qu'en conséquence il n'y a pas non plus lieu de procéder à une distinction entre la clientèle qui aurait appartenu à cette société avant sa cession au groupe Inchcape et la clientèle supplémentaire acquise ensuite en 1995, 1996 et 1997 ;

Attendu en outre que les travaux de l'expert-comptable P. se fondent en grande partie sur l'évolution du chiffre d'affaires de la société Monaco Maritime ; que le Tribunal ne peut cependant pas présumer que la totalité de la perte de chiffre d'affaires constatée est imputable aux agissements de G. T. alors que cette perte peut tout aussi bien être liée, pour partie, à la libre volonté de la clientèle ; qu'il est ainsi établi que la clientèle des compagnies Royal Olympic Cruises et Seabourn est passée en 1995 à la société concurrente Mathez et non à une entreprise dirigée ou assistée par T. ;

Que le rapport P. n'est donc pas susceptible de fournir au Tribunal des éléments suffisamment probants pour lui permettre d'évaluer le préjudice ; qu'il convient dès lors de rechercher les conséquences réelles des actes de concurrence prohibés commis par G. T. ;

B. À partir des autres éléments du dossier :

Attendu qu'il ressort du contrat de vente du 21 septembre 1995 et de différents documents ultérieurs (pièces déjà analysées plus haut, factures réunies sous les n° 69 et 70 du dossier Inchcape) que la clientèle de la société Monaco Maritime se composait à la fois de compagnies de navigation et de propriétaires de yachts ;

Attendu que le rapprochement de ces pièces avec la liste des escales de croisières dans le port de Nice-Villefranche établie pour l'année 1999 par la Chambre de Commerce et d'Industrie de Nice-Côte-d'Azur (pièce n° 61 du dossier Inchcape) montre qu'une partie de la clientèle des compagnies est passée à la société Monaco Port Services ; qu'eu égard au rôle joué par G. T. auprès de cette société, décrit plus haut, il y a lieu de considérer que ce transfert de clientèle constitue un détournement opéré en violation de l'obligation de non-concurrence ;

Attendu que ce détournement concerne les compagnies ou navires suivants : Silverseas, Holland American Line Wes-tours, Wind Star Cruises, Norwegian Cruises, Hanseactic Cruises, Renaissance Cruises (8 navires), Crystal Symphony, Sun Cruises, Carousel, Astra, Golden Sun et Astor (pièce n° 151 du dossier T.), Lili Marleen et Vistamar (pièce n° 90 du dossier T.) ;

Qu'il ressort des factures produites par la société demanderesse et non contestées par son adversaire que ces compagnies représentaient en 1997 et 1998, en termes de chiffre d'affaires :

1997 1998

* Sun Cruises.......... 2 655 458 francs 2 053 354 francs

* Crystal Cruises..... 1 166 733 494 125

* Renaissance............. 567 052 0

* Windstar.................. 467 454,64 1 457 967

* Holland Am. Line... 426 317 197 180

* Silversea.................. 65 830 93 870

* Carousel.................. 52 890 812 453

* Lili Marleen............ 11 970 7 830

* Astra......................... 8 250 0

* Vistamar................... 7 736 36 250

Soit........................... 5 429 690,64 5 153 029

pour un chiffre total.. 9 295 270,64 7 110 922,50

soit une proportion de......................... 58,41 % 72,47 %

Attendu que ces pourcentages montrent dans quelle mesure la société Monaco Maritime était dépendante de la clientèle concernée et sont susceptibles de révéler dans quelle proportion son chiffre d'affaires a pu être affecté par les agissements de G. T. ;

Attendu toutefois que d'autres éléments de réflexion doivent également être pris en considération ;

Attendu, en premier lieu, que les conséquences de la concurrence interdite ont été limitées en 1998 puisque le montant des opérations traitées avec les compagnies en cause n'est inférieur que d'environ 300 000 francs à celui enregistré en 1997 ; que la perte de clientèle est surtout apparue en 1999, notamment avec le transfert à Monaco Port Services des trois plus importants clients, Sun Cruises, Wind Cruises et Carousel ;

Attendu ensuite que la société Inchcape a manifestement agi pour retrouver sa clientèle puisqu'elle a travaillé à nouveau pour le navire Astor à partir d'octobre 1999, et pour le navire Rotterdam VI, appartenant à la Compagnie Holland American Line Westours, en mai 1999 ;

Qu'en outre, pour certains navires, la concurrence n'a été que partielle ; qu'ainsi Inchcape demeure agent de port pour les navires Rotterdam VI, Marco Polo et Astor tandis que les activités telles que les excursions touristiques sont prises en charge, en tant qu'agent « réceptif », par Monaco Port Services ; que dans d'autres cas, tels ceux des navires Carousel, Sun Bird et Sun Dream, cette répartition des tâches se trouve inversée ;

Attendu que le Tribunal doit également examiner les faits relatifs à la diminution de l'activité déployée vers les yachts ; que G. T. ne peut à ce sujet se prévaloir de l'autorité de chose jugée qu'il prétend tirer du jugement rendu le 18 octobre 2001 par le Tribunal du Travail ; qu'en effet l'article 1198 du Code civil n'admet une telle autorité qu'en cas d'identité de parties ; qu'à supposer même que cette décision ait pu acquérir un caractère définitif sur certains chefs, la société Inchcape n'a pas été partie à l'instance soumise au Tribunal du Travail, engagée par la société Monaco Maritime qui constitue une personne morale distincte ; que l'autorité de la chose jugée ne pourrait donc être opposée qu'à la société Monaco Maritime ;

Mais attendu qu'aucun élément probant n'est produit par la demanderesse au sujet de ce secteur ;

Qu'il apparaît au contraire que cette activité était en déclin dès 1996 puisque la marge brute qu'elle dégageait est passée de 800 000 francs en 1996 à 450 000 francs en 1997 ; que dans un rapport de visite établi le 30 janvier 1998, L. S., responsable de la société Inchcape, prévoyait une marge prévisionnelle réduite à 300 000 francs et expliquait qu'il devait ainsi tenir compte du départ de G. C., précédent responsable de ce secteur ; que déjà ce salarié avait été licencié en 1996 en raison, selon sa lettre de congédiement du 15 octobre 1996 (pièce n° 15 du dossier T.), du défaut d'obtention des résultats escomptés pour 1996.

Que le même L. S. s'est plaint le 10 août 1998 d'un nouvel effondrement en évoquant une marge limitée à 20 000 francs pour la première partie de l'année ; que G. T. lui a répondu que le manque de personnel, depuis le départ des salariés C. et S., lui avait retiré la possibilité de développer cette clientèle ;

Attendu que ces faits ne permettent d'établir ni que G. T. aurait détourné la clientèle perdue, ni qu'il l'aurait sciemment laissé péricliter avec l'intention de l'exploiter lui-même ultérieurement ; qu'aucune activité de concurrence n'est sur ce point démontrée depuis son propre licenciement ;

Attendu qu'il n'est pas non plus établi qu'il ait participé à la société concurrente constituée par C. qui ne paraissait pas lui-même tenu par une quelconque clause de non-concurrence ; que d'ailleurs, cette société est apparemment étrangère à la perte de la clientèle puisqu'elle n'a été immatriculée au Répertoire du commerce et de l'industrie que le 28 juillet 1998 et que, selon les énonciations non contestées de ce répertoire, son activité a débuté le 1er août suivant ;

Attendu qu'il convient en définitive de retenir que la société Monaco Maritime a perdu du fait des agissements fautifs de G. T. une partie, devant être évaluée à 65 %, de sa clientèle ; que la clientèle représente la quasi-totalité de l'actif de la société qui ne dispose pas d'actifs mobiliers ou immobiliers conséquents ; que la perte de clientèle a revêtu une ampleur telle qu'elle a entravé son fonctionnement normal ; qu'il y a lieu d'en déduire que la société Monaco Maritime avait ainsi perdu au 31 décembre 1999 65 % de la valeur qui aurait été la sienne sans les fautes commises par G. T. ;

Attendu que lors de la vente des parts de la société, les parties en avaient elles-mêmes fixé le prix à 11 750 000 francs ; que cependant ce montant comprenait manifestement, à côté de la valeur réelle des parts, une prime destinée à obtenir le consentement des précédents actionnaires ; qu'il résulte en effet des rapports rédigés par l'expert-comptable P. et des contre-rapports critiques établis par sa consœur B. D. que la « valeur patrimoniale » de la société en 1996 est évaluée par eux dans une fourchette variant entre 6 874 000 et 8 700 000 francs ;

Que selon eux, le chiffre d'affaires et le résultat net de la société ont augmenté en 1997 avant de fléchir en 1998 ; qu'à défaut de méthode d'évaluation plus fiable, ces éléments mettent le Tribunal en mesure d'évaluer à 8 700 000 francs, soit 1 326 306,45 euros, la valeur de la société avant les actes de concurrence imputés à G. T. et à 5 655 000 francs, soit 862 099,19 euros, la perte de valeur qu'ils ont entraînée ;

Attendu toutefois que le Tribunal n'est pas en mesure de statuer immédiatement sur le montant définitif de la réparation ;

Attendu en effet qu'il résulte des explications des parties que la société Monaco Maritime a introduit contre G. T., devant le Tribunal du Travail, une instance séparée actuellement pendante devant le Tribunal de Première Instance saisi en tant que juridiction d'appel ; qu'elle invoque notamment dans cette instance la violation par G. T. de la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail et demande sa condamnation à lui payer une indemnité calculée en fonction d'une clause pénale stipulée à ce contrat ;

Que l'examen du jugement déjà rendu par le Tribunal du travail permet de constater que le préjudice allégué par la société Monaco Maritime consiste dans la perte de chiffre d'affaires causée selon elle par les fautes de G. T. ; que ces fautes sont identiques à celles dont fait présentement état la société Inchcape ; que le préjudice dont elle demande réparation a également pour origine la perte du chiffre d'affaires de la société Monaco Maritime ;

Attendu que la décision à intervenir à la demande de la société Monaco Maritime est susceptible d'influer sur l'étendue du préjudice subi par la société Inchcape ; qu'à l'évidence, si G. T. devait payer une indemnité à la société Monaco Maritime pour compenser la perte de clientèle, ce paiement améliorerait ses résultats comptables et pourrait donc faire augmenter sa valeur ;

Attendu que le Tribunal est toutefois en mesure de statuer à titre provisionnel en observant que le total des indemnités réclamées à G. T. devant le Tribunal du Travail s'élève à 2 591 886 francs, soit 395 130,47 euros, tandis que la perte de valeur à réparer dans le cadre de la présente instance a été évaluée à 862 099,19 euros ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de condamner G. T. à payer à la société demanderesse une indemnité provisionnelle de 400 000 euros et de surseoir à statuer sur le surplus de la demande en attendant l'issue de la procédure prud'homale poursuivie par la société Monaco Maritime ;

V. Sur les autres demandes :

A. Sur les demandes de dommages-intérêts pour procédure ou résistance abusive :

Attendu que les actions engagées par la société Inchcape Shipping Services sont pour la plus grande partie fondées ; qu'elles ne peuvent donc présenter un caractère fautif de sorte que la demande reconventionnelle en dommages-intérêts présentée par G. T. doit être rejetée ;

Attendu qu'en revanche G. T., alors qu'il a sciemment violé les obligations qui pesaient sur lui, a résisté de façon abusive aux prétentions de son adversaire en contestant jusqu'à leur principe même ; que ce comportement fautif a contraint son adversaire à exposer des frais pour préparer sa défense et agir en justice ; que la société Inchcape Shipping Services a ainsi subi un préjudice justifiant réparation sous forme d'une indemnité de 30 000 euros ;

B. Sur le sort des mesures conservatoires :

Attendu que la cour d'appel a ordonné la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 18 septembre 1998 ; qu'il n'y a donc plus lieu de statuer sur la suite de cette mesure ;

Attendu que la consignation d'une somme de 2 200 000 francs, soit 335 387,84 euros, a été substituée à l'inscription provisoire d'hypothèque suivant arrêt du 18 janvier 2000 ;

Attendu que selon l'article 1801 du Code civil, le séquestre doit représenter les effets séquestrés pour le paiement du créancier ; qu'il y a donc lieu de dire que le Greffier en chef devra verser à la société Inchcape Shipping Services le montant qu'il détient, à valoir sur l'indemnité provisionnelle mise à la charge de G. T. ;

Que par voie de conséquence, G. T. doit être débouté de sa demande tendant à la mainlevée de la consignation ;

C. Sur le donné acte :

Attendu que seule la réparation du préjudice correspondant à la perte de valeur constatée à la date du 31 décembre 1999 a été sollicitée dans le cadre de la présente instance ; qu'il reste loisible à la société demanderesse de solliciter une réclamation complémentaire si d'autres chefs de préjudice devaient ultérieurement apparaître ; qu'il convient de lui donner acte de ses réserves sur ce point ;

D. Sur l'exécution provisoire :

Attendu que l'article 202 du Code de procédure civile permet aux juges de prononcer l'exécution provisoire dans tous les cas d'urgence, à moins qu'elle ne soit de nature à produire des effets irréparables ;

Attendu que la société demanderesse a subi une très importante dépréciation d'un bien dont elle est propriétaire ; que ce préjudice a pour origine la violation d'une obligation de non-concurrence dont la contrepartie était le prix très important payé à G. T. pour l'acquisition de ses parts dans la société Monaco Maritime ; qu'il y a urgence à assurer le respect du contrat conclu entre les parties et la réparation de ce préjudice et à préserver la société Inchcape de tout risque d'insolvabilité de son débiteur ; que ce risque s'accroît à mesure que le temps s'écoule depuis qu'il a reçu le prix de ses parts ;

Attendu que l'exécution provisoire n'apparaît pas de nature à entraîner en l'espèce des conséquences irréparables ; que rien n'établit que la société demanderesse serait hors d'état de rembourser les sommes perçues par elle si la condamnation devait être ultérieurement infirmée ; qu'elle pourrait notamment y être contrainte par la saisie des parts de la société Monaco Maritime dont elle est propriétaire ; que G. T. reste d'ailleurs informé de l'évolution de cette société puisqu'il demeure propriétaire de 10 parts qui lui permettent d'assister aux assemblées statutaires de ses actionnaires, comme il l'a notamment fait le 15 juin 2000 (pièce n° 83 du dossier Inchcape) ;

Et attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens de l'instance, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ; que les dépens doivent en conséquence être mis à la charge de G. T. ; que ces dépens devront notamment comprendre ceux réservés par la cour d'appel dans son arrêt du 18 janvier 2000 ayant ordonné la radiation de l'inscription provisoire d'hypothèque contre consignation, et ceux réservés par le Tribunal dans ses deux jugements du 9 mars 2000 ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les numéros 93 et 653 de l'année 1998-1999 ;

Rejette l'exception d'irrecevabilité présentée par G. T. ;

Rejette la demande reconventionnelle de G. T. tendant à l'annulation de la clause de non-concurrence stipulée au profit de la société Inchcape Shipping Services (Cyprus) Ltd dans l'acte de vente du 21 septembre 1995 ;

Déclare valable la clause de non-concurrence stipulée à l'article 6-1 du contrat conclu le 21 septembre 1995 entre la société Inchcape Shipping Services (Cyprus) Ltd et G. T., portant cession de parts de la société Monaco Maritime ;

Dit que G. T. a, courant 1998 et 1999, violé les obligations mises à sa charge par cette clause ;

Évalue à 1 326 306,45 euros la valeur de la société Monaco Maritime avant la violation de ses obligations par G. T. et fixe à 862 099,19 euros la perte de valeur de cette société consécutive à cette violation ;

Le condamne à payer à la société Inchcape Shipping Services (Cyprus) Ltd une indemnité provisionnelle de Quatre Cent Mille Euros (400 000 €) à valoir sur la réparation du préjudice résultant de la perte de valeur de la société Monaco Maritime constatée à la date du 31 décembre 1999 ;

Surseoit à statuer sur le surplus de la demande d'indemnité présentée par la société Inchcape Shipping Services (Cyprus) Ltd jusqu'à l'issue de l'instance engagée contre G. T. par la société Monaco Maritime devant le Tribunal du Travail, actuellement pendante devant le Tribunal de première instance saisi en tant que juridiction d'appel ;

Ordonne sur ce point le placement de la cause au rôle général et dit qu'elle sera rappelée à la première audience utile sur simple demande de la partie la plus diligente ;

Dit que Madame le Greffier en chef devra, en tant que séquestre judiciaire des sommes consignées par G. T. en exécution de l'arrêt rendu le 18 janvier 2000 par la cour d'appel, se libérer de l'intégralité de ces sommes entre les mains de la société Inchcape Shipping Services (Cyprus) ;

Donne acte à la société Inchcape Shipping Services (Cyprus) Ltd de ses réserves au sujet de tout chef de préjudice complémentaire pouvant être révélé par les résultats comptables de la société Monaco Maritime postérieurs à l'année 1999 ;

Condamne en outre G. T. à payer à cette société la somme de Trente Mille Euros (30 000 euros) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par sa résistance abusive ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la saisie-arrêt pratiquée le 18 septembre 1998 ;

Déboute G. T. de ses autres demandes reconventionnelles ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

M. Narmino, prés. ; M. Fougeras-Lavergnolle, juge supl. f.f. subst. proc. gén. ; Mes Gardetto et Léandri, av. déf.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 27000
Date de la décision : 16/05/2002

Analyses

Concurrence - Général ; Atteintes à la concurrence et sanctions


Parties
Demandeurs : Société Inchcape Shipping Services (Cyprus)
Défendeurs : T.

Références :

article 1198 du Code civil
article 1020 du Code civil
article 1801 du Code civil
ordonnance du 10 septembre 1998
article 231 du Code de procédure civile
article 1468 du Code civil
loi n° 729 du 16 mars 1963
article 1004 du Code civil
loi n° 1.198 du 27 mars 1998
article 25 de la constitution
article 9 de l'ordonnance du 7 mars 1917
article 202 du Code de procédure civile
article L. 512-3 du Code de la mer
article 414 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2002-05-16;27000 ?

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