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25/04/2002 | MONACO | N°26993

Monaco | Tribunal de première instance, 25 avril 2002, V. M. c/ Sté Parfumerie de Paris


Abstract

Marques de fabrique

Contrefaçon - Protection sur le territoire monégasque d'une marque en vertu du traité international dénommé « arrangement de Madrid » du 14 avril 1891 - Texture spécifique d'un article de maroquinerie, caractère distinctif - Droit de marque constitutif d'un droit d'occupation et non de création - Diffusion connue du contrefacteur - Appréciation de la contrefaçon en fonction de la ressemblance et non de la différence (adjonction d'une étiquette) - Recevabilité de l'action en interdiction d'usage

Résumé

La société L. V

. M. est propriétaire d'un certain nombre de marques, parmi lesquelles une marque figurative...

Abstract

Marques de fabrique

Contrefaçon - Protection sur le territoire monégasque d'une marque en vertu du traité international dénommé « arrangement de Madrid » du 14 avril 1891 - Texture spécifique d'un article de maroquinerie, caractère distinctif - Droit de marque constitutif d'un droit d'occupation et non de création - Diffusion connue du contrefacteur - Appréciation de la contrefaçon en fonction de la ressemblance et non de la différence (adjonction d'une étiquette) - Recevabilité de l'action en interdiction d'usage

Résumé

La société L. V. M. est propriétaire d'un certain nombre de marques, parmi lesquelles une marque figurative constituée d'une succession de lignes irrégulières, parallèles, ton sur ton et avec un effet de relief, ayant fait l'objet de dépôts internationaux auprès de l'OMPI désignant la Principauté de Monaco, notamment :

• une marque figurative, constituée d'une texture de lignes irrégulières gris clair disposées en épi sur un fond noir, déposée le 16 septembre 1987 et enregistrée sous le n° 515 791,

• une marque figurative, constituée d'une texture de lignes irrégulières rouge clair disposées en épi sur un fond rouge, déposée le 9 juin 1988 et enregistrée sous le n° 528 154 ;

Ces marques désignent des produits en cuir et imitations du cuir relevant de la classe 18 de la classification internationale ;

Du fait même de ces enregistrements internationaux, lesdites marques sont dispensées pour leur protection sur le territoire monégasque du dépôt prescrit par l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, dès lors que cette loi est primée par le traité international dénommé « Arrangement de Madrid » concernant l'enregistrement international des marques du 14 avril 1891, exécutoire à Monaco depuis le 18 mars 1975, et auquel la Principauté avait adhéré à partir du 29 avril 1956 ;

En l'état de ce dépôt international régulier, et étant rappelé que les conventions internationales priment les lois internes, mêmes postérieures, des États contractants, il doit être reconnu aux marques susvisées, par l'application de l'article 4-1 de l'Arrangement de Madrid, la même protection à Monaco que si ces marques y avaient été directement déposées ;

La société L. V. M., ayant appris en juillet 1994 que des articles en cuir ou en imitation cuir comportant les signes distinctifs susvisés correspondant à ses propres dépôts, étaient mis en vente par la société Parfumerie de Paris, obtenait l'autorisation du Président de ce Tribunal pour effectuer une saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société ;

Sous le contrôle de l'expert désigné par ordonnance présidentielle du 29 juillet 1994, l'huissier saisissait, par voie de description et réellement, divers articles présentant les caractéristiques suivantes :

« la texture est réalisée d'une manière à faire apparaître une succession de lignes irrégulières, sensiblement parallèles, donnant un aspect particulier... ton sur ton, avec parfois un ton au-dessus ou au-dessous pour donner l'impression de relief ou de profondeur... » ;

La société L. V. M., estimant que de tels agissements constituent des actes de contrefaçon des marques dont elle est titulaire, entend revendiquer le bénéfice de la protection instaurée par la loi n° 1058 du 10 juin 1983 ;

La société Parfumerie de Paris excipe en premier lieu du fait que les articles incriminés lui ont été fournis par une société italienne pour solliciter l'autorisation d'appeler cette société en garantie et conclut subsidiairement au fond au rejet des prétentions de la société L. V. M. en demandant que soit, le cas échéant, désigné un collège expertal ;

Il résulte en premier lieu du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 22 septembre 1994 que les articles de maroquinerie commercialisés par la société Parfumerie de Paris relèvent de la classe des produits numéro 18, correspondant au dépôt effectué par la société L. V. M. ;

En outre, il s'évince de la description effectuée sous le contrôle de l'huissier par M. Hautier expert désigné par ordonnance présidentielle, que la matière a « les mêmes caractéristiques esthétiques extérieures que le grain utilisé et déposé par V. » et que « la texture est réalisée de manière à faire apparaître une succession de lignes irrégulières sensiblement parallèles... ton sur ton... parfois un ton au-dessus parfois un ton au-dessus pour donner l'impression de relief ou de profondeur » ;

L'expert ainsi commis constatait encore qu'à l'intérieur du « vanity » rouge, la doublure portait la griffe P. C., avec logo en forme de C ;

Il est constant, enfin, que les articles de maroquinerie en cause sont dans les nuances de couleur déposées par la société L. V. M., à savoir noir et gris et rouge clair - rouge foncé ;

Il est en premier établi que la « texture spécifique » pour laquelle la société L. V. M. revendique la protection légale caractérise bien une marque au sens de l'article 1er de la loi n° 1058 du 10 juin 1983, dès lors qu'elle procède d'un signe matériel distinctif ;

À cet égard, aucune pièce produite en défense ne permet d'établir qu'à la date des dépôts des marques, soit en 1987, la texture dite « en épi » aurait été déjà largement diffusée après du grand public ;

La société L. V. M. rappelle à juste titre sur ce point que le droit des marques est un droit d'occupation et non un droit de création, en sorte qu'il n'est pas interdit d'utiliser un signe du domaine public, dès lors qu'il n'a pas besoin d'être nouveau ou original ;

En outre, si, en l'espèce, la texture appartenant à la société L. V. M. n'avait pas en soi, à l'origine, une forte distinctivité, elle n'en a pas moins acquis, par l'exploitation internationale qui en fut faite et les investissements publicitaires dont il est justifié, un caractère distinctif tel qu'elle s'est imposée dans ses traits caractéristiques et sa spécificité, tant auprès du public que des professionnels, comme liée à la maison L. V. ; que l'employée de la société Parfumerie de Paris a en effet déclaré que les clients désignaient souvent les produits vendus en les qualifiant d'articles « V. » ;

Pour contester la contrefaçon qui lui est reprochée, la société défenderesse invoque également la présence d'une étiquette « P. C. » à l'intérieur des articles vendus ;

Cependant la contrefaçon dit s'apprécier d'une part en fonction des ressemblances et non des différences, alors d'autre part que l'adjonction d'un élément à une marque reproduite ou imitée ne saurait supprimer la contrefaçon ;

En l'espèce, les articles offerts à la vente par la société Parfumerie de Paris, à savoir divers vanity case et coffrets à bijoux, par les nuances de rouge ou de noir, ton sur ton, et la texture formée de lignes sinueuses imbriquées en épi selon un rythme identique et quasi-parallèle donnant un effet de relief, reprennent servilement les caractéristiques des marques figuratives de la société L. V. M. ;

La présence d'une étiquette portant la dénomination « P. C. » à l'intérieur des produits - qui n'est donc pas immédiatement accessible à l'attention du consommateur - ne saurait exclure tout risque de confusion avec les marques figuratives de la société demanderesse ;

En définitive, les pièces produites établissant que la « ligne épi » lancée en France dès 1985 et annoncée à Monaco dès 1987, ne pouvait être ignorée de la société défenderesse, ni lors de l'achat de ces produits en Italie en 1989, ni lors de leur mise en vente courant 1994, il y a lieu de dire que la société Parfumerie de Paris a commis des actes de contrefaçon des marques figuratives enregistrées sous les n° 515 791 et 528 154 dont la société L. V. M. est propriétaire ;

L'action en interdiction d'usage prévue par l'article 5 de la loi n° 1058 - qui est réservée au titulaire d'une marque notoirement connue - apparaît dès lors recevable, étant observé que la notoriété des marques figuratives susvisées a été précédemment démontrée au regard des coupures de presse produites aux débats attestant de la réputation internationale de la « ligne épi », et alors que la texture incriminée apparaît bien susceptible de créer une confusion avec la sienne dans l'esprit d'une clientèle d'attention moyenne et compte tenu de l'impression d'ensemble laissée dans la mémoire d'un tel consommateur ;

Il convient donc d'interdire à la société Parfumerie de Paris de faire usage des marques contrefaites, sous astreinte définitive de 152,45 euros (1 000 francs) par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par exploit d'huissier en date du 3 octobre 1994, la société L. V. M. a fait assigner par devant le Tribunal de première instance de Monaco la société anonyme monégasque Parfumerie de Paris aux fins de voir :

• « dire et juger que la société Parfumerie de Paris, en important, en détenant, en offrant en vente et/ou en vendant des articles en cuir ou imitation du cuir comportant une succession de lignes irrégulières, sensiblement parallèles, ton sur ton, avec un effet de relief, présentant les contrastes gris clair / noir et rouge clair / rouge foncé, a commis des actes de contrefaçon ou, à tout le moins, d'imitation illicite des marques internationalement enregistrées respectivement sous les numéros 515 791 et 528 154 dont la société L. V. M. est propriétaire, désignant la Principauté de Monaco et ce, au sens des articles 23 et 24, notamment, de la loi du 10 juin 1983,

• en conséquence, interdire à la société Parfumerie de Paris et/ou à toute personne physique ou morale qu'elle se substituerait, de faire usage des marques de la société L. V. M., sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, sous astreinte définitive de 1 000 francs par infraction à compter de la signification du jugement à intervenir,

• ordonner la confiscation et la remise des marchandises contrefaisantes à la société L. V. M., sous astreinte définitive de 10 000 francs par jour de retard à compter de la signification du jugement,

• condamner la société Parfumerie de Paris à payer à la société L. V. M. la somme de 300 000 francs (2 x 150 000 francs) au titre de l'atteinte portée aux marques, la somme de 200 000 francs en réparation de son préjudice commercial et la somme de 20 000 francs en réparation des frais non inclus dans les dépens.

• ordonner la publication du jugement à intervenir dans dix journaux ou revues monégasques, français ou étrangers, au choix de la société L. V. M. et aux frais de la société Parfumerie de Paris, à concurrence de 30 000 francs par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages-intérêts complémentaires ;

• ordonner l'exécution provisoire du jugement (...) » ;

La société Parfumerie de Paris ayant conclu à l'irrecevabilité de la demande pour non-respect des dispositions de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 imposant, à peine de nullité de la procédure, qu'une copie de l'acte constatant la consignation pécuniaire soit laissée au détenteur des objets décrits ou saisis, le Tribunal de première instance a, par jugement avant-dire-droit en date du 29 février 1996 :

• dit et jugé que la nullité prévue par l'article 28 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 ne concerne en l'espèce que les opérations de saisie réelle pratiquées le 22 septembre 1994 par Maître Escaut-Marquet,

• ordonné la mainlevée de ladite saisie en ce qu'elle porte sur les produits inventoriés par le procès-verbal susvisé,

• constaté pour le surplus que les opérations de description ayant été régulièrement suivies d'une assignation dans les délais édictés par l'article 29 de la loi, la demande est recevable,

• rejeté en conséquence l'exception de nullité de la procédure soulevée par la société anonyme monégasque dénommée Parfumerie de Paris,

• débouté cette partie des fins de sa demande de dommages-intérêts ;

Appel de cette décision ayant été interjeté par la société Parfumerie de Paris, la Cour d'appel de Monaco confirmait le jugement susvisé, devenu à ce jour définitif ;

La société Parfumerie de Paris a soulevé alors une exception fondée sur les dispositions de l'article 268 du Code de procédure civile et, précisant que les produits incriminés avaient été fournis par une société de droit italien Italian Leather srl, demande l'autorisation d'appeler en cause cette société afin qu'elle la relève et garantisse de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre ;

Par conclusions en réponse, la société L. V. M., s'opposant à cette demande d'appel en garantie, fait valoir :

• que ce recours est prescrit, dès lors que les actes de contrefaçon se prescrivent par trois ans,

• que les marques ayant une portée territoriale, la société italienne n'est nullement concernée par la présente procédure,

• que la société Parfumerie de Paris ne peut voir garantir sa propre faute ;

La société Parfumerie de Paris réplique en développant divers arguments et moyens, dont l'essentiel peut être ainsi résumé :

• l'appel en garantie précédemment formé ne revêt pas un caractère dilatoire,

• aucune prescription ne saurait s'appliquer au recours en responsabilité ouvert à un client face à un fournisseur,

• aucune faute ne peut lui être reprochée pour avoir acquis les objets litigieux dans le cadre d'une foire professionnelle tenue à Milan,

et, si le Tribunal n'estimait pas devoir faire droit à son exception, la société Parfumerie de Paris observe :

• qu'elle jouit en Principauté de Monaco d'une excellente réputation de sérieux et d'honnêteté,

• que la ligne « épi » du M. V. a été lancée en 1993 et en 1994,

• que de nombreux pays d'Europe ont refusé la protection réclamée, dès lors qu'il s'agissait d'un procédé de fabrication du cuir connu depuis environ cent ans,

• qu'il résulte du procès-verbal de saisie que la doublure interne du « vanity » porte la griffe « P. C. », en sorte qu'il n'y avait aucune volonté de contrefaçon,

• qu'en outre, les produits litigieux ont été importés régulièrement puisqu'ils ont reçu le visa des douanes françaises,

• qu'il y aura lieu, le cas échéant, de désigner un collège d'experts à l'effet de rechercher s'il y a eu ou non contrefaçon, en se plaçant dans la situation de l'année 1989,

• qu'il conviendra également de demander au collège expertal de rechercher les causes des refus opposés aux protections des « marques » dont s'agit dans un ou plusieurs des États européens et de rechercher si ce procédé était connu et utilisé antérieurement à l'année 1987 et quel était exactement le chiffre d'affaires réalisé par la société L. V. M. pour les années 1987, 1988 et 1989,

• qu'il faudra aussi déterminer si la société L. V. M. avait commercialisé en Italie les produits « cuir épi » et si elle avait engagé des poursuites à l'encontre des fabricants italiens de ce chef ;

En définitive, la société Parfumerie de Paris demande au Tribunal de :

• débouter la société L. V. M. de son opposition à sa légitime demande visant à appeler en garantie la société Italian Leather srl, dont la présence aux débats est manifestement utile,

• très subsidiairement, au cas où par impossible le Tribunal de première instance n'entendrait pas faire droit à la demande d'appel en garantie, lui donner acte de ses conclusions sur le fond,

• débouter la société L. V. M. de toutes ses demandes, fins et conclusions, comme étant dénuées de tout fondement,

• encore plus subsidiairement, au cas où par impossible le Tribunal ne s'estimerait pas suffisamment informé par les positions respectives des parties pour pouvoir débouter la société L. V. M. de ses demandes :

• désigner tel collège expertal qu'il lui plaira de désigner avec une mission proposée dans ses conclusions,

• condamner la société L. V. M. à lui payer la somme de 300 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de ses importants préjudices moraux et matériels ;

La société L. V. M., reprenant le bénéfice de son exploit introductif d'instance, entend préciser :

1° - Sur le recours en garantie

• que les articles 23 et 24 de la loi n° 1058 permettent de poursuivre ceux qui auront fait usage d'une marque sans autorisation, et détenu, sans motif légitime, des produits qu'ils savaient revêtus d'une marque contrefaite,

• que dès lors, la présence du fabricant italien n'est pas utile, les actes reprochés à la société Parfumerie de Paris étant constitués par la mise en vente de produits revêtus d'une marque contrefaite ;

2° - Sur le fond

• que l'honorabilité et la réputation de la société Parfumerie de Paris sont sans intérêt en l'espèce,

• que la bonne foi du contrefacteur est indifférente à la solution du présent litige,

• que les marques de L. V. M. étaient servilement reproduites, en sorte que cela provoquait un risque de confusion,

• que les marques invoquées sont antérieures à l'achat des produits contrefaisants par la société Parfumerie de Paris, laquelle s'est livrée pendant cinq ans à leur commercialisation illicite,

• que la ligne « épi » a été lancée dès l'année 1985, ce que démontre le recueil de coupures de presse versé aux débats,

• que les marques invoquées étant valables sur le territoire de la Principauté de Monaco, le refus de protection dans d'autres pays n'a aucune incidence dans le présent litige,

• que le droit de marque est un droit d'occupation et non de création, que la présente action ne concerne pas le droit des dessins et modèles et qu'il n'y a pas lieu de comparer des produits entre eux,

• que la présence de la marque « P. C. » à l'intérieur des produits ne fait nullement disparaître ce grief de contrefaçon,

• que la désignation d'un collège expertal ne saurait être ordonnée, dès lors que les preuves de la contrefaçon sont d'ores et déjà réunies,

• que s'agissant du préjudice subi, celui-ci ne saurait en aucune manière dépendre de la valeur des articles contrefaits, mais s'avère inhérent à la valeur et à la renommée des marques contrefaites ou imitées,

• que la demande de dommages-intérêts de la société Parfumerie de Paris n'est justifiée ni dans son principe ni dans son montant,

• qu'il y a lieu de faire droit à l'ensemble de ses prétentions énoncées dans l'exploit introductif d'instance ;

La société Parfumerie de Paris, reprenant le bénéfice de ses écrits judiciaires antérieurs, précise par d'ultimes conclusions :

• qu'on ne peut lui interdire de rapporter la preuve de sa bonne foi,

• que les marques dont s'agit ont été déposées en France le 26 février 1988 et que l'achat fait par la concluante, en Italie, date du 25 juillet 1989 et a été effectué régulièrement puisque lesdites marques n'y sont point protégées,

• que de surcroît, à l'époque, l'exploitation de ces marques était plus que discrète, pour ne pas dire confidentielle, puisque les produits monogrammés L. V. M. régnaient alors sur le marché,

• que cela est d'autant plus démontré que la société L. V. M. n'a pas utilisé au moment de la saisie un catalogue de 1989, mais bien celui de l'année 1993,

• que l'huissier a saisi 14 articles en 1994 alors que l'achat litigieux ne portait que sur 23 articles, ce qui signifie qu'en cinq années, la concluante n'a pu vendre que 9 articles, ce qui, pour de prétendus « faux V. », n'est pas un gage du sérieux de leur prétendue « copie »,

• que la totalité de la marchandise a été acquise pour environ 15 000 francs, ce qui ne saurait démonter la « réelle volonté de la concluante de se livrer à de la contrefaçon »,

• que de plus, les clients de la société L. V. M. ne doivent pas être pris pour des « imbéciles » car ils sont fort capables de déceler un « faux V. » d'un vrai,

• que tout un chacun sait bien que les fermetures des objets vendus par la société L. V. M. portent le sigle « L.V. »,

• qu'à l'intérieur de ceux-ci, le nom de la société est inscrit d'une manière décelable,

• que les objets incriminés portent quant à eux la griffe « P. C. » en sorte qu'aucune confusion n'est possible,

• que la contrefaçon a pour finalité d'essayer de vendre des produits prétendument identiques aux contrefaits et qu'à l'évidence, tel n'est pas le cas en l'espèce ;

Sur ce :

Attendu que la société L. V. M. est propriétaire d'un certain nombre de marques, parmi lesquelles une marque figurative constituée d'une succession de lignes irrégulières, parallèles, ton sur ton et avec un effet de relief, ayant fait l'objet de dépôts internationaux auprès de l'OMPI désignant la Principauté de Monaco, notamment :

• une marque figurative, constituée d'une texture de lignes irrégulières gris clair disposées en épi sur un fond noir, déposée le 16 septembre 1987 et enregistrée sous le n° 515.791 ;

• une marque figurative, constituée d'une texture de lignes irrégulières rouge clair disposées en épi sur un fond rouge, déposée le 9 juin 1988 et enregistrée sous le n° 528 154 ;

Attendu que ces marques désignent des produits en cuir et imitations de cuir relevant de la classe 18 de la classification internationale ;

Attendu que du fait même de ces enregistrements internationaux, lesdites marques sont dispensées pour leur protection sur le territoire monégasque du dépôt prescrit par l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, dès lors que cette loi est primée par le traité international dénommé « Arrangement de Madrid » concernant l'enregistrement international des marques du 14 avril 1891, exécutoire à Monaco depuis le 18 mars 1975, et auquel la Principauté avait adhéré à partir du 29 avril 1956 ;

Attendu qu'en l'état de ce dépôt international régulier, et étant rappelé que les conventions internationales priment les lois internes, même postérieures, des États contractants, il doit être reconnu aux marques susvisées, par application de l'article 4-1 de l'Arrangement de Madrid, la même protection à Monaco que si ces marques y avaient été directement déposées ;

Attendu que la société L. V. M., ayant appris en juillet 1994 que des articles en cuir ou en imitation cuir comportant les signes distinctifs susvisés correspondant à ses propres dépôts, étaient mis en vente par la société Parfumerie de Paris, obtenait l'autorisation du Président de ce Tribunal pour effectuer une saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société ;

Que sous le contrôle de l'expert désigné par ordonnance présidentielle du 29 juillet 1994, l'huissier saisissait, par voie de description et réellement, divers articles présentant les caractéristiques suivantes :

« la texture est réalisée d'une manière à faire apparaître une succession de lignes irrégulières, sensiblement parallèles, donnant un aspect particulier... ton sur ton, avec parfois un ton au-dessus ou au-dessous pour donner l'impression de relief ou de profondeur... » ;

Attendu que la société L. V. M., estimant que de tels agissements constituent des actes de contrefaçon des marques dont elle est titulaire, entend revendiquer le bénéfice de la protection instaurée par la loi n° 1058 du 10 juin 1983 ;

Attendu que la société Parfumerie de Paris excipe en premier lieu du fait que les articles incriminés lui ont été fournis par une société italienne pour solliciter l'autorisation d'appeler cette société en garantie et conclut subsidiairement au fond au rejet des prétentions de la société L. V. M. en demandant que soit, le cas échéant, désigné un collège expertal ;

I. - Sur la demande d'appel en garantie :

Attendu sur le bien-fondé d'une telle demande, formulée pour la première fois le 15 décembre 1999, soit après six années de procédure, qu'il y a lieu de constater que la société L. V. M. sollicite le bénéfice de la protection de la loi monégasque n° 1058 sur les marques, pour les atteintes subies sur le territoire de la Principauté de Monaco ;

Qu'en effet, indépendamment de la fabrication de l'objet contrefaisant, qui suppose l'apposition de la marque imitée, la loi n° 1058 permet en ses articles 23 et 24 de poursuivre celui qui a fait usage d'une marque sans autorisation ou celui qui a détenu, sans motif légitime, des produits qu'il savait revêtus d'une marque contrefaite, ou qui les aura sciemment « vendus, mis en vente, fourni ou offert de fournir... » ;

Qu'en outre, l'action en interdiction d'usage prévue par l'article 5 de la loi n° 1058 et qu'intente la société L. V. M. dans le cadre de la présente instance, ne concerne en l'occurrence que la société défenderesse, à laquelle il est reproché de faire usage sur le territoire monégasque, objet de la protection, d'une marque susceptible de créer une confusion avec celle dont elle est propriétaire ;

Attendu en définitive, que la présence aux débats du fabricant des marques litigieuses n'apparaît pas utile à la solution du présent litige, dont elle ne ferait que retarder l'issue, alors par ailleurs que la responsabilité de la société défenderesse peut valablement être recherchée de façon autonome, en l'état des dispositions légales susvisées ;

Attendu qu'il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à l'exception d'appel en garantie formée par la société Parfumerie de Paris ;

II. - Au fond :

Attendu qu'il résulte en premier lieu du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 22 septembre 1994 que les articles de maroquinerie commercialisés par la société Parfumerie de Paris relèvent de la classe des produits numéro 18, correspondant au dépôt effectué par la société L. V. M. ;

Qu'en outre, il s'évince de la description effectuée sous le contrôle de l'huissier par M. Hautier, expert désigné par ordonnance présidentielle, que la matière a « les mêmes caractéristiques esthétiques extérieures que le grain utilisé et déposé par V. » et que « la texture est réalisée de manière à faire apparaître une succession de lignes irrégulières sensiblement parallèles... ton sur ton... parfois un ton au-dessus parfois un ton au-dessous pour donner l'impression de relief ou de profondeur » ;

Que l'expert ainsi commis constatait encore qu'à l'intérieur du « vanity » rouge, la doublure portait la griffe P. C., avec logo en forme de C ;

Qu'il est constant, enfin, que les articles de maroquinerie en cause sont dans les nuances de couleur déposées par la société L. V. M., à savoir noir et gris et rouge clair-rouge foncé ;

Attendu qu'il est en premier lieu établi que la « texture spécifique » pour laquelle la société L. V. M. revendique la protection légale caractérise bien une marque au sens de l'article matériel distinctif ;

Qu'à cet égard, aucune des pièces produites en défense ne permet d'établir qu'à la date des dépôts des marques, soit en 1987, la texture dite « en épi » aurait été déjà largement diffusée auprès du grand public ;

Attendu que la société L. V. M. rappelle à juste titre sur ce point que le droit des marques est un droit d'occupation et non un droit de création, en sorte qu'il n'est pas interdit d'utiliser un signe du domaine public, dès lors qu'il n'a pas besoin d'être nouveau ou original ;

Qu'en outre, si, en l'espèce, la texture appartenant à la société L. V. M. n'avait pas en soi, à l'origine, une forte distinctivité, elle n'en a pas moins acquis, par l'exploitation internationale qui en fut faite et les investissements publicitaires dont il est justifié, un caractère distinctif tel qu'elle s'est imposée dans ses traits caractéristiques et sa spécificité, tant auprès du public que des professionnels, comme liée à la maison L. V. ; que l'employée de la société Parfumerie de Paris a en effet déclaré que les clients désignaient souvent les produits vendus en les qualifiant d'articles « V. » ;

Attendu que pour contester la contrefaçon qui lui est reprochée, la société défenderesse invoque également la présence d'une étiquette « P. C. » à l'intérieur des articles vendus ;

Attendu cependant que la contrefaçon doit s'apprécier d'une part en fonction des ressemblances et non des différences, alors d'autre part que l'adjonction d'un élément à une marque reproduite ou imitée ne saurait supprimer la contrefaçon ;

Attendu qu'en l'espèce, les articles offerts à la vente par la société Parfumerie de Paris, à savoir divers vanity case et coffrets à bijoux, par leurs nuances de rouge ou de noir, ton sur ton, et par la texture formée de lignes sinueuses imbriquées en épi selon un rythme identique et quasi-parallèle donnant un effet de relief, reprennent servilement les caractéristiques des marques figuratives de la société L. V. M. ;

Que la présence d'une étiquette portant la dénomination « P. C. » à l'intérieur des produits - qui n'est donc pas immédiatement accessible à l'attention du consommateur - ne saurait exclure tout risque de confusion avec les marques figuratives de la société demanderesse ;

Attendu, en définitive, que les pièces produites établissant que la « ligne épi » lancée en France dès 1985 et annoncée à Monaco dès 1987, ne pouvait être ignorée de la société défenderesse, ni lors de l'achat de ses produits en Italie en 1989, ni lors de leur mise en vente courant 1994, il y a lieu de dire que la société Parfumerie de Paris a commis des actes de contrefaçon des marques figuratives enregistrées sous les n° 515 791 et 528 154 dont la société L. V. M. est propriétaire ;

Attendu que l'action en interdiction d'usage prévue par l'article 5 de la loi n° 1058 - qui est réservée au titulaire d'une marque notoirement connue - apparaît dès lors recevable, étant observé que la notoriété des marques figuratives susvisées a été précédemment démontrée au regard des coupures de presse produites aux débats attestant de la réputation internationale de la « ligne épi », et alors que la texture incriminée apparaît bien susceptible de créer une confusion avec la sienne dans l'esprit d'une clientèle d'attention moyenne et compter tenu de l'impression d'ensemble laissée dans la mémoire d'un tel consommateur ;

Attendu qu'il convient donc d'interdire à la société Parfumerie de Paris de faire usage des marques contrefaites, sous astreinte définitive de 152,45 euros (1 000 francs) par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement ;

Attendu que par application des dispositions de l'article 27 de la loi n° 1058, la confiscation des produits dont la marque vient d'être reconnue contraire aux dispositions des articles 23 et 24 doit être ordonnée à la demande de la société L. V. M. et ce, sans qu'il y ait lieu de faire droit à la demande d'astreinte de ce chef ;

Attendu s'agissant de la réparation de son préjudice, que la société L. V. M. sollicite la somme de 300 000 francs au titre de l'atteinte portée aux marques, celle de 200 000 francs au titre de son préjudice commercial et la somme de 20 000 francs en réparation des frais non inclus dans les dépens ;

Attendu qu'il ne saurait être contesté que la contrefaçon constitue en elle-même une atteinte préjudiciable au droit de propriété exclusif que confère le dépôt d'une marque et que cette atteinte est considérablement aggravée, en l'espèce, par l'effet de dépréciation qui s'induit de l'utilisation des signes distinctifs contrefaisants sur des produits de qualité médiocre qui met en péril les efforts créatifs et de promotion déployés par la maison V., s'agissant de sa nouvelle gamme de produits ;

Attendu qu'il doit de ce chef être fait droit à la demande d'indemnisation formulée, à concurrence d'une somme de 20 000 euros qui réparera équitablement le préjudice subi ;

Attendu en revanche, s'agissant du préjudice commercial inhérent tant à la perte potentielle de marché qu'au discrédit jeté sur les marques, qu'il convient de rappeler que l'atteinte portée à la valeur distinctive des marques L. V. a déjà été indemnisée précédemment ;

Que s'agissant de la perte potentielle de marché, celle-ci dépend étroitement du degré de concurrence qui existe entre la propriétaire de la marque et le contrefacteur ;

Qu'à cet égard, la société Parfumerie de Paris et la société L. V. M. ne commercialisent généralement pas les mêmes produits et que même si divers articles de maroquinerie sont offerts à la vente chez la parfumerie défenderesse, ce n'est que pour autant qu'ils se rapportent à l'esthétique (cf. vanity case et coffrets à bijoux) ;

Attendu que le préjudice commercial ne saurait dès lors excéder une somme que le Tribunal, au regard des éléments d'appréciation dont il dispose, évalue à 5 000 euros, étant observé que la valeur des articles contrefaisants dans les divers magasins de la défenderesse n'excède pas une somme globale de 16 450 francs (cf. facture jointe au procès-verbal de saisie-contrefaçon) ;

Attendu, s'agissant de la demande de dommages-intérêts supplémentaires au titre des frais non inclus dans les dépens, qu'il doit être alloué une somme que le Tribunal estime devoir fixer à 3 000 euros ;

Attendu que l'urgence n'apparaît pas caractérisée en la cause, en sorte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Attendu que la réparation octroyée par le Tribunal apparaît suffisante pour réparer l'intégralité du préjudice subi, en sorte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent jugement ;

Attendu que compte tenu de l'issue du litige, la société Parfumerie de Paris doit être déboutée des fins de sa demande reconventionnelle et condamnée aux dépens de l'instance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit n'y avoir lieu de faire droit à la demande d'appel en garantie formée par la société anonyme monégasque Parfumerie de Paris ;

Dit et juge que la société Parfumerie de Paris a - en détenant et en offrant à la vente des articles imitant les marques figuratives appartenant à la société L. V. M. - commis des actes de contrefaçon ;

Faisant application des dispositions de l'article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983,

Fait interdiction à la société Parfumerie de Paris de faire usage desdites marques de la société L. V. M., sous astreinte de 152,45 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement ;

Ordonne la confiscation des marchandises contrefaisantes ;

Condamne la société Parfumerie de Paris à payer à la société L. V. M. la somme globale de 28 000 euros à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues ;

Déboute la société L. V. M. du surplus de ses demandes ;

Déboute la société Parfumerie de Paris des fins de sa demande reconventionnelle.

Composition

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Sbarrato et Lorenzi, av. déf., de la Myre Mory, av. bar. de Paris.

Note

Ce jugement est devenu définitif.

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2003, n° 5, p. 240 à 244.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 26993
Date de la décision : 25/04/2002

Analyses

Propriété intellectuelle - Général ; Marques et brevets


Parties
Demandeurs : V. M.
Défendeurs : Sté Parfumerie de Paris

Références :

article 28 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983
loi n° 1058 du 10 juin 1983
article 268 du Code de procédure civile
article 1er de la loi n° 1058 du 10 juin 1983
article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983
loi du 10 juin 1983
article 5 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2002-04-25;26993 ?

Source

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