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11/04/2002 | MONACO | N°26990

Monaco | Tribunal de première instance, 11 avril 2002, G. c/ T.


Abstract

Exequatur

Conditions : exigées par la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949

- authenticité de la décision française

- compétence de la juridiction française

- régularité de la citation des parties

- force de chose jugée de la décision

- conformité à l'ordre public monégasque quant au contenu de la mission de l'expert au respect du principe du contradictoire et à l'invocation d'une fraude (réticence dolosive) en excluant tout pouvoir de révision de la décision soumise à l'exequatur

Résumé

La

présente instance se trouve régie, en ce qui concerne les conditions d'octroi de l'exequatur, par l'article 18 de la Conv...

Abstract

Exequatur

Conditions : exigées par la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949

- authenticité de la décision française

- compétence de la juridiction française

- régularité de la citation des parties

- force de chose jugée de la décision

- conformité à l'ordre public monégasque quant au contenu de la mission de l'expert au respect du principe du contradictoire et à l'invocation d'une fraude (réticence dolosive) en excluant tout pouvoir de révision de la décision soumise à l'exequatur

Résumé

La présente instance se trouve régie, en ce qui concerne les conditions d'octroi de l'exequatur, par l'article 18 de la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949, rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance n° 106 du 2 décembre 1949, qui fixe les limites du contrôle exercé par le juge de l'exequatur ;

Les expéditions produites aux débats des décisions respectivement rendues des 1er décembre 1994 et 27 mai 1999 par le Tribunal de commerce de Menton et la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ont été revêtues de la formule par les greffiers de ces juridictions et réunissent les conditions nécessaires à leur authenticité, laquelle n'est d'ailleurs pas discutée ;

Il résulte de l'article 42 du nouveau Code de procédure civile français que si la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure le défendeur, ce principe peut recevoir exception en cas de disposition contraire ; l'article 46 du même code permet en outre au demandeur, en matière contractuelle, de saisir la juridiction du lieu de l'exécution de la prestation de services.

Il résulte des énonciations non contestées de la décision soumise à l'exequatur que le litige entre les parties portait sur l'exécution d'un contrat relatif à des travaux dans un immeuble sis à Roquebrune-Cap-Martin ; il est tout aussi constant que cette commune se trouve dans les ressorts respectifs du Tribunal de commerce de Menton et de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Ces juridictions étaient donc bien compétentes, selon la loi française, pour connaître du litige ; le fait que G. T. était déjà à l'époque domicilié à Monaco et aurait pu être attrait devant les juridictions monégasques ne pouvait pas avoir pour effet de retirer leur compétence aux tribunaux français en cause.

Il appartient au juge de l'exequatur de vérifier si d'après la loi du pays d'origine, les parties ont été régulièrement citées ; ce contrôle doit s'exercer, lorsque plusieurs degrés de juridiction ont été saisis, sur l'ensemble de la procédure, y compris celle suivie en première instance.

Il ressort du jugement du Tribunal de commerce de Menton que G. T. a été assigné le 14 avril 1993 par un acte d'huissier ; il n'est pas allégué que cet acte ne l'aurait pas mis en mesure de connaître l'objet de la demande et de se défendre.

Le jugement de ce Tribunal lui a été signifié le 26 janvier 1995 il a pris lui-même l'initiative d'en interjeter appel de sorte qu'aucune irrégularité de citation ne peut ici être envisagée.

L'article 500 du nouveau Code de procédure civile français reconnaît la force de chose jugée aux décisions qui ne sont susceptibles d'aucun recours suspensif d'exécution ; selon l'article 579 du même code, l'exercice d'un recours par une voie extraordinaire, tel le pourvoi en cassation, n'est pas suspensif d'exécution si la loi n'en dispose autrement.

G. T. a formé un pourvoi en cassation ; il ne prétend toutefois pas qu'une disposition légale spéciale confère en l'espèce un effet suspensif à ce recours ; quelle que soit l'issue qui pourrait en résulter, ce recours n'a pas empêché l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence d'acquérir la force de chose jugée.

Il reste seulement à examiner si les décisions litigieuses présentent des dispositions contraires à l'ordre public ou aux principes de droit public de la Principauté.

La Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 interdit toute révision de la décision française dont l'exequatur est sollicité ; il n'appartient donc au juge de l'exequatur ni de se substituer au juge étranger ni de vérifier si sa décision est conforme à la loi de fond ou à la loi de procédure que ce juge a entendu appliquer au litige dont il était saisi.

Le juge de l'exequatur doit seulement rechercher de façon concrète si l'exécution à Monaco de la décision étrangère aurait pour effet de heurter l'ordre public ou les principes de droit public en vigueur ; selon la conception monégasque de l'ordre public international, l'ordre public n'exerce qu'une influence atténuée lorsqu'il s'agit d'apprécier si des droits régulièrement acquis à l'étranger peuvent produire leurs effets à Monaco, alors même que la loi monégasque aurait empêché qu'ils y prennent naissance ; la contradiction entre une décision étrangère et une règle monégasque qualifiée d'impérative ne peut faire obstacle à l'exequatur que lorsque cette règle touche aux fondements même des institutions monégasques.

Il est exact que dans son ordonnance de référé du 15 septembre 1992, le président du Tribunal de commerce de Menton s'est borné, en désignant Fortuné Palmero comme expert, à lui confier « la mission habituelle en pareille matière et notamment de se rendre sur les lieux litigieux » ; il a toutefois précisé que l'expert devait lors de la première ou de la deuxième réunion avec les parties dresser un programme de ses investigations et évaluer le montant prévisible de ses honoraires.

L'expert a interprété cette décision et a indiqué à la page n° 3 de son rapport qu'il lui appartenait de recueillir les explications des parties, de prendre connaissance des documents de la cause, de constater les désordres allégués, de rechercher les causes de ces désordres, de préconiser les travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés, de chiffrer le montant de la dépense pour la remise en état des lieux, de déterminer les responsabilités éventuelles encourues par le défendeur, de dire si les désordres constatés ont entraîné des conséquences dommageables et, dans l'affirmative, fournir tous éléments permettant au Tribunal d'évaluer le préjudice subi.

Toujours selon son rapport, il a entendu les parties et visité avec elles les lieux litigieux, a reçu d'elles diverses pièces, a constaté l'existence de désordres et a répondu aux différentes questions qu'il avait ainsi envisagées ; il indique avoir adressé aux avocats des parties le 4 février 1993, préalablement à la clôture du rapport, un « compte-rendu » n'ayant que simple valeur d'information pour leur permettre de lui adresser leurs observations éventuelles.

Le rapport de l'expert a ensuite été discuté devant les deux juridictions qui ont successivement connu de l'affaire en première instance et en appel ; ces juridictions ont répondu aux critiques émises par G. T. et ont accordé une valeur probante à ce rapport.

Il est exact que l'article 346 du Code de procédure civile monégasque prévoit que la décision qui ordonne une expertise doit énoncer les chefs de la mission confiée à l'expert ; toutefois cette règle n'est que la traduction de deux principes d'ordre public ; l'interdiction pour le juge de déléguer son pouvoir juridictionnel et le respect du principe de la contradiction dans la conduite d'une procédure.

La décision française litigieuse n'est contraire à aucun de ces deux principes.

Les juges n'ont en aucune façon délégué à l'expert leurs pouvoirs ; l'ordonnance de référé n'a eu pour effet ni de donner à l'expert la prérogative de trancher lui-même le litige, ni de donner à son rapport une portée s'imposant aux magistrats.

Les parties n'ont pu nourrir aucun doute sur ce point, leurs conseils ayant eux-mêmes sollicité, selon l'ordonnance de référé, la désignation d'un expert avec la « mission habituelle » ; elles n'ont formulé aucune réserve devant l'expert, ce qui laisse présumer que les limites précisées par ce dernier répondaient à leurs attentes ; ces limites sont au demeurant conformes à celles adoptées en pratique à Monaco.

L'initiative de l'expert a permis, s'il en était encore besoin, d'éclairer les parties sur l'étendue de ses investigations et de les mettre en mesure d'en débattre.

La rédaction lacunaire de l'ordonnance de référé, dût-elle non conforme au droit français, n'a donc pas eu pour effet de porter atteinte aux principes d'ordre public ci-dessus rappelés.

Le principe du caractère contradictoire des opérations d'expertise relève de la conception monégasque de l'ordre public international.

Les énonciations des décisions litigieuses relatives au respect d'un tel principe ne s'imposent pas au juge de l'exequatur qui a au contraire le devoir d'exercer ce contrôle.

G. T. produit la photocopie d'un document intitulé « dire à expert » daté du 10 mars 1993.

Mais ce document n'a aucune date certaine et ne suffit pas à établir qu'il aurait effectivement été communiqué à l'expert judiciaire ; sa date est d'ailleurs celle à laquelle l'expert a clôturé son rapport.

Il n'établit donc pas l'existence d'une violation du principe de la contradiction commise tant par l'expert que par les juridictions qui se sont fondées sur son rapport.

Comme il a déjà été dit, la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 exclut toute révision de la décision soumise à l'exequatur ; le juge de l'exequatur ne peut notamment pas fonder son appréciation sur des circonstances extrinsèques à la décision étrangère pour en apprécier la régularité.

L'appréciation du dol invoqué par G. T. supposerait nécessairement un réexamen du fond de l'affaire à la lumière de faits nouveaux qui n'auraient pas été soumis au juge étranger.

Une telle recherche équivaudrait manifestement à une révision de la décision litigieuse interdite au juge de l'exequatur ; le moyen invoqué par G. T. ne tend qu'à tourner cette prohibition sous couvert d'une prétendue atteinte à l'ordre public.

Il n'y a donc pas lieu d'examiner les documents produits à l'appui de cette prétention.

G. T. ne pourrait en réalité la soumettre, selon la procédure appropriée, qu'aux juridictions françaises compétentes dans le but de retirer à l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence sa force de chose jugée ; en pareil cas, la décision rendant cet arrêt exécutoire à Monaco se trouverait privée d'objet et serait rendue caduque.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

G.-L. G. a confié à G. T. des travaux de peinture dans sa villa ;

Un litige est apparu au sujet de l'exécution de ces travaux ;

Suivant jugement du 1er décembre 1994, le Tribunal de commerce de Menton a :

• homologué le rapport d'expertise de Fortuné Palmero en date du 10 mars 1993,

• condamné « l'entreprise T. » à verser à G.-L. G.

* la somme de 75 000 francs outre les intérêts au taux légal à compter du 10 mars 1993,

* la somme de 15 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de jouissance,

* la somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,

* la somme de 5 000 francs hors taxes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile français outre les entiers dépens de l'instance, y compris les frais d'expertise,

• condamné G.-L. G. à verser à « l'entreprise T. » la somme de 5 715 francs représentant le solde dû sur le marché signé entre les parties le 17 mars 1990 ;

Sur l'appel interjeté par G. T. (dénommé dans les décisions françaises sous le prénom francisé « J. »), la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, statuant par un arrêt du 27 mai 1999, n° 95/9073, a :

• confirmé cette décision en toutes ses dispositions,

• y ajoutant, condamné T. à payer à G. la somme de 5 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

G. T. a introduit un pourvoi en cassation ; ce recours a donné lieu le 31 mai 2000, de la part de cette juridiction, à une décision de retrait du rôle conformément à l'article 1009-1 du nouveau Code de procédure civile français ;

Par l'exploit susvisé du 15 mars 2001, G.-L. G. a demandé au Tribunal de première instance de Monaco de déclarer exécutoire en Principauté l'arrêt rendu le 25 mai 1999 par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, confirmatif du jugement du Tribunal de commerce de Menton en date du 1er décembre 1994, « outre dommages intérêts supplémentaires et tous dépens » ;

Suivant conclusions du 5 septembre 2001, il a en outre sollicité la condamnation de son adversaire à lui payer la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Par conclusions déposées les 27 juin 2001, 14 novembre 2001 et 9 janvier 2002, G. T. s'est opposé à ces prétentions, estimant l'arrêt de la Cour d'appel non conforme à l'ordre public monégasque ;

Les moyens discutés par les parties peuvent être ainsi présentés :

Sur la compétence de la juridiction française :

* G. T. estime que la Cour d'appel était territorialement incompétente en raison de la situation à Monaco de son domicile qui fondait la compétence des tribunaux monégasques ;

* G.-L. G. répond que les juridictions françaises saisies étaient bien compétentes pour connaître d'un litige opposant deux italiens au sujet de l'exécution d'un marché de travaux exécutés dans le ressort du Tribunal de commerce de Menton ; il ajoute que G. T. n'a à aucun moment contesté cette compétence durant l'instance conduite en France ;

Sur le rapport d'expertise :

* G. T. expose que le Président du Tribunal de commerce de Menton, lorsqu'il a ordonné en référé l'expertise confiée à Fortuné Palmero, n'a pas énoncé les chefs de la mission qu'il lui confiait, se bornant à lui donner la « mission habituelle » ; il en déduit que le juge, au mépris des textes légaux français relatifs à la nomination des experts judiciaires, a ainsi totalement délégué ses pouvoirs à l'expert et que la décision qui se fonde sur son rapport contrarie manifestement l'ordre public régissant l'organisation judiciaire de la Principauté de Monaco ;

* G.-L. G. soutient d'abord qu'il n'appartient pas au juge de l'exequatur de vérifier « si les mesures internes intervenues permettant de trancher un litige... sont conformes à celles en usage près le Tribunal en charge de l'exequatur » ; il nie toute violation de l'ordre public monégasque alors que G. T. a pu contester en France le rapport d'expertise, sollicitant même une contre-expertise en cause d'appel, rejetée comme dilatoire ;

* G. T. fait encore valoir que l'expert, faute d'avoir tenu compte d'un dire déposé par lui, n'a pas respecté le principe du contradictoire et que l'arrêt qui se fonde sur son rapport n'a pas respecté les droits de la défense ;

* G.-L. G. tient cet argument pour « extérieur aux débats soumis à l'appréciation » du juge de l'exequatur ; il indique qu'il a déjà été soumis aux juges français qui l'ont rejeté aux motifs que l'envoi effectif du dire litigieux n'était pas établi et qu'à supposer même le contraire, les opérations d'expertise étaient alors terminées et l'expert dessaisi de sa mission ;

Sur la fraude imputée à G.-L. G. :

* G. T. explique que parallèlement à l'action judiciaire, son adversaire avait subi un dégât des eaux déclaré à son assureur ; il lui reproche d'avoir volontairement dissimulé ce fait aux juges, commettant ainsi un dol ; il soutient que ce dol et la découverte, depuis la décision, de la déclaration à l'assureur et du paiement par ce dernier d'une indemnité ouvrent la possibilité d'une révision de la décision française ; en ce qui concerne la présente instance, il affirme que l'exécution d'une décision rendue sur la base d'une réticence dolosive serait contraire à l'ordre public monégasque ;

* G.-L. G. fait observer qu'une instance en révision, que son adversaire s'est bien gardé d'engager en France, n'aurait aucun caractère suspensif et serait en outre frappée en l'espèce de forclusion pour cause de tardiveté au regard des articles 593 du nouveau Code de procédure civile français ; « surabondamment », il indique que le fait invoqué ne serait pas susceptible de constituer un fait nouveau puisqu'il a déjà été soumis à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Sur les dommages-intérêts :

* G.-L. G. fait valoir que son adversaire « persiste dans le dilatoire » pour différer un paiement dont il sait être redevable, et se borne à reprendre des moyens déjà soumis à l'appréciation des juges français en les présentant à tort comme des faits nouveaux ;

Sur quoi :

I. Sur les conditions tenant à l'authenticité de la décision étrangère, à la compétence territoriale, à la régularité de la citation et à la force de chose jugée de cette décision :

Attendu que la présente instance se trouve régie, en ce qui concerne les conditions d'octroi de l'exequatur, par l'article 18 de la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949, rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance n° 106 du 2 décembre 1949, qui fixe les limites du contrôle exercé par le juge de l'exequatur ;

Attendu que les expéditions produites aux débats des décisions respectivement rendues le 1er décembre 1994 et 27 mai 1999 par le Tribunal de commerce de Menton et la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ont été revêtues de la formule exécutoire par les greffiers de ces juridictions et réunissent les conditions nécessaires à leur authenticité, laquelle n'est d'ailleurs pas discutée ;

Attendu qu'il résulte de l'article 42 du nouveau Code de procédure civile français que si la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure le défendeur, ce principe peut recevoir exception en cas de disposition contraire ; que l'article 46 du même code permet en outre au demandeur, en matière contractuelle, de saisir la juridiction du lieu de l'exécution de la prestation de services ;

Qu'il résulte des énonciations non contestées de la décision soumise à l'exequatur que le litige entre les parties portait sur l'exécution d'un contrat relatif à des travaux dans un immeuble sis à Roquebrune-Cap-Martin ; qu'il est tout aussi constant que cette commune se trouve dans les ressorts respectifs du Tribunal de commerce de Menton et de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Attendu que ces juridictions étaient donc bien compétentes, selon la loi française, pour connaître du litige ; que le fait que G. T. était déjà à l'époque domicilié à Monaco et aurait pu être attrait devant les juridictions monégasques ne pouvait pas avoir pour effet de retirer leur compétence aux tribunaux français en cause ;

Attendu qu'il appartient au juge de l'exequatur de vérifier si d'après la loi du pays d'origine, les parties ont été régulièrement citées ; ce contrôle doit s'exercer, lorsque plusieurs degrés de juridiction ont été saisis, sur l'ensemble de la procédure, y compris celle suivie en première instance ;

Attendu qu'il ressort du jugement du Tribunal de commerce de Menton que G. T. a été assigné le 14 avril 1993 par un acte d'huissier ; qu'il n'est pas allégué que cet acte ne l'aurait pas mis en mesure de connaître l'objet de la demande et de se défendre ;

Que le jugement de ce Tribunal lui a été signifié le 26 janvier 1995 ; qu'il a pris lui-même l'initiative d'en interjeter appel de sorte qu'aucune irrégularité de citation ne peut ici être envisagée ;

Attendu que l'article 500 du nouveau Code de procédure civile français reconnaît la force de chose jugée aux décisions qui ne sont susceptibles d'aucun recours suspensif d'exécution ; que selon l'article 579 du même code, l'exercice d'un recours par une voie extraordinaire, tel le pourvoi en cassation, n'est pas suspensif d'exécution si la loi n'en dispose autrement ;

Attendu que G. T. a formé un pourvoi en cassation ; qu'il ne prétend toutefois pas qu'une disposition légale spéciale confère en l'espèce un effet suspensif à ce recours ; que quelle que soit l'issue qui pourrait en résulter, ce recours n'a pas empêché l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence d'acquérir la force de chose jugée ;

Attendu qu'il reste seulement à examiner si les décisions litigieuses présentent des dispositions contraires à l'ordre public ou aux principes de droit public de la Principauté ;

II. Sur la conformité à l'ordre public monégasque :

A. Sur les difficultés soulevées à propos de l'expertise :

Attendu que la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 interdit toute révision de la décision française dont l'exequatur est sollicité ; qu'il n'appartient donc au juge de l'exequatur ni de se substituer au juge étranger ni de vérifier si sa décision est conforme à la loi de fond ou à la loi de procédure que ce juge a entendu appliquer au litige dont il était saisi ;

Que le juge de l'exequatur doit seulement rechercher de façon concrète si l'exécution à Monaco de la décision étrangère aurait pour effet de heurter l'ordre public ou les principes de droit public en vigueur ; selon la conception monégasque de l'ordre public international, l'ordre public n'exerce qu'une influence atténuée lorsqu'il s'agit d'apprécier si des droits régulièrement acquis à l'étranger peuvent produire leurs effets à Monaco, alors même que la loi monégasque aurait empêché qu'ils y prennent naissance ; la contradiction entre une décision étrangère et une règle monégasque qualifiée d'impérative ne peut faire obstacle à l'exequatur que lorsque cette règle touche aux fondements même des institutions monégasques ;

1° Sur la mission de l'expert

Attendu qu'il est exact que dans son ordonnance de référé du 15 septembre 1992, le président du Tribunal de commerce de Menton s'est borné, en désignant Fortuné Palmero comme expert, à lui confier « la mission habituelle en pareille matière et notamment de se rendre sur les lieux litigieux » ; qu'il a toutefois précisé que l'expert devant lors de la première ou de la deuxième réunion avec les parties dresser un programme de ses investigations et évaluer le montant prévisible de ses honoraires ;

Attendu que l'expert a interprété cette décision et a indiqué à la page n° 3 de son rapport qu'il lui appartenait de recueillir les explications des parties, de prendre connaissance des documents de la cause, de constater les désordres allégués, de rechercher les causes de ces désordres, de préconiser les travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés, de chiffrer le montant de la dépense pour la remise en état des lieux, de déterminer les responsabilités éventuelles encourues par le défenseur, de dire si les désordres constatés ont entraîné des conséquences dommageables et, dans l'affirmative, de fournir tous éléments permettant au Tribunal d'évaluer le préjudice subi ;

Que toujours selon son rapport, il a entendu les parties et visité avec elles les lieux litigieux, a reçu d'elles diverses pièces, a constaté l'existence de désordres et a répondu aux différentes questions qu'il avait ainsi envisagées ; qu'il indique avoir adressé aux avocats des parties le 4 février 1993, préalablement à la clôture du rapport, un « compte-rendu » n'ayant que simple valeur d'information pour leur permettre de lui adresser leurs observations éventuelles ;

Attendu que le rapport de l'expert a ensuite été discuté devant les deux juridictions qui ont successivement connu de l'affaire en première instance et en appel ; que ces juridictions ont répondu aux critiques émises par G. T. et ont accordé une valeur probante à ce rapport ;

Attendu qu'il est exact que l'article 346 du Code de procédure civile monégasque prévoit que la décision qui ordonne une expertise doit énoncer les chefs de la mission confiée à l'expert ; toutefois cette règle n'est que la traduction de deux principes d'ordre public : l'interdiction pour le juge de déléguer son pouvoir juridictionnel et le respect du principe de la contradiction dans la conduite d'une procédure ;

Attendu que la décision française litigieuse n'est contraire à aucun de ces deux principes ;

Que les juges n'ont en aucune façon délégué à l'expert leurs pouvoirs ; que l'ordonnance de référé n'a eu pour effet ni de donner à l'expert la prérogative de trancher lui-même le litige, ni de donner à son rapport une portée s'imposant aux magistrats ;

Que les parties n'ont pu nourrir aucun doute sur ce point, leurs conseils ayant eux-mêmes sollicité, selon l'ordonnance de référé, la désignation d'un expert avec la « mission habituelle » ; qu'elles n'ont formulé aucune réserve devant l'expert, ce qui laisse présumer que les limites précisées par ce dernier répondaient à leurs attentes ; que ces limites sont au demeurant conformes à celles adoptées en pratique à Monaco ;

Que l'initiative de l'expert a permis, s'il en était encore besoin, d'éclairer les parties sur l'étendue de ses investigations et de les mettre en mesure d'en débattre ;

Que la rédaction lacunaire de l'ordonnance de référé, fût-elle non conforme au droit français, n'a donc pas eu pour effet de porter atteinte aux principes d'ordre public ci-dessus rappelés ;

2° Sur le dire

Attendu que le principe du caractère contradictoire des opérations d'expertise relève de la conception monégasque de l'ordre public international ;

Attendu que les énonciations des décisions litigieuses relatives au respect d'un tel principe ne s'imposent pas au juge de l'exequatur qui a au contraire le devoir d'exercer son contrôle ;

Attendu que G. T. produit la photocopie d'un document intitulé « dire à expert » daté du 10 mars 1993 ;

Mais attendu que ce document n'a aucune date certaine et ne suffit pas à établir qu'il aurait effectivement été communiqué à l'expert judiciaire ; que sa date est d'ailleurs celle à laquelle l'expert a clôturé son rapport ;

Qu'il n'établit donc pas l'existence d'une violation du principe de la contradiction commise tant par l'expert que par les juridictions qui se sont fondées sur son rapport ;

B. Sur la fraude invoquée :

Attendu que comme il l'a déjà été dit, la Convention francomonégasque du 21 septembre 1949 exclut toute révision de la décision soumise à l'exequatur ; que le juge de l'exequatur ne peut notamment pas fonder son appréciation sur des circonstances extrinsèques à la décision étrangère pour en apprécier la régularité ;

Attendu que l'appréciation du dol invoqué par G. T. supposerait nécessairement un rééxamen du fond de l'affaire à la lumière de faits nouveaux qui n'auraient pas été soumis au juge étranger ;

Qu'une telle recherche équivaudrait manifestement à une révision de la décision litigieuse interdite au juge de l'exequatur ; le moyen invoqué par G. T. ne tend qu'à tourner cette prohibition sous couvert d'une prétendue atteinte à l'ordre public ;

Attendu qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner les documents produits à l'appui de cette prétention ;

Que G. T. ne pourrait en réalité la soumettre, selon la procédure appropriée, qu'aux juridictions françaises compétentes dans le but de retirer à l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence sa force de chose jugée ; qu'en pareil cas, la décision rendant cet arrêt exécutoire à Monaco se trouverait privée d'objet et serait rendue caduque ;

III. Sur les demandes de G.-L. G. :

Attendu que la décision litigieuse ne contient en définitive aucune disposition contraire à la conception monégasque de l'ordre public international ; qu'il y a en conséquence lieu de la déclarer exécutoire en Principauté de Monaco ;

Attendu que la résistance opposée par G. T. à l'occasion de l'instance en exequatur apparaît abusive alors qu'il ne pouvait se méprendre sur les conséquences du droit applicable en la matière ; que cette faute a eu pour effet de retarder l'issue de la procédure et de maintenir son adversaire dans les soucis d'un procès ; que ce préjudice justifie réparation sous forme d'une indemnité de mille euros, eu égard aux éléments suffisants d'appréciation dont le Tribunal dispose ;

Et attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens de l'instance, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare exécutoire en Principauté de Monaco, avec toutes conséquences de droit, l'arrêt rendu le 25 mai 1999 par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence dans l'instance opposant G.-L. G. à G. T. ;

Condamne G. T. à payer à G.-L. G. la somme de 1 000 euros (mille euros) à titre de dommages-intérêts ;

Composition

M. Narmino, prés. ; M. Fougeras Lavergnolle, juge f.f. subst. proc. gén. ; Mes Pastor, Licari, av. déf., Cohen, av. bar. de Nice.

Note

Une instance en appel est en cours.

Exequatur simplifiée d'un jugement du tribunal de commerce de Menton, Revue de Droit Monégasque, 2003, n° 5, p. 231 à 235.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26990
Date de la décision : 11/04/2002

Analyses

Traités bilatéraux avec la France ; Exequatur


Parties
Demandeurs : G.
Défendeurs : T.

Références :

article 346 du Code de procédure civile
Code de procédure civile
ordonnance n° 106 du 2 décembre 1949
article 231 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2002-04-11;26990 ?

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