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01/03/2001 | MONACO | N°26970

Monaco | Tribunal de première instance, 1 mars 2001, Société Sericom Guinée c/ Société Générale


Abstract

Banque

Crédit documentaire - Règles et usances uniformes édictées par la Chambre de Commerce Internationale applicables à la banque - Obligation de procurer une garantie de paiement : non affectée par modification du délai de livraison - Obligation de vérification limitée à la constatation de l'apparence de conformité entre les documents transmis par le bénéficiaire et les conditions de crédit - Appréciation de la responsabilité de la banque au vu seulement des documents ayant servi de base au contrat de crédit documentaire.

Résumé

Suivan

t exploit le 3 novembre 1998, la société Sericom Guinée faisait assigner la Société Généra...

Abstract

Banque

Crédit documentaire - Règles et usances uniformes édictées par la Chambre de Commerce Internationale applicables à la banque - Obligation de procurer une garantie de paiement : non affectée par modification du délai de livraison - Obligation de vérification limitée à la constatation de l'apparence de conformité entre les documents transmis par le bénéficiaire et les conditions de crédit - Appréciation de la responsabilité de la banque au vu seulement des documents ayant servi de base au contrat de crédit documentaire.

Résumé

Suivant exploit le 3 novembre 1998, la société Sericom Guinée faisait assigner la Société Générale aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- la somme de 300 000 francs français susvisée, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ;

- la somme de 50 000 francs français à titre de dommages-intérêts ;

Invoquant des règles et usance uniformes, elle lui reprochait d'avoir procédé au paiement au mépris de son opposition, exprimée à plusieurs reprises et fondée sur diverses irrégularités constitutives de manœuvres frauduleuses : modification des délais de livraison, livraison d'une quantité inférieure à celle commandée, qualité inférieure à celle convenue ; elle faisait valoir que la banque était tenue avant paiement de constater la correcte exécution du contrat et qu'elle ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité en invoquant des instructions données par la société Galion alors que cette dernière, simple transitaire, n'avait reçu aucun mandat ni exprès ni tacite ;

Autorisée par jugement en date du 18 mars 1999, la Société Générale faisait assigner en garantie la société Galion suivant exploit signifié le 15 avril 1999 ; elle demandait en outre la jonction de cette instance avec celle engagée par la société Sericom Guinée ;

Les deux instances sont relatives aux mêmes marchandises ; la question de l'étendue du rôle joué par la société Galion y est pareillement débattue, la Société Générale prétendant en tirer soit une exonération de sa responsabilité soit la justification d'un appel en garantie ; ce lien de connexité justifie la jonction de ces instances ;

L'opération litigieuse est ainsi décrite dans l'avis d'opération émis par la banque en réponse à la demande faite le 16 avril 1998 par la société Sericom Guinée :

- il s'agit bien d'un crédit documentaire qualifié d'irrévocable liant, outre la Société Générale, la société Sericom Guinée, en tant que donneur d'ordre, la société FIT, en tant que bénéficiaire, et la Banca Commerciale Italiana, banquier de la société FIT ;

- le crédit portait sur la somme de 300 000 francs, payable de façon différée 60 jours après la date d'embarquement ;

- des expéditions partielles ou des transbordements n'étaient pas autorisés ;

- la marchandise, décrite par simple renvoi à une facture proforma n° 204 du 9 avril 1998, devait être expédiée au plus tard le 15 mai 1998 ;

- les documents requis pour le paiement, à défaut desquels la banque se trouve déchargée de ses engagements, étaient ainsi désignés en langue anglaise : facture commerciale, document de transport (clean on board marine, bills of lading) et une « packing list » ;

La banque se réfère expressément en dernière page, sous forme d'une mention en langue anglaise (« UCP 500 (1993 révision) »), aux Règles et Usances uniformes relatives aux crédits documentaires, édictées par la Chambre de Commerce Internationale ;

Il doit en être déduit que les parties ont ainsi entendu, sauf stipulations contraires et spéciales, incorporer les dispositions de ce texte dans leur convention ;

Selon l'article 2 des Règles et Usances, l'expression « crédit documentaire » qualifie tout arrangement en vertu duquel une banque, dite banque émettrice, agissant à la demande et sur instructions d'un client, dit donneur d'ordre :

- est tenue d'effectuer un paiement à un tiers, dit bénéficiaire, ou à son ordre, ou de payer ou accepter des effets de commerce tirés par le bénéficiaire,

- ou autorise une autre banque à effectuer ledit paiement, ou à payer, accepter ou négocier lesdits effets de commerce, contre remise des documents stipulés, pour autant que les conditions du crédit soient respectées ;

Il est précisé que les crédits sont par nature distincts des ventes qui peuvent en former la base (article 3) et que toutes les parties intéressées ont à considérer les documents à l'exclusion des marchandises, services ou autres prestations auxquels ces documents peuvent se rapporter (article 4) ;

Le crédit irrévocable constitue pour la banque un engagement ferme, si le crédit est réalisable par paiement différé, de payer ou de faire effectuer le paiement à la date ou aux dates déterminables conformément aux stipulations du crédit (article 10) ;

Avant de procéder au paiement, la banque est tenue à certaines vérifications et diligences :

- examiner tous les documents produits avec un soin raisonnable pour s'assurer qu'ils présentent l'apparence de conformité avec les conditions du crédit (article 15) ;

- si ces documents ne présentent pas cette apparence de conformité, décider sur leur seule base, et dans un délai raisonnable, s'il y a lieu de lever les documents ou de les refuser (article 16) ;

Il est encore précisé que la banque n'assume aucune responsabilité quant à la forme, la suffisance, l'exactitude, l'authenticité, la falsification, la portée légale d'aucun document, ni quant à la désignation, la quantité, le poids, la qualité, le conditionnement, l'emballage, la livraison, la valeur ou l'existence des marchandises représentées par un document (article 17) ;

Par un message télécopié du 26 mai 1998 ayant pour objet une « modification » du crédit documentaire, la société Galion a informé ses divers interlocuteurs (société Sericom Guinée, Société Générale) que la marchandise ne serait disponible que dans la semaine et leur demandait de confirmer au fournisseur leur accord pour l'acceptation d'une nouvelle date d'embarquement fixée au plus tard au 5 juin 1998 ;

La Société Générale n'a émis que le 8 juin suivant un nouvel avis d'opération relatant un avenant à l'accord initial pour tenir compte de cette nouvelle date d'embarquement et l'a transmis à la société Sericom Guinée en lui demandant de lui en retourner un exemplaire dûment signé pour accord ;

La Société Générale ne produit pas cet exemplaire qui n'a manifestement jamais été retourné par la société Sericom Guinée ; elle ne peut sérieusement soutenir que la société Galion pouvait elle-même renégocier le crédit documentaire alors que les termes du message de cette dernière indiquent clairement qu'un accord en ce sens devait être obtenu du donneur d'ordre ; cependant le comportement de la société Sericom Guinée démontre suffisamment qu'elle a personnellement approuvé cette modification ; que, prévenue suffisamment à l'avance par la société Galion, elle n'a à l'époque formulé aucune protestation pour modifier le prix, mettre fin à l'opération ou empêcher l'embarquement ; dans un courrier du 17 juin 1998, elle ne se plaignait, après la livraison, que de la qualité de la marchandise, selon elle non conforme à sa commande, sans faire allusion à la date de cette livraison ; elle a attendu le 23 juin suivant pour prétendre, de façon tardive et inopérante, qu'elle n'aurait accordé aucune « prolongation de validité » du crédit ;

Les obligations nées du crédit documentaire n'ont donc pas été affectées par la modification du délai de livraison, acceptée par le donneur d'ordre ; aucune faute ne peut être ici reprochée à la Société Générale qui avait l'obligation de poursuivre l'exécution de la convention ;

2° Sur le prétendu défaut de la conformité de la marchandise

La société Sericom Guinée a entendu, par ses instructions des 17 et 23 juin 1998, « bloquer le crédit documentaire », faire « opposition » et interdire à la Société Générale de payer la société FIT tant que le litige qu'elle avait soulevé au sujet de la qualité des marchandises ne serait pas réglé ;

Mais la convention d'ouverture du crédit documentaire a fait naître à la charge de la banque émettrice des obligations non seulement envers le donneur d'ordre, mais encore à l'égard de la bénéficiaire, la société FIT ; son objet essentiel était de procurer à cette dernière une garantie de paiement ;

La mission de vérification confiée à la banque, telle qu'elle découle des Règles et Usances uniformes, se limitait à constater l'apparence de conformité entre les documents transmis par le bénéficiaire et les conditions du crédit ;

La Société Générale a bien examiné les documents en cause puisque, le 16 juin 1998, elle a interrogé la société Sericom Guinée sur deux irrégularités tenant à une erreur de frappe dans le « bill of lading » sur l'adresse de Sericom et à une discordance quant au point de départ de la marchandise ; elle a estimé que ces deux points, d'importance mineure, ne suffisaient pas à justifier le rejet des documents ;

Le bon de livraison permettait d'identifier suffisamment la marchandise, notamment par l'indication de l'expéditeur ; ce document créait une apparence de conformité telle que la Société Générale pouvait estimer ne pas être en droit de le rejeter ;

La banque, tenue de prendre sa décision au seul vu des documents préalablement convenus, n'avait pas à s'assurer de la qualité de la marchandise ; les protestations de la société Sericom Guinée, étrangères aux stipulations de la convention, étaient donc inopérantes et ne permettaient pas à la banque de s'exonérer de son obligation de payer le bénéficiaire ;

S'il est vrai qu'une banque émettrice puisse être déchargée en cas de fraude imputable au bénéficiaire, la fraude suppose la commission de manœuvres délibérées tendant à tromper le cocontractant ; en l'espèce les protestations de la société Sericom Guinée, d'ailleurs dépourvues de toute pièce justificative, se bornaient à l'affirmation selon laquelle les marchandises livrées n'étaient pas conformes à la qualité et au coloris commandés ; de tels propos, relatifs à la mauvaise exécution d'un contrat, n'impliquaient aucune idée de fraude ;

En conséquence la Société Générale n'a commis aucune faute en passant outre la défense de payer opposée par le donneur d'ordre et en réglant la société FIT conformément aux engagements qu'elle avait pris envers elle ;

3° Sur le défaut de quantité allégué

Il est exact que la lettre de commande établie le 16 avril 1998 par la société Sericom Guinée, vise la fourniture de dix « containers » de marchandises tandis que le « bill of lading » produit par le vendeur n'évoque que la livraison de huit « containers », indiqués sous l'abréviation « CTNR » ;

Cependant la responsabilité de la banque ne peut être appréciée qu'au vu des documents ayant servi de base au contrat de crédit documentaire ;

Selon ce contrat, les marchandises financées au moyen de ce crédit étaient les « grès ceram matt-natural » désignés dans la facture proforma n° 204 datée du 9 avril 1998 ; cette facture ne se réfère nullement à la notion de « containers », mais énonce la quantité unitaire des dalles en cause : 1 200 dalles de couleur « Toundra » et 10 800 dalles de couleurs « Lavaredo » ;

La société Sericom Guinée ne produit aucun document relatant le nombre exact de dalles livrées ; le seul fait que la livraison n'ait porté que sur huit « containers » est dépourvu en soi de valeur probante, le nombre de « containers » nécessaire au transport pouvant varier en fonction du mode de conditionnement de la marchandise en cause ;

La désignation de la marchandise, dans le « bill of lading », par référence au nombre et au poids des « containers » n'était pas de nature à entacher ce document d'irrégularité aux yeux de la banque, dès lors que ce mode de transport était conforme aux usages et avait été expressément approuvé par la société Sericom Guinée ;

D'ailleurs cette société n'a d'abord émis aucune protestation relative à la quantité livrée, tant dans ses premiers courriers à la banque que dans un courrier de réclamation adressé le 19 juin 1998 à la société FIT, et a attendu le 23 juin 1998 pour évoquer cette question ;

Aucune faute ne peut là non plus être reprochée à la Société Générale ;

Les demandes de la société Sericom Guinée ne sont donc fondées dans aucune de leurs branches et doivent en conséquence être rejetées ;

Aucune condamnation n'étant prononcée contre la Société Générale, son appel en garantie est ainsi devenu sans objet et doit être rejeté ;

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par courrier du 16 avril 1998, la société de droit guinéen Sericom Guinée a passé commande auprès de la société de droit italien FIT, exerçant le commerce sous l'enseigne Atlantis Sanitary Ware, des fournitures suivantes :

* neuf containers de grès cérame de 1er choix, 30 x 30 cms beige (couleur Lavarido),

* un container de grès cérame de 1er choix, 30 x 30 cms noir (couleur Toundra),

représentant environ 12 000 m2 pour un prix unitaire hors taxes de 25 francs le mètre carré, payable par crédit documentaire à 60 jours à compter de la date d'embarquement, avec validité de 45 jours ;

Le même jour, la société Sericom Guinée a demandé à la banque Société Générale, prise en son agence de Monte-Carlo, de procéder en faveur de la société FIT à l'ouverture d'un crédit documentaire pour un montant de 300 000 francs contre remise de divers documents (facture et colisage en trois exemplaires, deux connaissements originaux pour la banque et un pour le transitaire Galion), les factures et connaissements devant être établis à l'ordre de Sericom Guinée et de Galion ;

Le crédit a été ouvert sous le n° 01504/349 et la somme de 300 000 francs a été réglée le 17 août 1998 à la société FIT par la Société Générale ;

I. Instance engagée par la société Sericom Guinée (instance n° 210 de l'année 1998-1999)

Suivant exploit signifié le 3 novembre 1998, la société Sericom Guinée faisait assigner la Société Générale aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

* la somme de 300 000 francs français susvisée, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ;

* la somme de 50 000 francs français à titre de dommages-intérêts ;

Invoquant des règles et usances uniformes, elle lui reprochait d'avoir procédé au paiement au mépris de son opposition, exprimée à plusieurs reprises et fondée sur diverses irrégularités constitutives de manœuvres frauduleuses : modification des délais de livraison, livraison d'une quantité inférieure à celle commandée, qualité inférieure à celle convenue ; elle faisait valoir que la banque était tenue avant paiement de constater la correcte exécution du contrat et qu'elle ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité en invoquant des instructions données par la société Galion alors que cette dernière, simple transitaire, n'avait reçu aucun mandat ni exprès ni tacite ;

Par conclusions du 17 décembre 1998, la Société Générale sollicitait avant toute défense au fond l'autorisation d'appeler en garantie la société Galion ;

Concluant sur le fond par des écritures déposées le 21 juin 2000, elle s'opposait aux prétentions de la société Sericom Guinée et, subsidiairement, demandait à être relevée de toute condamnation par la société Galion ;

Elle expliquait que le litige entre la société Sericom Guinée et la société FIT, cantonné à la qualité de la marchandise vendue, était indépendant de la réalisation du crédit documentaire et qu'elle était tenue de régler la société venderesse, dès lors que tous les documents concernant le crédit étaient conformes, que la société Sericom Guinée avait implicitement, mais nécessairement, consenti à une modification de la date d'embarquement, qui n'était d'ailleurs pas une condition essentielle de la vente, et qu'elle avait bien reçu livraison de la marchandise ;

II. Appel en garantie formé par la Société Générale (instance n° 657 de l'année 1998-1999)

Autorisée par jugement en date du 18 mars 1999, la Société Générale faisait assigner en garantie la société Galion suivant exploit signifié le 15 avril 1999 ; elle demandait en outre la jonction de cette instance avec celle engagée par la société Sericom Guinée ;

Elle exposait que la société Galion était intervenue, en prenant la qualité de mandataire de la société Sericom Guinée, dans la levée des réserves soulevées avant le paiement et que le paiement avait été la conséquence directe de cette intervention et des instructions qu'elle avait données ;

Par conclusions du 19 janvier 2000, la société Galion demandait le rejet de cet appel en garantie ainsi que la condamnation de la Société Générale à lui payer la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Se présentant comme commissionnaire de transport chargé de procéder à l'enlèvement des marchandises en Italie et à leur transport à destination de Conakry, elle répondait que la Société Générale ne l'avait jamais considérée comme habilitée à lui donner des instructions en vue de la modification du crédit documentaire et a d'ailleurs demandé directement à la société Sericom Guinée son accord pour proroger la date d'expédition ; elle ajoutait que la banque avait elle-même levé les réserves soulevées sur la conformité des documents après avoir reçu des connaissements dûment corrigés ;

Suivant conclusions déposées le 21 juin 2000, la Société Générale reprochait à la société Galion, prise comme mandataire de la société Sericom Guinée, d'avoir commis une faute en laissant embarquer, transporter et réceptionner la marchandise sans l'accord de sa mandante sur une modification de date et en laissant croire à l'acceptation de cette dernière ;

Enfin, par conclusions déposées le 19 décembre 2000, la société Galion exposait que la société Sericom Guinée avait, en les levant pour accéder à la marchandise, accepté les documents et les avait considérés conformes aux stipulations du crédit documentaire ; elle précisait que la contestation élevée le 17 juin 1998 par celle-ci portait non sur les documents mais sur la conformité de la marchandise et en déduisait qu'elle était étrangère à ce litige ;

Sur quoi :

Attendu que les deux instances sont relatives aux mêmes marchandises ; que la question de l'étendue du rôle joué par la société Galion y est pareillement débattue, la Société Générale prétendant en tirer soit une exonération de sa responsabilité soit la justification d'un appel en garantie ; que ce lien de connexité justifie la jonction de ces instances ;

I. Sur les demandes de la société Sericom Guinée

Attendu que l'opération litigieuse est ainsi décrite dans l'avis d'opération émis par la banque en réponse à la demande faite le 16 avril 1998 par la société Sericom Guinée :

* il s'agit bien d'un crédit documentaire qualifié d'irrévocable liant, outre la Société Générale, la société Sericom Guinée, en tant que donneur d'ordre, la société FIT, en tant que bénéficiaire, et la Banca Commerciale Italiana, banquier de la société FIT ;

* le crédit portait sur la somme de 300 000 francs, payable de façon différée 60 jours après la date d'embarquement ;

* des expéditions partielles ou des transbordements n'étaient pas autorisés ;

* la marchandise, décrite par simple renvoi à une facture proforma n° 204 du 9 avril 1998, devait être expédiée au plus tard le 15 mai 1998 ;

* les documents requis pour le paiement, à défaut desquels la banque se trouve déchargée de ses engagements, étaient ainsi désignés en langue anglaise : facture commerciale, document de transport (clean on board marine, bills of lading) et une « packing list » ;

Attendu que la banque se réfère expressément en dernière page, sous forme d'une mention en langue anglaise (« UCP 500 (1993 révision) »), aux Règles et Usances uniformes relatives aux crédits documentaires, édictées par la Chambre de Commerce Internationale ;

Qu'il doit en être déduit que les parties ont ainsi entendu, sauf stipulations contraires et spéciales, incorporer les dispositions de ce texte dans leur convention ;

Attendu que, selon l'article 2 des Règles et Usances, l'expression « crédit documentaire » qualifie tout arrangement en vertu duquel une banque, dite banque émettrice, agissant à la demande et sur instructions d'un client, dit donneur d'ordre :

* est tenue d'effectuer un paiement à un tiers, dit bénéficiaire, ou à son ordre, ou de payer ou accepter des effets de commerce tirés par le bénéficiaire,

* ou autorise une autre banque à effectuer ledit paiement, ou à payer, accepter ou négocier lesdits effets de commerce, contre remise des documents stipulés, pour autant que les conditions du crédit soient respectées ;

Qu'il est précisé que les crédits sont par nature distincts des ventes qui peuvent en former la base (article 3) et que toutes les parties intéressées ont à considérer les documents à l'exclusion des marchandises, services ou autres prestations auxquels ces documents peuvent se rapporter (article 4) ;

Que le crédit irrévocable constitue pour la banque un engagement ferme, si le crédit est réalisable par paiement différé, de payer ou de faire effectuer le paiement à la date ou aux dates déterminables conformément aux stipulations du crédit (article 10) ;

Qu'avant de procéder au paiement, la banque est tenue à certaines vérifications et diligences :

* examiner tous les documents produits avec un soin raisonnable pour s'assurer qu'ils présentent l'apparence de conformité avec les conditions du crédit (article 15) ;

* si ces documents ne présentent pas cette apparence de conformité, décider sur leur seule base, et dans un délai raisonnable, s'il y a lieu de lever les documents ou de les refuser (article 16) ;

Qu'il est encore précisé que la banque n'assume aucune responsabilité quant à la forme, la suffisance, l'exactitude, l'authenticité, la falsification, la portée légale d'aucun document, ni quant à la désignation, la quantité, le poids, la qualité, le conditionnement, l'emballage, la livraison, la valeur ou l'existence des marchandises représentées par un document (article 17) ;

1° Sur la modification du délai de livraison

Attendu que, par un message télécopié du 26 mai 1998 ayant pour objet une « modification » du crédit documentaire, la société Galion a informé ses divers interlocuteurs (société Sericom Guinée, Société Générale) que la marchandise ne serait disponible que dans la semaine et leur demandait de confirmer au fournisseur leur accord pour l'acceptation d'une nouvelle date d'embarquement fixée au plus tard au 5 juin 1998 ;

Que la Société Générale n'a émis que le 8 juin suivant un nouvel avis d'opération relatant un avenant à l'accord initial pour tenir compte de cette nouvelle date d'embarquement et l'a transmis à la société Sericom Guinée en lui demandant de lui en retourner un exemplaire dûment signé pour accord ;

Attendu que la Société Générale ne produit pas cet exemplaire qui n'a manifestement jamais été retourné par la société Sericom Guinée ; qu'elle ne peut sérieusement soutenir que la société Galion pouvait elle-même renégocier le crédit documentaire alors que les termes du message de cette dernière indiquent clairement qu'un accord en ce sens devait être obtenu du donneur d'ordre ; que cependant le comportement de la société Sericom Guinée démontre suffisamment qu'elle a personnellement approuvé cette modification ; que, prévenue suffisamment à l'avance par la société Galion, elle n'a à l'époque formulé aucune protestation pour modifier le prix, mettre fin à l'opération ou empêcher l'embarquement ; que, dans un courrier du 17 juin 1998, elle ne se plaignait, après la livraison, que de la qualité de la marchandise, selon elle non conforme à sa commande, sans faire allusion à la date de cette livraison ; qu'elle a attendu le 23 juin suivant pour prétendre, de façon tardive et inopérante, qu'elle n'aurait accordé aucune « prolongation de validité » du crédit ;

Attendu que les obligations nées du crédit documentaire n'ont donc pas été affectées par la modification du délai de livraison, acceptée par le donneur d'ordre ; qu'aucune faute ne peut être ici reprochée à la Société Générale qui avait l'obligation de poursuivre l'exécution de la convention ;

2° Sur le prétendu défaut de conformité de la marchandise

Attendu que la société Sericom Guinée a entendu, par ses instructions des 17 et 23 juin 1998, « bloquer le crédit documentaire », faire « opposition » et interdire à la Société Générale de payer la société FIT tant que le litige qu'elle avait soulevé au sujet de la qualité des marchandises ne serait pas réglé ;

Mais attendu que la convention d'ouverture du crédit documentaire a fait naître à la charge de la banque émettrice des obligations non seulement envers le donneur d'ordre, mais encore à l'égard de la bénéficiaire, la société FIT ; que son objet essentiel était de procurer à cette dernière une garantie de paiement ;

Attendu que la mission de vérification confiée à la banque, telle qu'elle découle des Règles et Usances uniformes, se limitait à constater l'apparence de conformité entre les documents transmis par le bénéficiaire et les conditions du crédit ;

Attendu que la Société Générale a bien examiné les documents en cause puisque, le 16 juin 1998, elle a interrogé la société Sericom Guinée sur deux irrégularités tenant à une erreur de frappe dans le « bill of lading » sur l'adresse de Sericom et à une discordance quant au point de départ de la marchandise ; qu'elle a estimé que ces deux points, d'importance mineure, ne suffisait pas à justifier le rejet des documents ;

Attendu que le bon de livraison permettait d'identifier suffisamment la marchandise, notamment par l'indication de l'expéditeur ; que ce document créait une apparence de conformité telle que la Société Générale pouvait estimer ne pas être en droit de le rejeter ;

Que la banque, tenue de prendre sa décision au seul vu des documents préalablement convenus, n'avait pas à s'assurer de la qualité de la marchandise ; que les protestations de la société Sericom Guinée, étrangères aux stipulations de la convention, étaient donc inopérantes et ne permettaient pas à la banque de s'exonérer de son obligation de payer le bénéficiaire ;

Que s'il est vrai qu'une banque émettrice puisse être déchargée en cas de fraude imputable au bénéficiaire, la fraude suppose la commission de manœuvres délibérées tendant à tromper le cocontractant ; qu'en l'espèce les protestations de la société Sericom Guinée, d'ailleurs dépourvues de toute pièce justificative, se bornaient à l'affirmation selon laquelle les marchandises livrées n'étaient pas conformes à la qualité et aux coloris commandés ; que de tels propos, relatifs à la mauvaise exécution d'un contrat, n'impliquaient aucune idée de fraude ;

Attendu en conséquence que la Société Générale n'a commis aucune faute en passant outre la défense de payer opposée par le donneur d'ordre et en réglant la société FIT conformément aux engagements qu'elle avait pris envers elle ;

3° Sur le défaut de quantité allégué

Attendu qu'il est exact que la lettre de commande établie le 16 avril 1998 par la société Sericom Guinée vise la fourniture de dix « containers » de marchandises tandis que le « bill of lading » produit par le vendeur n'évoque que la livraison de huit « containers », indiqués sous l'abréviation « CTNR » ;

Attendu cependant que la responsabilité de la banque ne peut être appréciée qu'au vu des documents ayant servi de base au contrat de crédit documentaire ;

Que selon ce contrat, les marchandises financées au moyen de ce crédit étaient les « grès ceram matt-natural » désignés dans la facture proforma n° 204 datée du 9 avril 1998 ; que cette facture ne se réfère nullement à la notion de « containers », mais énonce la quantité unitaire des dalles en cause : 1 200 dalles de couleur « Toundra » et 10 800 dalles de couleurs « Lavaredo » ;

Attendu que la société Sericom Guinée ne produit aucun document relatant le nombre exact de dalles livrées ; que le seul fait que la livraison n'ait porté que sur huit « containers » est dépourvu en soi de valeur probante, le nombre de « containers » nécessaire au transport pouvant varier en fonction du mode de conditionnement de la marchandise en cause ;

Attendu que la désignation de la marchandise, dans le « bill of lading », par référence au nombre et au poids des « containers » n'était pas de nature à entacher ce document d'irrégularité aux yeux de la banque, dès lors que ce mode de transport était conforme aux usages et avait été expressément approuvé par la société Sericom Guinée ;

Que d'ailleurs cette société n'a d'abord émis aucune protestation relative à la quantité livrée, tant dans ses premiers courriers à la banque que dans un courrier de réclamation adressé le 19 juin 1998 à la société FIT, et a attendu le 23 juin 1998 pour évoquer cette question ;

Attendu qu'aucune faute ne peut là non plus être reprochée à la Société Générale ;

Attendu que les demandes de la société Sericom Guinée ne sont donc fondées dans aucune de leurs branches et doivent en conséquence être rejetées ;

II. Sur l'appel en garantie formé par la Société Générale contre la société Galion

Attendu qu'aucune condamnation n'étant prononcée contre la Société Générale, son appel en garantie est ainsi devenu sans objet et doit être rejeté ;

Attendu que cet appel n'a pour seul fondement que la faute qu'aurait commise la société Galion en laissant partir la marchandise malgré une modification de la date d'embarquement convenue et en laissant la banque croire à une acceptation de cette modification de la part du destinataire ;

Attendu qu'il a été démontré plus haut que la banque n'a pas considéré à l'époque des faits que la société Galion avait été pourvue par la société Sericom Guinée du mandat de consentir en son nom à un avenant au crédit documentaire par la modification de cette date ; qu'elle a au contraire pris la précaution de solliciter l'accord de la société Sericom Guinée ;

Attendu que la société Galion n'a à aucun moment entretenu la confusion sur l'étendue de ses pouvoirs ;

Attendu que la Société Générale, en fondant son appel en garantie sur des moyens contredits par son propre comportement et ainsi manifestement dépourvus de sérieux, a commis une faute et a obligé la société Galion à engager des frais pour assurer sa défense en justice ; que ce préjudice justifie réparation sous forme d'une indemnité de 10 000 francs eu égard aux éléments d'appréciation dont le Tribunal dispose ;

Et attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens de l'instance, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ; que les dépens de l'instance n° 210 doivent être mis à la charge de la société Sericom Guinée, tandis que ceux de l'appel en garantie doivent incomber à la Société Générale ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Ordonne la jonction des instances respectivement enregistrées sous les numéros 210 et 657 de l'année 1998-1999 ;

Déboute la société Sericom Guinée de l'ensemble de ses demandes ;

Rejette l'appel en garantie formé par la Société Générale contre la société Galion ;

Condamne la Société Générale à payer à la société Galion la somme de dix mille francs (10 000 francs) à titre de dommages-intérêts ;

Composition

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Blot, Escaut, av. déf. ; Mullot, av. ; Franck, av. bar. de Nice.

Note

Ce jugement est devenu définitif.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26970
Date de la décision : 01/03/2001

Analyses

Opérations bancaires et boursières ; Responsabilité (Banque, finance)


Parties
Demandeurs : Société Sericom Guinée
Défendeurs : Société Générale

Références :

article 231 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2001-03-01;26970 ?

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