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18/01/2001 | MONACO | N°26967

Monaco | Tribunal de première instance, 18 janvier 2001, Consorts C. c/ C.


Abstract

Responsabilité civile

Notaire - Obligation de conseil, d'assistance, d'information envers son client. - Indications erronées données par le notaire quant au montant du taux de la TVA à acquitter lors de la mise en vente d'un bien immobilier, avant le délai de conservation de trois ans - Préjudice équivalant à la différence entre la somme payée au fisc et celle indiquée par le notaire - Lien de causalité établi entre faute et préjudice d'où responsabilité du notaire

Résumé

Il est constant qu'après avoir acquis le 27 mai 1988 un bien immobi

lier sis à Monaco, sous l'empire de la loi n° 1044 du 8 juillet 1982, et bénéficié ainsi d...

Abstract

Responsabilité civile

Notaire - Obligation de conseil, d'assistance, d'information envers son client. - Indications erronées données par le notaire quant au montant du taux de la TVA à acquitter lors de la mise en vente d'un bien immobilier, avant le délai de conservation de trois ans - Préjudice équivalant à la différence entre la somme payée au fisc et celle indiquée par le notaire - Lien de causalité établi entre faute et préjudice d'où responsabilité du notaire

Résumé

Il est constant qu'après avoir acquis le 27 mai 1988 un bien immobilier sis à Monaco, sous l'empire de la loi n° 1044 du 8 juillet 1982, et bénéficié ainsi de l'exonération des droits d'enregistrement, les époux C. ont entendu conserver ledit bien dans leur patrimoine personnel et renoncer de ce fait au statut de marchand de biens ;

Interrogée le 13 mai 1993 par Maître C., notaire, sur le montant des sommes à acquitter du fait de la modification des engagements originaires des époux C., la direction des services fiscaux lui répondait le 18 mai 1993 que le montant des droits d'enregistrement s'élevait bien à la somme de 450 000 francs, et lui notifiait également que les époux C. ne seraient déchargés du paiement de la TVA que dans la mesure où ils conserveraient leur bien pendant une période de trois ans à compter du 27 mai 1993 ;

Les faits tels qu'exposés par les époux C. ne sont pas contestés par Maître C., à savoir que ce dernier a été approché par les demandeurs aux fins de connaître le montant du taux de TVA à acquitter pour le cas où le bien immobilier, dont s'agit, serait mis en vente avant l'expiration du délai précité, fixé par la direction des services fiscaux ;

Maître C. ne conteste pas avoir alors indiqué aux époux C. que ce montant s'élèverait à la somme de 157 708,52 francs ;

Ce montant s'est avéré en définitive erroné, dès lors qu'il a été réclamé aux vendeurs une somme de 530 842,52 francs, à la suite de la vente de leur bien intervenue le 20 décembre 1995 ;

Maître C., qui réfute toutefois le principe d'une responsabilité qui pourrait être retenue à son encontre, soutient que les époux C. ont été contraints à la vente de leur bien du fait des difficultés financières, et ce, indépendamment du montant à reverser au service administratif concerné ;

Cet argument ne fait pas disparaître la faute du notaire, telle qu'alléguée par les demandeurs ; il tend seulement à dénier tout lien de causalité entre ladite faute et le préjudice subi ;

En effet, il pèse sur le notaire une obligation de conseil, d'assistance et d'information du client, dont la preuve de l'accomplissement lui incombe ;

En l'espèce, en fournissant à ses clients une indication erronée sur le montant des droits à acquitter en cas de vente de leur bien, Maître C. a manqué à son obligation d'information et de conseil, en ne procédant pas aux vérifications nécessaires pour assurer l'information exacte de ses clients ;

À cet égard, il ne tente pas de démontrer qu'il s'est rapproché de la direction des services fiscaux - ainsi qu'il l'avait fait en 1993 - pour connaître les frais que les époux C. auraient à engager en cas de vente de leur bien avant le 27 mai 1996 ;

Dès lors, la faute de Maître C., tenu professionnellement d'éclairer ses clients sur les conséquences des conventions qu'ils pourraient être amenés à passer, apparaît caractérisée en l'espèce ;

S'agissant du lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué par les demandeurs, il est constant que les époux C. auraient été exonérés du paiement de la TVA en cas de vente de leur bien immobilier après le 27 mai 1996 ;

Il ne peut être soutenu que les époux C. se sont trouvés dans l'obligation de vendre leur bien avant la date précitée, quelles que soient les indications du notaire sur le montant des droits au titre de la TVA, dès lors qu'il résulte des pièces versées aux débats qu'aucune mesure d'exécution forcée n'avait été engagée par les banques bénéficiant d'une inscription hypothécaire sur le bien dont s'agit, étant relevé que la vente de ce bien aurait permis de faire face aux dettes contractées ;

Le lien de causalité entre la faute du notaire et le préjudice allégué apparaît en conséquence suffisamment démontré par les circonstances de l'espèce ;

Enfin, quant au préjudice des époux C., celui-ci doit être à l'évidence estimé à la différence entre la somme effectivement payée de 530 842,52 francs et celle qu'ils s'attendaient à acquitter de 157 708,52 francs, soit une somme de 373 134 francs ;

Il y a donc lieu de condamner Maître C. au paiement de cette somme de 373 134 francs, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement, les époux C. ne rapportant pas la preuve d'un paiement intervenu à la date du 20 décembre 1995.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par acte du 27 mai 1988, I. et E. C. se sont portés acquéreurs des lots n° B9 et C9 dépendant de l'immeuble dénommé H., sis à Monaco, sous le régime spécifique de marchands de biens ;

Désireux de conserver ce bien dans leur patrimoine personnel, les époux C. se sont alors rapprochés des services fiscaux monégasques afin d'acquitter les droits d'enregistrement afférents, soit une somme de 450 000 francs versée par l'intermédiaire du notaire Maître C. ;

Les services fiscaux indiquaient aux époux C. qu'ils devaient, pour être libérés de leurs engagements, et notamment de la TVA, conserver ce bien dans leur patrimoine personnel jusqu'au 27 mai 1996 ;

Avant l'expiration de ce délai, les époux C. ont interrogé leur notaire, Maître C., afin de connaître le montant des droits qu'ils auraient à acquitter s'ils ne respectaient pas l'engagement imposé par l'administration, et il leur était répondu que le montant de la TVA s'élèverait à la somme de 157 708,52 francs ;

Décidant de vendre le bien précité le 20 décembre 1995, ils apprenaient alors que le montant de la TVA à régler devait en réalité s'élever à la somme de 530 842,52 francs ;

Selon exploit du 18 février 1999, les époux C. ont alors fait assigner Maître C., aux fins de voir le Tribunal dire et juger qu'ils n'ont consenti à la vente de leur bien immeuble que sur la base des indications erronées du montant des droits à acquitter au titre de la TVA données par le notaire, et que celui-ci est responsable de cette fausse indication sur la base de laquelle les époux C. n'ont pas respecté le délai imparti par l'administration ;

Ils estiment que la faute du notaire se caractérise par la fourniture d'un faux renseignement quant au montant des droits à acquitter, et par la rédaction et la signature d'une nouvelle déclaration portant le montant réel de la somme à payer, laquelle ne leur a pas été soumise ;

Ils sollicitent la condamnation de Maître C. à les indemniser de l'intégralité du préjudice subi, soit la différence entre la somme payée et celle qu'ils étaient d'accord d'acquitter, soit 373 134 francs avec intérêts de droit à compter du paiement, en décembre 1995, outre celle de 80 000 francs à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et frais engagés, le tout avec le bénéfice de l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Maître C. conclut pour sa part au rejet des demandes des époux C., en observant que suite à la revente de leur appartement en décembre 1995, ceux-ci ne se sont jamais prévalus de la faute du notaire ;

Il expose également qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la faute prétendue et le préjudice, dès lors que les époux C. ont été contraints de se séparer de leur bien pour des raisons de conjoncture et de difficultés financières sans pouvoir attendre l'expiration du délai de trois ans, et ce, indépendamment du montant de TVA à acquitter ;

Sur ce :

Attendu qu'il est constant qu'après avoir acquis le 27 mai 1988 un bien immobilier sis à Monaco, sous l'empire de la loi n° 1044 du 8 juillet 1982, et bénéficié ainsi de l'exonération des droits d'enregistrement, les époux C. ont entendu conserver ledit bien dans leur patrimoine personnel et renoncer de ce fait au statut de marchand de biens ;

Qu'interrogée le 13 mai 1993 par Maître C., notaire, sur le montant des sommes à acquitter du fait de la modification des engagements originaires des époux C., la direction des services fiscaux lui répondait le 18 mai 1993 que le montant des droits d'enregistrement s'élevait bien à la somme de 450 000 francs, et lui notifiait également que les époux C. ne seraient déchargés du paiement de la TVA que dans la mesure où ils conserveraient leur bien pendant une période de trois ans à compter du 27 mai 1993 ;

Attendu que les faits tels qu'exposés par les époux C. ne sont pas contestés par Maître C., à savoir que ce dernier a été approché par les demandeurs aux fins de connaître le montant du taux de TVA à acquitter pour le cas où le bien immobilier dont s'agit serait mis en vente avant l'expiration du délai précité fixé par la direction des services fiscaux ;

Que Maître C. ne conteste pas avoir alors indiqué aux époux C. que ce montant s'élèverait à la somme de 157 708,52 francs ;

Attendu que ce montant s'est avéré en définitive erroné, dès lors qu'il a été réclamé aux vendeurs une somme de 530 842,52 francs, à la suite de la vente de leur bien intervenue le 20 décembre 1995 ;

Attendu que Maître C., qui réfute toutefois le principe d'une responsabilité qui pourrait être retenue à son encontre, soutient que les époux C. ont été contraints à la vente de leur bien du fait de difficultés financières, et ce, indépendamment du montant à reverser au service administratif concerné ;

Attendu que cet argument ne fait pas disparaître la faute du notaire telle qu'alléguée par les demandeurs ; qu'il tend seulement à dénier tout lien de causalité entre ladite faute et le préjudice subi ;

Attendu en effet, qu'il pèse sur le notaire une obligation de conseil, d'assistance et d'information du client, dont la preuve de l'accomplissement lui incombe ;

Attendu qu'en l'espèce, en fournissant à ses clients une indication erronée sur le montant des droits à acquitter en cas de vente de leur bien, Maître C. a manqué à son obligation d'information et de conseil en ne procédant pas aux vérifications nécessaires pour assurer l'information exacte de ses clients ;

Qu'à cet égard, il ne tente pas de démontrer qu'il s'est rapproché de la direction des services fiscaux - ainsi qu'il l'avait fait en 1993 - pour connaître les frais que les époux C. auraient à engager en cas de vente de leur bien avant le 27 mai 1996 ;

Que dès lors, la faute de Maître C., tenu professionnellement d'éclairer ses clients sur les conséquences des conventions qu'ils pourraient être amenés à passer, apparaît caractérisée en l'espèce ;

Attendu, s'agissant du lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué par les demandeurs, qu'il est constant que les époux C. auraient été exonérés du paiement de la TVA en cas de vente de leur bien immobilier après le 27 mai 1996 ;

Attendu qu'il ne peut être soutenu que les époux C. se sont trouvés dans l'obligation de vendre leur bien avant la date précitée, quelles que soient les indications du notaire sur le montant des droits au titre de la TVA, dès lors qu'il résulte des pièces versées aux débats qu'aucune mesure d'exécution forcée n'avait été engagée par les banques bénéficiant d'une inscription hypothécaire sur le bien dont s'agit, étant relevé que la vente de ce bien aurait permis de faire face aux dettes contractées ;

Que rien ne permet de justifier, à l'exception du montant limité de la taxe à acquitter, la vente dudit bien en décembre 1995, alors qu'à peine cinq mois plus tard, les époux C. auraient été exonérés du paiement de cette taxe ;

Attendu que le lien de causalité entre la faute du notaire et le préjudice allégué apparaît en conséquence suffisamment démontré par les circonstances de l'espèce ;

Attendu enfin, quant au préjudice des époux C., que celui-ci doit être à l'évidence estimé à la différence entre la somme effectivement payée de 530 842,52 francs et celle qu'ils s'attendaient à acquitter de 157 708,52 francs, soit une somme de 373 134 francs ;

Qu'il y a donc lieu de condamner Maître C. au paiement de cette somme de 373 134 francs, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement, les époux C. ne rapportant pas la preuve d'un paiement intervenu à la date du 20 décembre 1995 ;

Attendu par ailleurs que la résistance fautive du notaire ayant contraint les époux C. à engager des frais pour faire valoir leurs droits en justice justifie la condamnation du défendeur au paiement d'une somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts, étant par ailleurs observé que les époux C. ne donnent au tribunal aucun élément permettant d'apprécier le préjudice moral invoqué ;

Attendu que la demande tendant à voir ordonner l'exécution provisoire du présent jugement n'est pas justifiée au regard des dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile ;

Et attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens de l'instance, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit et juge que Maître L.-C. C., ancien notaire, a commis une faute professionnelle à l'égard des époux C. ;

Le condamne à payer aux époux C. la somme de 373 134 francs, montant des causes susénoncées, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement, outre celle de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla, Escaut, av. déf. ; Gallo, av. bar. de Marseille.

Note

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'appel du 7 janvier 2003.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26967
Date de la décision : 18/01/2001

Analyses

Civil - Général ; Professions - général


Parties
Demandeurs : Consorts C.
Défendeurs : C.

Références :

article 202 du Code de procédure civile
article 231 du Code de procédure civile
loi n° 1044 du 8 juillet 1982


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2001-01-18;26967 ?

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