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02/11/2000 | MONACO | N°26824

Monaco | Tribunal de première instance, 2 novembre 2000, Société C. c/ Société M. et Cie


Abstract

Marques de fabrique

Protection - Enregistrement international : valant dépôt à Monaco - Dépôt effectué avant tout usage - Déposant titulaire de la marque - Application de la loi monégasque n° 1058 du 10 juin 1983 - Notoriété de la marque établie - Possibilité de confusion (non) - Non-existence d'une faute d'agissements concurrentiels, d'un préjudice

Résumé

Il doit au préalable être relevé que la Société C. a obtenu l'enregistrement régulier au Bureau International de l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle (OMPI) institu

é par la Convention de Stockholm du 14 juillet 1967 rendue exécutoire à Monaco des marques suiv...

Abstract

Marques de fabrique

Protection - Enregistrement international : valant dépôt à Monaco - Dépôt effectué avant tout usage - Déposant titulaire de la marque - Application de la loi monégasque n° 1058 du 10 juin 1983 - Notoriété de la marque établie - Possibilité de confusion (non) - Non-existence d'une faute d'agissements concurrentiels, d'un préjudice

Résumé

Il doit au préalable être relevé que la Société C. a obtenu l'enregistrement régulier au Bureau International de l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle (OMPI) institué par la Convention de Stockholm du 14 juillet 1967 rendue exécutoire à Monaco des marques suivantes : le 7 juin 1993, sous le numéro 601789, la marque dénominative « Allure » pour la classe 3, le 24 mars 1997, sous le numéro 670700, la marque tridimensionnelle « Allure Chanel » pour la classe 3. Du fait même de tels enregistrements internationaux, la marque « Allure » est dispensée pour sa protection sur le territoire monégasque du dépôt prévu par l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, et ce, dès lors que cette loi interne est primée par le traité international dénommé « Arrangement de Madrid » concernant l'enregistrement international des marques du 14 avril 1891, exécutoire à Monaco depuis le 18 mars 1975 et auquel la Principauté avait adhéré à partir du 29 avril 1956.

Il s'ensuit qu'il doit être reconnu à la marque « Allure » par application de l'article 4.1 de l'arrangement de Madrid susvisé, la même protection à Monaco que si cette marque y avait été directement déposée.

Par ailleurs, le dépôt de ces marques antérieurement à tout usage qui aurait pu en être effectué par autrui - caractérise le premier usage de celle-ci par le déposant, tel que le requiert le législateur monégasque pour la détermination des titulaires de marques.

La Société C. doit, dès lors, être considérée comme ayant été la propriétaire de la marque « Allure » dès avant sa reproduction par la société défenderesse, laquelle n'allègue pas au demeurant, l'avoir utilisée antérieurement au dépôt précité.

Il est non moins constant que le principe de l'indépendance des marques résultant de la Convention de Paris du 20 mars 1883 (article 6 bis) rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance souveraine n° 5687 du 29 octobre 1975 conduit à reconnaître la compétence des lois de chacun des pays de l'union concernés, et en l'occurrence la loi monégasque, s'agissant notamment des conditions et des effets de la protection qu'elle assure.

Il ressort à cet égard des dispositions de l'article 5 de la loi n° 1058 que l'action en annulation de dépôt ou interdiction d'usage s'avère réservée au seul titulaire d'une marque « notoirement connue » ; or il est constant et au demeurant nullement contesté que les marques dénominatives « Allure » et tridimensionnelle « Allure Chanel » dont est titulaire la société C., jouissent d'une réputation presque mondiale et s'imposent depuis au moins deux ans hors de leur pays d'origine et d'un cercle d'usagers habituels en touchant une clientèle internationale et diversifiée.

À cet égard : en ce qui concerne le flacon de parfum il est patent que les boîtes d'emballage, la forme du flacon, les couleurs des eaux de toilette sont distinctes et que les marques dénominatives figurant sur les boîtes sont dissemblables (« L'Allure Monte-Carlo » pour l'une, « Allure Chanel » pour l'autre) et ce avec utilisation de caractères typographiques différents. Il doit en outre être observé que le mot « Allure » est un simple nom commun qui caractérise une marque générique ou « faible » perdant son individualité dans l'expression « L'Allure Monte-Carlo » ; ce groupe nominal a en effet un sens et un caractère distinctif propre, indépendant de chacun de ses composants ; s'agissant de surcroît d'un commerce de vêtement, la terminologie dont s'agit revêt un pouvoir évocateur très significatif, le chaland ayant le sentiment - s'il y acquiert des articles d'avoir l'allure des résidents de Monte-Carlo.

La lettre « L » située devant le nom commun et l'adjonction de Monte-Carlo apparaissent tout à fait déterminants, en sorte que la marque « L'Allure Monte-Carlo » ne constitue pas la contrefaçon alléguée, aucun risque de confusion n'étant susceptible de naître dans l'esprit du public entre les deux marques, en raison de leur signification respective.

En ce qui concerne l'enseigne et les autres articles vestimentaires saisis, il y a lieu de déterminer si la société G. M. et Cie s'est rendue coupable d'une contrefaçon en apposant le nom commun « Allure » au-dessus de sa vitrine comme sur divers vêtements.

À cet égard force est de constater que la possibilité de confusion ne saurait être appréciée, indépendamment du domaine d'utilisation de chacune des marques, ce qui conduit le Tribunal à relever que la société G. M. et Cie exploite à Monaco sous la dénomination sociale « A. S. H. » un commerce de vêtements et articles divers relevant de la classe 25 des produits et services auxquels s'appliquent les marques de fabrique (ressort de l'ordonnance n° 7802 du 21 septembre 1983 contenant cette classification) alors que le dépôt effectué par la société C. n'a été effectué que pour la classe 3 (parfums et cosmétiques).

Il doit en être déduit que l'emploi du terme « Allure » appartenant au langage courant et de surcroît approprié au secteur de la confection - n'a pas pu induire en erreur ni influencer un client moyennement avisé. En effet, le droit privatif des titulaires de marques ne saurait avoir pour résultat de s'opposer à l'usage des termes usuels de la langue française par des tiers exerçant de surcroît dans d'autres secteurs d'activité.

En conséquence l'usage du nom commun « Allure » par la société G. M. et Cie, revendeur de vêtements, n'apparaît pas répréhensible, ni constitutif de la contrefaçon alléguée.

Si l'action en contrefaçon sanctionne l'atteinte à un droit privatif de la marque protégée, l'action en concurrence déloyale sanctionne un comportement fautif et suppose pour sa mise en œuvre, outre la constatation d'une faute caractérisée par l'emploi d'un procédé déloyal, également l'existence d'un préjudice.

Le cumul de ces deux actions s'avère donc possible et constitue une garantie supplémentaire quand le droit d'un titulaire de marque n'est pas reconnu.

Il appartient à la société C. de démontrer l'existence de faits distincts, au regard desquels la défenderesse pourrait se voir reprocher les manœuvres et agissements déloyaux destinés à accaparer sa propre clientèle. En l'occurrence force est cependant de constater que la société demanderesse reproche à la société défenderesse les mêmes faits pour en déduire l'existence d'agissements parasitaires.

En outre, la marque « Allure » de la société C., n'ayant acquis sa notoriété que pour les articles de parfumerie de la classe 3 et la société M. n'offrant au public que des produits vestimentaires - à l'exception de quelques flacons de parfum revêtus d'une dénomination autonome et donnés à titre promotionnel - la situation de concurrence n'apparaît pas établie en l'espèce.

Il s'ensuit que la société C. qui n'établit, ni l'existence d'une faute, ni celle d'une situation concurrentielle et donc d'un possible préjudice, doit également être déboutée des fins de son action en concurrence déloyale.

Motifs

Le tribunal,

Considérant les faits suivants :

La société par actions simplifiée C. - exerçant notamment son activité dans les secteurs de la haute-couture, prêt à porter, bijouterie et création de parfums a obtenu l'enregistrement auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle des marques tridimensionnelles « Allure » (n° 670 700) le 24 mars 1997 et de la marque dénominative « Allure » le 7 juin 1993 (n° 601 789) ;

Ayant appris qu'une société en commandite simple G. M. et Cie exploitait en Principauté de Monaco un fonds de commerce sous l'enseigne « A. S. H. » où elle commercialisait notamment une eau de toilette dénommée « L'Allure Monte-Carlo », la société C. déposait une requête aux fins de saisie-contrefaçon le 5 janvier 1999 ;

Suivant ordonnance du 7 janvier 1999, le Président du Tribunal de première instance autorisait la société C. à faire procéder par tout huissier de son choix à la constatation de l'atteinte éventuellement portée à ses droits, quant aux marques faisant l'objet des enregistrements précités, dans les locaux exploités par la société G. M. et Cie ;

Un procès-verbal de constat dressé le 16 février 1999 permettait de constater que l'enseigne du magasin portait la dénomination « Allure » et que plusieurs flacons de parfum dénommés « L'Allure Monte-Carlo » étaient commercialisés ; la saisie de divers articles était alors opérée, conformément à l'ordonnance susvisée ;

Par exploit du 1er mars 1999, la société C. faisait alors assigner la société G. M. et Cie à l'effet de voir :

* constater l'acte de contrefaçon commis par celle-ci en application de la loi du 10 juin 1983 ;

* prononcer l'interdiction immédiate dès le prononcé du jugement à intervenir de tout usage de produits utilisant la marque « Allure » et de toute autre marque déposée par la société C. ;

* condamner la requise au paiement de la somme de 500 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'ensemble des agissements de la société requise ;

* ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux laissés au choix de la requérante et aux frais de la requise ;

* ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir conformément aux dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, sous astreinte non comminatoire de 5 000 francs par jour de retard ;

* condamner la requise aux entiers dépens ;

Au soutien de telles prétentions, la société C. fait pour l'essentiel valoir :

* qu'en suite des enregistrements auprès de l'OMPI, elle détient la propriété exclusive de la marque « Allure » ;

* que les investigations effectuées par l'huissier ont permis de caractériser les faits de contrefaçon de cette marque, ou à tout le moins son imitation illicite et frauduleuse ;

* que la confusion en résultant dans l'esprit de la clientèle est génératrice d'un préjudice considérable qu'elle entend voir réparer par l'octroi de dommages-intérêts ;

* que l'interdiction corrélative de tout usage de produits revêtus de la marque « Allure » doit être prononcée ;

La société G. M. et Cie conclut pour sa part principalement à l'irrecevabilité de la demande pour défaut de qualité pour agir ;

Elle indique à cet égard que le dépôt dont s'agit a été effectué par la société anonyme C. dont le siège social est à Neuilly, alors que l'action est introduite par la société anonyme par actions simplifiée C., dont le siège est à Paris, en sorte que la demanderesse n'est pas la société déposante et n'aurait donc pas qualité pour agir ;

La défenderesse conclut subsidiairement au rejet de l'action au fond en invoquant les arguments suivants :

* la marque déposée par la société C., soit « Allure », l'a été uniquement dans la classe 3 (savons, cosmétiques, parfumerie, ...) alors que la saisie a concerné des articles de la classe 25 (vêtements, chaussures, ...) relevant de l'activité de la société G. M. et Cie ;

* s'agissant des flacons de parfum, la comparaison avec le parfum de la société C. permet de relever de nombreuses différences (forme, couleur, flacons et bouchons, typographie de la boîte) outre la mention d'une marque distincte : « L'Allure Monte-Carlo » n'étant pas « Allure Chanel » ;

* la marque « Allure » perd son individualité au sein de la dénomination « L'Allure Monte-Carlo » - et ce, compte tenu de la théorie du tout indivisible - et caractérise de surcroît une marque faible restant utilisable par un magasin de vêtements ;

* les noms de Monte-Carlo ou Monaco ont en revanche un caractère fort et attractif sur la clientèle ;

La société G. M. et Cie estime en définitive que la procédure initiée à son encontre est particulièrement abusive, dans la mesure où divers articles, non protégés par la classe de dépôt, avaient été saisis ; en réparation du préjudice commercial et moral qui en est pour elle résulté, la défenderesse sollicite l'octroi d'une somme de 500 000 francs de dommages-intérêts ;

Après avoir rectifié une erreur matérielle inhérente à l'adresse du siège social de la société C. - lequel est en fait situé à Neuilly sur Seine, et non à Paris - la demanderesse expose qu'une modification de sa forme juridique est intervenue le 24 décembre 1998, la société C. devenant la société par actions simplifiée C., en sorte que la personne morale s'est poursuivie et avait bien qualité pour agir ;

Ladite société répond aux divers arguments de la société G. M. et Cie en invoquant les moyens suivants :

* le mot « Allure » est selon elle, tout à fait déterminant en ce qu'il constitue l'entière dénomination de la marque déposée, l'adjonction des termes « Monte-Carlo » ne constituant qu'un élément accessoire de la localisation et le « L' » qu'un artifice de détail ;

* le comportement de la société défenderesse caractérise en outre l'attitude fautive et déloyale susceptible de créer une certaine confusion dans l'esprit de la clientèle, au regard de laquelle elle apparaît fondée à agir en concurrence déloyale sur le fondement des dispositions de l'article 1229 du Code civil ;

* en matière d'enseigne, cette faute est aussi patente, étant précisé que le nom commercial de la défenderesse est « A. S. H. » et que l'enseigne extérieure se résume au seul mot « Allure » ;

* quant aux agissements parasitaires dont s'est rendue coupable la société G. M. et Cie :

• l'huissier instrumentaire a pu saisir deux K-way brodés au nom de « Allure » et quatre casquettes portant la même dénomination, outre divers autocollants ;

• la faute commise par la société G. M. et Cie est dès lors caractérisée dans le sens où apparaît sa volonté de tirer parti de la renommée acquise par la marque « Allure » et d'exploiter sans droit la notoriété attachée à celle-ci du fait de sa filiation à la marque « Chanel » ;

* l'équivoque ainsi créée dans l'esprit du public est génératrice du préjudice ;

La société G. M. et Cie - tout en constatant que la demanderesse ajoute à son action initiale en contrefaçon une action en concurrence déloyale - observe liminairement que si un tel cumul est théoriquement possible, les deux actions doivent néanmoins reposer sur des faits distincts, étant rappelé que l'action en concurrence déloyale exige une faute, alors que l'action en contrefaçon sanctionne l'atteinte à un droit privatif ;

Elle relève qu'en l'occurrence, l'action en contrefaçon devait s'imposer compte tenu, tant du droit de propriété de la marque déposée, que l'absence de clientèle commune entre les deux sociétés ;

La société G. M. et Cie indique enfin que les flacons de parfum sont des objets promotionnels offerts à la clientèle et qui ne sont vendus qu'à titre exceptionnel et sur demande expresse d'un client n'achetant rien d'autre ;

Par d'ultimes écrits judiciaires, la société G. M. porte à la connaissance du Tribunal la délibération prise par l'assemblée générale du 16 août 2000, aux termes de laquelle a été décidée sa mise en liquidation amiable (avis au Journal de Monaco du 6 octobre 2000) ;

Sur ce :

I. - En la forme :

Attendu qu'invoquant l'indication d'une ville erronée comme lieu du siège social de la société C. - soit Paris et non Neuilly sur Seine - la société défenderesse en déduit la nullité de l'exploit d'assignation du 1er mars 1999 ;

Attendu qu'il doit toutefois être observé que la demanderesse a reconnu et rectifié cette erreur purement matérielle par conclusions du 13 octobre 1999 et que la désignation de la société C. se trouvait suffisamment explicite, en l'état des mentions de son nom et de sa forme juridique, comme du numéro et de l'avenue de son siège social ;

Attendu que les dispositions de l'article 136-2° du Code de procédure civile apparaissent donc avoir été respectées, étant en outre observé que le Bureau International de l'OMPI a pris acte le 26 avril 1999 de la modification de la forme juridique de la société anonyme C., devenue société par actions simplifiée C. ;

Attendu que la société demanderesse « continue » donc bien la personne morale dépositaire de la marque « Allure » et apparaît fondée à solliciter la protection instaurée par la loi n° 1058 du 10 juin 1983 au bénéfice des propriétaires de marques ;

Attendu qu'il convient par ailleurs de donner acte à la société G. M. et Cie de sa mise en liquidation amiable à compter du 16 août 2000, étant observé que cette personne morale se poursuit pour les besoins de sa liquidation et que le liquidateur désigné est son représentant légal, G. M. ;

II. - Au fond :

1 - Sur l'action en contrefaçon :

Attendu qu'il doit au préalable être relevé que la société C. a obtenu l'enregistrement régulier au Bureau International de l'Organisation Mondiale de la Propriété Industrielle institué par la Convention de Stockholm du 14 juillet 1967 rendue exécutoire à Monaco des marques suivantes :

* le 7 juin 1993, sous le numéro 601 789, la marque dénominative Allure pour la classe 3,

* le 24 mars 1997, sous le numéro 670 700, la marque tridimensionnelle Allure Chanel pour la classe 3 ;

Attendu que du fait même de tels enregistrements internationaux la marque « Allure » précédemment évoquée est dispensée pour sa protection sur le territoire Monégasque du dépôt prévu par l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, et ce, dès lors que cette loi interne est primée par le Traité International dénommé « Arrangement de Madrid » concernant l'enregistrement international des marques du 14 avril 1891, exécutoire à Monaco depuis le 18 mars 1975 et auquel la Principauté avait adhéré à partir du 29 avril 1956 ;

Qu'il s'ensuit qu'il doit être reconnu à la marque « Allure » - par application de l'article 4-1 de l'Arrangement de Madrid susvisé - la même protection à Monaco que si cette marque y avait été directement déposée ;

Attendu par ailleurs, que le dépôt de ces marques - antérieurement à tout usage qui aurait pu en être effectué par autrui - caractérise le premier usage de celle-ci par le déposant, tel que le requiert le législateur monégasque pour la détermination des titulaires des marques ; que la société C. doit dès lors être considérée comme ayant été la propriétaire de la marque « Allure » dès avant sa reproduction par la société défenderesse, laquelle n'allègue au demeurant pas l'avoir utilisée antérieurement au dépôt précité ;

Attendu qu'il est au moins constant que le principe de l'indépendance des marques résultant de la Convention de Paris du 20 mars 1883 (article 6 bis) - rendue exécutoire à Monaco par l'ordonnance souveraine n° 5687 du 29 octobre 1975 - conduit à reconnaître la compétence des lois de chacun des pays de l'Union concernés, et en l'occurrence la loi monégasque, s'agissant notamment des conditions et des effets de la protection qu'elle assure ;

Attendu qu'il ressort à cet égard des dispositions de l'article 5 de la loi n° 1058 que l'action en annulation de dépôt ou interdiction d'usage s'avère réservée au seul titulaire d'une marque « notoirement connue » ; qu'il est à cet égard constant - et au demeurant nullement contesté - que les marques dénominatives « Allure » et tridimensionnelle « Allure Chanel », dont est titulaire la société C., jouissent d'une réputation presque mondiale et s'imposent depuis au moins deux ans hors de leur pays d'origine et d'un cercle d'usagers habituels en touchant une clientèle internationale et diversifiée ;

Attendu que la demande en interdiction d'usage - qui n'est pas soumise à une condition de délai - et qui apparaît dès lors recevable en la forme doit pour prospérer concerner une marque « susceptible de créer une confusion » avec celle antérieurement déposée ;

Attendu qu'il est à cet égard patent :

A. - En ce qui concerne le flacon de parfum :

* que les boîtes d'emballage C. et M. ont - à l'exception d'un liseré entourant la boîte - des couleurs et matières distinctes ;

* que le flacon et son bouchon ont une forme et une matière différente (bouchon en métal pour C. et plastique pour l'autre) ;

* que les couleurs des deux eaux de toilette ne sont pas identiques (bleu-vert pour la société M. et paille s'agissant de la société C.) ;

* que les marques dénominatives figurant sur les boîtes sont dissemblables (« L'Allure Monte-Carlo pour l'une, Allure Chanel pour l'autre) et ce, avec l'utilisation de caractères typographiques distincts ;

Attendu qu'il doit en outre être observé que le mot Allure est un simple nom commun, qui caractérise une marque générique ou » faible « perdant son individualité dans l'expression : » L'Allure Monte-Carlo « ; que ce groupe nominal a en effet un sens et un caractère distinctif propre, indépendant de chacun de ses composants ;

Que s'agissant de surcroît d'un commerce de vêtements, la terminologie dont s'agit revêt un pouvoir évocateur très significatif, le chaland ayant le sentiment - s'il y acquiert des articles

* d'avoir l'allure des résidents de Monte-Carlo ;

Qu'à cet égard, la lettre » L' « située devant le nom commun et l'adjonction de Monte-Carlo à sa suite apparaissent tout à fait déterminants, en sorte que la marque » L'Allure Monte-Carlo « ne constitue pas la contrefaçon alléguée, aucun risque de confusion n'étant susceptible de naître dans l'esprit du public entre les deux marques, en raison de leur signification respective ;

B. - En ce qui concerne l'enseigne et les autres articles vestimentaires saisis :

Attendu que la contrefaçon étant également constituée en cas de reproduction d'une marque à titre d'enseigne, il y a lieu de déterminer si la société G. M. et Cie s'est rendue coupable de tels agissements en apposant le nom commun » Allure « au-dessus de sa vitrine, comme au demeurant sur divers vêtements (2 K-Way et 4 casquettes saisies, outre des étiquettes et des autocollants) ;

Attendu à cet égard, que force est de constater que la possibilité de confusion ne saurait être appréciée indépendamment du domaine d'utilisation de chacune des marques, ce qui conduit le Tribunal à relever que la société G. M. et Cie exploite à Monaco sous la dénomination sociale » A. S. H. « un commerce de vêtements et articles divers relevant de la classe 25 des produits et services auxquels s'appliquent les marques de fabrique (ressortant de l'ordonnance n° 7802 du 21 septembre 1983 contenant cette classification), alors que le dépôt effectué par la société C. n'a été effectué que pour la classe 3 (parfums et cosmétiques) ;

Qu'il doit en être déduit que l'emploi du terme » Allure « - appartenant au langage courant et de surcroît approprié au secteur de la confection - n'a pas pu induire en erreur ni influencer un client moyennement avisé ;

Attendu en effet que le droit privatif des titulaires de marques ne saurait avoir pour résultat de s'opposer à l'usage des termes usuels de la langue française par des tiers exerçant de surcroît dans d'autres secteurs d'activité ;

Attendu en conséquence que l'usage du nom commun » Allure « par la société G. M. et Cie revendeur de vêtements n'apparaît pas répréhensible, ni constitutif de la contrefaçon alléguée ;

Attendu qu'il y a donc lieu de débouter la société C. des fins de son action en contrefaçon dirigée contre la société G. M. et Cie ;

2. Sur l'action en concurrence déloyale :

Attendu que l'action en contrefaçon sanctionne l'atteinte à un droit privatif de la marque protégée, alors que l'action en concurrence déloyale sanctionne un comportement fautif et suppose pour sa mise en œuvre, outre la constatation d'une faute caractérisée par l'emploi d'un procédé déloyal, également l'existence d'un préjudice ;

Attendu que le cumul des deux actions s'avère donc possible et constitue une garantie supplémentaire quand le droit d'un titulaire de marque n'est pas reconnu ;

Attendu qu'il convient de constater en l'espèce que le droit de la société C. à bénéficier de la protection légale instituée par la loi n° 1058 a été précédemment consacré par cette juridiction mais que celle-ci n'a pas obtenu gain de cause dans le cadre de son action en contrefaçon, à défaut de toute atteinte effective à ses droits privatifs (aucun risque de confusion) ;

Attendu dès lors, qu'il appartient à la société C. de démontrer l'existence de faits distincts, au regard desquels la défenderesse pourrait se voir reprocher des manœuvres et agissements déloyaux destinés à accaparer sa propre clientèle ;

Qu'en l'occurrence, force est cependant de constater que la société demanderesse reproche à la société G. M. et Cie les mêmes faits pour en déduire l'existence d'agissements parasitaires ;

Attendu en outre, que la marque » Allure " de la société C. n'ayant acquis sa notoriété que pour les articles de parfumerie de la classe 3 et la société G. M. n'offrant au public que des produits vestimentaires - à l'exception de quelques flacons de parfum revêtus d'une dénomination autonome et donnés à titre promotionnel - la situation de concurrence n'apparaît pas établie en l'espèce ;

Qu'il s'ensuit que la société C. - qui n'établit ni l'existence d'une faute, ni celle d'une situation concurrentielle et donc d'un possible préjudice - doit également être déboutée des fins de son action en concurrence déloyale ;

Attendu que la société C. doit en définitive être déboutée de l'ensemble de ses prétentions et de ses demandes accessoires en interdiction d'usage de la marque et de publication du jugement ;

Qu'il convient également de la débouter des fins de sa demande en dommages-intérêts pour les motifs ci-dessus énoncés inhérents à l'absence de tout préjudice ;

Que l'exécution provisoire du présent jugement demandée par la société C. n'a pas lieu d'être ordonnée ;

Attendu, sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts, que la société G. M. et Cie ayant dû se défendre en justice et ayant éprouvé un incontestable préjudice moral du fait de la saisie effectuée dans son commerce, il y a lieu de faire droit en partie à sa demande et de lui allouer une somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Et attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal statuant contradictoirement,

* Déclare valable l'exploit d'assignation du 1er mars 1999 et recevable l'action introduite par la société par actions simplifiée C. ;

* Donne acte à la société en commandite simple G. M. et Cie et sa mise en liquidation amiable à compter du 16 août 2000 ;

* Déboute la société C. des fins de l'action en contrefaçon dirigée à rencontre de la société G. M. et Cie ;

* la déboute également des fins de son action en concurrence déloyale ;

* Déboute la société C. du surplus de ses demandes ;

Faisant droit à la demande reconventionnelle de la société G. M. et Cie,

Condamne la société C. à lui payer la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Composition

Mme Gambarini, prem. v. prés. ; Melle Lelay prem. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli, Licari av. déf. ; Marquet av. stag.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26824
Date de la décision : 02/11/2000

Analyses

Marques et brevets ; Atteintes à la concurrence et sanctions


Parties
Demandeurs : Société C.
Défendeurs : Société M. et Cie

Références :

article 3 alinéa 2 de la loi n° 1058 du 10 juin 1983
article 136-2° du Code de procédure civile
ordonnance souveraine n° 5687 du 29 octobre 1975
loi n° 1058 du 10 juin 1983
article 1229 du Code civil
ordonnance du 7 janvier 1999
ordonnance n° 7802 du 21 septembre 1983
loi du 10 juin 1983
article 202 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2000-11-02;26824 ?

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