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14/10/1999 | MONACO | N°26748

Monaco | Tribunal de première instance, 14 octobre 1999, État de Monaco c/ Société G.-A., G.-A., S.


Abstract

Sociétés commerciales

Société en commandite - Obligation de l'associé commanditaire - Réaliser et maintenir son apport - Contribuer aux dettes de la société à hauteur de son apport - Inopposabilité au créancier de la société de conventions contraires à cette obligation - Action oblique du créancier contre l'associé commanditaire

Résumé

L'État de Monaco, se trouvant, après résiliation du bail consenti à la société en commandite simple, dénommée SCS G.-A. et Compagnie créancier d'une somme de 176 495 F au 30 juin 1997 (arriéré de

loyers, charges) a assigné en paiement celle-ci et sa gérante Mme G.-A. ainsi que M. S. associé comm...

Abstract

Sociétés commerciales

Société en commandite - Obligation de l'associé commanditaire - Réaliser et maintenir son apport - Contribuer aux dettes de la société à hauteur de son apport - Inopposabilité au créancier de la société de conventions contraires à cette obligation - Action oblique du créancier contre l'associé commanditaire

Résumé

L'État de Monaco, se trouvant, après résiliation du bail consenti à la société en commandite simple, dénommée SCS G.-A. et Compagnie créancier d'une somme de 176 495 F au 30 juin 1997 (arriéré de loyers, charges) a assigné en paiement celle-ci et sa gérante Mme G.-A. ainsi que M. S. associé commanditaire lequel, selon les statuts constitutifs du 26 octobre 1995, publiés au répertoire du commerce et de l'industrie le 23 février 1996, devait apporter 150 000 F représentant la moitié du capital social.

L'État ayant pratiqué une saisie-arrêt à l'encontre de M. S., limitée au montant de l'apport, celui-ci s'est opposé à la demande en paiement et a sollicité la mainlevée de cette mesure, au motif qu'il avait cédé à son associée l'intégralité des parts, qu'il n'avait accompli aucun acte de gestion, de sorte que conformément aux articles 33 et 35 du Code de commerce, il n'est tenu des dettes sociales qu'à concurrence de son apport et ne peut être poursuivi sur son patrimoine personnel.

Ceci étant, les articles 1683 du Code civil et 30 du Code de commerce font obligation à l'associé commanditaire de contribuer par son apport à la constitution du capital social, indispensable à l'existence même et au crédit de la société ; l'article 1693 du Code civil frappe de nullité les stipulations qui affranchiraient de toute contribution aux pertes les sommes mises dans le fonds de la société par un ou plusieurs associés.

Ces principes d'ordre public interdisent notamment qu'un associé soit dispensé de réaliser son apport ou en obtienne restitution et rendent en conséquence inopposables aux créanciers toutes les conventions entre associés, même postérieures à la constitution de la société qui auraient pour effet soit de décharger l'un d'eux de son obligation d'apport, soit, en lui attribuant des sommes excédant le montant des bénéfices, de réduire le capital social tout en lui permettant d'échapper à toute obligation au passif.

Les créanciers peuvent en pareil cas exercer à la place de la société, contre l'associé, une action en paiement de l'apport, conformément à l'article 1021 du Code civil, ou agir pour faire annuler la restitution consentie en fraude de leurs droits, en vertu de l'article 1022 du même code.

En outre, l'article 33 du Code de commerce, en rendant l'associé commanditaire passible envers eux des pertes de la société jusqu'à concurrence des fonds qu'il a mis ou aurait dû mettre dans la société, leur confère, dans cette limite, le droit d'agir directement contre lui pour le paiement des créances dont le capital social aurait dû constituer le gage.

Il appartient à M. S., en application de l'article 1162 précité d'apporter la preuve qu'il s'est bien acquitté de cette somme ; malgré l'absence de quittance de paiement dans les statuts, il n'offre pas d'en justifier ; la défaillance immédiate de la société incapable de verser le moindre loyer depuis sa constitution, permet au contraire de présumer que la société n'a jamais disposé du capital prévu.

Cette carence dans la réalisation de son apport suffit à rendre M. J.-L. S. personnellement débiteur à hauteur de 150 000 francs envers l'État de Monaco qui peut agir directement contre lui.

À supposer que l'apport ait été réalisé, l'allégation selon laquelle il aurait cédé ses parts à son associée est inopérante ; il n'est pas justifié en effet que cette cession ait donné lieu à l'accomplissement des formalités de publicité prévues par la loi n° 1.144 du 16 juillet 1991, de sorte qu'aux termes mêmes des statuts (art. 9), elle n'a pas pris effet et n'est pas opposable aux tiers.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

La société en commandite simple G.-A. et Cie a été constituée à Monaco le 26 octobre 1995 entre D. G.-A., associée commanditée et gérante, et J.-L. S., associé commanditaire ;

Par une convention du 22 décembre 1995, dûment enregistrée, l'État de Monaco lui a accordé la jouissance à titre précaire et révocable :

• d'un local à usage de bureau, sis ..., identifié sous le n° 51080 B ;

• moyennant une redevance annuelle de 72 325 francs, toutes taxes comprises, révisée de plein droit au 1er janvier de chaque année en fonction de la variation de l'indice dit des « 265 postes » publié par l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), payable par trimestrialités et d'avance les 1er janvier, 1er avril, 1er juillet et 1er octobre de chaque année ;

• et moyennant le paiement des charges locatives, payables par acomptes provisionnels aux mêmes échéances ;

À la suite de la défaillance de la société, l'État de Monaco lui faisait signifier le 1er décembre 1997 un commandement de payer ; puis elle obtenait le 18 mai 1998 une ordonnance de référé par laquelle le Président du Tribunal de Première Instance constatait la résiliation de la convention et ordonnait, à défaut de libération volontaire dans les 15 jours de la signification, l'expulsion de la société ;

Par exploits des 23 février et 11 mai 1999, l'État de Monaco faisait assigner à la fois la société G.-A. et ses deux associés en paiement des sommes suivantes, avec intérêt de droit :

• au titre de l'arriéré des loyers, charges et indemnités d'occupation échus à la date de libération des lieux, soit le 6 juillet 1998........................ 177 724,15 francs

• à titre de dommages-intérêts, compte tenu de leur résistance abusive, la somme de............................ 20 000 francs

• et sollicitait le prononcé de l'exécution provisoire ;

En outre, autorisé par une ordonnance du 7 mai 1999, il faisait pratiquer le 11 mai suivant entre les mains du Crédit Foncier de Monaco, par le ministère de Maître Claire Notari, huissier de justice, une saisie-arrêt, à concurrence de 150 000 francs, contre J.-L. S. et le faisait assigner en validité de cette mesure d'exécution forcée ;

Le tiers-saisi faisait connaître le 19 mai que le compte saisi-arrêté présentait un solde créditeur suffisant au paiement de cette somme ;

Ni la société G.-A., ni D. G.-A. n'ont conclu ;

Seul J.-L. S., par conclusions déposées les 1er juillet et 21 septembre 1999, s'est opposé aux demandes formées contre lui et a sollicité, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, outre la mainlevée de la saisie, la condamnation de l'État à lui verser une indemnité de 50 000 francs ; il fait valoir :

• qu'il a cédé à son associée, en mai 1997, l'intégralité de ses parts dans la société ;

• que, simple associé commanditaire, il a réalisé ses apports et n'a accompli aucun acte de gestion, de sorte que, conformément aux articles 33 et 35 du Code de commerce, il n'est tenu des dettes sociales qu'à concurrence de ces apports et ne peut être poursuivi sur son patrimoine personnel ;

Par conclusions du 3 août 1999, l'État de Monaco précise le fondement juridique de sa demande ; estimant que J.-L. S. n'a pas rempli ses obligations envers la société en s'abstenant de contribuer au passif social, l'État prétend exercer contre lui, à la place de la gérante, une action oblique pour réclamer sa participation aux pertes, au moins à hauteur de ses apports ;

À titre subsidiaire, il considère la cession de parts comme inopposable aux tiers, à défaut des formalités légales de publicité ; à supposer que J.-L. S. puisse apporter la preuve de cette cession, il devrait alors être considéré comme un associé commanditaire n'ayant pas libéré son apport et pourrait être directement poursuivi ;

J.-L. S. et l'État ont sollicité la jonction des deux instances ; l'État demande, à titre subsidiaire, qu'il soit sursis à statuer pour lui permettre d'appeler en intervention forcée, sur la saisie-arrêt, la gérante de la société ;

Sur ce :

Sur la jonction :

Attendu que les deux instances enregistrées sous les n° 639 et 677 de 1999 visent les mêmes parties, sont fondées sur la même cause et tendent essentiellement aux mêmes fins ; qu'il convient pour une bonne administration de la Justice d'en ordonner la jonction ;

Sur la créance de l'État de Monaco :

Attendu qu'il résulte des actes dressés par Maître Notari, huissier de justice, que la gérante de la société G.-A. n'a remis les clés du local à l'Administration des Domaines qu'après une vaine tentative d'expulsion du 25 juin 1998 ; qu'un état des lieux a pu être établi en sa présence le 6 juillet 1998 ;

Attendu que la société a ainsi occupé les lieux loués entre le 1er janvier 1996 et la date de restitution des clés, qui sera arrêtée au 30 juin 1998 ; qu'elle est tenue au paiement :

• pour la période ayant couru jusqu'à la constatation judiciaire de la résiliation du contrat, de la redevance convenue et des charges ;

• pour la période ultérieure, d'une indemnité d'occupation que le Tribunal estime devoir fixer à un montant égal à celui de l'ancien loyer et des charges ;

Attendu que, selon l'article 1162 du Code civil, il appartient à celui qui se prétend libéré d'une obligation d'apporter la preuve du paiement ; que ni la société, ni ses associés ne justifient d'un quelconque paiement depuis leur entrée dans les lieux, malgré les multiples mises en demeure adressées depuis juin 1997 ;

Qu'au vu des décomptes fournis, en s'arrêtant à la date du 30 juin, la créance s'élève à la somme de 176 495 francs ;

Que ces sommes doivent porter intérêt au taux légal :

• à hauteur de 138 801 francs, à compter du premier décembre 1997, date du commandement de payer ;

• sur le surplus, à partir de la date d'exigibilité de chaque terme ;

Sur les débiteurs :

1° La société et sa gérante

Attendu que l'obligation à la dette de la société et de D. G.-A., associée commanditée et responsable dans les termes de l'article 30 du Code de commerce, n'est pas contestable ;

2° J.-L. S.

Attendu que les articles 1683 du Code civil et 30 du Code de commerce font obligation à l'associé commanditaire de contribuer par son apport à la constitution du capital social, indispensable à l'existence même et au crédit de la société ; que l'article 1693 du Code civil frappe de nullité les stipulations qui affranchiraient de toute contribution aux pertes les sommes mises dans le fonds de la société par un ou plusieurs des associés ;

Attendu que ces principes d'ordre public interdisent notamment qu'un associé soit dispensé de réaliser son apport ou en obtienne restitution et rendent en conséquence inopposables aux créanciers toutes les conventions entre associés, même postérieures à la constitution de la société, qui auraient pour effet :

• soit de décharger l'un d'eux de son obligation d'apport,

• soit, en lui attribuant des sommes excédant le montant des bénéfices, de réduire le capital social tout en lui permettant d'échapper à toute obligation au passif ;

Attendu que les créanciers peuvent en pareil cas exercer à la place de la société, contre l'associé, une action en paiement de l'apport, conformément à l'article 1021 du Code civil, ou agir pour faire annuler la restitution consentie en fraude de leurs droits, en vertu de l'article 1022 du même code ;

Qu'en outre, l'article 33 du Code de commerce, en rendant l'associé commanditaire passible envers eux des pertes de la société jusqu'à concurrence des fonds qu'il a mis ou aurait dû mettre dans la société, leur confère, dans cette limite, le droit d'agir directement contre lui pour le paiement des créances dont le capital social aurait dû constituer le gage ;

Attendu qu'aux termes des statuts de la société, portés dans un acte reçu le 26 octobre 1995 par Maître Aureglia, notaire, et publié seulement le 23 février 1996 au répertoire du commerce et de l'industrie, J.-L. S. devait apporter, en tant qu'associé commanditaire, une somme en espèces de 150 000 francs correspondant à la moitié du capital social ;

Attendu qu'il lui appartient, en application de l'article 1162 précité, d'apporter la preuve qu'il s'est bien acquitté de cette somme ; que, malgré l'absence de quittance de paiement dans les statuts, il n'offre pas d'en justifier ; que la défaillance immédiate de la société, incapable de verser le moindre loyer depuis sa constitution, permet au contraire de présumer que la société n'a jamais disposé du capital prévu ; que cette carence dans la réalisation de son apport suffit à rendre J.-L. S. personnellement débiteur à hauteur de 150 000 francs envers l'État de Monaco qui peut agir directement contre lui ;

Attendu, à supposer que l'apport ait été réalisé, que son allégation selon laquelle il aurait cédé ses parts à son associée est inopérante ; qu'il n'est pas justifié en effet que cette cession ait donné lieu à l'accomplissement des formalités de publicité prévues par la loi n° 1144 du 16 juillet 1991, de sorte qu'aux termes mêmes des statuts (article 9), elle n'a pas pris effet et n'est pas opposable aux tiers ;

Que, surabondamment, on doit signaler que la cession serait assimilable à une restitution illicite de l'apport si le prix des parts avait été prélevé sur le capital de la société ;

Sur la saisie-arrêt :

Attendu que J.-L. S. est bien débiteur envers l'État de Monaco ; que, limitée à la somme de 150 000 francs, la saisie pratiquée le 11 mai 1999 entre les mains du Crédit Foncier de Monaco n'excède pas le montant de la créance ;

Que sa régularité formelle n'est pas discutée ;

Attendu qu'elle doit être déclarée valable et produire tous ses effets ;

Attendu qu'aucune faute ni aucun abus ne peuvent être reprochés à l'État de Monaco dans l'exercice de cette mesure d'exécution forcée ; que la demande de dommages-intérêts présentée par J.-L. S. doit en conséquence être rejetée ;

Attendu que les défendeurs, en dépit de multiples rappels et mises en demeure, n'ont formulé aucune proposition de paiement et ont préféré laisser s'accroître le montant de leur dette ; que, par cette négligence fautive, ils ont contraint l'État de Monaco à exposer des frais pour ester contre eux en justice ; que ce préjudice justifie réparation sous la forme d'une indemnité de 20 000 francs, eu égard aux éléments d'appréciation dont le tribunal dispose ;

Attendu que la cause ne fait apparaître aucune urgence au sens de l'article 202 du Code de procédure civile ; qu'il n'y a pas à lieu à exécution provisoire ;

Attendu qu'il y a lieu de mettre les dépens du présent jugement à la charge des défendeurs qui succombent, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal statuant par jugement réputé contradictoire

Ordonne la jonction entre les instances enregistrées sous les n° 639 et 677 de 1999 ;

Dit que la créance de l'État de Monaco à l'égard de la société SCS G.-A., au titre de la convention passée le 22 décembre 1995, s'élève à la somme de cent soixante seize mille quatre cent quatre vingt quinze francs (176 495 francs), avec intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 1997 sur la somme de 138 801 francs et à compter de la date d'exigibilité de chaque terme sur le surplus des redevances, indemnités d'occupation et charges dues ;

Condamne solidairement la société en commandite simple SCS G.-A., D. G.-A. et J.-L. S. à payer à l'État de Monaco la somme de cent cinquante mille francs (150 000 francs), avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

Condamne solidairement la société en commandite simple SCS G.-A. et D. G.-A. à payer à l'État le surplus de cette créance, soit vingt six mille quatre cent quatre vingt quinze francs (26 495 francs) outre les intérêts échus à la date du présent jugement ;

Condamne solidairement la société en commandite simple SCS G.-A., D. G.-A. et J.-L. S. à payer à l'État de Monaco la somme de vingt mille francs (20 000 francs) à titre de dommages-intérêts ;

Déclare régulière et valide la saisie-arrêt formée par l'État de Monaco selon exploit du 11 mai 1999, pour le montant susvisé de 150 000 francs, majoré des frais et intérêts ;

Dit que le Crédit foncier de Monaco se libérera valablement des sommes qu'il détient pour le compte de J.-L. S. par le versement qu'il en opérera entre les mains de l'État de Monaco ;

Rejette toutes autres demandes ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Rey, Gardetto, Pastor, av. déf. ; Gorra, av. bar. de Nice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26748
Date de la décision : 14/10/1999

Analyses

Dirigeant et associé ; Baux


Parties
Demandeurs : État de Monaco
Défendeurs : Société G.-A., G.-A., S.

Références :

article 202 du Code de procédure civile
articles 33 et 35 du Code de commerce
article 30 du Code de commerce
article 33 du Code de commerce
loi n° 1144 du 16 juillet 1991
article 1693 du Code civil
loi n° 1.144 du 16 juillet 1991
Code de commerce
article 1162 du Code civil
article 1021 du Code civil
ordonnance du 7 mai 1999
articles 1683 du Code civil
article 231 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1999-10-14;26748 ?

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