La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/07/1999 | MONACO | N°26704

Monaco | Tribunal de première instance, 1 juillet 1999, SA Crédit Lyonnais c/ Cts M.


Abstract

Action paulienne

Conditions d'exercice

- Acte attaqué : donation

- Fraude du débiteur

- Préjudice du créancier : appauvrissement du patrimoine du débiteur

- Créance certaine, liquide

- Antériorité de la créance par rapport à l'acte

- Preuve de la complicité du donataire non nécessaire

Inopposabilité de l'acte du créancier

Résumé

En exerçant en vertu de l'article 1022 du Code civil l'action paulienne, le créancier peut, en son nom personnel, attaquer les actes faits par son débiteur en fraud

e de ses droits ; le créancier supporte toutefois la charge d'établir, en particulier, l'existence, au jour de l'acte d'un principe ...

Abstract

Action paulienne

Conditions d'exercice

- Acte attaqué : donation

- Fraude du débiteur

- Préjudice du créancier : appauvrissement du patrimoine du débiteur

- Créance certaine, liquide

- Antériorité de la créance par rapport à l'acte

- Preuve de la complicité du donataire non nécessaire

Inopposabilité de l'acte du créancier

Résumé

En exerçant en vertu de l'article 1022 du Code civil l'action paulienne, le créancier peut, en son nom personnel, attaquer les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits ; le créancier supporte toutefois la charge d'établir, en particulier, l'existence, au jour de l'acte d'un principe certain de créance, de l'insolvabilité au moins apparente du débiteur, et de la conscience de celui-ci de causer un préjudice au créancier en appauvrissant son patrimoine.

En l'espèce, il apparaît qu'à la date d'échéance de la convention de découvert d'un compte, consenti par la banque, les époux M. ne lui avaient pas remboursé le montant du prêt, que dix-sept jours avant cette échéance, Mme M. avait fait donation du seul bien immobilier dont elle disposait alors que les deux époux n'étaient pas en mesure de faire face au montant de leur dette.

Il s'ensuit que la fraude paulienne résulte de la conscience qu'avait nécessairement la donatrice, dix-sept jours avant la date d'échéance du prêt du préjudicier aux droits du Crédit Lyonnais en soustrayant de son patrimoine, sans contrepartie, un élément essentiel.

Enfin, lorsque l'acte frauduleux est passé à titre gratuit, l'action paulienne est recevable contre l'acquéreur, que celui-ci soit de bonne ou de mauvaise foi, la preuve de la complicité des donataires n'étant pas nécessaire.

L'action engagée par le Crédit Lyonnais étant bien fondée, l'acte de donation doit lui être déclaré inopposable.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par acte sous seing privé en date du 27 septembre 1994, J. M. et J. G. épouse M. ont souscrit auprès de la banque Crédit Lyonnais une demande de découvert en compte courant pour une somme de 300 000 francs, qu'ils s'engageaient à rembourser dans le délai d'une année, au plus tard ;

Il était précisé par les époux M. que ce découvert était destiné à financer d'importants travaux dans leur propriété de ... ;

Les époux M. avaient présenté à la banque, au soutien de leur demande, un relevé de l'ensemble de leurs biens immobiliers et véhicules, en indiquant que certains de ces immeubles, à savoir un chalet situé à ... et une propriété sise à ..., faisaient l'objet d'un mandat de vente ; ils déclaraient à cet égard que le produit de la vente du chalet, estimé à la somme de 1 700 000 francs, serait affecté au remboursement du prêt consenti par le Crédit Lyonnais ;

Les époux M. n'ayant pas remboursé le montant du prêt à son échéance du 30 septembre 1995, un second découvert était alors autorisé par la banque le 29 février 1996, pour un montant de 330 000 francs, mais avec prise d'une inscription d'hypothèque en second rang sur la propriété de ..., dont le prix de vente était estimé a la somme de 2 200 000 francs ; une convention de compte courant avec affectation hypothécaire de second rang était alors conclue entre les parties le même jour ;

Par lettre du 6 mars, le Crédit Lyonnais se mettait en rapport avec un notaire pour prendre la garantie ainsi accordée, lequel exposait à la banque que l'état hypothécaire qui lui avait été délivré le 10 mai 1996 faisait apparaître que la propriété de ... était grevée de plusieurs inscriptions ;

Ayant eu connaissance que le 13 septembre 1995, quelques jours avant l'échéance du 30 septembre 1995, J. M. avait fait donation à ses deux filles, S. et S. de la nue-propriété d'un appartement sis à Monaco, dont elle avait elle-même reçu donation de sa grand mère le 23 juin 1992, le Crédit Lyonnais a, par acte du 9 septembre 1997, fait assigner J. M. et J. G. épouse M., ainsi que leurs deux filles S. et S. M., à l'effet d'exercer l'action paulienne prévue par l'article 1022 du Code civil ;

Le Crédit Lyonnais expose en effet que lors de l'échéance du prêt au mois de septembre 1995, les époux M. ont commencé à organiser leur insolvabilité en cédant les parts sociales qu'ils détenaient dans la SCI Arimo, propriétaire d'un appartement à Beausoleil, et en faisant donation de l'appartement précité à leurs deux enfants ;

Il demande donc au Tribunal de dire et juger que sa créance est liquide, certaine et exigible, et antérieure à l'acte de donation frauduleux du 13 septembre 1995, lequel doit lui être déclaré inopposable ;

Il conclut qu'à défaut, pour les époux M., de rembourser la dette envers la banque, s'élevant au 30 avril 1997 à la somme de 364 086,74 francs, sauf à parfaire au jour du paiement, ainsi qu'aux dommages-intérêts et frais dans le mois du jugement à intervenir, il sera procédé à la vente aux enchères publiques du bien dont s'agit sur une mise à prix correspondant au montant de la créance en principal, intérêts et frais dans les formes prescrites par la loi ;

Enfin, le Crédit Lyonnais sollicite la condamnation des époux M., conjointement et solidairement, à lui payer la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour sanctionner leurs agissements frauduleux, le tout avec le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Les époux M. rétorquent que la demande du Crédit Lyonnais présentée sur le fondement de l'article 1022 du Code civil doit être rejetée, aux motifs qu'il ne rapporte pas la preuve que l'acte de mutation querellé a été établi en fraude de ses droits, et notamment que « les tiers », à savoir S. et S. M., ont eu connaissance que l'acte était destiné à frauder le créancier ;

Ils précisent avoir toujours agi de bonne foi et n'avoir pas cherché à organiser leur insolvabilité, alors de surcroît qu'il appartenait à la banque d'inscrire l'hypothèque dont elle bénéficiait dès le mois de février 1996, d'autant que le bien dont s'agit n'était grevé que d'une seule inscription ;

Ils concluent en définitive au débouté de la banque de l'ensemble de ses prétentions ;

L'établissement bancaire Crédit Lyonnais fait valoir que la mauvaise foi des débiteurs est suffisamment caractérisée par le fait qu'ils n'ont jamais révélé l'existence de l'appartement, objet de la donation, et qu'il est d'évidence que les inscriptions d'hypothèques judiciaires ont été prises et les poursuites de saisie immobilière diligentées antérieurement à leur offre de consentir la prétendue garantie en faveur de la banque ;

Il soutient enfin que la fraude paulienne résulte de la seule connaissance qu'a le débiteur du préjudice causé au créancier par l'acte litigieux, ce qui apparaît, selon lui, suffisamment démontré en l'espèce ;

Par d'ultimes écrits judiciaires, les époux M. reprochent à la banque sa carence coupable depuis 1994 à se constituer des garanties sur les biens alors en possession de ses débiteurs, en garantie du découvert consenti, et à présenter un nouveau contrat aux défendeurs en février 1996, malgré leur demande de prorogation antérieure, causant ainsi l'aggravation de ses clients en concourant à leur appauvrissement par le prélèvement injustifié d'agios à un taux usuraire ;

SUR CE :

Attendu qu'en exerçant, en vertu de l'article 1022 du Code civil, l'action paulienne, le créancier peut, en son nom personnel, attaquer les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits ;

Que le créancier supporte toutefois la charge d'établir, en particulier, l'existence, au jour de l'acte, d'un principe certain de créance, de l'insolvabilité au moins apparente du débiteur, et de la conscience de celui-ci de causer un préjudice au créancier en appauvrissant son patrimoine ;

Attendu qu'en l'espèce, il résulte de la convention de découvert en compte autorisée par le Crédit Lyonnais aux époux M. le 27 septembre 1994, que le montant du découvert de 300 000 francs devait être remboursé au plus tard le 30 septembre 1995 ;

Qu'aux fins de l'obtention de ce découvert, les époux M. ont produit une estimation de la valeur de leur patrimoine, faisant état notamment d'un chalet à ... et d'une propriété à ..., sans toutefois faire état de la nue-propriété de l'appartement dont C. T. avait fait donation à sa petite-fille, J. M. le 23 juin 1992, tout en se réservant l'usufruit de ce bien ;

Attendu à cet égard, qu'il convient de rappeler que l'exercice de l'action paulienne n'est pas subordonné à la constitution de sûretés antérieurement à l'acte d'appauvrissement ;

Que l'on ne saurait faire grief à la banque d'avoir à l'époque négligé de prendre des inscriptions hypothécaires sur les biens ainsi déclarés par les débiteurs ;

Attendu qu'il est constant, et non contesté par les parties, qu'à la date d'échéance de la convention de découvert le 30 septembre 1995, les époux M. n'ont pas remboursé le montant du prêt ; Qu'il est tout aussi constant qu'au moment de l'acte de donation de l'appartement susvisé le 13 septembre 1995, dont J. M. était devenue propriétaire en pleine propriété du fait du décès de sa grand-mère le 22 novembre 1996, au profit de ses deux filles, la créance de la banque existait d'ores et déjà en son principe ;

Qu'il apparaît donc que le Crédit Lyonnais disposait bien à l'égard des époux M., antérieurement à l'acte de donation du 13 septembre 1995, d'un principe certain de créance ;

Attendu, par ailleurs, que les époux M. ne contestent pas que le chalet qu'ils possédaient à ..., l'appartement situé à ... dont ils étaient propriétaires au travers d'une société Arimo, et la propriété de ... ont été chacun vendus, pour la plupart aux enchères ; Qu'à cet égard, le Tribunal remarque que lors de la conclusion de la deuxième convention de découvert avec la banque le 29 février 1996, les époux M., qui ont consenti une hypothèque en second rang sur le bien sis à ..., ne pouvaient alors ignorer faire l'objet dans le même temps de poursuites devant le Tribunal de Grande Instance de Nice par suite une inscription hypothécaire judiciaire qui a été ensuite réalisée le 20 mars 1996.

Attendu qu'en l'état, le seul bien immobilier dont disposent désormais les époux M., - plus précisément J. M. - réside en l'appartement de Monaco, objet de la donation du 13 septembre 1995 ; Que les débiteurs n'apparaissent pas être en mesure de faire face au montant de leur dette ;

Attendu que la fraude paulienne résulte de la conscience qu'avait nécessairement J. M., 17 jours avant la date d'échéance du prêt, de préjudicier aux droits du Crédit Lyonnais en soustrayant de son patrimoine, sans contrepartie, un élément essentiel ;

Attendu enfin, que lorsque l'acte frauduleux est passé, comme en l'espèce, à titre gratuit, l'action paulienne est recevable contre l'acquéreur, que celui-ci soit de bonne ou mauvaise foi ;

Que la preuve de la complicité de S. et S. M. n'est donc pas nécessaire ;

Attendu que l'action engagée par le Crédit Lyonnais est en conséquence bien fondée, de telle sorte que l'acte du 13 septembre 1995 doit lui être déclaré inopposable ;

Que la fraude paulienne dont s'est rendue coupable J. M., seule, a obligé la demanderesse à exposer des frais pour faire valoir ses droits en justice ;

Qu'il y a donc lieu de la condamner, à l'exclusion des autres défendeurs dont la faute n'est pas établie, à payer au Crédit Lyonnais, une somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts eu égard aux éléments suffisants d'appréciation dont le Tribunal dispose ;

Attendu qu'en ce qui concerne la vente du bien immobilier, objet de l'acte de donation, le demandeur devra opérer selon les formes de droit ;

Attendu que les conditions de l'article 202 du Code de procédure civile n'apparaissant pas réunies en l'espèce, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Et attendu que J. M., qui a succombé, doit supporter les dépens de l'instance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Révoque et déclare inopposable à la société anonyme Crédit Lyonnais l'acte de donation en date du 13 septembre 1995, transcrit le 28 septembre 1995 à la Conservation des Hypothèques, volume 938 n° 14, par lequel J. G. épouse M. a transféré la nue-propriété à S. et S. M. d'un immeuble de rapport consistant en la totalité du neuvième lot de l'état descriptif, comprenant un appartement situé au premier étage de l'immeuble portant le numéro 9, outre tous droits indivis y relatifs, et ce, avec toutes conséquences de droit, notamment le retour de ce bien dans le patrimoine de J. G. épouse M. ;

Condamne J. M. à payer au Crédit Lyonnais la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Déboute le Crédit Lyonnais du surplus de ses demandes ;

Composition

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Leandri et pastor, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26704
Date de la décision : 01/07/1999

Analyses

Crédits ; Établissement bancaire et / ou financier ; Droit des successions - Successions et libéralités ; Civil - Général


Parties
Demandeurs : SA Crédit Lyonnais
Défendeurs : Cts M.

Références :

article 1022 du Code civil
article 202 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1999-07-01;26704 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award