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10/06/1999 | MONACO | N°26696

Monaco | Tribunal de première instance, 10 juin 1999, G. c/ A.


Abstract

Notaire

Responsabilité

- Erreur quant à l'indication du rang d'une hypothèque (3e au lieu de 4e)

- Manquement au devoir de vérification hypothécaire

- Obligation de résultat

Faute du clerc de notaire mandataire du client

- Mainlevée d'une hypothèque au mépris des conditions prévues

- Notaire responsable en tant que commettant

Résumé

Par acte dressé le 18 janvier 1991 par Me A., notaire, C. s'est reconnu débiteur envers G. d'une somme d'argent et d'intérêts représentant le montant d'un prêt et lui a

consenti en garantie une hypothèque conventionnelle sur sa villa, prise selon l'acte en troisième rang.

Par ailleurs, G., a...

Abstract

Notaire

Responsabilité

- Erreur quant à l'indication du rang d'une hypothèque (3e au lieu de 4e)

- Manquement au devoir de vérification hypothécaire

- Obligation de résultat

Faute du clerc de notaire mandataire du client

- Mainlevée d'une hypothèque au mépris des conditions prévues

- Notaire responsable en tant que commettant

Résumé

Par acte dressé le 18 janvier 1991 par Me A., notaire, C. s'est reconnu débiteur envers G. d'une somme d'argent et d'intérêts représentant le montant d'un prêt et lui a consenti en garantie une hypothèque conventionnelle sur sa villa, prise selon l'acte en troisième rang.

Par ailleurs, G., a par la suite, pour permettre la réalisation de la vente de la villa donné mainlevée de son hypothèque par l'intermédiaire du ou des clercs de notaire mandaté(s) pour ce faire.

Or, il apparaît des éléments de la cause que le notaire a dans l'acte du 18 janvier 1991 porté une fausse indication en occultant une inscription d'hypothèque prise la veille de sorte que l'hypothèque de G. se trouvait primée en troisième rang par un autre créancier.

Nonobstant le fait que cette inscription antérieure remontait seulement à la veille et s'est située entre le moment où le notaire avait effectué ses vérifications hypothécaires et celui de la signature de l'acte, il apparaît que cette faute engage la responsabilité professionnelle du notaire rédacteur de l'acte, celui-ci étant tenu d'une obligation de résultat s'agissant des vérifications hypothécaires qu'il doit effectuer et de l'exactitude des indications qu'il doit donner sur ce point dans l'acte authentique dressé par ses soins.

D'autre part, la mainlevée donnée par le ou les clercs de notaire au nom de G. a été opérée au mépris d'une clause stipulant que la mainlevée ne pouvait être donnée qu'après l'obtention des mainlevées et radiations de la totalité des inscriptions hypothécaires grevant la villa.

Il s'en suit que le ou les clercs de notaire concernés ont commis une faute dans l'exercice de leurs fonctions et que Me A. en sa qualité de commettant de ses clercs préposés, doit être déclaré responsable du dommage causé.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

A. G. a, par l'acte susvisé en date du 19 mars 1997, fait citer Maître P.-L. A., notaire, pour qu'il soit dit qu'il a commis des fautes professionnelles à son encontre et qu'il soit condamné à lui régler la somme principale de 5 121 066 francs, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure ;

Elle sollicite le bénéfice de l'exécution provisoire et fait, valoir :

* que, courant 1990, elle a consenti à un dénommé C. plusieurs prêts d'un montant global de 10 500 000 francs,

* que par acte notarié du 18 janvier 1991, dressé à Monaco par Maître A., C. s'est reconnu son débiteur à hauteur de cette somme de 10 500 000 francs, outre intérêts de 11 % l'an,

* que par le même acte, C. lui a consenti une hypothèque conventionnelle sur la « Villa ... » à hauteur de sa créance,

* que l'inscription était prise en troisième rang après celles de la SCI Kikano (en réalité la SCI « Villa ... ») et du Crédit du Nord (en réalité la BNP) venant concurremment entre elles en premier rang et celle profitant à C. (en réalité au Crédit du Nord) en deuxième rang,

* que ce n'est qu'en avril 1991, dans le cadre de négociations engagées entre C. et ses créanciers pour parvenir à la vente de la « Villa ... », qu'elle a appris que dès le 17 janvier 1991 - soit la veille de l'inscription de sa propre hypothèque - la Société de banque Suisse (SBS) avait pris une inscription d'hypothèque provisoire sur l'immeuble à hauteur de 3 000 000 francs,

* qu'elle a également appris à cette occasion qu'en mars 1991, la Banque Suisse de Crédit et de dépôt (BSCD) avait également inscrit une hypothèque provisoire sur l'actif immobiliser de C. ;

A. G. révèle que c'est en avril 1991 que C. a vendu la villa, l'acte de vente étant également dressé par Maître A. ; elle précise qu'en vue de la mainlevée des hypothèques qui constituait une condition résolutoire de la vente, le rédacteur de l'acte avait prévu de recueillir l'accord du vendeur, celui des créanciers hypothécaires et celui des deux établissements de crédit également titulaires de sûretés, sur la substitution du nantissement d'une partie du prix de vente au profit de la SBS et de la BSCD aux lieu et place des garanties hypothécaires dont elles bénéficiaient, ce mécanisme étant destiné à assurer une garantie à ces deux établissements financiers dans l'attente du sort des procédures en paiement introduites à leur encontre par C. ;

A. G. fait valoir qu'elle a donné mainlevée de l'inscription d'hypothèque dont elle bénéficiait dans la mesure où elle avait, dans l'acte, expressément réservé ses droits de créancière et où ladite mainlevée était subordonnée à la réalisation d'une double condition suspensive, à savoir, d'une part, la mainlevée des autres inscriptions hypothécaires et, d'autre part, « la remise à son profit des fonds restant disponibles sur le prix à due concurrence de sa créance, en ce compris tout ou partie des fonds qui seront nantis au profit de la Société de Banque Suisse et de la Banque Suisse de Crédit et de Dépôt, pouvant rester disponibles après règlement, par M. C., des litiges qui l'opposent à ces banques » ;

Elle précise que les deux clercs de l'étude de Maître A., dûment mandatés par elle pour régulariser cette mainlevée sous la condition précisée ci-dessus, ont donné mainlevée de l'hypothèque sans l'en informer et sans vérifier la réalisation de la condition suspensive de cette mainlevée et qu'en réalité, la survenance de la deuxième composante de la condition suspensive - c'est-à-dire la remise des fonds restant disponibles sur le prix de vente à due concurrence de la créance de la requérante dans le délai de deux mois prévu à l'acte - était impossible à réaliser ;

A. G. ajoute que la mainlevée de l'hypothèque, sans y substituer d'autres garanties, l'a privée de tout recours sur le produit de la vente, puisque la totalité du prix de vente a été absorbée par le privilège de prêteur de deniers du Crédit du Nord, par les sommes déposées en séquestre dans l'attente du sort des litiges opposant C. aux deux établissements bancaires suisses, par le montant de la TVA marchand de biens et par le coût des actes ;

Elle révèle que, dans un premier temps, au lieu de poursuivre le débiteur, ou le rédacteur de l'acte dans l'inexécution de son devoir de conseil, elle a été orientée vers une procédure consistant à intervenir volontairement en cause d'appel dans le procès engagé par les deux établissements de crédit contre C., procédure qui ne pouvait aboutir qu'à la condamnation du débiteur et au rejet de son intervention volontaire ; elle précise que par deux arrêts en date du 21 mars 1995, la Cour d'appel de Monaco a ainsi rejeté son intervention volontaire et a confirmé les deux jugements des 25 juin 1992 et 2 juillet 1992 du Tribunal de Première Instance de Monaco condamnant C. à payer, pour l'un, la SBS et pour l'autre, la BSCD ;

La demanderesse prétend que la responsabilité de Maître A. est engagée en sa qualité de rédacteur de l'acte du 18 janvier 1991 en ce que, contrairement à ce qui y est indiqué, elle ne bénéficiait pas d'une inscription hypothécaire en troisième rang puisqu'elle était également primée par la SBS ; elle ajoute :

* que le rédacteur de l'acte aurait dû appeler son attention sur la portée réelle de la clause précitée relative à la mainlevée,

* que les deux clercs de l'étude ont, au surplus, réalisé cette mainlevée sans s'assurer que la condition suspensive prévue était bien levée,

* que le préjudice qu'elle subit est à la mesure de la partie du prix sur lequel sa créance venait en rang utile, soit la différence entre le prix de vente (33 000 000 francs) et la créance des deux premiers inscrits (24 878 934 francs + 3 000 000 francs = 27 878 934 francs), soit 5 121 066 francs en principal, ce montant incluant le préjudice résultant de la perte de chance consécutive à la perte de rang de l'inscription hypothécaire conventionnelle dont elle bénéficiait ;

Maître A. a répliqué le 15 octobre 1997 ;

Concernant l'inscription préalable de la SBS en date du 17 janvier 1991, dont il ne discute pas la réalité, il fait valoir qu'A. G. a attendu un an pour solliciter son débiteur C. et ce, alors qu'elle disposait de reconnaissances de dette depuis 1990 ; il ajoute que les liens entre la demanderesse et J. C. sont étroits, sinon suspects ; il fait également valoir que lorsqu'il a passé l'acte du 18 janvier 1991, il ne pouvait savoir que la veille la SBS avait présenté requête aux fins d'être autorisée à prendre une inscription judiciaire provisoire d'hypothèque sur les biens de J. C. ;

P.-L. A. déclare, par ailleurs, que la demanderesse analyse de façon volontairement erronée la clause précitée relative à la mainlevée de son hypothèque ; il prétend, en effet, qu'il avait été prévu à l'acte qu'A. G. donnait mainlevée pure et simple et réservait ses droits de créance contre J. C., lesquels devaient être récupérés en suite du paiement au profit de la SBS et de la BSCD après liquidation des litiges en cours ; il déclare qu'il avait clairement été prévu qu'A. G. aurait vocation à récupérer le solde des sommes restant dans ses caisses de notaire après règlement du créancier en premier rang et après que les litiges opposant C. et les deux banques seraient définitivement réglés ;

Il fait valoir qu'en fait le règlement des créances de la SBS et de la BSCD, suite aux jugements et arrêts confirmatifs précités, ont absorbé le solde des sommes qu'il détenait et qu'ainsi il n'a rien pu régler à A. G. ;

P.-L. A. insiste sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'une condition suspensive à l'accord de la demanderesse de donner mainlevée de son inscription mais seulement d'une disposition prévoyant le paiement des sommes pouvant lui revenir une fois liquidés les litiges pendants ; il ajoute qu'à l'occasion des procédures judiciaires précitées, A. G. a reconnu que c'était sous la pression des banques qu'elle avait accepté cette clause et qu'elle savait parfaitement qu'elle n'aurait vocation à récupérer quoi que ce soit qu'après le règlement judiciaire des litiges existant entre J. C. et les banques SBS et BSCD ;

P.-L. A. ajoute avoir même versé 1 500 115,70 francs à A. G. et décrit ainsi la « situation hypothécaire » du bien vendu :

« Hypothèques en faveur de :

Crédit du Nord................................ 8 000 000 francs

16 300 000 francs

5 400 000 francs

G..................................... 10 500 000 francs

SBS................................................ 3 200 000 francs

BSCD............................................. 2 100 000 francs

* -

Total............................................ 45 500 000 francs

Consignations et paiement effectués par Me A. :

Le 25/4/1991 consigné en caisse du Notaire pour SBS................... 3200 000 francs

Le 25/4/1991 consigné en caisse du Notaire pour BSCD................ 2 100 000 francs

Le 3/5/1991 payé au Crédit du Nord............................................ 24 928 934 francs

Mai 1991 frais de mainlevée et TVA............................................. 1 270 950,30 francs

* -

Total............................................ 31 499 984,30 francs

Paiements effectués pour SBS-BSCD et G. :

Montant du prix encaissé par Étude A.

....................................... 33 000 000 francs

Déduction paiements ci-dessus..... - 31 499 984,30 francs

Total............................................ 1 500 115,70 francs

...... reliquat ...... versé à Madame G. le 22 mai 1991 sur son compte au Crédit du Nord ... consignations au Crédit du Nord d'avril 1991 en faveur des deux banques suisses débloquées entre les mains de Me Escaut leur avocat-défenseur le 15 février 1996, suite aux arrêts de la Cour d'appel de Monaco rendus le 21 mars 1995, signifiés le 12 septembre 1995...

Les sommes définitives en faveur de ces deux banques se sont montées à :

* pour la SBS : 4 355 488,81 francs sur une condamnation de 5 069 895,62 francs,

* pour la BSCD : 2 858 240,15 francs sur une condamnation de 3 297 720,86 francs » ;

P.-L. A. insiste donc sur le fait que la SBS et la BSCD n'ont pu recouvrer la totalité de leurs créances et qu'a fortiori A. G. ne pouvait recevoir aucun reliquat disponible ;

Insistant sur le caractère intime des relations entre la demanderesse et son débiteur, il demande qu'A. G. produise aux débats tous les justificatifs de créances dont elle tire ses droits ainsi que la preuve du transfert au profit de J. C. des 10 500 000 francs dont s'agit ; il demande que dans l'attente de cette production il lui soit donné acte qu'il se réserve de déposer des conclusions ampliatives ;

Il conclut également au débouté d'A. G. et, à titre reconventionnel, réclame à celle-ci 200 000 francs de dommages-intérêts dans la mesure où sa compétence et sa responsabilité auraient été injustement mises en cause ;

A. G. a répondu à ces écritures le 11 décembre 1997 ;

Elle insiste sur le fait qu'elle tire ses droits contre J. C. de la reconnaissance de dette notariée dressée par Maître A. et que, dès lors, peu importe la nature des liens qu'elle a pu avoir avec ce débiteur ; elle conclut, en conséquence, au débouté de Maître A. en sa demande de communication de pièces ;

Pour le reste, elle maintient que le notaire défendeur ne l'a pas informée de l'inscription hypothécaire de la SBS antérieure à la sienne ; elle prétend que lorsqu'il rédige un acte d'affectation hypothécaire, le notaire est tenu d'une obligation de résultat ;

Elle ajoute que le notaire a commis une autre faute en lui faisant souscrire la clause précitée qui allait aboutir à ce qu'elle ne perçoive aucune somme alors qu'elle était créancière hypothécaire à hauteur de 10 500 000 francs ; elle fait, sur ce point, valoir que si l'on retient l'interprétation que fait le notaire de la clause, la portée de celle-ci n'était plus mesurable puisque l'appréhension du risque supposait une évaluation précise de l'issue des procédures judiciaires en cours ;

A. G. prétend même que ladite clause était impossible à exécuter dans la mesure où les deux conditions prévues devaient être réalisées dans les deux mois de l'acte, y compris la condition relative à la fin des litiges avec les banques suisses ; elle en déduit que Maître A. ne pouvait, dès lors, pas procéder à la radiation de son inscription ;

A. G., qui conteste avoir reçu 1 500 115,70 francs, fait remarquer qu'elle a été d'autant plus mal conseillée par le notaire que la BSCD, créancière hypothécaire de rang inférieur, a eu un meilleur sort qu'elle ; elle ajoute enfin qu'elle ne comprend pas pourquoi, ainsi qu'il résulte du décompte précité de Maître A., elle doit seule supporter les 1 270 950,30 francs de « frais de mainlevée et de TVA » ;

P.-L. A. a conclu en réponse le 11 mars 1998 ;

Il maintient qu'il est utile qu'A. G. justifie de la réalité de ses créances sur J. C. ;

Pour le reste, il confirme ses précédentes écritures et ajoute qu'il a, en temps utile, normalement exposé et explicité à la demanderesse l'acte litigieux qui était proposé à sa signature ; il déclare qu'il appartenait à A. G. de lui demander d'autres explications si celles données n'étaient pas assez claires ; il soutient que c'est probablement en raison des liens étroits existant entre J. C. et A. G. que celle-ci avait accepté de voir régler par priorité la SBS et la BSCD qui, sans cela, n'auraient pas permis la vente amiable du bien immobilier ;

P.-L. A. maintient sa demande de communication des justificatifs de créance et demande également qu'A. G. produise aux débats tous justificatifs des demandes des paiements, judiciaires ou non, qu'elle aurait formées à l'encontre de J. C. ;

Les écritures en réplique d'A. G. sont du 23 avril 1998 ;

Cette demanderesse fait valoir que pour établir sa bonne foi, elle verse aux débats tous les documents qui établissent la réalité de sa créance ;

Elle ajoute qu'elle n'a pas engagé d'action contre J. C. dans la mesure où celui-ci n'avait pas d'autre actif immobilisé significatif que la « Villa ... » ;

P.-L. A. a répliqué le 27 mai 1998 ;

Il prétend que les reconnaissances de dette produites par A. G. ne prouvent pas la réalité des prêts d'argent qui auraient été consentis à J. C. ; il demande, en conséquence, qu'il soit enjoint à A. G. de produire les pièces justifiant qu'elle a bien versé les sommes dont s'agit à J. C. ; Il demande qu'il lui soit donné acte qu'il se réserve de conclure après cette production de pièces ;

Il a complété ces écritures le 14 octobre 1998 ;

Il critique de nouveau les reconnaissances de dette produites par A. G. et déclare qu'il est impossible de considérer qu'elles correspondent réellement à des prêts ; il demande donc qu'il soit constaté que les pièces ainsi communiquées ne sont pas de nature à justifier de la totalité de la créance d'A. G. ;

Celle-ci a répliqué le 12 novembre 1998 ;

Elle rappelle qu'elle tire ses droits de l'acte notarié de reconnaissance de dette dressé par Maître A. lui-même ; elle ajoute que les arguments développés sur ce point par le défendeur sont sans portée ;

Elle a, le 1er décembre 1998, rectifié une erreur matérielle contenue dans ses précédentes écritures et portant sur un point mineur ;

Sur quoi :

Attendu que par acte notarié du 18 janvier 1991 dressé par Maître P.-L. A., J. C. a reconnu devoir 10 500 000 francs à A. G., en suite de quoi il a consenti à la demanderesse l'affectation hypothécaire litigieuse ;

Que c'est cet acte d'affectation hypothécaire qui fonde l'action d'A. G. et qu'il n'est, dès lors, d'aucun intérêt de s'intéresser aux causes de la reconnaissance de dette, étant constaté que P.-L. A. ne va pas jusqu'à prétendre que cet acte authentique qu'il a passé et pour lequel il a perçu des honoraires serait nul et, en toute hypothèse, ne prouverait pas que la reconnaissance de dette et l'affectation hypothécaire aient pu être consenties en fraude de ses droits de notaire rédacteur ;

Qu'il convient, dès lors, de débouter P.-L. A. de sa demande - inopérante - tendant à la production de pièces justificatives ;

Attendu, au fond, qu'il est constant qu'au paragraphe intitulé « rang hypothécaire » dudit acte notarié du 18 janvier 1991, il est indiqué :

« Les parties, particulièrement le prêteur, déclarent parfaitement savoir qu'en vertu des faits et actes ci-dessus rapportés en l'origine de propriété, l'inscription d'hypothèque conventionnelle qui sera prise au profit du prêteur à la garantie du remboursement du présent prêt viendra en troisième rang après :

En premier rang :

* l'inscription prise d'office, prise lors de la transcription de l'acte de vente susvisé par la SCI ... à la SCI Kikano, le six juin mil neuf cent quatre-vingt-neuf, volume 172, numéro 16, pour un montant de huit millions de francs en principal,

* l'inscription d'hypothèque conventionnelle prise au profit de la Banque nationale de Paris (à laquelle est aujourd'hui subrogé le Crédit du Nord) du même jour, volume 172, numéro 17, pour un montant de seize millions trois cent mille francs en principal,

Ces deux inscriptions venant concurremment entre elles en premier rang,

Et en second rang :

* l'inscription d'office prise le huit août mil neuf cent quatre-vingt-neuf, volume 172, numéro 9, lors de la transcription du même jour de la vente de ladite propriété au profit de Monsieur C., pour un montant de cinq millions quatre cent mille francs » ;

Que nonobstant l'indication erronée précitée du nom de C. aux lieux et place de celui du Crédit du Nord en créancier de second rang et le fait que le tribunal ne trouve aux pièces du dossier aucun état hypothécaire officiel de la situation de l'immeuble, il est pris acte que, conformément à ce qui est prétendu par A. G., P.-L. A. reconnaît que n'est pas mentionné dans cet acte qu'il a dressé le 18 janvier 1991 l'inscription hypothécaire prise la veille, soit le 17 janvier 1991, par la SBS à hauteur de 3 000 000 francs (volume 175, numéro 97) sur autorisation présidentielle judiciaire du 14 janvier 1991 ;

Attendu qu'il s'ensuit que l'indication donnée par P.-L. A. dans son acte du 18 janvier 1991 était donc fausse en ce qu'il n'apparaissait pas qu'A. G. était primée en troisième rang par la SBS ;

Que la situation hypothécaire réelle, telle que découlant de l'acte notarié du 18 janvier 1991, était, dès lors, la suivante :

* 1er rang : SCI Villa ... et BNP (deux inscriptions concurrentes),

* 2e rang : Crédit du Nord,

* 3e rang : Société de Banque Suisse,

* 4e rang : A. G. ;

Que cette situation est légèrement différente à la lecture de l'acte de vente du 22 avril 1991 où, compte tenu de la subrogation dont bénéficie le Crédit du Nord dans les droits de la SCI Villa ... et de la BNP, cet établissement bancaire se retrouve créancier en premier rang pour trois inscriptions, la SBS passant en deuxième rang et A. G. apparaissant en troisième rang ;

Que dans ledit acte de vente du 22 avril 1991, l'état hypothécaire de l'immeuble est, en effet, ainsi exposé :

« L'immeuble est actuellement grevé des inscriptions hypothécaires suivantes :

1. - Bénéficiant au Crédit du Nord :

En premier rang :

* l'inscription prise d'office au profit de la SCI ..., lors de la transcription de l'acte de vente sus-analysé par la SCI ... à la SCI Kikano, le six juin mil neuf cent quatre-vingt-neuf, volume 172, numéro 16, pour un montant de huit millions de francs, ci 8 000 000 ;

* l'inscription d'hypothèque conventionnelle prise en vertu du même acte au profit de la Banque Nationale de Paris, le même jour, volume 172, numéro 17, pour un montant de seize millions trois cent mille francs, ci 16 300 000 ;

* l'inscription d'office prise au profit du Crédit du Nord le huit août mil neuf cent quatre-vingt-neuf, volume 172, numéro 9, lors de la transcription du même jour de la vente de ladite propriété par la SCI Kikano au profit de Monsieur C., pour un montant de cinq millions quatre cent mille francs, ci 5 400 000 ;

Lesdites inscriptions venant en concurrence entre elles et, les deux premières, bénéficiant au Crédit du Nord en vertu de la subrogation contenue dans l'acte de vente sus-analysé du trente et un juillet mil neuf cent quatre-vingt-neuf... ;

2. - Au profit de la Société de Banque Suisse :

En second rang :

* l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prise en vertu de l'article 762 ter du Code de procédure civile et d'une ordonnance rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de Monaco en date du quatorze janvier mil neuf cent quatre-vingt-onze, le dix-sept janvier mil neuf cent quatre-vingt-onze, volume 175, numéro 97, pour un montant de trois millions de francs, ci 3 000 000 ;

2. - Au profit de Madame G. :

En troisième rang :

* l'inscription d'hypothèque conventionnelle prise au profit de Madame G.-P., le vingt-huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-onze, volume 175, numéro 105, en vertu d'un acte reçu par Maître A., notaire soussigné, le dix-huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-onze, pour un montant de dix millions cinq cent mille francs, ci 10 500 000 ;

3. - Au profit de la Banque Suisse de crédit et de dépôts :

En quatrième rang :

* l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prise en vertu de l'article 762 ter du Code de procédure civile et d'une ordonnance rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de Monaco en date du vingt et un février mil neuf cent quatre-vingt-onze, le quatre mars mil neuf cent quatre-vingt-onze, volume 175, numéro 130, pour un montant de deux millions deux cent mille francs, ci 2 200 000 ;

TOTAL : QUARANTE CINQ MILLIONS QUATRE CENT MILLE FRANCS........................... 45 400 000 ; »

Attendu qu'en toute hypothèse, quel que soit le rang réel qui était celui d'A. G. (troisième ou quatrième), il est constant qu'il n'était pas indiqué dans l'acte notarié passé le 18 janvier 1991 que celle-ci était primée par la SBS, créancière inscrite à hauteur de trois millions de francs ;

Que nonobstant le fait que cette inscription antérieure remontait seulement à la veille et s'est située entre le moment où le notaire avait effectué ses vérifications hypothécaires et celui de la signature de l'acte, il apparaît que cette faute engage la responsabilité professionnelle du notaire rédacteur de l'acte, celui-ci étant tenu d'une obligation de résultat s'agissant des vérifications hypothécaires qu'il doit effectuer et de l'exactitude des indications qu'il doit donner sur ce point dans l'acte authentique dressé par ses soins ;

Attendu que cette faute a généré un préjudice pour A. G., laquelle a nécessairement été induite en erreur lorsqu'en garantie de la dette de J. C., elle a accepté l'affectation hypothécaire de « troisième rang » que celui-ci lui consentait ;

Qu'informée de la situation hypothécaire réelle, il n'est pas discutable qu'elle aurait pu négocier une meilleure garantie avec son débiteur ;

Attendu qu'en fonction des éléments suffisants d'appréciation dont il dispose, le tribunal évalue ce préjudice, consistant en la perte d'une chance d'obtenir une garantie plus efficace, à la somme de 200 000 francs ;

Attendu, par ailleurs, qu'il apparaît que l'acte de vente passé le 22 avril 1991 entre J. C. et la SCI Villa ... comporte la clause suivante au paragraphe intitulé « interventions de créanciers » :

« 2. - Madame G.-P. :

Madame G.-P., intervenant ici personnellement, s'engage à consentir à la mainlevée pure et simple de l'hypothèque susvisée lui profitant, tout en réservant ses droits de créance contre Monsieur C..

Elle s'engage en conséquence à donner mainlevée entière et définitive de son hypothèque dans le délai de deux mois ci-dessus, sous les conditions suivantes, savoir :

* de l'obtention des mainlevées et radiations des autres inscriptions, tel que prévu au paragraphe Constitution de sequestre ci-dessus ;

* de la remise à son profit, des fonds restant disponibles sur le prix à due concurrence de sa créance, en ce compris tout ou partie des fonds qui seront nantis au profit de la Société de Banque Suisse et de la Banque Suisse de Crédit et de Dépôts, pouvant rester disponible après règlement, par Monsieur C., des litiges qui l'opposent à ces banques.

Les frais déductibles du solde de prix consistant notamment en :

* la TVA marchand de biens due par Monsieur C.,

* et le coût des frais des mainlevées hypothécaires.

À cet effet, Madame G. confère tous pouvoirs à Messieurs G. V. et/ou J. B., clercs en l'étude du notaire soussigné, à l'effet, lorsque les conditions seront remplies, de donner mainlevée entière et définitive, avec désistement de tous droits d'hypothèque, de l'inscription susvisée lui profitant » ;

Attendu qu'il est admis par les deux parties et donc constant, bien que le tribunal ne trouve pas cette pièce parmi celles produites, que, vraisemblablement dans le délai prévu (deux mois à compter du 22 avril 1991), le ou les clercs de notaire précités ont donné, au nom d'A. G., mainlevée « entière et définitive » de l'inscription d'hypothèque qui bénéficiait à celle-ci ;

Qu'ainsi, compte tenu de la mainlevée donnée de son côté par le Crédit du Nord, la vente au profit de la SCI Villa ... pour le prix de 33 millions de francs a pu être affermie et échappe à l'application de la « clause résolutoire » prévue en page 18 de l'acte de vente du 22 avril 1991 en cas de « défaut d'obtention des mainlevées et radiations de la totalité des inscriptions hypothécaires qui grèvent l'immeuble vendu dans un délai de deux mois de ce jour au plus tard » ;

Attendu, cependant, qu'ainsi qu'il était prévu à la clause précitée, la mainlevée au nom d'A. G. ne pouvait être donnée qu'à la double condition :

* de l'obtention des mainlevées des autres inscriptions,

* et de la remise à A. G. des fonds disponibles sur le prix de vente à concurrence de sa créance, « en ce compris » les fonds « nantis » au profit de la SBS et de la BSCD restant disponibles après règlement des litiges opposant ces banques à J. C. ;

Attendu que le jeu de cette clause, quel que soit le caractère abscons de celle-ci, supposait donc le règlement préalable des litiges opposant J. C. aux deux établissements bancaires ;

Qu'il s'ensuit qu'antérieurement à ce règlement, la condition prévue ne pouvait pas se réaliser et qu'ainsi la mainlevée ne pouvait être donnée ;

Que, pourtant, alors que la mainlevée a été donnée par le ou les clercs mandatés courant 1991, c'est le 21 mars 1995, par deux arrêts du même jour de la Cour d'Appel, qu'ont pris fin les litiges opposant J. C. à la BSCD (arrêt n° 3546 sur appel du jugement du Tribunal du 2 juillet 1992) et à la SBS (arrêt n° 3547 sur appel du jugement du Tribunal du 25 juin 1992) ;

Attendu que le ou les clercs de notaire concernés ont donc commis une faute dans l'exercice de leurs fonctions en donnant mainlevée au nom d'A. G. alors qu'une des deux conditions prévues n'était pas réalisée, alors qu'il était expressément indiqué dans la clause précitée que ces clercs ne pouvaient donner mainlevée que « lorsque les conditions seront remplies » ;

Attendu que P.-L. A., implicitement mais nécessairement pris en sa qualité de commettant de ses clercs préposés - dont il n'est pas soutenu qu'ils aient abusé de leurs fonctions - doit donc être déclaré responsable du dommage causé par ceux-ci à A. G. par suite de cette mainlevée intempestive sans laquelle la vente au profit de la SCI Villa ... aurait certes été résolue mais où la demanderesse serait au moins demeurée créancière inscrite ;

Attendu que le préjudice subi par A. G. peut se mesurer à la garantie dont elle aurait pu continuer à bénéficier ;

Qu'il est acquis sur ce point que les créances primant celle d'A. G. s'élevaient à 32 700 000 francs, soit 8 000 000 francs (Crédit du Nord par subrogation de la SCI Villa ...) + 16 300 000 francs (Crédit du Nord par subrogation de la BNP) + 5 400 000 francs (Crédit du Nord) + 3 000 000 francs (Société de Banque Suisse) ;

Qu'il est également constant que le prix de vente convenu de la « Villa ... » dans l'acte du 22 avril 1991 était de 33 000 000 francs ; qu'il n'est pas prétendu en demande que ce prix était inférieur à la valeur réelle de l'immeuble ;

Que ce prix peut, en conséquence, constituer une base d'évaluation sérieuse et qu'ainsi, dans l'hypothèse d'une vente de la villa, A. G. aurait pu recevoir, au bénéfice de son inscription hypothécaire, une somme de 300 000 francs, soit 33 000 000 - 32 700 000 francs ;

Attendu que ce chef de préjudice peut donc être évalué à 300 000 francs ;

Attendu qu'il est contesté, et n'est aucunement établi, qu'A. G. ait reçu du défendeur règlement d'une somme de 1 500 115,70 francs courant mai 1991, ce règlement étant au surplus contredit par les propres écritures du 18 octobre 1997 de Maître A. aux termes desquelles : « il apparaît ainsi que lesdites banques n'ont pu récupérer la totalité de leurs créances et a fortiori la dame G. qui avait accepté le principe de recevoir un reliquat disponible une fois payées la SBS et la BSCD » ;

Attendu qu'en conséquence, y compris la réparation du préjudice causé par l'indication dans l'acte notarié d'un rang hypothécaire erroné, P.-L. A. doit être condamné à régler à A. G. la somme de 500 000 francs outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 19 mars 1997, ces intérêts étant alloués en l'espèce à titre de complément de dommages-intérêts ;

Attendu que, de manière subséquente, P.-L. A. doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure dite abusive ;

Attendu qu'A. G. n'indique pas les raisons qui justifieraient le prononcé de l'exécution provisoire ;

Qu'elle doit, en conséquence, être déboutée sur ce point ;

Attendu que P.-L. A. qui a succombé devra supporter les entiers dépens ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

statuant contradictoirement,

Déboute Maître P.-L. A. de sa demande de production de pièces ;

Dit et juge que Maître P.-L. A., notaire, a commis des fautes professionnelles vis-à-vis d'A. G. ;

Le condamne en conséquence à payer à A. G. la somme de 500 000 francs, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 1997 à titre de dommages-intérêts ;

Rejette le surplus de la demande d'A. G. ;

Déboute Maître P.-L. A. de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Composition

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subt. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla et Brugnetti, av. déf. ; Manceau, av. bar. de Paris.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26696
Date de la décision : 10/06/1999

Analyses

Professions juridiques et judiciaires ; Responsabilité de l'employeur ; Hypothèque


Parties
Demandeurs : G.
Défendeurs : A.

Références :

article 762 ter du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1999-06-10;26696 ?

Source

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