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22/04/1999 | MONACO | N°26675

Monaco | Tribunal de première instance, 22 avril 1999, A. c/ État de Monaco


Abstract

Contrats et obligations

Loi nationale applicable - Impression des clauses du contrat - Partie contractante émanation de l'État

Mandat

Mandat d'intérêt commun (non) - Absence d'intéressement personnel du mandataire - Mandat salarié (oui) - Rémunération forfaitaire du mandataire

Résumé

Il est toujours loisible aux parties de convenir dans leurs relations contractuelles de l'application d'une loi étrangère choisie d'un commun accord.

En l'espèce si les parties ont convenu dans leurs contrats que les litiges relatifs à leur ex

écution ressortiraient à la compétence des tribunaux de la Principauté, force est de constater qu'aucun...

Abstract

Contrats et obligations

Loi nationale applicable - Impression des clauses du contrat - Partie contractante émanation de l'État

Mandat

Mandat d'intérêt commun (non) - Absence d'intéressement personnel du mandataire - Mandat salarié (oui) - Rémunération forfaitaire du mandataire

Résumé

Il est toujours loisible aux parties de convenir dans leurs relations contractuelles de l'application d'une loi étrangère choisie d'un commun accord.

En l'espèce si les parties ont convenu dans leurs contrats que les litiges relatifs à leur exécution ressortiraient à la compétence des tribunaux de la Principauté, force est de constater qu'aucune clause contractuelle ne désigne expressément la loi applicable à leurs relations ; il appartient en conséquence au tribunal de rechercher quelle a été la commune intention des parties de ce chef au regard, le cas échéant, des éléments d'extranéité existant en la cause.

La mission confiée à A. - bien que son bureau et son domicile soient à ... - de « délégué général de marché de la télévision de Monte-Carlo » exclusivement tendue vers l'organisation de ce marché à Monaco où le Comité d'organisation a son siège, fait sérieusement présumer que les parties ont entendu soumettre leurs relations à la loi monégasque.

Cette prescription sérieuse est encore corroborée par la qualité du contractant - le Comité d'organisation du Festival - dont il est constant qu'il est une émanation de l'État de Monaco ; qu'à ce titre, il est inconcevable que l'État ait voulu se placer sous l'empire d'une autre loi que la loi monégasque

La Mission d'organisation du marché de la Télévision de Monte-Carlo aux plans professionnel, technique et promotionnel devant être accomplie conjointement avec le Secrétariat du Festival de la Télévision organe émanant de l'État, confiée à A., s'inscrit dans le cadre d'un mandat salarié, au sens des articles 1823 et suivants du Code civil, cette notion n'étant pas exclusive de celle de prestations de services, dès lors qu'il est constant que certaines des prestations fournies par A. ont pu être effectuées sous le couvert du mandat dont il était investi.

Pour autant, ce mandat ne saurait être qualifié de mandat d'intérêt commun au sens donné à cette notion par la jurisprudence, faute d'intéressement personnel du mandataire, à la mission d'organisation du Marché et à l'essor de la manifestation, étant relevé que la rémunération convenue est insuffisante en l'espèce à caractériser cet intéressement, lequel ne peut s'apprécier que du point de vue matériel.

En effet, les contrats conclus ne permettent pas de retenir que le Comité d'Organisation du Festival et A. ont entendu lier leur sort dans la réalisation de l'entreprise objet du mandat ; le souci de réussite commune de cette entreprise se trouvait d'autant moins partagé que la rémunération d'A. n'a été fixée que forfaitairement sans être liée au succès de la manifestation et a même été maintenue voire augmentée malgré une baisse de participation

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Dans le cadre la manifestation annuelle organisée depuis 1961 par l'État de Monaco sous l'appellation de « Festival international de télévision de Monte-Carlo », puis de « Festival de télévision de Monte-Carlo » l'État s'est assuré la collaboration, pendant 18 ans, d'A. A. ;

Plusieurs contrats ont défini les relations entre les parties, conclus entre le « comité d'organisation » du Festival et A. A. ;

Parallèlement à ces conventions et pour permettre l'organisation des missions confiées à A. A., le Comité d'organisation du Festival, à la demande de celui-ci, a conclu divers contrats avec une société de droit français à responsabilité limitée, dénommée SARL Coproduction, dont A. était le gérant ; ces contrats ont principalement eu pour objet de mettre à la disposition de la société un budget annuel ;

Les contrats passés entre le Comité d'organisation du Festival et A. A. présentaient les caractéristiques suivantes :

* lettre-contrat du 21 novembre 1977, à effet du 1er février 1978 au 31 janvier 1979, par laquelle A. a été engagé en qualité de « conseiller technique sur le plan de la création et de l'organisation d'une manifestation (annexe au Festival) dénommée provisoirement Rencontre internationale des programmes de Télévision » ;

Des « honoraires forfaitaires » et une somme, à titre de « remboursement forfaitaire de frais de représentation », ont été convenus au profit de A. ;

* contrat du 1er octobre 1978, annulant l'échange de lettres du 21 novembre 1977, conclu pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction, chargeant A. A. des fonctions de délégué général pour l'organisation des manifestations annexes dénommées « Marché international du Cinéma pour la Télévision » et « Rencontres internationales pour les programmes de Télévision » ; ce contrat mentionne qu'il est consenti pour cinq ans « afin de prendre en considération le rôle tenu par M. A. A. en qualité de concepteur du Marché international du Cinéma pour la Télévision » ; il prévoit le paiement d'honoraires annuels devant augmenter de 10 % par an, outre le remboursement de frais ;

* contrat du 1er mars 1984, annulant celui du 1er octobre 1978, conclu pour la période du 1er mars 1984 au 1er octobre 1988, renouvelable par tacite reconduction, chargeant A. A. des fonctions de « Délégué général pour l'organisation du Marché international du Cinéma et de la Télévision » ; ce contrat impose à A. « de mettre sur pied la manifestation considérée » sans pouvoir organiser des manifestations comparables hors l'accord du comité d'organisation ; celui-ci fournit les locaux, le personnel et le budget nécessaire ; des honoraires mensuels sont prévus, de même qu'une augmentation annuelle de 10 % outre un montant forfaitaire pour les « dépenses de représentation et de voyages » ;

* lettre-contrat du 22 juin 1988, confiant à A., pour la période du 15 mai 1988 au 31 mars 1990 éventuellement renouvelable « selon les résultats obtenus », la mission de mettre en application de « nouvelles orientations » (sélection et vedettarisation) pour les compétitions du Festival ; cette mission est conventionnellement définie comme « celle d'un prestataire de services » ; elle donne lieu à une rémunération mensuelle et affecte un budget conséquent pour des déplacements à l'étranger et l'accueil de vedettes américaines ; pendant la durée du contrat, A. A. s'oblige à ne pas participer à l'organisation d'une manifestation semblable ;

A. A. a approuvé les termes de cette lettre-contrat en demandant le renouvellement, à l'échéance du 31 mars 1990, pour une « période de cinq ans renouvelable » ; malgré cette demande, aucun accord ne lui a été donné sur ce point ;

* contrat du 22 mai 1990 se substituant aux conventions précédentes, conclu à effet du 1er juin 1990 « pour se terminer de plein droit le 31 mai 1994 » ; A. A. est de nouveau chargé de fonctions de « Délégué général pour l'organisation du Marché du Cinéma et de la Télévision » avec mission d'organiser cette manifestation en contrepartie d'honoraires mensuels majorés de 3 % l'an, outre une somme globale et forfaitaire pour couvrir les frais ; une clause de non-concurrence est également prévue ;

* contrat du 28 juin 1994 se substituant « aux conventions précédemment intervenues », conclu pour la période du 1er juin 1994 « pour se terminer de plein droit le 31 mai 1996 » ;

Ce contrat contient un exposé préalable retraçant la collaboration existant « depuis de nombreuses années » entre A. A., « à titre personnel et en qualité de gérant de la société à responsabilité limitée Coproduction » et le Comité d'organisation du Festival et faisant état d'une volonté commune de procéder à une « réorganisation » du Festival de Télévision, dans le cadre de laquelle sont prévus :

• le renforcement des structures administratives à Monaco,

• et la suppression, au 31 mai 1995, du bureau de représentation situé à ... ;

Par cette ultime convention, le Comité d'organisation nomme A. A. « Délégué général du Marché de la Télévision de Monte-Carlo », en charge de l'organisation, conjointement avec le secrétariat du Festival de ce marché ;

Sauf accord du comité, A. A. s'oblige à ne pas concurrencer le Festival ;

Des honoraires mensuels de 26 000 HT sont convenus, outre 50 000 Francs TTC à titre de remboursement forfaitaire de frais de représentation et le déplacement pour la période du 1er juin 1994 au 31 mai 1995 ; à partir de cette date et jusqu'au 31 mai 1996, les honoraires sont fixés à 30 300 francs HT par mois comprenant les frais précités, outre la somme mensuelle de 20 000 HT destinée à compenser « la mise à disposition d'une assistante » ;

Ce contrat du 28 juin 1994 s'est accompagné d'une convention conclue le 12 juillet 1994 avec A. A. en sa qualité de gérant de la SARL Coproduction, par laquelle après un exposé préalable identique à celui ci-dessus rapporté, un budget de 825 000 francs HT est mis à la disposition de la société par le comité d'organisation « pour permettre l'organisation du marché » ; il est prévu que le contrat, conclu pour la période du 1er juin 1994 au 31 mai 1995, ne sera pas renouvelé par le comité à cette date, lequel s'oblige alors à verser à A. A. une somme « totale et forfaitaire » de 40 000 francs ;

Par lettre du 20 février 1996, le secrétaire général du Festival écrivait à A. A. :

« Pour la bonne forme et le bon ordre, je suis dans l'obligation de rédiger une lettre formelle annonçant la résiliation de votre contrat.

Bien entendu, je me tiens à votre disposition pour discuter des modalités de l'annonce au public et à la clientèle qui devra se faire à la suite de la présente.

Je souhaite que cette séparation se fasse dans la sérénité et vous permette de continuer avec succès vos autres projets.

Bien amicalement... » ;

Une lettre du même jour, adressée en la forme recommandée avec accusé réception, se référant aux contrats des 28 juin 1994 et 12 juillet 1994, informait A. qu'ils ne seraient pas renouvelés advenant le 31 mai 1996 comme se terminant de plein droit à cette date ; il y est notamment indiqué :

« Comme vous le savez, une restructuration de l'administration du Festival a été lancée il y a deux ans, basée sur des objectifs définis par notre tutelle gouvernementale, et portant sur une réduction des coûts et l'accroissement de recettes de notre manifestation, lesquelles ont connu une baisse significative ces dernières années en raison d'une chute du nombre de nos participants.

La centralisation de nos activités sur Monaco implique une réorganisation globale des structures actuelles...

Au nom du Comité d'organisation, je tiens à vous remercier pour votre dévouement et l'excellent travail que vous avez réalisé avec votre équipe tout au long de ces 18 années, pour faire de notre Marché un événement reconnu auprès des professionnels de la télévision... » ;

A. A. a pris acte de la « résiliation » de ces conventions à effet du 31 mai 1996, selon lettre recommandée avec accusé réception adressée au secrétaire général du Festival le 1er mars 1996 ;

Par l'exploit susvisé du 24 septembre 1996, A. A. a fait assigner l'État, et, en tant que de besoin « le directeur du Festival international de Télévision » en paiement de la somme de 720 000 francs, équivalente à deux années d'honoraires, en réparation de son préjudice économique, et de celle de 500 000 francs en réparation de son préjudice moral ;

A. demande également au tribunal :

* dans ses conclusions du 12 novembre 1997, de juger :

• que les parties ont agi dans le cadre de contrats devant être qualifiés de mandats d'intérêt commun,

• que la fonction de délégué général qui lui a été attribuée s'analyse en un tel mandat,

• que sa dénonciation unilatérale par l'État ouvre droit, à son profit, à indemnisation et qu'il en est de même en cas de refus de renouvellement ;

* dans ses conclusions du 23 septembre 1998, de faire application du droit français au présent litige, notamment de l'article 11 du Nouveau Code de procédure civile français, à l'effet d'enjoindre à l'État de produire divers documents qu'il est seul à détenir ; subsidiairement, si le droit monégasque était applicable, d'ordonner la production de ces documents aux débats, dès lors qu'ils seraient indispensables à la manifestation de la vérité, ou de faire application, le cas échéant, des articles 300 et 309 du Code de procédure civile ;

Par conclusions du 24 octobre 1996, A. a précisé que ses demandes sont exclusivement dirigées contre l'État ;

Pour sa part, l'État a conclu au rejet de l'ensemble des demandes, fins et prétentions de A. A. ;

Les thèses des parties peuvent être ainsi résumées, référence étant faite pour le surplus aux abondantes conclusions échangées par elles en cours d'instruction de la cause :

A. A. soutient que les divers contrats qu'il a conclu avec l'État caractérisent des mandats successifs convenus dans l'intérêt des deux contractants ; il conteste avoir été un prestataire de services, même s'il admet que sa société, la société à responsabilité limitée Coproduction, a joué ce rôle ; il fait état sur ce point de sa qualité de Délégué général du Marché de la Télévision et en déduit qu'il agissait sur délégation de l'État ; il précise que, concepteur et créateur de ce marché, il était seul décisionnaire quant au choix des participants et, de manière générale, pour tout ce qui concernait l'organisation ; il observe à cet égard que le secrétariat général du Festival se bornait à ratifier ses décisions prises dans le cadre d'une parfaite autonomie ; il indique avoir géré cette organisation et représenté l'État, du moins jusqu'au trois dernières années, à travers son bureau de ... ;

Il admet ne plus détenir de preuve de ces éléments, compte tenu de la restitution des archives du Festival effectuée à la demande du secrétaire général mais considère que le tribunal devrait sur ce point appliquer le Code français de procédure civile (art. 11) - et même le droit français dans son ensemble, dès lors que ses activités étaient menées à partir de la France - et enjoindre à l'État de produire les preuves dont il est désormais seul à disposer de ce chef ; à défaut, il sollicite que ces éléments de preuve, indispensables selon lui à la manifestation de la vérité, soient vérifiés par une mesure d'instruction, si leur production aux débats par l'État n'était pas ordonnée ;

Quant à la durée des relations contractuelles, il prétend avoir exercé pendant 18 ans les mêmes fonctions au service des mêmes mandants ; il en déduit que ces contrats, en dépit des clauses relatives à leur durée, avaient en réalité une durée indéterminée ;

S'agissant de la qualification de mandat d'intérêt commun qu'il invoque, il observe que le Marché a connu une progression régulière grâce à ses initiatives et que l'État en a tiré des conséquences positives en matière de rayonnement à l'étranger et de retombées économiques ; pour sa part, A. affirme avoir eu un intérêt évident à la réussite de cette manifestation, du point de vue notamment de sa réputation professionnelle, d'autant qu'il lui était interdit, par les clauses d'exclusivité insérées aux contrats, de développer d'autres activités similaires à titre personnel ;

A. soutient, si la durée indéterminée des conventions était retenue, que celles-ci sont résiliables seulement d'un commun accord, par consentement mutuel des parties au contrat d'intérêt commun, en observant que bien qu'un terme soit prévu pour chaque contrat, leur renouvellement a été systématique, ce qui caractériserait une tacite reconduction ;

Il prétend que le défaut de renouvellement des contrats doit reposer sur une cause légitime et considère que la réorganisation des services du Festival, à partir de Monaco, n'est pas un motif valable de refus de poursuivre les relations contractuelles ;

Il met en relief l'absence totale de grief invoqué par l'État et affirme n'avoir commis aucune faute justifiant la cessation des relations, l'État ayant au contraire reconnu ses qualités ;

Même si seule une succession de contrats à durée déterminée était retenue, il affirme que leur défaut de renouvellement est constitutif d'un abus de droit, en l'absence de faute de sa part ;

Quant au préjudice qu'il invoque, à la fois matériel et moral, il souligne que la brutalité de la « résiliation » justifie l'allocation à son profit de dommages-intérêts représentant deux années d'honoraires ; il conteste par ailleurs les conditions dans lesquelles son successeur a été désigné, avant même l'expiration des relations contractuelles, et considère que sa réputation professionnelle a été atteinte ;

L'État définit les relations contractuelles l'ayant uni à A. A. en une mission de prestation de services - notion au demeurant utilisée dans l'un des contrats - et dénie qu'il ait pu s'agir de mandats d'intérêt commun, ou même de simples mandats ;

À cet égard, l'État qui précise que le Festival est exclusivement alimenté par des deniers publics pour ce qui concerne le fonctionnement de la manifestation, fait valoir que son intérêt va bien au-delà de la recherche d'une rentabilité économique ; il conteste l'intérêt dont se prévaut A. A. en notant que celui-ci n'avait vocation à percevoir qu'une rémunération forfaitaire et ne bénéficiait d'aucun intéressement à l'entreprise ; cette rémunération à forfait est insuffisante, selon lui, à caractériser l'intérêt personnel de A. A. au résultat de sa mission, en particulier à l'essor de la manifestation ; s'il admet que son cocontractant pouvait retirer un intérêt moral de la réussite du Marché de la télévision, comme toute partie associée à une entreprise quelconque, l'État constate que les critères matériels et quantitatifs exigés en pareille matière font défaut ; il observe d'ailleurs que l'intérêt commun invoqué est d'autant moins démontré que les honoraires de A. A. ont été maintenus et même augmentés alors que le Marché connaissait une baisse de fréquentation de la clientèle ; il en déduit que A. A. au-delà de sa réputation n'avait rien à gagner ni à perdre du développement dudit Marché, puisque la nature et les modalités de sa rémunération n'en étaient pas dépendantes ;

L'État fait valoir que A. A. a seulement fourni son savoir-faire dans le cadre d'une prestation de services et qu'il ne disposait pas du pouvoir d'engager le Comité d'organisation ou, a fortiori, l'État, le secrétaire général du Festival disposant seul du pouvoir de signature à cet égard,

Il analyse l'obligation de non-concurrence contenue dans les contrats comme une clause en adéquation avec l'économie des conventions et soutient que cette clause démontre encore l'absence de mandat d'intérêt commun puisqu'il ne serait pas concevable que le mandataire se livrât à une concurrence prohibée préjudiciable à ses propres intérêts ;

S'agissant de la fin des relations contractuelles, il rappelle que la baisse de fréquentation observée en 1994 a entraîné une réorganisation de la manifestation avec un « recentrage » des activités sur Monaco ; il note que le contrat du 28 juin 1994 a consacré cette évolution - le bureau de ... ayant été supprimé - et a précisément prévu cette restructuration tandis que la convention du 12 juillet 1994 prévoit de manière expresse qu'elle ne sera pas renouvelée à son expiration ;

La lettre de prévenance du 20 février 1996, non nécessaire compte tenu du terme contractuel prévu, n'a été adressée, selon l'État, que dans le cadre des bonnes relations alors entretenues avec A. A., au demeurant parfaitement informé dès l'origine de la cessation des relations contractuelles ;

L'État ne s'estime donc tenu d'aucune obligation de renouvellement et se défend d'avoir révoqué A. A. dès lors que le contrat a pris fin à son terme, même s'il devait être qualifié de mandat d'intérêt commun ; l'État en déduit qu'aucune faute génératrice d'un abus ne peut lui être reprochée, en l'absence de toute intention de nuire de sa part, d'autant que la cessation des relations contractuelles est fondée sur un motif légitime tenant à la baisse de fréquentation de la manifestation ;

S'agissant des modalités d'annonce de la fin des fonctions d'A. A., l'État observe que celui-ci a laissé ses propositions sans réponse et conteste avoir commis la moindre faute à cet égard, alors surtout que cette annonce n'a pas manqué de faire l'éloge d'A. A. ;

En ce qui concerne la demande d'application de la loi française, l'État constate que son adversaire n'opère aucune distinction entre la loi de procédure et la loi de fond ; il soutient que la question des éléments de preuve relève de la lex fori et que le fond du litige doit également être tranché selon le droit monégasque ;

À l'audience des plaidoiries, le conseil de l'État, sans solliciter le rejet des débats d'une production tardive de pièces par A. A., a considéré que les quatre attestations produites n'apportaient rien au litige et a soulevé, en tant que de besoin, leur irrégularité au regard des dispositions du Code de procédure civile ;

Sur quoi :

L'application de la loi française :

Attendu qu'il est toujours loisible aux parties de convenir dans leurs relations contractuelles de l'application d'une loi étrangère choisie d'un commun accord ;

Attendu qu'en l'espèce, si les parties ont convenu dans les contrats des 22 mai 1990 et 28 juin 1994 que les litiges relatifs à leur exécution ressentiraient à la compétence des tribunaux de la Principauté, force est de constater qu'aucune clause contractuelle ne désigne expressément la loi applicable à leurs relations ;

Qu'il appartient en conséquence au tribunal de rechercher quelle a été la commune intention des parties de ce chef, au regard, le cas échéant, des éléments d'extranéité existant en la cause ;

Attendu que A. A. se prévaut sur ce point du lieu de son bureau et de son domicile pour affirmer qu'il y accomplissait, pour l'essentiel, la mission confiée pour le Comité d'organisation du Festival ;

Attendu qu'une telle circonstance, à la supposer établie, serait insuffisante à caractériser la volonté des parties pour voir appliquer à leurs relations le droit français ;

Attendu qu'en revanche, la mission confiée à A. de « Délégué général du Marché de la Télévision de Monte-Carlo », exclusivement tendue vers l'organisation de ce marché à Monaco où le Comité d'organisation a son siège, fait sérieusement présumer que les parties ont entendu soumettre leurs relations à la loi monégasque ;

Que cette présomption sérieuse est encore corroborée par la qualité du contractant - le Comité d'organisation du Festival - dont il est constant qu'il est une émanation de l'État de Monaco ; qu'à ce titre, il est inconcevable que l'État ait voulu se placer sous l'empire d'une autre loi que la loi monégasque ;

Attendu en conséquence que cette loi doit être appliquée au présent litige, les références au droit français contenues dans les conclusions de A. A. devant être considérées comme inopérantes ;

La mesure d'instruction sollicitée :

Attendu que pour l'appréciation du présent litige, le tribunal s'estime suffisamment informé par les écrits échangés entre les parties et les pièces versées aux débats ;

Qu'il n'y a pas lieu, dès lors, de procéder aux investigations sollicitées sur le fondement des articles 300 et 309 du Code de procédure civile ;

La qualification des relations contractuelles

Attendu que A. A. apparaît avoir collaboré à l'organisation du Marché de la télévision d'abord comme « conseiller technique », puis comme « délégué général », ensuite comme « prestataire de services », enfin à nouveau comme « délégué général » dans les deux derniers contrats ;

Qu'à ce dernier titre, il avait pour mission d'organiser, conjointement avec le secrétariat du Festival de Télévision, le Marché de Télévision de Monte-Carlo aux plans professionnel, technique et promotionnel ;

Attendu que cette mission d'organisation conjointe de la manifestation supposait nécessairement l'accomplissement, par A. A., d'actes que le Comité d'organisation lui avait donné le pouvoir de faire en son nom, notamment à partir de son bureau ... ;

Que si les actes juridiques nécessitant l'établissement de contrats écrits devaient être revêtus de la signature du représentant du Comité d'organisation, cette circonstance n'apparaît pas avoir été de nature à vider de sa substance la délégation générale dont A. A. bénéficiait en vertu des contrats susvisés ;

Attendu ainsi que la mission confiée à A. A. s'inscrivait dans le cadre d'un mandat salarié, au sens des articles 1823 et suivants du Code civil, cette notion n'étant pas exclusive de celle de prestations de services dès lors qu'il est constant que certaines des prestations fournies par A. A. ont pu être effectuées sous le couvert du mandat dont il était investi ;

Attendu que pour autant, ce mandat ne saurait être qualifié de mandat d'intérêt commun au sens donné à cette notion par la jurisprudence, faute d'intéressement personnel du mandataire à la mission d'organisation du Marché et à l'essor de la manifestation - étant relevé que la rémunération convenue est insuffisante en l'espèce à caractériser cet intéressement, lequel ne peut s'apprécier que d'un point de vue matériel - ;

Qu'en effet, les contrats conclus entre les parties ne permettent pas de retenir que le Comité d'organisation du Festival et A. A. ont entendu lier leur sort dans la réalisation de l'entreprise objet du mandat ; que le souci de réussite commune de cette entreprise se trouvait d'autant moins partagé que la rémunération de A. A. n'a été fixée que de façon forfaitaire, sans être liée au succès de la manifestation, et a même été maintenue voire augmentée malgré la baisse de participation enregistré en 1994 ;

La cessation des relations contractuelles :

Attendu, au demeurant que la notion d'intérêt commun n'apparaît pas prépondérante en la cause pour la résolution du litige, qu'il importe peu, en effet, de déterminer les règles applicables à la révocation du mandat, en fonction du régime d'un tel contrat, dès lors qu'aucune révocation n'est intervenue en l'espèce, s'agissant de contrats à durée déterminée ayant pris fin à leur terme ;

Attendu que la succession de tels contrats n'a pas eu pour conséquence de substituer à ces conventions distinctes un contrat unique à durée indéterminée, la jurisprudence citée en matière de droit du travail par le demandeur n'apparaissant pas transposable ;

Qu'en l'espèce la volonté clairement affirmée par les parties à plusieurs reprises montre :

* d'une part, que les missions confiées à A. ont pu varier selon les contrats et l'évolution de la manifestation (conseiller technique pour la « Rencontre internationale des programmes de Télévision » de février 1979, délégué général pour l'organisation de cette manifestation et de celle du « Marché international du Cinéma pour la Télévision » d'octobre 1978 à mars 1984, Délégué général pour le « Marché international du Cinéma et de la Télévision » de mars 1984 à octobre 1988, Prestataire de services pour la mission de « sélection et vedettarisation » de mai 1988 à mars 1990, Délégué général pour le « Marché du Cinéma et de la Télévision » de juin 1990 à mai 1994, Délégué général du « Marché de la Télévision » de juin 1994 à mai 1996) ;

* d'autre part, que les contrats antérieurs ont été à chaque reprise révoqués du consentement mutuel des parties et substitués par la nouvelle convention, circonstances qui excluent que ces conventions puissent être regardées comme formant un contrat unique avec un objet identique tout au long des relations contractuelles ;

Attendu que l'ultime contrat du 28 juin 1994 dispose qu'il prendra effet le 1er juin 1994 pour se terminer de plein droit le 31 mai 1996 ", en prévoyant par ailleurs la suppression du bureau de représentation ; que le contrat conclu le 12 juillet 1994 avec la société Coproduction dont A. est le gérant mentionne également cette suppression et précise qu'il ne sera pas renouvelé à son terme ;

Attendu, dans ces conditions, qu'il y a lieu d'appliquer ces prévisions contractuelles librement convenues entre les parties et devant être exécutées de bonne foi, conformément aux dispositions de l'article 989 du Code civil ;

Le défaut de renouvellement :

Attendu qu'aucune obligation de renouvellement n'étant mise à la charge du Comité d'organisation du Festival, puisque la clause de tacite reconduction a précisément été écartée par les parties au contrat du 28 juin 1994, il n'y a pas lieu de rechercher si l'État a commis une faute en s'abstenant de poursuivre les relations contractuelles ;

Qu'en toute hypothèse, le tribunal observe que l'État a pris soin de prévenir suffisamment à l'avance son cocontractant de la cessation de ces relations, en invoquant le 20 février 1996 un motif d'organisation lié au renforcement des structures administratives à Monaco dont A. s'abstient de contester la réalité et qui doit, dès lors, être considéré comme légitime ;

L'annonce de la réorganisation du Festival :

Attendu qu'A. A. n'établit pas avoir réagi à la lettre du 20 février 1996, par laquelle il était invité à discuter des modalités de cette annonce ; qu'il est en conséquence malvenu à se plaindre des conditions dans lesquelles les modifications intervenues dans l'organisation du marché ont été portées à la connaissance du public intéressé ;

Qu'au demeurant, la diffusion incriminée apparaît avoir été effectuée postérieurement au terme contractuel, même si le document ayant fait l'objet du constat d'huissier du 7 mai 1996 a été remis à cette date à A. pour son information ;

Qu'à supposer même que cette diffusion ait eu lieu en mai 1996, aucune faute ne pourrait pour autant être retenue à la charge de l'État, dès lors que l'annonce du successeur de A., légitimée par les nécessités de l'information des professionnels concernés, s'est accompagnée d'une explication relative à la réorganisation mise en place et d'un éloge de A. pour les années passées au service du marché, en sorte qu'aucune faute génératrice d'un préjudice ne peut être reprochée de ce chef à l'État ;

Attendu, en définitive, qu'A. A. doit être débouté de l'ensemble de ses demandes et tenu aux dépens de l'instance, par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute A. A. de l'ensemble de ses demandes ;

Composition

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Brugnetti et Sbarrato, av. déf. ; Konopny-Regensbert, av. bar. de Paris.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26675
Date de la décision : 22/04/1999

Analyses

Contrat - Effets ; Contrat - Interprétation ; Contrat de mandat


Parties
Demandeurs : A.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

article 231 du Code de procédure civile
articles 300 et 309 du Code de procédure civile
Code de procédure civile
Code civil
article 989 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1999-04-22;26675 ?

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