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25/03/1999 | MONACO | N°26667

Monaco | Tribunal de première instance, 25 mars 1999, M. V. c/ Procureur Général


Abstract

Exequatur

Ordre public - Jugement brésilien prononçant une adoption assimilée à une adoption légitimante - Méconnaissance de la loi monégasque (refus)

Adoption

Adoption légitimante - Conditions (art. 242 al. 1 du Code civil) : couple marié depuis plus de cinq ans

Résumé

S'il est de principe que les jugements étrangers en matière d'état des personnes ont leurs effets en Principauté sans qu'il soit nécessaire d'en obtenir l'exequatur, cette circonstance trouve sa limite lorsqu'il s'agit de parvenir à l'exécution forcée desdits

jugements ; en l'espèce, l'exequatur apparaît requis précisément en vue de contraindre l'officier de ...

Abstract

Exequatur

Ordre public - Jugement brésilien prononçant une adoption assimilée à une adoption légitimante - Méconnaissance de la loi monégasque (refus)

Adoption

Adoption légitimante - Conditions (art. 242 al. 1 du Code civil) : couple marié depuis plus de cinq ans

Résumé

S'il est de principe que les jugements étrangers en matière d'état des personnes ont leurs effets en Principauté sans qu'il soit nécessaire d'en obtenir l'exequatur, cette circonstance trouve sa limite lorsqu'il s'agit de parvenir à l'exécution forcée desdits jugements ; en l'espèce, l'exequatur apparaît requis précisément en vue de contraindre l'officier de l'état civil de Monaco à transcrire un jugement brésilien ayant reconnu à la requérante le bénéfice de l'adoption légitimante.

Un tel acte d'exécution ne pouvant intervenir qu'après que le jugement étranger a été déclaré exécutoire à Monaco, il y a lieu d'examiner la demande sur le fondement des articles 472 et suivants du Code de procédure civile.

L'adoption prononcée par le juge brésilien doit être assimilée par les conséquences qu'elle emporte à l'adoption légitimante régie par les articles 242 et suivants du Code civil ; en effet, la décision brésilienne prévoit le changement de nom de l'adopté, l'établissement d'un lien de filiation se substituant à la filiation d'origine et la perte du « pouvoir paternel » des parents biologiques, soit autant d'effets qui ne peuvent se concevoir à Monaco que dans le cadre de l'adoption légitimante, en vertu des articles 261 et 294 du Code civil.

Aux termes de l'article 242 alinéa 1 de ce code, l'adoption légitimante ne peut être demandée que par deux époux, après cinq ans au moins de mariage ; il s'agit là de la première des conditions énoncées par le code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 892 du 21 juillet 1970.

Il ne fait aucun doute au regard de l'exposé des motifs de cette loi, que l'exigence d'un couple marié, seul apte à demander l'adoption légitimante, a constitué dans l'esprit du législateur une condition impérative, d'ordre public, de l'adoption, cette volonté législative trouvant d'ailleurs son fondement dans l'intérêt de l'enfant adopté, tel que conçu par le Conseil National.

En conséquence, permettre à M. V. célibataire de nationalité monégasque d'obtenir l'exequatur du jugement brésilien lui ayant reconnu le bénéfice de l'adoption légitimante reviendrait à méconnaître la loi monégasque dont elle relève et à consacrer une situation expressément exclue par le législateur ; il doit en être déduit que le jugement brésilien dont l'exequatur est requis, en ce qu'il autorise l'adoption légitimante par une seule personne non mariée, est contraire à l'ordre public de la Principauté.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par décision rendue le 1er décembre 1997, le « Juge de droit de la 1re chambre de l'enfance et de la jeunesse » de Fortaleza (Brésil) a fait droit à la demande de M. V., tendant à adopter l'enfant R. S. C., né le 14 mai 1996 dont le nom a été modifié en A. V., et a décrété la perte du pouvoir paternel de ceux qui pourraient s'en prétendre titulaires, avec substitution de la filiation ainsi ordonnée à la filiation inscrite sur le registre original de l'enfant adopté ;

En vertu de cette décision, un acte de naissance a été établi par l'officier du registre civil de la ville de Fortaleza faisant apparaître l'enregistrement le 16 décembre 1997 de « A. V., né le 14 mai 1996 à 7 heures à Fortaleza-Ceara, de sexe masculin, fils de M. V. Ses grands-parents maternels ; J. V. et M. V. Déclaré par la mère de l'enregistré (en présence d'un témoin) » ;

Par l'exploit susvisé du 25 juin 1998, M. V. qui expose que le jugement du 1er décembre 1997 ayant prononcé l'adoption légitimante de l'enfant produit en lui-même, s'agissant d'une décision relative à l'état et à la capacité des personnes, ses effets à Monaco mais qu'il est nécessaire de faire transcrire cette décision sur les registres de l'état civil de la Principauté, ce qui n'a pu avoir lieu, a fait assigner le Procureur Général pour que ledit jugement soit déclaré exécutoire à Monaco avec toutes conséquences de droit ;

Par conclusions du 17 août 1998, le Procureur Général, constatant que l'adoptante, de nationalité monégasque, est célibataire et qu'elle serait de ce fait, en vertu de l'article 242 du Code civil, dans l'impossibilité absolue de réaliser une adoption légitimante en Principauté, d'autant que sa loi personnelle - la loi monégasque - aurait vocation à régir les conditions et les effets de l'adoption, s'est opposé à cette demande d'exequatur en ce qu'elle serait contraire à l'ordre public ;

Par conclusions en réponse du 12 novembre 1998, M. V. a maintenu sa demande en faisant valoir que celle-ci ne vise qu'à faire assurer la publicité, à Monaco, de la décision obtenue au Brésil, par une transcription sur les registres de l'état civil ;

Elle rappelle qu'un jugement étranger d'adoption a force exécutoire sans qu'il soit nécessaire d'obtenir un exequatur, en sorte que l'adoptante doit être considérée comme la mère de l'adopté. Elle prétend que refuser les effets de ce jugement brésilien aurait pour conséquences de rétablir le lien de filiation entre l'enfant et ses parents biologiques, de modifier à nouveaux l'état civil ou l'identité de l'enfant et de restituer l'autorité parentale aux parents biologiques ;

Elle considère par ailleurs que l'article 242 du Code civil n'est pas d'ordre public, la condition d'adoption conjointe par deux personnes mariées n'étant exigée que pour les adoptions régies par la loi monégasque, ce qui ne serait pas le cas de l'espèce ;

Si le caractère d'ordre public devait être reconnu à ce texte, elle estime que l'intérêt supérieur de l'enfant, que l'ordre public a pour mission de protéger, devrait primer ;

Sur quoi :

Attendu que s'il est de principe que les jugements étrangers en matière d'état des personnes ont leurs effets en Principauté sans qu'il soit nécessaire d'en obtenir l'exequatur, cette circonstance trouve sa limite lorsqu'il s'agit de parvenir à l'exécution forcée desdits jugements ; qu'en l'espèce, l'exequatur apparaît requis précisément en vue de contraindre l'officier de l'état civil de Monaco à transcrire le jugement brésilien ;

Attendu qu'un tel acte d'exécution ne pouvant intervenir qu'après que le jugement étranger a été déclaré exécutoire à Monaco, il y lieu d'examiner la demande sur le fondement des articles 472 et suivants du Code de procédure civile ;

Attendu que le Ministère public s'est borné en la cause à soutenir que le jugement du 1er décembre 1997 serait contraire à l'ordre public, par référence implicite à l'article 473-5° dudit code ; que seul ce point sera donc examiné ;

Attendu qu'il n'est pas contestable que l'adoption prononcée par le juge brésilien s'assimile, par les conséquences qu'elle emporte, à l'adoption légitimante régie par les articles 242 et suivants du Code civil ;

Qu'en effet, la décision brésilienne prévoit le changement de nom de l'adopté, l'établissement d'un lien de filiation se substituant à la filiation d'origine et la perte « du pouvoir paternel » des parents biologiques, soit autant d'effets qui ne peuvent se concevoir à Monaco que dans le cadre de l'adoption légitimante, en vertu des articles 261 et 294 du Code civil ;

Attendu qu'aux termes de l'article 242 alinéa 1 de ce code, l'adoption légitimante ne peut être demandée que par deux époux, après cinq ans au moins de mariage ; qu'il s'agit là de la première des conditions énoncées par le code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 892 du 21 juillet 1970 ;

Attendu qu'il résulte de l'exposé des motifs de cette loi que le législateur a entendu faire prévaloir les conceptions suivantes, extraites de la publication au journal de Monaco de la séance publique du Conseil National du 22 juin 1970 :

« L'adoption... doit permettre à l'enfant de trouver les parents et le foyer qui lui font défaut...

La tendance actuelle est de permettre la constitution d'un véritable foyer au profit de l'enfant...

En exigeant que les adoptants soient mariés, le projet ne fait que consacrer une solution qui paraît évidente... : donner un foyer à l'enfant.

Cependant, en France, la loi du 11.7.1966 a autorisé l'adoption plénière par un célibataire.

Cette solution suscite les plus vives critiques : ... cette innovation est contraire à l'esprit de l'institution ; celle-ci est destinée à donner à l'enfant la situation d'enfant légitime ; comment concevoir un tel enfant sans la participation de deux époux ?

De plus, la solution française aboutit à transformer complètement la structure de la famille légitime... le projet n'a pas suivi une conception aboutissant à de telles conséquences... » ;

Attendu que ces conceptions, issues du projet gouvernemental, ont été entérinées par le Conseil National ; qu'en effet, par la voix de son rapporteur, cette Assemblée a estimé :

« Assurer, par priorité, la sauvegarde de l'intérêt de l'enfant consiste... à prendre le maximum de précautions pour favoriser la réussite de son intégration dans le foyer d'accueil...

C'est encore dans le but de faciliter l'intégration que l'exercice de l'adoption légitimante est réservé aux personnes mariées et que l'on exige de celles-ci qu'elles ne soient pas séparées de corps. Ces mesures tendent, en effet, à donner à l'ambiance dans laquelle l'enfant est appelé à vivre un style qui se rapproche le plus possible de celui des foyers fondés sur le mariage... » ;

Attendu qu'au regard de ces considérations, il ne fait aucun doute que l'exigence d'un couple marié, seul apte à demander l'adoption légitimante, a constitué dans l'esprit du législateur une condition impérative, d'ordre public, de l'adoption, cette volonté législative trouvant d'ailleurs son fondement dans l'intérêt de l'enfant adopté, tel que conçu par l'Assemblée ;

Attendu en conséquence que permettre à M. V., célibataire de nationalité monégasque l'obtenir l'exequatur du jugement brésilien lui ayant reconnu le bénéfice de l'adoption légitimante reviendrait à méconnaître la loi monégasque dont elle relève et à consacrer une situation expressément exclue par le législateur, qu'il doit en être déduit que le jugement brésilien dont l'exequatur est requis, en ce qu'il autorise l'adoption légitimante par une seule personne non mariée, est contraire à l'ordre public de la Principauté ;

Attendu, dès lors, que M. V. doit être déboutée de sa demande, le Tribunal relevant que les conséquences par elle envisagées dans ses écrits judiciaires, en cas de refus d'exequatur, n'apparaissent nullement avérées puisque les effets de l'adoption entraînés par la décision et la loi brésiliennes ne sont pas susceptibles d'être remis en cause par le présent jugement ;

Attendu que par application de l'article 231 du Code de procédure civile, M. V. devra supporter les dépens de l'instance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute M. V. de sa demande ;

Composition

M. Narmino, prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Me Licari, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26667
Date de la décision : 25/03/1999

Analyses

Exequatur ; Droit de la famille - Autorité parentale et droits de l'enfant ; Droit de la famille - Filiation


Parties
Demandeurs : M. V.
Défendeurs : Procureur Général

Références :

articles 261 et 294 du Code civil
art. 242 al. 1 du Code civil
loi n° 892 du 21 juillet 1970
Code de procédure civile
Code civil
article 231 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1999-03-25;26667 ?

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