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18/03/1999 | MONACO | N°26665

Monaco | Tribunal de première instance, 18 mars 1999, A.-B. c/ Congrégation religieuse Sainte Marie Joseph


Abstract

Enseignements

Établissement d'enseignement catholique

- Contrat administratif

- Organisme privé, investi d'une mission de service public conféré par l'État contractuellement

- Décision unilatérale de mise à la retraite d'un enseignant : acte administratif relevant d'une prérogative de puissance publique

Résumé

Le contrat renouvelé le 29 mars 1994 entre l'État et les établissements d'enseignement catholique monégasque caractérise un contrat administratif en vertu duquel ceux-ci, en contrepartie de nombreux avantages finan

ciers s'engagent à contribuer au service public de l'enseignement sous le contrôle administratif, financi...

Abstract

Enseignements

Établissement d'enseignement catholique

- Contrat administratif

- Organisme privé, investi d'une mission de service public conféré par l'État contractuellement

- Décision unilatérale de mise à la retraite d'un enseignant : acte administratif relevant d'une prérogative de puissance publique

Résumé

Le contrat renouvelé le 29 mars 1994 entre l'État et les établissements d'enseignement catholique monégasque caractérise un contrat administratif en vertu duquel ceux-ci, en contrepartie de nombreux avantages financiers s'engagent à contribuer au service public de l'enseignement sous le contrôle administratif, financier et pédagogique de l'État.

Les mesures édictées dans cette convention relatives tant aux méthodes, programmes et horaires de travail qu'à la limitation de l'âge du personnel enseignant, fixée à 60 ans pour les enseignants du 1er degré, à sa mise à la retraite, à son mode de rémunération, sont en grande partie conformes à celles en vigueur dans l'enseignement public.

De telle sorte que s'il est incontestable que les établissements d'enseignement catholique de la Principauté sont des organismes privés, il n'en demeure pas moins que leur mission a un caractère d'intérêt général et que l'activité d'enseignement qui s'y trouve dispensée est soumise, au moins pour partie à un régime de droit public.

À ce titre, bien que les contrats de travail des personnels de ces organismes catholiques d'enseignement relèvent du droit privé, certaines décisions unilatérales de tels établissements comportant l'emploi de prérogatives de puissance publique peuvent caractériser des actes administratifs.

Tel apparaît être en l'espèce le cas de la décision unilatérale de mettre à la retraite M. A.-B. lorsque cette enseignante a atteint l'âge de 60 ans.

En effet la modification survenue dans la situation juridique de l'employeur - qui n'a prévu aucune disposition transitoire pour les personnels en place - ne procède d'aucun des cas prévus à l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 sur le contrat de travail, en sorte que la poursuite du contrat aux conditions antérieures ne peut être utilement invoquée par l'appelante.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu que suivant jugement du 11 décembre 1997, auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits et de la procédure, le Tribunal du travail, statuant dans l'instance opposant M. A.-B. à la congrégation religieuse Sainte Marie Joseph dite Dames de Saint Maur ou encore Cours de l'Enfant Jésus a débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes à rencontre de son ancien employeur tout en la condamnant aux dépens de l'instance ;

Attendu que suivant exploit du 15 janvier 1998, M. A.-B. a relevé appel de ce jugement signifié le 6 janvier 1998 à l'effet de voir :

* réformer en son intégralité le jugement du Tribunal du travail du 11 décembre 1997 en ce qu'il a débouté M. A.-B. de l'ensemble de ses demandes ;

* dire et juger inopposables à M. A.-B. en vertu de l'article 1020 du Code civil les dispositions du contrat de subvention invoqué par la congrégation religieuse Sainte Marie Joseph dite Dames de Saint Maur ou encore Cours de l'Enfant Jésus comme fondement de la rupture unilatérale du contrat de travail de cette salariée ;

* dire et juger en tout état de cause nulle et de nul effet la clause de ce contrat qui prévoit une mise à la retraite automatique à l'âge de 60 ans pour les enseignants du primaire, comme contraire aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 455 du 27 juin 1947 modifiée sur les retraites des salariés ;

* dire et juger que la rupture du contrat de travail de M. A.-B. par la congrégation religieuse Sainte Marie Joseph dite Dames de Saint Maur ou encore Cours de l'Enfant Jésus constitue un licenciement et que celui-ci n'est fondé sur aucun motif valable ;

* en conséquence, condamner la congrégation religieuse Sainte Marie Joseph dite Dames de Saint Maur ou encore Cours de l'Enfant Jésus à payer à M. A.-B. les sommes suivantes :

1.Indemnité de préavis

* • 2 mois x 11 806,90 francs............... 23 613,80 francs

2. Congés payés sur indemnité de préavis

* • 1/10e de 23 613,80 francs............... 2 361,38 francs

3. Indemnité de congédiement

* Salaire mensuel moyen :

* ((11 806,90 francs x 13) x 12 = 12 790,80 francs)

* • 1/10e par année de présence = 1 279,08 x 25 . 31 977,00 francs

4. Indemnité de licenciement

* • 1/25e du salaire x 300 = 153 489 francs

* 31 977 00 francs

* + ------- limité à 12 790,80 francs x 6.... 76 744,80 francs

* 121 512,00 francs

* dire et juger que la mesure de licenciement prise à rencontre de M. A.-B. revêt un caractère totalement abusif, en l'état de la parfaite connaissance dans laquelle se trouvait la congrégation religieuse requise du préjudice causé à la concluante du fait du non-respect des dispositions de l'article 1er de la loi n° 455 du 27 juin 1947, modifiée, qu'elle savait applicables à M. A.-B. et faute d'avoir veillé, par la prise de mesures transitoires dans la convention qu'elle a conclue avec l'État monégasque et qu'elle prétend à tort opposer à la concluante, à la sauvegarde des droits que celle-ci tenait de la loi susvisée ;

* en conséquence, condamner la congrégation religieuse Sainte Marie Joseph dite Dames de Saint Maur ou encore Cours de l'Enfant Jésus à payer à M. A.-B., en réparation des préjudices subis, les sommes suivantes, sous réserves des rectifications qui pourront y être apportées pour tenir compte de l'évolution de la situation de la concluante :

dommages-intérêts pour licenciement abusif

• Perte de salaires sur cinq années 11 806,90 francs 135 = 767 448,50 francs sous déduction des sommes perçues ou à percevoir au titre d'indemnités ou de pension de retraite .... Mémoire

• Perte de points de retraite ............... Mémoire

• Préjudice moral ............... 50 000 francs

Attendu que l'intimée, la congrégation religieuse Sainte Marie Joseph dite Dames de Saint Maur ou encore Cours de l'Enfant Jésus, estime quant à elle que la mise à la retraite de M. A.-B. ne constitue pas une décision entrant dans le rapport de droit commun employeur/salarié mais relève de l'exercice d'une prérogative de puissance publique conférée par un contrat administratif à une personne privée concourant directement au service public de l'enseignement ;

Que ladite congrégation religieuse du Cours de l'Enfant Jésus entend dès lors :

* voir le tribunal, en l'état de la convention de subvention en date du 5 décembre 1988, renouvelée, signée entre l'État de Monaco et l'ECAM, constater qu'en perdant son statut exclusivement privé et en bénéficiant de prérogatives de puissance publique conférées par un contrat administratif, l'État se trouvait dès lors investi d'un droit de contrôle sur l'organisation et le fonctionnement de ces établissements en échange de l'aide financière consentie et que l'ECAM ne pouvait se soustraire à l'application de l'article 8 de ladite convention ;

* et par voie de conséquence, confirmer le jugement querellé en ce qu'il a dit et jugé que la lettre du 22 avril 1996 de la congrégation religieuse Sainte Marie Joseph dite Dames de Saint Maur ne saurait s'analyser en un licenciement ;

Attendu que l'appelante, M. A.-B., estime quant à elle en réponse que la convention du 29 mars 1994 n'avait qu'un effet relatif et s'avérait inopposable aux tiers non signataires dont elle faisait partie ; qu'en outre, cette convention n'a prévu aucune mesure transitoire pour le personnel en service qui bénéficiait de dispositions antérieures plus favorables ; que, par ailleurs, un tel contrat de subvention passé entre l'État et les établissements d'enseignement privés regroupés au sein de l'ECAM n'a pas modifié le statut de ces établissements qui sont des personnes privées juridiquement autonomes, libres de gérer leur personnel ;

Qu'on ne peut de la sorte déduire des accords litigieux une participation directe des établissements signataires à l'exécution de la mission du service public, ni donc l'applicabilité de plein droit des règles du droit public concernant l'âge de la retraite des fonctionnaires aux contrats de droit privé ; qu'à cet égard en effet, l'appelante observe que le régime de retraite des salariés de l'enseignement privé qui versent leurs cotisations à la Caisse Autonome des Retraites (CAR) est régi par la loi n° 455 du 27 juin 1947, alors que le régime de retraite des fonctionnaires relève de la loi n° 6049 du 28 juillet 1982 ;

Que M. A.-B. s'estime en définitive fondée à se prévaloir de l'article 1er de la loi n° 455 du 27 juin 1947 fixant l'âge légal de la retraite des salariés à 65 ans et à qualifier d'inopposable l'article 8 de la convention synallagmatique du 29 mars 1994 (passée entre l'État de Monaco et l'ECAM), qui serait en outre nulle, à défaut d'avoir prévu des dispositions transitoires ;

SUR CE :

Attendu qu'il s'évince des circonstances de la cause que M. A.-B. a été embauchée le 29 septembre 1971 par la congrégation religieuse Sainte Marie Joseph des Dames de Saint Maur qualifiée de monitrice-éducatrice et qu'elle y a exercé ses fonctions pendant 25 années ;

Attendu que suivant courrier du 22 avril 1996, le chef d'établissement du Cour Saint Maur l'avisait de la cessation de son activité dans les termes suivants :

« L'article 7 du Contrat de Subvention passé entre le Gouvernement monégasque et les Établissements d'enseignement privés regroupés au sein de l'ECAM prévoit une limite d'âge de 60 ans pour les enseignants du primaire.

L'application stricte de cet article m'oblige donc, en accord avec le Comité Directeur de l'ECAM, à vous informer que vous serez admise à faire valoir vos droits à la retraite à la fin de la présente année scolaire, soit le vendredi 28 juin 1996.

Pour la bonne règle, je vous serais obligée de me confirmer votre accord sur ce point ainsi que sur l'échéance prévue.

Je vous précise en outre que vos congés payés (allant du 1er juillet au 8 septembre 1996) et votre indemnité de départ en retraite vous seront versés en même temps que votre salaire de juin 1996 » ;

Attendu qu'alors que l'employeur, se référant à un tel contrat de subvention, s'estime lié par certaines règles de droit public notamment liées à l'âge de la retraite fixé à 60 ans pour les enseignants du 1er degré et en déduit que la situation de M. A.-B. procède d'une mise d'office à la retraite, cette dernière, invoquant pour sa part l'effet relatif des conventions et l'inopposabilité de ce contrat passé avec l'État, soutient qu'elle a fait l'objet d'un licenciement abusif, dès lors qu'elle aurait pu exercer jusqu'à l'âge de 65 ans ;

Attendu que le tribunal observe que ce n'est pas tant la question de l'effet relatif des conventions qui se pose en l'espèce, principe exclusivement de droit privé, mais plutôt les conséquences de la modification de la situation juridique d'un employeur, personne privée, qui s'est trouvé soumis soudainement à un certain contrôle de la puissance publique sur l'organisation et le fonctionnement de son établissement ;

Attendu en effet, que le contrat renouvelé le 29 mars 1994 entre d'une part le représentant de l'État de Monaco, et, d'autre part, le président de l'ECAM caractérise un contrat administratif passé par l'État, personne publique, et une association privée, laquelle, en contrepartie de nombreux avantages financiers, s'engage à contribuer au service public de l'enseignement sous le contrôle pédagogique, administratif et financier de l'État ;

Attendu que les mesures édictées dans ladite convention, relatives tant aux méthodes, programmes et horaires de travail qu'à la limitation de l'âge du personnel enseignant, au mode de rémunération du personnel ou au calcul des heures supplémentaires sont en grande partie conformes à celles en vigueur dans l'enseignement public ;

Qu'en outre, le fait que soit désormais prévue la présence d'un représentant de l'État désigné par le Gouvernement pour siéger au conseil d'administration de chacun des établissements regroupés par l'ECAM (article 16) conforte le régime exorbitant d'un tel contrat ;

Attendu qu'en l'état de tels accords, s'il est incontestable que les établissements d'enseignement catholique de la Principauté sont des organismes privés, il n'en demeure pas moins que leur mission a un caractère d'intérêt général et que l'activité d'enseignement qui s'y trouve dispensée est soumise, au moins pour partie, à un régime de droit public ;

Qu'à ce titre, bien que les contrats de travail des personnels de ces organismes catholiques d'enseignement relèvent du droit privé, certaines décisions unilatérales de tels établissements, comportant l'emploi de prérogatives de puissance publique, peuvent caractériser des actes administratifs ;

Que tel apparaît être en l'espèce le cas de la décision unilatérale de mettre à la retraite M. A.-B. lorsque cette enseignante a atteint l'âge de 60 ans ;

Attendu en effet, que la modification survenue dans la situation juridique de l'employeur - qui n'a prévu aucune disposition transitoire pour les personnels en place - ne procède d'aucun des cas prévus à l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 sur le contrat de travail, en sorte que la poursuite du contrat aux conditions antérieures ne peut être utilement invoquée par l'appelante ;

Que les notions d'avantages acquis ou d'opposabilité n'apparaissent pas plus pertinentes en l'espèce, étant en fait observé que les contrats administratifs concernés ont également induit une modification globale de la situation statutaire et financière des salariés de l'ECAM, et ce, après une consultation générale et préalable de représentant des enseignants, outre une information spécifique, dont sœur J. B., ancienne directrice du Cours de l'Enfant Jésus, affirme qu'elle a été portée à la connaissance de M. A.-B. (attestation du 24 novembre 1998 - cf pièce n° 6) ;

Qu'il ne saurait enfin être contesté que les employés concernés ont bénéficié des avantages suivants du fait de la souscription du contrat litigieux :

* l'ensemble du personnel de ces établissements privés bénéficiant de ce reclassement sur la grille de la fonction publique, a vu le calcul de la rémunération s'aligner sur la valeur du point de la fonction publique monégasque supérieur d'environ 2,5 % à celui de la fonction publique française ;

* perception du 13e mois ;

* perception d'une indemnité exceptionnelle de 7 % ;

Attendu qu'il convient en conséquence de dire et juger qu'en signifiant à M. A.-B. sa mise à la retraite dans les termes et délais prévus par le contrat souscrit avec l'État de Monaco, l'employeur de cette salariée a pris une décision relevant de l'exercice d'une prérogative de puissance publique, telle que conférée par l'État dans la convention du 29 mars 1994 renouvelée, fixant à 60 ans la limite d'âge du personnel d'enseignement du 1er degré, et ce, à compter du 1er septembre 1990 ;

Attendu que les premiers juges ont dès lors à bon droit débouté M. A.-B. de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation fondées sur un licenciement inexistant en l'espèce ;

Attendu que le Tribunal de Première Instance, statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail, n'apparaît pas par ailleurs compétent pour connaître de la légalité du contrat administratif dont s'agit, ni du préjudice ayant pu résulter de l'absence de dispositions transitoires ;

Attendu que les dépens de première instance et d'appel doivent demeurer à la charge de M. A.-B., par application de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

statuant contradictoirement, comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Déboute M. A.-B. de l'ensemble de ses demandes ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 décembre 1997 par le Tribunal du travail ;

Composition

Mme Gambarini, prem. vice-prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Sbarrato et Escaut, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26665
Date de la décision : 18/03/1999

Analyses

Contrats et marchés publics ; Contrats de travail ; Education


Parties
Demandeurs : A.-B.
Défendeurs : Congrégation religieuse Sainte Marie Joseph

Références :

article 1020 du Code civil
loi n° 6049 du 28 juillet 1982
article 231 du Code de procédure civile
article 1er de la loi n° 455 du 27 juin 1947
article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
loi n° 455 du 27 juin 1947


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1999-03-18;26665 ?

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