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15/02/1996 | MONACO | N°26417

Monaco | Tribunal de première instance, 15 février 1996, E. c/ Centre hospitalier Princesse Grace


Abstract

Testament

Legs consenti à un service hospitalier par un malade y ayant été soigné - Bénéficiaire visé par l'article 777 du Code civil (non) - Établissement public, dont dépend le service, bénéficiaire du legs - Intention libérale exprimée par le testateur

Résumé

Il est de principe que les incapacités de recevoir édictées par l'article 777 du Code civil sont de droit étroit et ne concernent que les médecins ou pharmaciens, personnes physiques ayant personnellement pris part au traitement de la maladie du testateur, et comme tels, présumÃ

©s susceptibles de l'avoir influencé.

En conséquence ces incapacités ne sauraient être étend...

Abstract

Testament

Legs consenti à un service hospitalier par un malade y ayant été soigné - Bénéficiaire visé par l'article 777 du Code civil (non) - Établissement public, dont dépend le service, bénéficiaire du legs - Intention libérale exprimée par le testateur

Résumé

Il est de principe que les incapacités de recevoir édictées par l'article 777 du Code civil sont de droit étroit et ne concernent que les médecins ou pharmaciens, personnes physiques ayant personnellement pris part au traitement de la maladie du testateur, et comme tels, présumés susceptibles de l'avoir influencé.

En conséquence ces incapacités ne sauraient être étendues à tout un service hospitalier ou au centre dont dépend ledit service ; il s'ensuit qu'il était loisible au testateur de désigner, en la cause, un service hospitalier comme devant bénéficier d'un legs particulier, les dispositions de l'article 777 ne faisant pas obstacle à une telle libéralité.

Il convient d'appliquer en la cause la règle selon laquelle doivent primer la volonté et l'intention libérale exprimées par le testateur.

S'il est exact que le service hospitalier désigné comme bénéficiaire n'a pas d'existence légale et ne peut, faute de capacité, recevoir un legs, il y a lieu de relever qu'en l'espèce le service dépend du Centre Hospitalier Princesse Grace, établissement public jouissant de la personnalité morale et habile à recueillir des legs.

En gratifiant le service dans lequel il a séjourné pour y recevoir des soins, le testateur apparaît avoir eu l'intention de marquer sa reconnaissance à la structure médicale au sein de laquelle il a été soigné, de sorte que le legs doit revenir à l'établissement dont dépend le service médical nommément mentionné dans le testament.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

L. E. dit E.-S. est décédé le 13 décembre 1992 à Monaco, au Centre Hospitalier Princesse Grace où il était traité, au Service de Médecine Générale, durant la maladie ayant entraîné son décès ;

Sous réserve des dispositions testamentaires objet du présent litige, il a laissé pour héritiers, dans les proportions mentionnées en un acte de notoriété dressé par Me Crovetto, notaire, le 16 décembre 1993 :

* A. C. épouse A., d'une part,

* J., L. E., R., A. E., F. E. épouse M., J. E. épouse H., C., A. C., P. C. épouse M., J., L. C., I. G. S. épouse A., L. G. S. épouse F., J. G. S. épouse T. et J. E. D. S., d'autre part ;

Le 30 octobre 1992, L. E.-S. a demandé au docteur V. O. et à l'infirmière Y. S., appartenant toutes deux au service de médecine où il était soigné, d'être présentes lors de la rédaction du testament olographe qu'il a alors établi ; aux termes de ses dispositions testamentaires, il déclare léguer « au service du 7e étage-médecine du docteur C. J.-L. la somme correspondant à la vente de (son) appartement et l'argent au Crédit Foncier. Partage des livres... » ;

Ce testament a été publié et déposé conformément à la loi ;

Par l'exploit susvisé du 24 mai 1994, les héritiers ci-dessus nommés ont fait assigner le Centre Hospitalier Princesse Grâce en nullité du legs particulier mentionné plus haut ; ils demandent en conséquence au Tribunal de juger que l'appartement propriété du de cujus à Monaco-Ville, l'argent déposé à son nom au Crédit Foncier de Monaco et ses livres seront compris dans la succession qui doit leur être dévolue dans les proportions indiquées dans l'acte de notoriété du 16 décembre 1993 ;

Le Centre Hospitalier Princesse Grace a conclu au rejet de ces demandes, en sollicitant du Tribunal qu'il dise que le testament du 30 octobre 1992 est régulier tant en la forme qu'au fond et doit sortir son plein et entier effet ;

Les demandeurs font valoir, au soutien de leurs prétentions, que le legs particulier attaqué méconnaît la règle posée par l'article 777 alinéa 1 du Code civil qui prescrit que :

« les médecins ou les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie » ;

Ils précisent à cet égard qu'au moment de tester, le de cujus se trouvait en phase terminale d'une maladie incurable et s'interrogent sur le point de savoir s'il disposait de son entier discernement et ne se trouvait pas sous l'influence du personnel médical du service hospitalier ;

Ils remarquent que la présence de deux témoins constitue un « fait surprenant » et estiment que les attestations émanant de ces « témoins » sont insuffisantes pour établir que L. E.-S. disposait de son libre-arbitre ;

Ils se livrent par ailleurs à une interprétation extensive de l'article 777 du Code civil et soutiennent qu'il convient de se placer à l'époque de la rédaction de ce texte où les hôpitaux étaient dépourvus de services spécialisés ; l'expression « médecins ayant traité une personne » doit s'entendre, selon eux, de tout le personnel médical du service hospitalier qui a prodigué ses derniers soins au malade, et considèrent en conséquence que l'article 777 a vocation à s'appliquer en la cause ;

Ils observent en outre que l'affectation du legs n'est pas précisée et que chacun des membres du service, pris individuellement, pourrait être intéressé par le legs querellé ; à ce propos, ils soutiennent que le testament ne saurait être interprété comme bénéficiant au Centre Hospitalier Princesse Grace, établissement doté de la personnalité morale et seul habile à recevoir un legs, tandis que le service gratifié ne jouit pas de cette personnalité et n'a donc pas la capacité de recevoir ;

Le Centre Hospitalier Princesse Grace, pour s'opposer à ces prétentions, soutient que seule la personne du praticien est visée par l'article 777 du Code civil, tandis que le bénéficiaire du legs en la cause est le service de médecine générale situé au 7e étage du Centre Hospitalier Princesse Grace et dirigé par le Docteur C. ; il indique que rien ne s'oppose à ce qu'un service d'un établissement hospitalier doté de la personnalité morale soit gratifié et prétend que l'article 777 est inapplicable en l'espèce ;

Le Centre Hospitalier Princesse Grace observe, par ailleurs, que le testament olographe attaqué satisfait aux prescriptions de l'article 836 du Code civil et conteste l'interprétation conférée par les demandeurs à l'article 777 dudit Code ;

Sur quoi,

Attendu qu'il est de principe que les incapacités de recevoir édictées par l'article 777 du Code Civil sont de droit étroit et ne concernent que les médecins ou pharmaciens personnes physiques ayant personnellement pris part au traitement de la maladie du testateur, et comme tels, présumés susceptibles de l'avoir influencé ;

Attendu en conséquence que ces incapacités ne sauraient être étendues à tout un service hospitalier ou au centre dont dépend ledit service ;

Qu'il s'ensuit qu'il était loisible au testateur de désigner, en la cause, un service hospitalier comme devant bénéficier d'un legs particulier, les dispositions de l'article 777 ne faisant pas obstacle à une telle libéralité ;

Attendu, sur la capacité du testateur, que les demandeurs procèdent par simples allégations en mettant en doute le discernement de feu L. E.-S. ;

Qu'ils ne produisent aucune pièce au soutien de leurs affirmations et s'abstiennent d'ailleurs de soutenir que le testament serait nul pour insanité d'esprit ;

Qu'en revanche, le Centre Hospitalier Princesse Grace verse aux débats les attestations de Mmes O. et S. dont il résulte que le testateur était « lucide et n'a demandé aucun conseil » et encore qu'il « était bien cohérent et sain d'esprit lors des faits », étant observé que la présence de tiers demeurés passifs lors de l'établissement d'un testament olographe ne saurait affecter la validité de ce testament ;

Attendu en conséquence qu'aucun élément ne permet de retenir que le testament querellé serait vicié de ce chef ;

Attendu, quant au bénéficiaire du legs contesté, qu'il convient d'appliquer en la cause la règle selon laquelle doivent primer la volonté et l'intention libérale exprimées par le testateur ;

Attendu que s'il est exact que le service hospitalier désigné comme bénéficiaire n'a pas d'existence légale et ne peut, faute de capacité, recevoir un legs, il y a lieu de relever qu'en l'espèce le service dépend du Centre Hospitalier Princesse Grace, établissement public jouissant de la personnalité morale et habile à recueillir des legs ;

Attendu qu'en gratifiant le service dans lequel L. E.-S. a séjourné pour y recevoir des soins, le testateur apparaît avoir eu l'intention de marquer sa reconnaissance à la structure médicale au sein de laquelle il a été soigné ; que ses héritiers ne sont nullement mentionnés comme devant bénéficier du produit de la vente de son appartement et de ses dépôts en banque ;

Attendu en conséquence que ces biens doivent revenir à l'établissement dont dépend le service médical nommément mentionné dans le testament, étant relevé que le Centre Hospitalier Princesse Grace a pris l'engagement d'utiliser les fonds recueillis pour doter ce service particulier de nouveaux matériels ;

Attendu qu'il y a lieu en définitive de débouter les demandeurs de leurs prétentions et de faire droit à la demande reconventionnelle du Centre Hospitalier Princesse Grace dans les termes ci-après ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute les héritiers de feu L. E.-S. de leur demande en nullité du legs litigieux contenu dans le testament olographe daté du 30 octobre 1992 ;

Dit que ce legs a été valablement consenti et qu'il devra sortir son plein et entier effet au profit du Centre Hospitalier Princesse Grace ;

Composition

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. Subst. Proc. Gén. ; Mes Sanita, Escaut et Pastor av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26417
Date de la décision : 15/02/1996

Analyses

Établissement de santé ; Droit des successions - Successions et libéralités


Parties
Demandeurs : E.
Défendeurs : Centre hospitalier Princesse Grace

Références :

article 777 du Code civil
article 836 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1996-02-15;26417 ?

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