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11/05/1995 | MONACO | N°26377

Monaco | Tribunal de première instance, 11 mai 1995, Société Sudameris c/ Société Fina France


Abstract

Baux commerciaux

Droit de préemption du bailleur - Échange du fonds - Non-constitution d'une cession à titre onéreux - Absence de droit de préemption

Résumé

L'échange d'un fonds de commerce par le locataire d'un immeuble, ne constituant pas une cession à titre onéreux au sens de l'article 1425 du Code civil, échappe au droit de préemption du bailleur prévu par l'article 32 bis de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, à laquelle les parties se sont elles-mêmes expressément référées à tort.

Le terme de préemption n'a de sens que s'il

s'applique à une vente, dès lors qu'il se définit précisément par l'existence d'un droit d'achat p...

Abstract

Baux commerciaux

Droit de préemption du bailleur - Échange du fonds - Non-constitution d'une cession à titre onéreux - Absence de droit de préemption

Résumé

L'échange d'un fonds de commerce par le locataire d'un immeuble, ne constituant pas une cession à titre onéreux au sens de l'article 1425 du Code civil, échappe au droit de préemption du bailleur prévu par l'article 32 bis de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, à laquelle les parties se sont elles-mêmes expressément référées à tort.

Le terme de préemption n'a de sens que s'il s'applique à une vente, dès lors qu'il se définit précisément par l'existence d'un droit d'achat privilégié au profit de son bénéficiaire, alors que dans l'échange - contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre - l'absence d'un prix fixé en argent ne permet pas de reconnaître aux deux contractants un rôle différent, chacun étant à la fois vendeur et acheteur.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu que la Banque Sudameris, venant aux droits de la dame veuve G., a fait assigner la société anonyme dénommée Fina France, venant elle-même aux droits de la société Oxford station service qui loue des locaux dont elle est propriétaire à Monaco, et ce, aux fins que le Tribunal dise et juge, par application des articles 32 bis de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les loyers commerciaux, n° 1426 et 1432 du Code civil :

* que la lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juin 1994 par laquelle la société Fina France informait la société bailleresse bénéficiaire d'un droit de préemption des conditions et prix de la cession du fonds de commerce qu'elle exploite dans les locaux propriété de la Banque Sudameris sis à Monaco, valait offre de vente dudit fonds monégasque à l'égard de celle-ci ;

* que l'acceptation de cette offre par la requérante en date du 22 juin 1994, dans les formes et délais prescrits par l'article 32 bis de la loi n° 490 a fixé l'accord des parties sur la chose et sur le prix de sorte qu'à cette date et de ce fait, la vente s'est trouvée parfaite ;

* qu'est faite entre les parties la vente du fonds de commerce exploité par la requise dans les locaux propriété de la requérante sis à Monaco en raison de l'accord intervenu entre elles sur la chose et sur le prix tel que résultant de l'échange de lettres des 13 juin et 22 juin 1994 ;

Attendu que la Banque Sudameris sollicite également du Tribunal :

* qu'il ordonne que la Société Fina France sera tenue de passer l'acte de cession dudit fonds de commerce, aux conditions indiquées et acceptées de l'offre du 13 juin 1994, à savoir moyennant paiement du prix de 1 000 000 francs et que faute pour la défenderesse de ce faire, le jugement à intervenir tiendra lieu d'acte de cession et vaudra titre ;

* qu'il condamne la Société Fina France à lui payer la somme de 30 000 francs en raison des frais non compris dans les dépens à raison de la résistance abusive de cette défenderesse ;

* qu'il ordonne enfin l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Attendu qu'au soutien de sa demande, la bailleresse expose qu'après de nombreuses négociations, le bail la liant à la société Fina France a été renouvelé le 1er octobre 1992 aux mêmes conditions que le contrat d'origine à l'exception du loyer dont le prix a été conventionnellement modifié ; qu'alors que sa locataire lui avait fait part, selon courrier recommandé avec accusé de réception du 13 juin 1994, de sa décision de céder le fonds de commerce, la Banque Sudameris rappelle qu'elle a par lettre en réponse du 22 juin 1994 exercé son droit de préemption sur ledit fonds moyennant le paiement du prix communiqué soit la somme de 1 000 000 francs, et ce, en application des dispositions de l'article 32 de la loi n° 490 ;

Qu'elle indique que la société défenderesse lui a alors notifié sa renonciation à la cession du droit au bail et a de la sorte rétracté son offre ; qu'en l'état de son acceptation de l'offre de préemption et de l'accord qui en serait résulté sur la chose et sur le prix, la société Banque Sudameris estime que la vente était parfaite et qu'une rétractation n'était dès lors plus possible ;

Qu'elle entend en conséquence voir contraindre la société Fina France à passer avec elle l'acte de cession du fonds de commerce aux conditions de l'offre initiale, c'est-à-dire moyennant le paiement d'un prix de 1 000 000 francs ;

Attendu que la société Fina France conclut pour sa part au débouté de la Banque Sudameris de l'intégralité de ses demandes et sollicite la condamnation de cette dernière au paiement d'une somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;

Attendu qu'à l'appui de ses dénégations, la société Fina France se réfère en particulier à l'alinéa 4 de l'article 32 bis de la loi n° 490 pour en déduire que le fonds cédé ne faisait pas l'objet d'une cession à titre onéreux dans la mesure où le transfert de propriété s'inscrivait dans le cadre d'un échange global, au regard duquel l'établissement n'était qu'un élément d'un ensemble indivisible, qui aurait dès lors dû faire intégralement l'objet de la préemption litigieuse ;

Qu'en l'état de telles circonstances, l'article 32 bis alinéa 2 de la loi n° 490 n'apparaît pas applicable à la société défenderesse qui s'oppose à l'exercice de la préemption invoquée par la Banque Sudameris ;

Sur ce,

Attendu, dans le domaine des faits, qu'il ressort des pièces non contestées de la procédure que suivant acte sous seing privé du 26 mai 1994, qui sera enregistré avec le présent jugement, les sociétés Mobil Oil Française et Fina France sont convenues d'échanger un réseau complet de stations-service ;

Que dans le cadre de cette opération globale, la société Fina France adressait le 13 juin 1994 à la Banque Sudameris un courrier aux termes duquel elle l'informait de la teneur de l'accord d'échange conclu avec Mobil Oil Française et du fait qu'il incluait notamment le local, dont cette dernière était propriétaire ;

Que la société Fina France ajoutait par ailleurs dans le même courrier :

« Compte tenu du caractère global de cet accord, ce fonds de commerce est valorisé, en ce compris le droit au bail, à la somme de 800 000 francs, à quoi il faudrait ajouter, en cas d'éviction de l'exploitant en place, une somme de l'ordre de 200 000 francs... » ;

Attendu que la société Fina France se référait enfin à la loi n° 490 dans le cadre duquel elle déclarait adresser l'avis dont s'agit à la Banque Sudameris ;

Attendu que par courrier en réponse du 22 juin 1994, la société Banque Sudameris faisait savoir à la société Fina France qu'en vertu des dispositions de l'article 32 bis de la Loi monégasque n° 490 sur les baux commerciaux, elle entendait exercer son droit de préemption sur le fonds de commerce au prix précédemment proposé de 1 000 000 francs ;

Que ledit courrier était rédigé dans les termes suivants :

« Nous faisons suite à votre lettre réceptionnée le 14 juin 1994 par laquelle vous nous avez fait connaître les conditions de cession de votre fonds de commerce exploité dans les locaux à Monaco.

Cette dénonciation intervenant par application des dispositions de l'article 32 de la loi monégasque n° 490 sur les baux commerciaux, nous avons l'honneur de vous informer que nous entendons faire jouer notre droit de préemption sur ledit fonds de commerce et nous nous déclarons disposés à vous payer le prix correspondant, soit un montant total de 1 000 000 francs, se décomposant en 800 000 francs pour la valeur du fonds lui-même et 200 000 francs à titre d'indemnité d'éviction de l'exploitant. »

Attendu, cependant, que selon lettre en réponse du 18 juillet 1994, la société Fina France signifiait à la Banque Sudameris, propriétaire des murs, qu'elle entendait renoncer à la cession du droit au bail litigieux dans les termes ci-après :

« Notre lettre du 13 juin avait pour seul objet, conformément à la Loi n° 490 de Monaco, de vous notifier l'échange d'un ensemble de fonds de commerce entre notre société et Mobil Oil Française (...) Par conséquent, en vue d'éviter tout conflit avec votre société et s'agissant de notre établissement à Monaco, qui demeure partie intégrante de l'ensemble échangé, nous renonçons à la cession du droit au bail. »

Attendu que la question soumise par les parties au Tribunal revient donc à déterminer si l'offre formulée par référence expresse aux conditions de la Loi n° 490 sur les baux commerciaux a ou non permis de consacrer l'exercice par la propriétaire des murs de son droit de préemption ;

Attendu à cet égard, qu'ainsi que le mentionnait au demeurant la Banque Sudameris elle-même dans son courrier du 22 juin 1994, la dénonciation effectuée par la société propriétaire du fonds de commerce et locataire des murs est intervenue « par application des dispositions de l'article 32 de la Loi monégasque n° 490 » ;

Attendu que ledit article 32 bis dispose :

« ... En cas de cession à titre onéreux du fonds de commerce exploité dans les locaux du propriétaire (...) il est accordé audit propriétaire un droit de préemption. »

Attendu qu'il est toutefois constant, et cet élément de fait a été porté à la connaissance de la Banque Sudameris dès le premier courrier du 13 juin 1994, que l'établissement exploité à Monaco n'a constitué qu'un des éléments d'une opération globale d'échange ; qu'outre l'intitulé de la convention, qui n'est autre que « contrat d'échange commercial », il est patent qu'aucune cession à titre onéreux du fonds au sens de l'article 1425 du Code civil n'est en l'occurrence intervenue, étant en effet précisé que les parties au contrat se sont simplement engagées à se céder mutuellement l'ensemble des éléments incorporels de quatorze fonds de commerce de stations-service, dont celui exploité dans le local de Monaco, propriété de la Banque Sudameris ;

Attendu que dans le cadre d'un échange - contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre - l'absence d'un prix fixé en argent, devant précisément servir de contrepartie à un bien, ne permet pas de reconnaître aux deux contractants un rôle différent, chacun étant à la fois vendeur et acheteur ;

Attendu, par ailleurs, que le terme de préemption n'a de sens que s'il s'applique à une vente, dès lors qu'il se définit précisément par l'existence d'un droit d'achat privilégié au profit de son bénéficiaire ;

Qu'ainsi, le droit de préemption doit-il être écarté pour tous les actes de cession dans lesquels le cédant ne peut se voir offrir le bien déterminé qu'il désirait acquérir, tel étant le cas de la société Fina France, à laquelle la Banque Sudameris ne pouvait pas fournir la contrepartie stipulée au contrat d'échange souscrit avec la société Mobil Oil, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une somme d'argent ;

Qu'il est en définitive constant qu'en dépit de la rédaction inadéquate de l'avis adressé le 13 juin 1994 au propriétaire des murs - lequel évoquait la valeur spécifique du fonds de commerce exploité - aucune cession à titre onéreux dudit fonds n'a en l'occurrence eu lieu à concurrence de la somme mentionnée de 800 000 francs, ni au demeurant d'aucune autre ;

Que l'échange de ce bien échappe dès lors au droit de préemption prévu par l'article 32 bis de la Loi n° 490 à laquelle les parties se sont elles-mêmes expressément référées ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de débouter la Banque Sudameris de l'ensemble de ses prétentions de ce chef ;

Attendu que cette propriétaire des murs apparaît cependant s'être méprise sur la portée de ses droits, compte tenu notamment de la nature du courrier qu'elle a reçu le 13 juin 1994, accréditant la possibilité d'exercice du droit de préemption ;

Qu'il y a lieu dès lors de débouter la société Fina France des fins de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts, tout en faisant au contraire droit à la même demande formulée par la Banque Sudameris, laquelle n'aurait pas agi en justice si l'avis adressé par la société Fina France avait été dénué d'équivoque ;

Qu'il y a dès lors lieu de condamner la défenderesse à lui payer la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que l'urgence n'apparaissant pas à ce seul titre caractérisée, il y a lieu de débouter la Banque Sudameris des fins de sa demande d'exécution provisoire ;

Et attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute la société anonyme de droit français dénommée Banque Sudameris des fins de sa demande tendant à voir consacrer l'exercice d'un droit de préemption ;

Faisant en revanche droit à sa demande de dommages-intérêts, condamne la société anonyme de droit français dénommée Fina France à lui payer de ce chef une somme de 10 000 francs ;

Déboute la société Fina France des fins de sa demande reconventionnelle ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

MM. Landwerlin Prés. ; Serdet Prem. Subst. Proc. Gén. - Mes Sbarrato et Pastor av. déf. ; Pasquier-Ciulla av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26377
Date de la décision : 11/05/1995

Analyses

Baux commerciaux ; Droit de préemption


Parties
Demandeurs : Société Sudameris
Défendeurs : Société Fina France

Références :

article 32 bis de la loi n° 490 du 24 novembre 1948
Code civil
article 1425 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1995-05-11;26377 ?

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