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20/01/1994 | MONACO | N°26300

Monaco | Tribunal de première instance, 20 janvier 1994, M. c/ Office d'Assistance Sociale


Abstract

Responsabilité de la puissance publique

Office social d'assistance = établissement public - Règles de responsabilité exclusives du droit privé - Faute de service caractérisée : insuffisance de l'équipement, de la surveillance, absence d'initiatives du personnel

Résumé

Dès lors qu'il est constant que l'Office d'Assistance Sociale de Monaco (OASM) a la nature d'un établissement public assujetti au contrôle préalable des dépenses et investi de la personnalité civile par l'effet de la loi n° 335 du 19 décembre 1941 et de l'ordonnance Souverain

e n° 7543 du 17 décembre 1982, il s'ensuit que le Tribunal, saisi d'une demande en dommag...

Abstract

Responsabilité de la puissance publique

Office social d'assistance = établissement public - Règles de responsabilité exclusives du droit privé - Faute de service caractérisée : insuffisance de l'équipement, de la surveillance, absence d'initiatives du personnel

Résumé

Dès lors qu'il est constant que l'Office d'Assistance Sociale de Monaco (OASM) a la nature d'un établissement public assujetti au contrôle préalable des dépenses et investi de la personnalité civile par l'effet de la loi n° 335 du 19 décembre 1941 et de l'ordonnance Souveraine n° 7543 du 17 décembre 1982, il s'ensuit que le Tribunal, saisi d'une demande en dommages-intérêts contre cet organisme à la suite d'un accident survenu à un enfant séjournant dans une colonie de vacances organisée par celui-ci, est appelé à se prononcer, en matière administrative, sur la responsabilité encourue par cet établissement public, en vertu des règles exclusives du droit privé, régissant la responsabilité d'un tel organisme.

La demanderesse ayant invoqué, au soutien de son action, la faute commise par l'OASM ou ses préposés, il appartient au Tribunal d'apprécier si une faute de service à l'origine des blessures subies par la victime peut être relevée en la cause, de nature à engager la responsabilité de l'office.

Le fait qu'une enfant de neuf ans, bien que placée sous la surveillance directe d'un animateur de la colonie soit parvenue seule ou aidée par des tiers et sans disposer de l'équipement nécessaire - sur le dos d'un cheval dépourvu de tout harnachement et non sellé, lequel s'est aussitôt emballé et a provoqué la chute de la jeune cavalière, suffit à caractériser de la part de l'Office une faute de service qui révèle une insuffisance imputable à son personnel dans la surveillance et le contrôle des faits et gestes de l'enfant et une absence d'initiatives préventives.

Note : Ce jugement est à rapprocher de la jurisprudence française, qui dans le cas où la responsabilité d'un organisme public est susceptible d'être engagée du fait d'accidents survenus à des enfants en colonie de vacances ou centres aérés, exige que la victime ou les ayants droit établissent une faute grave.

Généralement, la faute consiste comme en l'espèce en un défaut de surveillance ; et n'est pas détachable de l'exercice des fonctions des agents de l'organisme chargé de la surveillance des mineurs.

Motifs

Le Tribunal

Considérant les faits suivants :

Alors qu'elle séjournait à la colonie de vacances (31 - Aurignac) organisée par l'Office d'Assistance Sociale de Monaco, ci-après OASM, la mineure V. A., alors âgée de 9 ans, a été victime le 6 juillet 1990 à 8 h 05 d'une chute de cheval lui ayant occasionné diverses blessures ;

À la requête de J. M. divorcée A., représentante légale de sa fille mineure V., une expertise médicale de la victime - confiée au Docteur Pastorello - a été ordonnée en référé au contradictoire de l'OASM et de son assureur la compagnie UAP, le 20 janvier 1992 ;

L'expert ayant déposé son rapport le 27 juillet 1992, J. M. divorcée A., agissant tant en son nom personnel que pour le compte de sa fille, a fait assigner par l'exploit susvisé « le Directeur de l'OASM » et la compagnie UAP, aux fins d'entendre déclarer le Directeur de l'Office seul responsable de l'accident survenu le 6 juillet 1990 sur le fondement de l'article 1231 du Code civil et tenu, in solidum avec la compagnie UAP, d'en réparer l'intégralité des conséquences dommageables ;

Cette demanderesse poursuit dès lors la condamnation des défendeurs, in solidum, à lui payer la somme de 5 319,32 francs en réparation de son préjudice matériel et sollicite en outre le paiement au profit de sa fille, préalable homologation du rapport de l'expert Pastorello, de la somme globale de 45 000 francs aux titres de l'incapacité temporaire totale (2 000 francs), de l'incapacité permanente partielle (18 000 francs), du pretium doloris (10 000 francs) et du préjudice d'agrément subis (15 000 francs) ; que par ailleurs, elle demande acte de ses réserves de saisir à nouveau le Tribunal en cas d'aggravation de l'état de santé de sa fille du fait de l'accident du 6 juillet 1990 ;

La « directrice de l'OASM » et la compagnie UAP Incendie Accidents, concluent, pour leur part, au rejet de ces demandes à titre principal en faisant valoir :

* qu'il appartient à J. M. divorcée A. d'établir qu'elle exerce effectivement l'autorité parentale sur la jeune V. et qu'elle en est bien la représentante légale habilitée à agir en justice ;

* que la directrice de l'Office ne peut être tenue pour personnellement responsable de l'accident, seul l'OASM pouvant être condamné, le cas échéant ;

* que le cheval ayant occasionné la chute de V. était placé sous la garde de son propriétaire, le Centre Culturel et de Vacances H. L. ;

* qu'aucun préposé de l'OASM ni l'Office lui-même, n'a commis de faute à l'origine du dommage subi par la victime ;

* que celle-ci, bien que surveillée par un animateur de l'Office présent à ses côtés, s'est hissée seule sur le dos de l'animal, ce qu'elle ne devait pas faire ;

Les défenderesses, à titre subsidiaire seulement, discutent les montants sollicités en réparation des divers dommages invoqués ;

Sur le préjudice matériel, elles acceptent de régler uniquement la somme de 2 320,32 francs, en relevant que la perte de salaire alléguée par la mère n'est pas démontrée ;

Sur le préjudice corporel, elles dénient à la jeune V. le droit à une indemnité compensatrice de l'ITT bien qu'offrant le « montant symbolique » de 1 000 francs à ce titre ;

Quant à l'IPP, elles proposent de l'indemniser à concurrence de la somme de 10 500 francs ;

En ce qui concerne le pretium doloris, elles offrent de régler une somme de 5 000 francs et relèvent que le préjudice d'agrément allégué n'est pas établi ;

Elles estiment enfin qu'il n'y a pas lieu de donner acte à la demanderesse de ses réserves ;

J. M. divorcée A., en l'état de ces écrits judiciaires, a maintenu ses demandes initiales ; elle rappelle que l'UAP, assureur de l'Office, n'a jamais contesté le principe de la responsabilité de cet organisme avant la présente instance mais a, au contraire, offert de payer certaines sommes ;

Précisant les circonstances de fait dans lesquelles l'accident s'est produit, elle considère que la preuve est rapportée - sur le fondement des articles 1229 et 1230 du Code civil - d'une faute commise par l'Office ou l'un de ses préposés, en démentant que V. ait pris seule l'initiative de monter sur le cheval alors dépourvu de selle et de harnais ;

En réponse, les défenderesses maintiennent les divers éléments de leur contestation en soutenant :

* que la responsabilité de l'OASM ne peut être recherchée que dans le cadre d'une responsabilité contractuelle, en application de l'article 1002 du Code civil ;

* que la preuve d'une faute commise par l'un des préposés de l'Office n'est pas administrée, V. s'étant blessée alors qu'elle était montée sur l'animal, seule et à l'insu de l'animateur de la colonie ;

Elles réitèrent en conséquence leurs précédentes écritures judiciaires, sauf à demander au Tribunal de surseoir à statuer sur les prétentions de J. M. divorcée A. jusqu'à la production du jugement lui ayant confié la garde de la jeune V. ;

Sur quoi,

Attendu qu'au cours des plaidoiries et à la demande du Tribunal, le conseil de J. M. divorcée A. a indiqué avoir attrait la directrice de l'Office en sa qualité de représentante de cet organisme tandis que l'avocat-défenseur des défenderesses a déclaré que l'OASM intervient, en tant que de besoin, à l'instance ;

Attendu qu'il y a lieu de prendre acte de cette intervention volontaire de l'Office aux lieu et place de sa « directrice » ayant été à tort appelée en cause ;

Attendu, au fond, qu'il est constant que l'OASM a la nature d'un établissement public assujetti au contrôle préalable des dépenses et investi de la personnalité civile par l'effet de la loi n° 335 du 19 décembre 1941 et de l'ordonnance souveraine n° 7543 du 17 décembre 1982 ;

Qu'il s'ensuit que le Tribunal est présentement appelé à se prononcer, en matière administrative, sur la responsabilité encourue par cet établissement public, en vertu des règles, exclusives du droit privé, régissant la responsabilité d'un tel organisme ;

Attendu que la demanderesse ayant invoqué, au soutien de son action, la faute commise par l'OASM ou ses préposés, il appartient au Tribunal d'apprécier si une faute de service à l'origine des blessures subies par V. A. peut être relevée en la cause, de nature à engager la responsabilité de l'Office ;

Attendu à cet égard, dans le domaine des faits, qu'en l'état des versions divergentes des parties quant aux conditions dans lesquelles l'accident s'est produit, il peut seulement être tenu pour constant ce qui est admis par l'Office, c'est-à-dire que la jeune V., bien que placée sous la surveillance directe d'un animateur de la colonie, est parvenue - seule ou aidée par des tiers et sans disposer de l'équipement nécessaire - sur le dos d'un cheval dépourvu de tout harnachement et non sellé, lequel s'est aussitôt emballé et a provoqué la chute de la jeune cavalière ayant entraîné ses blessures ;

Attendu que ces circonstances suffisent à caractériser de la part de l'Office une faute de service, dès lors qu'elles révèlent une insuffisance imputable à son personnel dans la surveillance et le contrôle des faits et gestes de la jeune V., alors seulement âgée de 9 ans, et que cette carence s'est encore manifestée par l'absence de toute initiative dudit personnel, pourtant présent sur les lieux, non seulement à l'effet de prévenir le comportement objectivement dangereux ayant consisté pour la mineure à chevaucher le cheval sans être pourvue de protection, mais aussi pour tenter d'éviter les conséquences d'une telle situation ;

Que la surveillance déficiente de l'encadrement chargé de veiller à la sécurité des jeunes enfants de la colonie organisée par l'OASM, constitutive de la faute de service ci-dessus circonstanciée, apparaît à l'origine directe des blessures subies par V. A. ; qu'elle est donc de nature à engager la responsabilité de l'OASM, cet établissement devant être tenu de réparer les conséquences dommageables qui en sont résultées tant pour V. que pour J. M. divorcée A., sans qu'il soit besoin d'examiner les fautes éventuellement commises par les agents de l'Office, dont l'analyse ne s'impose pas en la cause ;

Attendu, par ailleurs, que les faits de l'espèce ne permettent pas de retenir à l'encontre de la jeune V. une faute de sa part pouvant entraîner un partage de responsabilité au demeurant non expressément requis par les défenderesses ;

Attendu que l'UAP, assureur de l'Office, doit être tenu in solidum avec son assuré de cette réparation, d'autant qu'il n'a pas contesté devoir sa garantie dans la partie subsidiaire de ses écrits judiciaires et qu'il a même admis à deux reprises antérieurement à la présente instance, par lettres non confidentielles des 25 octobre 1990 et 9 avril 1991 en des termes exclusifs de toute équivoque contenant des offres chiffrées de règlement, son obligation de réparer le dommage consécutif à l'accident du 6 juillet 1990 ;

Attendu, sur les montants réclamés - étant préalablement observé qu'il résulte du jugement, définitif, du Tribunal de Première Instance en date du 8 novembre 1984 ayant prononcé le divorce des époux M.-A., que la jeune V. a été confiée à la garde de sa mère et que celle-ci justifie de sa qualité d'administratrice légale des biens de la mineure par la production dudit jugement aux débats - qu'il y a lieu d'homologuer le rapport d'expertise médicale du Docteur Pastorello dont le travail sérieux n'a fait l'objet d'aucune critique ;

Qu'aux termes de ce rapport, cet expert a conclu à une ITT de 50 jours, une IPP de 3 %, un pretium doloris quantifié 3/7, et à l'existence d'un préjudice d'agrément ;

sur l'ITT

Attendu que malgré son jeune âge exclusif de tout travail salarié, V. A. a subi de ce chef une incapacité l'ayant en premier lieu contrainte d'écourter son séjour à la colonie, puis gênée dans ses activités quotidiennes ; qu'au regard de ce préjudice, la demande de 2 000 francs formulée à ce titre - modérée en son quantum - doit être admise en totalité ;

sur l'IPP

Attendu qu'au regard du jeune âge de la victime et des douleurs permanentes - objectivées par le rapport du Docteur Pastorello - qu'elle subit, il y a lieu d'allouer de ce chef la somme réclamée de 18 000 francs ;

Sur le « pretium doloris »

Attendu que la jeune V. ayant éprouvé lors de l'accident les douleurs consécutives au traumatisme crânien, à la contusion du rachis cervical et à la double fracture, ayant nécessité une réduction, de son avant-bras gauche qu'elle a subis du fait de l'accident, il apparaît équitable d'indemniser ce chef de préjudice à concurrence de la somme de 10 000 francs ;

Sur le préjudice d'agrément

Attendu que l'expert, pour retenir l'existence d'un tel préjudice, note que la victime a dû interrompre le sport scolaire ; qu'en l'état de cette indication et en l'absence de toute autre pièce de nature à conforter le préjudice d'agrément ainsi établi, il y a lieu de fixer à 10 000 francs le montant des dommages-intérêts devant être alloués à ce titre ;

Attendu en définitive que V. A. est fondée à obtenir de l'OASM et de son assureur l'UAP, la somme totale de 40 000 francs ;

Attendu, quant au préjudice personnellement souffert par J. M. divorcée A., qu'il résulte de l'attestation de son employeur en date du 10 septembre 1990, que ses absences au travail consécutives à l'accident de sa fille lui ont occasionné une perte de salaires de 2 993 francs qu'il y a lieu de lui allouer ;

Qu'à cette somme doit s'ajouter celle - dont l'UAP ne conteste pas le montant - relative aux frais de déplacement qu'elle a dû engager pour se rendre auprès de sa fille, totalisant 2 320,32 francs (757 + 1 113,32 + 450) ;

Que J. M. divorcée A., est donc en droit d'obtenir remboursement de la somme totale de 5 313,32 francs ;

Attendu qu'il y a lieu, par ailleurs, de lui donner acte de ses réserves ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Donne acte à l'Office d'Assistance Sociale de Monaco (OASM) de son intervention volontaire aux débats aux lieu et place de la directrice dudit Office et met ladite directrice hors de cause ;

Déclare l'OASM responsable de l'accident survenu le 6 juillet 1990 et tenu de réparer, in solidum avec son assureur la compagnie Union des Assurances de Paris, les conséquences dommageables qui en sont résultées tant pour J. M. divorcée A. que pour sa fille mineure V. ;

Condamne in solidum l'OASM et l'UAP à payer à J. M. divorcée A. :

* en sa qualité d'administratrice légale des biens de sa fille V., mineure comme étant née le 5 mars 1981, la somme de 40 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

* à titre personnel, celle de 5 313,32 francs, montant des causes sus-énoncées ;

Donne acte à cette demanderesse de ses réserves exprimées aux motifs ;

Composition

MM. Landwerlin Prés., Serdet Prem. Subst. Proc. Gén., Mes Escaut et Clerissi av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26300
Date de la décision : 20/01/1994

Analyses

Public - Général ; Responsabilité (Public)


Parties
Demandeurs : M.
Défendeurs : Office d'Assistance Sociale

Références :

article 1231 du Code civil
article 1002 du Code civil
ordonnance Souveraine n° 7543 du 17 décembre 1982
loi n° 335 du 19 décembre 1941
articles 1229 et 1230 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1994-01-20;26300 ?

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