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27/07/1992 | MONACO | N°26184

Monaco | Tribunal de première instance, 27 juillet 1992, D. c/ État de Monaco


Abstract

Responsabilité de la puissance publique

Recours indemnitaire fondé sur l'illégalité d'une sanction administrative (révocation) annulée pour vice de forme

Compétence de droit commun

Tribunal de première instance - Sanction justifiée quant au fond - Rejet de la demande indemnitaire

Résumé

Si aux termes de l'article 90-B de la Constitution, le Tribunal Suprême statue souverainement sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines p

rises pour l'exécution des lois, ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent, ces dispos...

Abstract

Responsabilité de la puissance publique

Recours indemnitaire fondé sur l'illégalité d'une sanction administrative (révocation) annulée pour vice de forme

Compétence de droit commun

Tribunal de première instance - Sanction justifiée quant au fond - Rejet de la demande indemnitaire

Résumé

Si aux termes de l'article 90-B de la Constitution, le Tribunal Suprême statue souverainement sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois, ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent, ces dispositions ne s'opposent pas à ce que, dans le cadre de sa compétence de droit commun en matière administrative, tirée des articles 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965 et 21-2° du Code de procédure civile, le Tribunal soit saisi, comme juge de la responsabilité, de demandes d'indemnités fondées sur l'illégalité d'actes administratifs ou réglementaires, lorsque de telles demandes sont introduites indépendamment de tout recours en annulation et n'ont pas été déjà portées devant le Tribunal suprême, sauf à ce que soit alors déférée à celui-ci, pour le cas où il n'en aurait pas connu comme juge de l'excès de pouvoir, l'appréciation de validité des actes éventuellement arguées d'illégalité à l'occasion de la demande d'indemnité.

Aussi, le Tribunal doit se reconnaître compétent ainsi d'ailleurs que les parties l'ont implicitement admis, pour statuer sur la réparation présentement sollicitée et qui ne saurait trouver sa source que dans la responsabilité de l'État née de l'illégalité de la révocation prononcée contre le demandeur par l'ordonnance souveraine n° 9840 du 30 juin 1990.

Il ne saurait cependant être nié que cette révocation fait suite à divers manquements professionnels à juste titre imputés par l'administration au demandeur.

Cet ensemble de faits révèle de la part de celui-ci, par le caractère de gravité inhérent à leur répétition, une attitude manifestement incompatible avec les fonctions auxquelles cet agent était appelé.

Dès lors si la révocation résultant de l'ordonnance souveraine n° 9.261 du 11 octobre 1988 s'est trouvée entachée d'un vice de procédure, il n'en demeure pas moins, cependant, qu'en raison de la gravité de ces fautes, la même sanction aurait pu être légalement prononcée par l'administration.

Dans ces conditions, bien que l'illégalité retenue par le Tribunal Suprême comme affectant la révocation originaire soit constitutive d'une faute de service de nature à engager la responsabilité de l'État, le demandeur ne peut justifier d'aucun dommage, et, partant, d'aucun préjudice, qui ne soit exclusivement imputable à son propre fait.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu qu'A. D. a été, à titre disciplinaire, révoqué de ses fonctions d'agent de la Sûreté Publique à compter du 16 octobre 1988 par ordonnance souveraine n° 9261 du 11 octobre 1988, prise après avis motivé du Conseil de discipline s'étant prononcé sur son cas ;

Que, sur requête d'A. D., cette ordonnance a, toutefois, été annulée le 19 décembre 1989 par le Tribunal suprême, pour manque de base légale, au motif qu'alors que les principes généraux de droit, et notamment le respect des droits de la défense, obligeaient l'autorité investie du pouvoir disciplinaire à faire connaître à l'intéressé les motifs de la sanction qu'elle était amenée à prendre contre lui, D. n'avait pas reçu notification régulière de l'avis précité ;

Attendu que, saisi de conclusions tendant à la réintégration de cet agent dans ses fonctions, avec reconstitution de carrière, et paiement à son profit de la solde qu'il aurait dû percevoir, outre un franc pour préjudice moral, le Tribunal Suprême a, par son arrêt du 19 décembre 1989, rejeté la demande de réparation de ce dernier chef de préjudice et renvoyé l'intéressé devant l'administration, pour qu'il soit statué sur sa situation administrative et l'indemnité à laquelle il serait par ailleurs susceptible de prétendre, en considérant notamment qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative d'adresser des injonctions à l'administration sur le rétablissement de carrière d'un fonctionnaire et qu'en l'absence de service fait D. n'était pas fondé à demander le paiement des salaires qu'il aurait perçus s'il n'avait pas été frappé de la sanction lui faisant grief ;

Attendu que l'administration a, sur ce, notifié à D. le procès-verbal de la réunion du Conseil de discipline du 29 septembre 1988 préalable à la révocation annulée ;

Qu'ultérieurement, et par ordonnance souveraine n° 9840 du 30 juin 1990, A. D. a été, au vu de cette notification, régulièrement révoqué de ses fonctions à compter du même jour ;

Attendu qu'exposant avoir, sans succès, demandé par deux fois à l'administration de lui faire connaître les modalités selon lesquelles il serait indemnisé pour la période durant laquelle il considère que son contrat de travail avait été suspendu, D. a, par l'exploit susvisé, saisi le tribunal d'une action dirigée contre l'État tendant principalement au paiement d'une indemnité compensatoire de salaires pour la période du 16 octobre 1988 au 30 juin 1990, soit la somme de 225 000 F, à parfaire ou diminuer, et, subsidiairement, à une expertise comptable permettant d'évaluer le montant d'une telle indemnité sur la base du salaire qui aurait dû lui être versé durant la période considérée ;

Attendu que, déniant à D. le bénéfice invoqué d'une suspension de contrat de travail, dès lors qu'une telle notion serait étrangère à la loi n° 975 du 12 juillet 1975, en vertu de laquelle D. n'était nullement titulaire d'un contrat de travail mais placé dans une situation statutaire et réglementaire, l'État soutient pour l'essentiel qu'aux termes de l'arrêt précité du Tribunal suprême, D. ne saurait en l'absence de service fait aucunement prétendre à un traitement pour la période susvisée, que seule une indemnité pourrait éventuellement lui être allouée sur la base des règles régissant la responsabilité de la puissance publique, eu égard au préjudice qui découlerait pour lui de l'illégalité de la sanction annulée, mais qu'en définitive une telle indemnité, pouvant théoriquement avoir pour base le traitement budgétaire de l'intéressé, déduction faite de l'ensemble des rémunérations que celui-ci aurait pu par ailleurs percevoir durant la période considérée, serait inconcevable en l'espèce compte tenu de la gravité des fautes reprochées à D., qui justifieraient pleinement la sanction disciplinaire infligée, dont l'illégalité première ne serait par là même génératrice d'aucun préjudice réparable ;

Sur quoi :

Attendu que si, aux termes de l'article 90-B de la Constitution, le Tribunal Suprême statue souverainement sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois, ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent, ces dispositions ne s'opposent pas à ce que, dans le cadre de sa compétence de droit commun en matière administrative, tirée des articles 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965 et 21-2° du Code de procédure civile, le tribunal soit saisi, comme juge de la responsabilité, de demandes d'indemnité fondées sur l'illégalité d'actes administratifs ou réglementaires, lorsque de telles demandes sont introduites indépendamment de tout recours en annulation et n'ont pas été déjà portées devant le Tribunal Suprême, sauf à ce que soit alors déférée à celui-ci, pour le cas où il n'en aurait pas connu comme juge de l'excès de pouvoir, l'appréciation de validité des actes éventuellement argués d'illégalité à l'occasion de la demande d'indemnité ;

Attendu qu'il doit être à cet égard relevé que si A. D. a saisi le Tribunal Suprême d'un recours en annulation de l'ordonnance souveraine n° 9261 du 11 octobre 1988, en revanche son actuelle demande d'indemnité compensatoire de salaires est manifestement distincte de celle sur laquelle le Tribunal suprême s'est antérieurement prononcé comme résultant dudit recours et qui tendait au paiement de salaires considérés comme dus ;

Que, dès lors, le tribunal doit se reconnaître compétent ainsi d'ailleurs que les parties l'ont implicitement admis, pour statuer sur la réparation présentement sollicitée par D. et qui ne saurait trouver sa source que dans la responsabilité de l'État née de l'illégalité de la révocation prononcée contre ce demandeur par l'ordonnance souveraine précitée ;

Attendu qu'il ne saurait cependant être nié que cette révocation fait suite à divers manquements professionnels à juste titre imputés par l'administration à D. ;

Attendu qu'il résulte en effet des pièces du dossier :

* que le 19 novembre 1985 A. D. a emprunté, hors service, à bord de son véhicule personnel, une voie en sens interdit, en arguant ensuite, pour se justifier, que d'autres conducteurs faisaient souvent de même ;

* que le 2 novembre 1985 son comportement dans l'exécution de sa mission de contrôle de la circulation sur la Place d'Armes a entraîné une protestation justifiée de la part d'une autorité consulaire accréditée à Monaco ;

* que ces deux faits, en ce qu'ils dénotaient de sa part un manque grave de scrupules et une absence de correction dans l'exercice de ses fonctions sur la voie publique, lui ont valu qu'un premier avertissement lui soit solennellement signifié le 26 novembre 1985 ;

* qu'une deuxième sanction disciplinaire, consistant en un blâme avec inscription au dossier, lui a été également infligée pour avoir, le 2 août 1986, bien qu'étant en position de repos et en civil, eu un comportement brutal à l'égard d'un automobiliste impliqué dans un accident de la circulation, révélateur de sa part d'un manquement à son obligation de réserve ;

* que le 12 janvier 1987 un nouveau blâme a été décidé contre lui pour avoir été par deux fois surpris dans une attitude de totale passivité et d'indifférence manifeste aux difficultés de la circulation qu'il était chargé de régler ;

* qu'il lui a été alors signifié que tout nouveau manquement de sa part entraînerait sa comparution devant le Conseil de discipline ;

* que le 7 février 1987, alors qu'il était en mission de surveillance sur la voie publique avec un autre agent, il a abandonné son poste durant près d'une demi-heure pour prendre un café dans un hôtel ;

* que le Conseil de discipline a alors proposé le 19 juin 1987 qu'il soit temporairement exclu de ses fonctions, ce qui fut décidé pour une durée de quinze jours ;

* qu'ultérieurement, cependant, en raison des conditions discourtoises dans lesquelles il s'est adressé à un automobiliste de passage, il a été encore sérieusement admonesté par ses supérieurs ;

* qu'il s'est par la suite rendu coupable sans motif valable de trois abandons de poste, lesquels l'ont conduit à comparaître une nouvelle fois devant le Conseil de discipline où sa révocation a été en définitive proposée ;

Attendu que cet ensemble de fautes révèle de la part d'A. D., par le caractère de gravité inhérent à leur répétition, une attitude manifestement incompatible avec les fonctions auxquelles cet agent était appelé ;

Attendu que, dès lors, si la révocation résultant de l'ordonnance souveraine n° 9261 du 11 octobre 1988 s'est trouvée entachée d'un vice de procédure, il n'en demeure pas moins, cependant, qu'en raison de la gravité de ces fautes, la même sanction aurait pu être légalement prononcée par l'administration ;

Attendu que, dans ces conditions, bien que l'illégalité retenue par le Tribunal Suprême comme affectant la révocation originaire soit constitutive d'une faute de service de nature à engager la responsabilité de l'État, A. D. ne peut justifier d'aucun dommage, et, partant, d'aucun préjudice, qui ne soit exclusivement imputable à son propre fait ;

Qu'il suit de là que l'action indemnitaire de ce demandeur doit être déclarée mal fondée ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute A. D. des fins de sa demande ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; MMes Sbarrato et Sanita, av. déf. ; Piwnica, av. au C.E. et à la C. Cass.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26184
Date de la décision : 27/07/1992

Analyses

Procédure administrative ; Responsabilité (Public)


Parties
Demandeurs : D.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

Code de procédure civile
articles 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965
ordonnance souveraine n° 9261 du 11 octobre 1988
ordonnance souveraine n° 9840 du 30 juin 1990
article 90-B de la Constitution
loi n° 975 du 12 juillet 1975
ordonnance souveraine n° 9.261 du 11 octobre 1988


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1992-07-27;26184 ?

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