La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/05/1992 | MONACO | N°26166

Monaco | Tribunal de première instance, 21 mai 1992, C. c/ SCI Sardanapale.


Abstract

Responsabilité civile

Responsabilité délictuelle - Abus de constitution de partie civile - Action trentenaire en réparation du dommage sur le fondement des articles 1229 et 1230 du Code civil

Résumé

S'agissant d'une simple faculté, l'action en dommages-intérêts accordée par l'article 80 du Code de procédure pénale, à tout inculpé visé dans une plainte avec constitution de partie civile, clôturée par une ordonnance de non-lieu, n'exclut pas la possibilité pour la personne victime d'une telle plainte, d'introduire devant la juridiction de dr

oit commun, une action fondée sur les articles 1229 et 1230 du Code civil.

Ainsi, c'est ...

Abstract

Responsabilité civile

Responsabilité délictuelle - Abus de constitution de partie civile - Action trentenaire en réparation du dommage sur le fondement des articles 1229 et 1230 du Code civil

Résumé

S'agissant d'une simple faculté, l'action en dommages-intérêts accordée par l'article 80 du Code de procédure pénale, à tout inculpé visé dans une plainte avec constitution de partie civile, clôturée par une ordonnance de non-lieu, n'exclut pas la possibilité pour la personne victime d'une telle plainte, d'introduire devant la juridiction de droit commun, une action fondée sur les articles 1229 et 1230 du Code civil.

Ainsi, c'est à bon droit que l'intéressé a pu saisir la juridiction civile et non la juridiction pénale aux fins d'obtenir réparation du préjudice causé par la faute du dénonciateur sur le fondement implicite des articles 1229 et 1230 du Code civil, en sorte que sa demande en dommages-intérêts, soumise à la prescription trentenaire de l'article 2982 du Code civil, doit être déclarée recevable sur la forme.

Si le demandeur n'a pas besoin de prouver la mauvaise foi du défendeur, comme en matière de dénonciation calomnieuse, il n'en reste pas moins que la simple décision de non-lieu ne saurait avoir les effets de la chose jugée, quant à une faute du dénonciateur et qu'il lui appartient d'établir qu'en portant plainte, le plaignant a agi imprudemment ou avec légèreté fautive.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

La société civile immobilière monégasque dénommée « Sardanapale », représentée par son gérant E. G., a donné mandat à P. C., suivant acte reçu le 1er mars 1974, par Maître Louis Aureglia, notaire à Monaco, « de vendre aux prix, charges et conditions que le mandataire jugera convenables, à toutes personnes ou sociétés », des parties de l'immeuble situé à Monte-Carlo, dénommé « Le Sardanapale » ;

Sous le couvert de cette procuration, C., agissant au nom et pour le compte de la SCI Sardanapale, a par deux actes du 10 mai 1974, passés devant Maître Louis Crovetto, notaire à Monaco, vendu :

* d'une part, à son épouse née A. B., deux chambres avec douches (lots 37-38), un box garage (lot 45), une cave (lot 36), moyennant le prix de 120 000 F ;

* d'autre part, à la société civile immobilière Laury, ayant pour gérante A. B., épouse C., un appartement (lot 76), un box garage (lot 31), et une cave (lot 5), moyennant le prix de 300 000 F ;

Faisant état de ce que C. avait agi sans aucun pouvoir, après l'interdiction qu'il lui avait faite, par télégrammes des 5 et 9 avril 1974, de poursuivre l'exécution de son mandat, E. G. a déposé, à la date du 17 mai 1974, une plainte avec constitution de partie civile contre celui-ci, du chef d'abus de confiance, devant le juge d'instruction de Monaco ;

L'information pénale était clôturée le 18 avril 1977 par une ordonnance de non-lieu aux termes de laquelle, si le contrat par lequel E. G. avait donné à P. C. le pouvoir de vendre des parties de l'immeuble « Le Sardanapale », constituait bien un mandat, ledit mandat portait sur un bien immeuble et non sur l'un des objets limitativement énumérés par l'article 337 du Code pénal, en sorte que les éléments constitutifs du délit d'abus de confiance n'étaient pas réunis, en l'espèce ;

Cette ordonnance de non-lieu était confirmée par un arrêt de la Cour d'appel du 17 mai 1977, tandis que le pourvoi formé contre cette décision était rejeté par un arrêt de la Cour de révision du 12 août 1977 ;

Suivant exploit en date du 6 décembre 1989, P. C. a fait assigner la société civile immobilière Sardanapale afin d'obtenir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, que celle-ci soit, d'une part, déclarée responsable des conséquences dommageables de sa plainte téméraire et abusive, d'autre part, condamnée à lui payer la somme de 2 000 000 F à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice moral subi ;

La SCI Sardanapale a formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 50 000 F, au titre des « frais irrépétibles », après avoir conclu, au principal, à l'irrecevabilité de la demande de P. C., pour cause de forclusion, au motif que l'action intentée par celui-ci, relevait des dispositions de l'article 80 du Code de procédure pénale qui lui imposaient d'agir dans les 3 mois suivant l'ordonnance de non-lieu devenue définitive ; qu'ainsi, P. C. n'ayant assigné la SCI Sardanapale, que suivant exploit du 6 décembre 1989, son action se trouvait prescrite, dès lors que le délai de 3 mois dont il disposait, avait couru à compter de l'arrêt de la Cour de révision du 12 août 1977 ;

Elle fait valoir, à titre subsidiaire, que l'action du demandeur ne pourrait aboutir, fût-elle fondée sur les articles 1229 et 1230 du Code civil, car la plainte qu'elle avait déposée à l'encontre de C. ne présentait aucun caractère fautif, puisque ne procédant pas d'une intention malveillante, et n'ayant, par ailleurs, nullement été motivée d'une manière téméraire ou imprudente ;

Qu'en effet, l'absence de charges retenues par le Juge d'instruction pour motiver son ordonnance de non-lieu, résultait du seul fait que le délit d'abus de confiance ne pouvait être constitué, s'agissant d'un mandat portant sur des biens immeubles ;

SUR CE,

Quant à la recevabilité de la demande,

Attendu que, s'agissant d'une simple faculté, l'action en dommages-intérêts accordée, par l'article 80 du Code de procédure pénale, à tout inculpé visé dans une plainte avec constitution de partie civile, clôturée par une ordonnance de non-lieu, n'exclut pas la possibilité pour la personne victime d'une telle plainte, d'introduire devant la juridiction de droit commun, une action fondée sur les articles 1229 et 1230 du Code civil ;

Qu'ainsi, c'est à bon droit que P. C. a pu saisir la juridiction civile et non la juridiction pénale, ainsi qu'il l'a fait, aux termes de son exploit introductif d'instance du 6 décembre 1989, en sorte que sa demande, soumise à la prescription trentenaire de l'article 2082 du Code civil, doit être déclarée recevable en la forme ;

Quant au fond,

Attendu que l'action intentée par P. C. sur le fondement implicite des articles 1229 et 1230 du Code civil, tend à réparer, par une condamnation à des dommages-intérêts, le préjudice causé par la faute de la dénonciatrice ;

Qu'ainsi, si pour pouvoir prospérer en sa réclamation, le demandeur n'a pas besoin de prouver la mauvaise foi du défendeur, comme en matière de dénonciation calomnieuse, il n'en reste pas moins que la simple décision de non-lieu ne saurait avoir les effets de la chose jugée, quant à l'existence d'une faute de la dénonciatrice et qu'il lui appartient d'établir qu'en portant plainte, l'intéressée a agi imprudemment ou avec une légèreté fautive ;

Attendu, qu'à cet égard, il résulte des éléments de l'information pénale versée aux débats, que la plainte pour abus de confiance initialement déposée par la SCI Sardanapale et les auditions qui l'ont suivie, invoquaient, comme grief essentiel, la violation par C. de ses obligations de mandataire, provenant de ce qu'il avait vendu, au nom de ladite société civile immobilière, des biens immobiliers appartenant à cette dernière, alors que son mandat avait été révoqué ;

Que, dès lors, la plainte avec constitution de partie civile litigieuse, apparaissait dépourvue de tout fondement légal, ainsi qu'en ont décidé successivement, le magistrat instructeur et la Chambre du conseil de la Cour d'appel, lesquels, pour motiver leur décision de non-lieu, ont retenu que les immeubles ne figuraient pas sur la liste des biens limitativement énumérés par l'article 337 du Code pénal, dont le détournement était seul susceptible de constituer le délit d'abus de confiance ;

Attendu que si, certes, tout justiciable tient de la loi le droit de provoquer une information en recourant à la procédure des articles 73 et suivants du Code de procédure pénale, il n'en demeure pas moins qu'il ne peut le faire qu'à bon escient, avec la conviction personnelle sincère de l'existence de l'infraction alléguée, et après avoir rempli le devoir lui incombant de procéder lui-même, dans la limite de ses possibilités, aux recherches et vérifications élémentaires susceptibles d'apporter vraisemblance à cette conviction ;

Que la SCI Sardanapale n'a pas, en l'occurrence, observé ces règles de prudence, en ne faisant pas un usage légitime des moyens juridiques dont elle disposait pour faire valoir ses droits à l'encontre de C., et qui lui imposaient, en l'espèce, de recourir à la voie civile qui seule, s'est avérée fondée, dès lors que par jugement du tribunal du 27 novembre 1980, confirmé par arrêt de la Cour d'appel du 1er décembre 1981, elle a obtenu l'annulation des ventes consenties par P. C., pour défaut de mandat ;

Qu'il s'ensuit, qu'en déposant plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de C., la SCI Sardanapale a agi avec une témérité et une légèreté fautives, ou a, tout le moins, commis une erreur grossière équivalente au dol ;

Attendu que la constatation de cette faute entraîne pour la SCI Sardanapale, l'obligation de réparer le dommage causé à la victime de cette plainte ; qu'à cet égard, P. C. a dû, pendant plus de trois années, assurer sa défense, tant devant le juge d'instruction, que devant la Cour d'appel ; ce qui a été générateur d'un préjudice moral certain, ainsi qu'il l'invoque ;

Attendu que, toutefois, eu égard au caractère secret de l'instruction, et en l'absence de toute justification de ce que les poursuites dont a fait l'objet C. auraient été l'objet d'une quelconque publicité, il apparaît que l'indemnité susceptible de compenser ce préjudice doit être fixée, compte tenu des éléments d'appréciation dont le tribunal dispose, à la somme de 30 000 F ;

Attendu, par ailleurs, que, la SCI Sardanapale ayant succombé dans ses prétentions, il convient de la débouter de sa demande reconventionnelle au paiement de dommages-intérêts ;

Attendu, en outre, que les conditions légales n'étant pas réunies, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire présentement sollicitée ;

Attendu qu'enfin les dépens suivront la succombance de la défenderesse ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare P. C. recevable et fondé en son action en dommages-intérêts à l'encontre de la société civile immobilière Sardanapale ;

Condamne la société civile immobilière Sardanapale à payer à P. C. la somme de trente mille francs (30 000 F) à titre de dommages-intérêts ;

Déboute la SCI Sardanapale de sa demande reconventionnelle tendant au paiement de dommages-intérêts ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli et Blot, av. déf. ; Cavanna, av. barr. de Montpellier.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26166
Date de la décision : 21/05/1992

Analyses

Droit des obligations - Responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle


Parties
Demandeurs : C.
Défendeurs : SCI Sardanapale.

Références :

Code de procédure pénale
article 2082 du Code civil
article 2982 du Code civil
articles 1229 et 1230 du Code civil
article 80 du Code de procédure pénale
article 337 du Code pénal


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1992-05-21;26166 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award