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07/05/1992 | MONACO | N°26148

Monaco | Tribunal de première instance, 7 mai 1992, Premier Ministre de la République turque c/ Dame M.-K., Hoirs R., A.


Abstract

Conflit de loi

Succession mobilière - Domicile du défunt de nationalité turque : loi interne turque pour dévolution successorale - Renvoi à la loi de la situation des biens quant à l'ouverture, l'acquisition et le partage

Résumé

S'agissant d'une succession ouverte dans la Principauté de Monaco où le défunt avait son dernier domicile, la règle de conflits de lois monégasque donne compétence à la loi nationale du défunt, soit la loi interne turque, pour le règlement de la présente succession de nature mobilière.

Il convient alors de

rechercher quelle est la règle de conflit turque, en matière de successions mobilières, afin de ...

Abstract

Conflit de loi

Succession mobilière - Domicile du défunt de nationalité turque : loi interne turque pour dévolution successorale - Renvoi à la loi de la situation des biens quant à l'ouverture, l'acquisition et le partage

Résumé

S'agissant d'une succession ouverte dans la Principauté de Monaco où le défunt avait son dernier domicile, la règle de conflits de lois monégasque donne compétence à la loi nationale du défunt, soit la loi interne turque, pour le règlement de la présente succession de nature mobilière.

Il convient alors de rechercher quelle est la règle de conflit turque, en matière de successions mobilières, afin de vérifier s'il y a lieu de faire ou non intervenir un éventuel renvoi du droit turc vers la loi d'un autre État ; à cet égard toutefois, il apparaît que la loi turque concernant le droit international privé - n° 2675 du 20 mai 1982 - prévoit en son article 22, alinéa 1 que la loi nationale du défunt s'applique à la dévolution de toute succession mobilière, c'est-à-dire à la détermination des héritiers légaux, et exclut donc de ce chef tout renvoi à une loi tierce.

L'article 22, alinéa 2, de la même loi turque limite cependant le domaine d'application de la loi nationale du défunt à la seule dévolution successorale, dès lors qu'il soumet à la loi du lieu de situation des biens l'ouverture, l'acquisition et le partage proprement dit de la succession.

Il en résulte ainsi un renvoi partiel du droit turc vers les lois monégasque, suisse, allemande ou française, selon la situation respective des actifs mobiliers successoraux.

En l'occurrence, le notaire liquidateur qui aura organisé la dévolution successorale par application des dispositions du Code civil turc, devra déterminer au regard du droit monégasque les formalités d'acquisition et de partage des biens composant la succession qui sont situés à Monaco.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Le 10 janvier 1986 L. R., veuve T., demeurant de son vivant à Monaco, et de nationalité turque est décédée ab intestat, en l'absence d'héritiers réservataires et laissant une succession purement mobilière ;

La succession de L. R. était alors ouverte en Turquie et le 3e Tribunal de justice du district de Fatih décidait selon jugement du 30 octobre 1986 que tous les biens mobiliers et immobiliers de la défunte devraient être transférés au Trésor de la République turque ;

Parallèlement, la succession de L. R. épouse T. était également ouverte dans la Principauté de Monaco, lieu de son dernier domicile, et, suivant jugement rendu en chambre du Conseil le 9 décembre 1986, le Tribunal de première instance désignait J. C. en qualité de curateur à la succession vacante de L. R. conformément aux dispositions des articles 694 du Code civil et 934 et suivants du Code de procédure civile ;

Ledit curateur qui faisait alors procéder à divers inventaires par Maître P.-L. A., notaire à Monaco, et par Maître P., notaire à Genève, réalisait des biens et versait le produit de telles réalisations à la Caisse des dépôts et consignations ;

Plus d'une année plus tard, soit le 14 avril 1988, maître P.-L. A. dressait un acte de notoriété aux termes duquel il apparaissait :

* que R. M., épouse H. K. est la petite nièce de la de cujus, venant à sa succession en représentation de son père H. M., décédé le 3 mai 1985, et dont elle était l'unique héritière, celui-ci étant le neveu de la défunte ;

* que G. et A. R. sont toutes deux les sœurs consanguines de L. R., comme étant issues du second mariage de F. R. (père de L. R.), avec une dame S. V. ;

Par jugement rendu le 1er juillet 1988 en chambre du conseil, et devenu définitif, le Tribunal de première instance de Monaco, constatant que la succession de L. T. était réclamée, donnait en conséquence décharge à J. C. de la mission de curateur à ladite succession, qui lui avait été confiée par jugement du tribunal en date du 9 décembre 1986, et ordonnait que l'actif net de la succession alors détenu par J. C. soit remis, à la requête de celui-ci, à Maître P.-L. A., notaire chargé du règlement de ladite succession ;

C'est dans un tel contexte factuel que le Premier ministère de la République turque a - suivant exploit du 1er septembre 1988 - fait assigner devant le Tribunal de première instance R. M. épouse K., A. R., G. R. épouse B., A. R., ainsi que Maître P.-L. A., notaire aux fins :

* de faire déclarer que la succession mobilière de L. T. née R. devra être réglée selon les dispositions de la loi nationale turque, seule compétente pour régler la succession mobilière ;

* d'obtenir que les avoirs détenus par Maître A., notaire, soient remis aux autorités turques ;

* de faire renvoyer les parties à se pourvoir ainsi qu'il appartiendra devant les juridictions turques compétentes pour faire valoir leurs droits si elles l'estiment nécessaire ;

* et subsidiairement, si le Tribunal de première instance s'estimait compétent pour connaître de tout ou partie de la dévolution successorale des biens ayant appartenu à L. R., de procéder à la détermination des droits successoraux de l'ensemble de ces mêmes parties ;

Se référant pour leur part à une consultation donnée au cabinet d'études généalogiques P.-R. le 26 janvier 1988 par le professeur B., les codéfenderesses invoquent la règle de conflit monégasque, au regard de laquelle la loi nationale du défunt apparaît seule avoir vocation à régir la dévolution successorale mobilière, tandis que l'ouverture, l'acquisition et le partage des successions demeureraient soumis à la loi du lieu de situation des biens ; elles en déduisent que la succession de L. R., purement mobilière, sera régie par la loi turque, loi nationale de la de cujus et que ladite succession, ouverte à Monaco, sera liquidée par le notaire monégasque chargé des opérations de liquidation ; qu'elles entendent en conséquence voir débouter le ministère de la République turque des fins de sa demande ;

Que Maître P.-L. A. ayant demandé au tribunal de contraindre le demandeur à fournir une caution de 100 000 F pour couvrir le règlement des frais de justice et des dommages-intérêts auxquels il pourrait être condamné reconventionnellement, le tribunal, statuant sur ladite exception le 8 février 1991, ordonnait que l'État turc, représenté par son Premier Ministère, ou tout autre organe, fournisse avant le 30 avril 1990 une caution d'un montant de 30 000 F devant être constituée par l'engagement irrévocable d'un établissement bancaire de la Principauté de Monaco, et renvoyait la cause et les parties à l'audience du 10 mai 1990 pour qu'il soit conclu au fond par Maître A. ; le 9 mai 1990, le Premier Ministère de la République turque demandait acte de ce qu'il avait déposé auprès de la Caisse des dépôts et consignations la somme de 30 000 F constituant la caution judicatum solvi ordonnée suivant jugement du 8 février 1990 ;

Maître P.-L. A., notaire, conclut quant au fond, qu'il n'a commis aucune faute professionnelle dans l'établissement de l'acte de notoriété qui demeure un acte conforme à la pratique dans cette matière ; il entend par ailleurs voir constater que le Premier Ministère de la République turque ne dirige aucune demande à son encontre, mais l'ayant attrait inutilement aux débats, l'a contraint à engager des frais irrépétibles ; Maître P.-L. A. sollicite en conséquence l'allocation d'une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Le Premier Ministère de la République turque a pour sa part, fait sommation aux défenderesses, R. M., A. R., A. R. et G. R. épouse B., d'avoir à communiquer tout document administratif d'état civil ou de toute autre nature, à l'effet de prouver leur parenté avec feu dame T. née R. ; en réponse, lesdites parties ont versé aux débats les pièces requises qui prouvent selon elles, sans contestation possible, leur lien de parenté avec L. R. épouse T. ;

Suivant conclusions du 11 mai 1990, P. V. est intervenu volontairement à la procédure pour demander l'attribution d'un legs, lui ayant été fait par la de cujus, de la somme de un million de francs suisses, ce, par lettre manuscrite datée du 10 avril 1984, aux termes de laquelle L. R. réitérait la volonté qu'elle manifestait depuis 1980 de lui laisser à sa mort la somme précitée ;

Les codéfenderesses, héritières présumées de L. R., répliquant à cette intervention, entendent pour leur part se voir donner acte de ce qu'elles ne se prononceront sur ledit legs particulier, que lorsque le litige les opposant à l'État turc aura fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée ;

Le Premier Ministère de la République turque pour sa part demande acte de ses plus expresses réserves de conclure au fond sur la recevabilité de l'action de P. V., comme sur son bien-fondé ; il entend voir ordonner dès à présent le dépôt par cet intervenant d'une somme de 20 000 F, conformément aux dispositions de l'article 259 du Code de procédure civile, afin de garantir le présent des frais de justice du procès ;

P. V. s'est formellement opposé à une telle demande, dont il entend voir débouter le Premier Ministère de la République turque, au motif de ce que l'article 259 du Code de procédure civile ne peut être valablement invoqué que par un défendeur de nationalité monégasque ; P. V. sollicite en conséquence la condamnation de l'héritier désigné, à la délivrance de ce legs d'un million de francs suisses et sollicite subsidiairement, pour le cas où la qualité des successibles ne serait pas déterminée, la désignation d'un administrateur provisoire à la succession, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, ayant pour mission d'appréhender l'actif de la succession et de lui délivrer la contre-valeur de un million de francs suisses ;

Le demandeur estimant quant à lui que le litige au fond n'a trait qu'à la détermination de la compétence juridictionnelle des liens de droit des prétendus héritiers de L. R. sollicite un sursis à statuer en ce qui concerne l'action introduite par P. V., dont la demande lui apparaît irrecevable en tant qu'elle est formée dans une instance dont l'objet est limité à l'appréciation de la compétence juridictionnelle ;

Par d'ultimes conclusions en réplique, P. V. se référant aux termes mêmes de l'exploit introductif d'instance rappelle que le problème de fond inhérent à la vocation successorale des héritiers est expressément soumis à l'appréciation du tribunal, et qu'il est de la sorte fondé à solliciter la délivrance du legs particulier précité dans le cadre de cette instance ;

SUR CE,

Attendu, quant à l'exception de caution édictée par l'article 259 du Code de procédure civile et soulevée par le Premier Ministère de la République turque en réponse à l'intervention volontaire de P. V., qu'il y a lieu de rappeler que le demandeur étranger demeure tenu, si le défendeur monégasque le requiert, de fournir caution de payer les frais et dommages-intérêts résultant du procès ;

Que force est en l'occurrence de constater que la partie demanderesse à l'exception n'est pas défenderesse à l'instance au fond, mais demanderesse principale, et qu'elle n'a pas en outre la nationalité monégasque étant une émanation de la République turque ; qu'il suit que les conditions légales édictées par l'article 259 du Code de procédure pénale n'étant pas remplies, le Premier Ministère de la République Turque doit être débouté des fins de son exception ;

Attendu que le fond du litige soumis au tribunal doit conduire à déterminer si - comme le soutient la partie demanderesse - les juridictions turques sont ou non seules compétentes pour déterminer les règles de dévolution de la succession de L. T. R., et ce, au regard de la loi applicable, ou s'il appartient au contraire aux juridictions monégasques de déterminer les droits des parties en cause ;

Sur la compétence,

Attendu qu'il ressort des pièces produites - notamment notariales et d'état civil - que L. R. veuve T. décédée le 10 janvier 1986 à Baden Baden (RFA), demeurait de son vivant en Principauté de Monaco, où elle occupait encore à la date de son décès un appartement ;

Attendu qu'il s'évince, dès lors, de l'application combinée des articles 83 du Code civil et 3 (3°) du Code de procédure civile que la succession s'est ouverte dans la Principauté de Monaco, où le défunt a eu son dernier domicile, et que le Tribunal de céans est de la sorte compétent pour connaître de la dévolution successorale des biens ayant appartenu à L. R. veuve T. et déterminer les droits des parties en cause, à savoir la République turque, R. M., A. R., G. R. épouse B., A. R. et P. V. ;

Sur la loi applicable,

Attendu que la règle de conflit de lois monégasque donne compétence à la loi nationale du défunt, soit la loi interne turque pour le règlement de la présente succession, dont toutes les parties s'accordent à dire qu'elle est de nature mobilière ;

Attendu qu'il doit être alors recherché quelle est la règle de conflit turque, en matière de successions mobilières, afin de vérifier s'il y a lieu de faire ou non intervenir un éventuel renvoi du droit turc vers la loi d'un autre État ; qu'à cet égard toutefois, il apparaît que la loi turque sur le droit international privé - n° 2675 du 20 mai 1982 - prévoit en son article 22, alinéa 1 que la loi nationale du défunt s'applique à la dévolution de toute succession mobilière, c'est-à-dire à la détermination des héritiers légaux, et exclut donc de ce chef tout renvoi à une loi tierce ;

Que l'article 22, alinéa 2, de la même loi turque limite toutefois le domaine d'application de la loi nationale du défunt à la seule dévolution successorale, dès lors qu'il soumet à la loi du lieu de situation des biens l'ouverture, l'acquisition et le partage proprement dit de la succession ;

Qu'il en résulte ainsi un renvoi partiel du droit turc vers les lois monégasque, suisse, allemande ou française, selon la situation respective des actifs mobiliers successoraux ; qu'en l'occurrence, le notaire liquidateur qui aura organisé la dévolution successorale par application des dispositions du Code civil turc, devra déterminer au regard du droit monégasque les formalités d'acquisition et de partage des biens composant la succession qui sont situés à Monaco ;

Attendu que le tribunal étant saisi subsidiairement par le Premier Ministère de la République turque de la détermination des droits respectifs des parties, il lui appartient de se prononcer désormais sur la vocation successorale de chacune d'entre elles ;

Sur la dévolution successorale,

Attendu que le Code civil turc a opté pour le système germanique des « parentèles » - correspondant à l'ensemble des personnes descendant d'un auteur commun y compris cet auteur s'il vit encore - et incluant une première parentèle constituée par tous les descendants du de cujus, une seconde parentèle par ses père et mère et leurs descendants (frères, sœurs et descendants), une troisième parentèle par les deux grands-pères et grands-mères et leurs descendants et une quatrième parentèle remontant aux huit arrière-grands-parents et leurs descendants ; qu'il résulte de ce système que le membre devenu héritier dans chaque parentèle exclut ses descendants, lesquels viennent en contrepartie le cas échéant, par représentation à la place de leur ascendant prédécédé, ce qui revient à admettre dans la seconde parentèle, qu'en cas de prédécès du père et de la mère, les frères et sœurs succèdent à la place des ascendants, leurs droits n'existant cependant qu'à l'égard de l'ascendant du de cujus qui était le leur ; qu'en définitive, selon ce système, la succession se divise en deux masses égales dont l'une passe à la ligne maternelle, l'autre à la ligne paternelle, les germains pouvant de la sorte hériter dans les deux lignes, tandis que les consanguins et les utérins n'héritent que dans l'une ou l'autre, correspondant à celle de l'ascendant commun ;

Attendu qu'il est également constant que le droit successoral turc - à défaut d'héritiers légaux des trois premières parentèles - appelle le Trésor public à titre d'héritier de cette succession, et ce, étant en effet observé que les héritiers de la quatrième parentèle ne font pas obstacle à la vocation héréditaire du Trésor (article 448 du Code civil turc) ;

Attendu cependant qu'il ressort en l'occurrence de l'acte de notoriété dressé le 14 avril 1988 que la succession de L. R., présumée vacante ne l'était en fait pas, dès lors que cette de cujus laissait pour lui succéder des héritiers de la seconde parentèle :

1° R. M. épouse K. - sa petite nièce - venant en représentation de H. M., qui n'était autre que le seul fils d'E. R., sœur germaine de la défunte, et d'E. M., étant par ailleurs établi que R. M. est l'unique héritière de H. M. ;

2° A. R. - nièce de la de cujus - venant en représentation de son père F. R. - frère germain de L. R. - dont elle était l'unique héritière ;

3° G. R. épouse B. ;

et 4° A. R., veuve H. - qui sont toutes deux sœurs consanguines de la de cujus, comme issues du second mariage de son père F. R. avec une dame V., belle-mère de la défunte ;

Attendu que le système de dévolution précédemment décrit permet en l'absence de descendant et de conjoint survivant de conclure aux vocations successorales suivantes :

* Le Trésor public venant en concours avec des héritiers de la seconde parentèle n'a dès lors plus la qualité d'héritier que pouvait lui conférer l'article 448 du Code civil turc ;

* Chacune des deux nièces, venant en représentation de la sœur et du frère germain, se partageant seules la moitié de la succession allant à la ligne maternelle, soit chacune 1/4 des biens héréditaires, et prendront également une part égale à 1/8e dans l'autre moitié de la succession allant à la ligne paternelle, soit une part de 3/8e pour R. M. épouse K., comme pour A. R. ;

* En ce qui concerne G. R. épouse B. et A. R. veuve H., sœurs consanguines de la de cujus, elles appréhenderont avec les deux nièces précitées une part égale dans l'autre moitié de la succession allant à la ligne paternelle, soit 1/8e des biens héréditaires pour chacune d'entre elles ;

Attendu qu'ayant déterminé la vocation successorale des défenderesses héritières de L. T. née R., il y a lieu d'examiner la recevabilité et le bien-fondé de l'intervention volontaire aux débats de P. V. ;

Attendu que l'irrecevabilité de la demande de cet intervenant est soulevée par la partie demanderesse, au motif qu'elle serait formée dans une instance dont l'objet est limité à l'appréciation de la compétence juridictionnelle ; qu'il est néanmoins constant que le problème de fond inhérent à la vocation successorale des parties en cause a été expressément soumis à l'appréciation des membres du tribunal, tandis que la qualité invoquée de légataire particulier de P. V. caractérise l'intérêt certain de celui-ci à agir contre tout héritier potentiel de la de cujus, auquel il pourrait demander la délivrance de son legs ; qu'il suit que l'intervention volontaire de P. V. doit être déclarée recevable ;

Attendu quant à son bien-fondé, qu'il convient de se référer à la loi turque, loi nationale du testateur, laquelle admet la validité du testament olographe, pour autant qu'il soit écrit, daté et signé par les testateurs et qu'il contienne mention du lieu de sa confection (arrêt d'unification de la Cour de cassation turque du 27 février 1952 - étant précisé que l'application du droit positif turc doit s'entendre tant de la législation que de la jurisprudence de ce pays) ;

Attendu que le document produit aux débats par V. P. consiste en un document manuscrit de L. T. née R., daté du 10 avril 1984, signé de sa main et établi à Genève sur le papier à en-tête de l'hôtel où elle résidait, aux termes duquel cette dernière prend des dispositions précises pour le temps où elle ne sera plus, en indiquant : « Cher V.... après ma mort, je vais vous laisser un million de francs suisses... » ;

Attendu qu'outre le respect des conditions de forme susindiquées et l'absence de contestation de la validité d'un tel testament, il convient de mentionner l'existence des courriers antérieurs, puis postérieurs à cet acte, rappelant l'intention libérale de la dame T. envers son ancien chauffeur et ami P. V., comme celle des témoignages de P. F. et A. V. qui confirment les liens d'étroite amitié existant entre la testatrice et son légataire particulier ;

Attendu qu'il y a en conséquence lieu de faire droit à la demande de cet intervenant, et, compte tenu de ce qui vient d'être dit quant à la vocation successorale de chacune des parties, il convient de faire application des dispositions des articles 869 et suivants du Code civil monégasque - applicable en tant que loi du lieu de situation des biens et s'agissant de leur mode d'acquisition - aux termes desquelles le légataire particulier, qui a droit à la chose léguée du jour du décès du testateur, doit en demander la délivrance aux héritiers auxquels une quotité de biens est réservée par la loi ;

Qu'ainsi, il y a lieu de considérer en l'espèce que R. M. épouse K., A. R., G. R. épouse B. et A. R. veuve H. sont, conformément aux dispositions de l'article 872 du Code civil, tenues personnellement, et au prorata de la part dont elles profitent respectivement dans la succession, d'acquitter auprès de P. V. l'équivalent en francs français, calculé au jour du décès de la testatrice L. T. née R., soit le 10 janvier 1986 de la somme de un million de francs suisses ;

Attendu que l'urgence requise n'apparaissant pas établie, il n'y a pas lieu pour autant de faire droit à la demande d'exécution provisoire de ce chef, telle que formulée par P. V. ;

Attendu qu'en ce qui concerne la liquidation de la succession de L. T. née R. ouverte dans la Principauté de Monaco, les codéfenderesses entendent la voir régler par le notaire P.-L. A., déjà désigné suivant jugement rendu le 1er juillet 1988 en chambre du conseil, comme étant le notaire chargé de régler la succession auquel devait être remis l'actif successoral recueilli par l'ancien curateur, Monsieur J. C., alors déchargé de sa mission ;

Attendu qu'il convient de confirmer une telle désignation et d'impartir au notaire A. de déterminer la masse partageable après avoir établi un inventaire précis des biens de la succession et s'être pour ce faire fait représenter toutes choses mobilières, actes, titres, livres et registres utiles ;

Attendu enfin quant à la demande reconventionnelle formée par Maître P.-L. A., tendant à voir dire et juger qu'il n'a commis aucune faute professionnelle et condamner le Premier Ministère de la République turque à lui payer une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts, qu'il doit être observé que la partie demanderesse n'a déploré l'absence de pièce d'état civil et n'a fait grief au notaire d'avoir dressé l'acte de notoriété critiqué en l'état de simples allégations, qu'avant d'avoir obtenu la communication en justice des pièces ainsi réclamées ; qu'il doit en outre être admis que cette partie étrangère a pu sans commettre de faute se méprendre sur la portée de l'enquête de généalogie effectuée par le cabinet C. de Nice, dont le sérieux ajouté au certificat de coutume joint à l'acte de notoriété dressé par Maître A., confortent en fait la qualité du travail de cet officier ministériel ;

Attendu en outre qu'il n'est pas plus établi que le Premier Ministère de la République turque ait pour sa part commis une faute en attrayant aux débats Maître P.-L. A., et ce, dès lors que l'actif successoral lui a été remis aux termes d'un jugement rendu le 1er juillet 1988, et que, de la sorte, sa présence aux débats présentait une utilité indéniable en l'état de ce que l'une et l'autre des parties à l'instance faisaient respectivement valoir leurs droits d'héritiers virtuels sur ledit actif ;

Attendu qu'il y a donc lieu de débouter Maître P.-L. A. des fins de sa demande de dommages-intérêts ;

Et attendu que les dépens doivent suivre la succombance de la demanderesse principale ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute le Premier Ministère de la République turque des fins de son exception et de sa demande principale ;

Dit et juge que le Tribunal de première instance est compétent pour statuer sur la dévolution de la succession de L. T. née R., décédée le 10 janvier 1986 ;

Dit et juge que la loi turque, loi nationale de la défunte, a vocation à régir au fond ladite succession quant à son mode de dévolution et quant à la régularité des dispositions à cause de mort effectuées par la de cujus ; "

Dit et juge que le Trésor de la République turque - venant en concours avec des héritiers de la seconde parentèle - n'a pas vocation à appréhender les biens successoraux de L. R., tandis que R. M. épouse K. et A. R. ont quant à elles vocation à prendre chacune une part de 3/8e dans ladite succession et que G. R. épouse B. et A. R. veuve H. appréhenderont quant à elles respectivement une part de 1/8e des biens successoraux ;

Déclare recevable l'intervention volontaire aux débats de P. V. ;

Déclare régulier le testament olographe rédigé le 10 avril 1984 par L. T. née R., aux termes duquel celle-ci institue P. V. pour son légataire particulier de la somme de un million de francs suisses ;

Faisant droit à la demande de ce dernier en délivrance dudit legs, dit et juge que R. M., A. R., G. R. et A. R. sont personnellement tenues d'acquitter auprès de P. V. l'équivalent en francs français calculé à la date du 10 janvier 1986 de la somme de un million de francs suisses et ce, au prorata de leur part respective dans la succession ;

Les y condamne en tant que de besoin ;

Déboute P. V. du surplus de ses demandes ;

Dit et juge que Maître P.-L. A. n'a commis aucun manquement à ses obligations professionnelles ;

Le déboute néanmoins des fins de sa demande de dommages-intérêts ;

Désigne Maître P.-L. A., notaire, pour procéder aux opérations de compte liquidation et partage de la succession dont s'agit, conformément aux droits susvisés de chacun, et aux dispositions légales applicables, en considération de la nature des biens de ladite succession ;

Le charge à l'effet de déterminer la masse partageable de se faire représenter toutes choses mobilières, actes, livres, registres et titres et de dresser inventaire ;

Commet Madame Brigitte Gambarini, Premier juge au siège, pour en suivre les opérations et faire rapport en cas de difficultés ;

Dit qu'en cas d'empêchement du notaire ou du magistrat ainsi commis, il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Brugnetti, Sanita, Sbarrato, av. déf. ; Lorrain, av. barr. de Nice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26148
Date de la décision : 07/05/1992

Analyses

Loi et actes administratifs unilatéraux ; Droit des successions - Successions et libéralités


Parties
Demandeurs : Premier Ministre de la République turque
Défendeurs : Dame M.-K., Hoirs R., A.

Références :

articles 83 du Code civil
Code civil
Code de procédure civile
article 259 du Code de procédure pénale
article 448 du Code civil
articles 694 du Code civil
article 872 du Code civil
article 259 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1992-05-07;26148 ?

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