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30/04/1992 | MONACO | N°26147

Monaco | Tribunal de première instance, 30 avril 1992, Consorts F. c/ D.


Abstract

Trust

Acte contenant des dispositions testamentaires avec constitution d'un trust - Forme non authentique de l'acte - Nullité de l'acte formant un tout indivisible (L. n° 214, 27 févr. 1936, art. 2) - Règlement de la succession ab intestat

Résumé

Un testament fait à Monaco par une personne de nationalité britannique, ne revêtant ni les formes olographe, authentique ou mystique prescrites par l'article 835 du Code civil, mais établi en la forme requise par sa loi nationale par dérogation à l'adage «  locus regit actum » serait valable, s'il n

e contenait des dispositions tendant à régler le sort des biens de la défunte après déc...

Abstract

Trust

Acte contenant des dispositions testamentaires avec constitution d'un trust - Forme non authentique de l'acte - Nullité de l'acte formant un tout indivisible (L. n° 214, 27 févr. 1936, art. 2) - Règlement de la succession ab intestat

Résumé

Un testament fait à Monaco par une personne de nationalité britannique, ne revêtant ni les formes olographe, authentique ou mystique prescrites par l'article 835 du Code civil, mais établi en la forme requise par sa loi nationale par dérogation à l'adage «  locus regit actum » serait valable, s'il ne contenait des dispositions tendant à régler le sort des biens de la défunte après décès suivant le procédé, relevant du droit britannique du trust, (administration par un ou plusieurs trustées dans l'intérêt d'autres personnes), le document litigieux ne pouvant être interprété comme un simple testament désignant seulement un exécuteur testamentaire.

En effet aux termes de l'article 3 de la loi n° 214 du 27 février 1936 sur les trusts à laquelle la de cujus a implicitement fait référence dans l'acte querellé, la constitution du trust doit être réalisée par acte authentique, à peine de nullité. Il s'ensuit que le trust constitué, formant un tout indivisible doit être annulé, l'acte le contenant ne revêtant pas la forme authentique et que la succession de la défunte devra être réglée ab intestat à défaut d'autres dispositions testamentaires connues.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu que par l'exploit susvisé, J. F. épouse D., L. F. épouse K., I. C. F. et A. F. (ci-après « les hoirs F. » ), qui exposent être les seuls héritiers de M. G. B. veuve H., décédée à Monaco le 26 juillet 1986, en leurs qualités de neveux et nièces de la défunte, ont fait assigner W. F. D., qui se prévaut de dispositions de dernière volonté qui auraient été prises par la défunte, dans un document daté du 5 juillet 1977, instituant W. D. en qualités d'exécuteur testamentaire, de légataire de la moitié de la succession et de trustée, pour que soit déclaré nul et de nul effet le document du 5 juillet 1977 et que les hoirs F. soient reconnus seuls habiles à recueillir la succession en leurs qualités d'héritiers ab intestat de M. G. H. ;

Qu'au soutien de leurs demandes, les hoirs F. font valoir que le « testament » du 5 juillet 1977, établi en dactylographie, ne revêt ni la forme olographe ni la forme mystique et prétendent qu'il aurait dû être dressé en la forme authentique sous peine de nullité, conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 214 du 27 février 1936, puisqu'il institue un trust ;

Qu'ils dénient la possibilité à la défunte d'avoir pu tester dans les formes admises par le droit anglais en contestant la nationalité britannique dont elle se prévaut ; qu'à ce sujet, ils rappellent que G. H. est née française, à Saïgon (alors Cochinchine) de parents français et estiment que la preuve de la nationalité britannique acquise par mariage - qui n'a pu en tout état de cause lui faire perdre la nationalité française - n'est pas rapportée ; qu'à cet égard, ils observent que l'union religieuse intervenue le 28 novembre 1929 en Malaisie ne saurait constituer un mariage valable au regard de la loi française faute d'avoir été célébré dans les formes usitées dans ce pays et précédé de la publication prescrite par la loi, ainsi que l'impose l'article 170 du Code civil français ;

Qu'ils en déduisent que la validité du testament doit être appréciée, en la forme, selon la loi monégasque, lieu du domicile de la défunte, en observant que la solution serait identique selon le droit français qui pourrait, le cas échéant, régir la situation de l'espèce ;

Qu'ils entendent ne pas se prévaloir d'une ordonnance sur requête rendue le 13 octobre 1986 par le Président de ce Tribunal - ayant rejeté la demande d'envoi en possession formée par W. D. - mais déclarent de même qu'une décision, intervenue le 3 avril 1987 en matière gracieuse, de la haute Cour de justice d'Angleterre ne leur est pas opposable ;

Qu'ils prétendent en tout état de cause que la nationalité britannique, qui a pu le cas échéant être acquise par la défunte, ne lui était que subsidiaire par rapport à sa nationalité de naissance et à sa résidence permanente hors de Grande-Bretagne ;

Qu'ils soutiennent d'autre part, que l'acte du 5 juillet 1977 viole la loi monégasque sur les trusts, en ce que

* l'article 1 de la loi n° 214 précitée réserve la faculté d'instituer un trust aux seules personnes dont le statut personnel est compatible avec cette institution particulière,

* l'article 2 impose, à peine de nullité, que la constitution du trust ait lieu par acte authentique, ce qui n'est pas le cas,

* l'article 3 n'autorise la nomination que des trustées inscrits sur une liste spéciale arrêté par le Premier Président de la cour, au nombre desquels W. D. ne figure pas ;

Attendu qu'en réponse W. D. s'oppose à l'ensemble de ces prétentions dont elle demande le rejet et sollicite du Tribunal qu'il juge :

* que M. G. B. a acquis la nationalité britannique par mariage en vertu de l'article 10 de la loi britannique de 1914,

* que l'acte du 5 juillet 1977 exprime valablement ses dernières volontés en la forme anglaise, c'est-à-dire selon sa loi nationale, sans constituer un trust soumis à la loi monégasque,

* que la mission confiée à l'exécuteur testamentaire par le testament querellé est exclusive de celle qui aurait été dévolue à un trustée,

* qu'il y a lieu en conséquence de l'envoyer en possession de la succession conformément aux prescriptions de la loi,

* que les hoirs F. doivent être solidairement tenus de lui payer, eu égard au retard apporté à l'envoi en possession, la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, outre les dépens de l'instance ;

Qu'elle prétend en effet que son auteur a acquis la nationalité britannique par mariage et perdu de ce fait sa nationalité française d'origine, par application de l'article 8 de la loi du 10 août 1927 alors applicable, et que M. G. H. a donc pu valablement tester, le testament ayant été établi en la forme requise par sa loi nationale ;

Qu'en ce qui concerne le contenu de ce testament, elle soutient qu'il ne constitue nullement un trust au sens de la loi n° 214 en dépit de la terminologie employée de  « trust »  et  « trustée », ces termes n'étant utilisés que pour conférer à l'exécuteur testamentaire désigné des pouvoirs plus étendus que ceux habituellement conférés par la loi française ;

Qu'elle se livre à cet égard à une analyse comparative du testament et de l'institution du trust en droit britannique pour en déduire qu'en l'espèce, aucun trust n'a été constitué puisque sa mission s'achèvera après la répartition du produit de la vente des actifs successoraux entre les personnes gratifiées par la libéralité ;

Sur quoi,

Attendu qu'il résulte des pièces produites (en particulier acte de naissance, passeport, carte d'identité - Pièces n° 15, 16 et 17 Maître Léandri) que W. J. H., né le 18 décembre 1898 et décédé le 12 décembre 1970, était sujet britannique et disposait de la citoyenneté du Royaume-Uni ;

Attendu qu'il s'est uni religieusement à M. G. B., selon le rite de l'église catholique romaine en l'église de Penang (alors Colonie britannique et actuellement Malaisie) le 28 novembre 1929 ;

Attendu qu'il ressort des consultations, émanant de juristes offrant toutes garanties de sérieux, produites aux débats, que la loi britannique alors applicable (article 10 British nationality and Status of Aliens Act 1914) édictait une acquisition de droit, par l'étrangère, de la nationalité de son époux, à condition que le mariage fut reconnu valable en droit anglais, c'est-à-dire que la forme dudit mariage fût celle du pays où il a été célébré et qu'il soit valable dans ledit pays ;

Que tel a bien été le cas en l'espèce, puisque le mariage a respecté le Christian Marriage Act de 1915 alors en vigueur dans les États fédérés malais, ainsi que le confirme l'extrait du registre des mariages tenu par l'église catholique de la ville de Penang (Diocèse de Malacca) ; qu'il doit être déduit des divers éléments versés aux débats que le mariage a été valablement célébré et transcrit, selon la loi britannique ;

Qu'une solution identique est donnée par loi française du 21 juin 1907 (article 170 du Code civil), laquelle reconnaît la validité du mariage même purement religieux contracté en pays étrangers selon les formes de ce pays entre français et étranger « pourvu qu'il ait été précédé de la publication prescrite par l'article 63 » ;

Attendu, sur ce dernier point, qu'il est acquis en droit positif français que l'inobservation de la formalité de la publication préalable à la célébration du mariage est sans effet sur la validité de celui-ci si les époux n'ont pas entendu faire fraude à la loi française et se soustraire sciemment à la publicité ;

Qu'en l'espèce, alors qu'il n'est pas justifié de la publication préalable à la célébration du mariage en France, il apparaît que les époux H. - dont le mariage n'est pas demeuré clandestin - ne se sont pas soustraits à cette formalité dans un but de fraude, eu égard aux éléments d'appréciation dont le Tribunal dispose ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que G. B., française d'origine, a acquis la nationalité britannique de son époux ;

Attendu qu'il s'ensuit, puisqu'il est de règle en droit monégasque que le testament d'une étranger fait à Monaco est valable s'il est établi en la forme requise par sa loi nationale par dérogation à l'adage  « locus régit actum », que le document litigieux du 5 juillet 1977 peut valoir testament même si, comme en l'espèce, il ne revêt ni les formes olographe, authentique ou mystique prescrites par l'article 835 du Code civil et respectivement décrites aux articles 836, 837 et 842 du code même ;

Qu'en effet, alors que ledit document apparaît dactylographié et signé de M. G. H. en présence de deux témoins, il est constant et non contesté que la forme ainsi usitée est valable en droit anglais ;

Attendu que la valeur qu'il convient de conférer à ces dispositions testamentaires commande d'analyser le document litigieux ;

Attendu que celui-ci se présente comme reflétant les dernières dispositions de volonté de M. G. H. qui déclare être sujette britannique et vouloir que son testament soit interprété et prenne effet conformément aux lois de la Principauté ;

Qu'ainsi, W. F. D., sa belle-sœur, est nommée exécutrice testamentaire et trustee (alors que dans l'hypothèse où son époux W. H. lui aurait survécu, il aurait bénéficié d'un legs universel et aurait été nommé exécuteur testamentaire seulement), l'expression employée de trustee ayant vocation à s'appliquer indifféremment, en fonction des circonstances, à W. D. ou à d'autres trustees pouvant être en fonction, trustee d'origine, supplémentaire ou substitué ;

Qu'il est légué à ce trustee tous les biens successoraux sous le régime de trust, ces biens devant être convertis, totalement ou non, en liquidités notamment par l'accomplissement de ventes, puis, après paiement des frais inhérents à la succession, devant constituer un reliquat, lequel est affecté en trust, à concurrence de moitié, à W. F. D., et, pour le reste de la succession, en trust également, à L. K. et J. D. par parts égales entre elles ;

Qu'il est par ailleurs prescrit que les fonds qui devront être investis sous le régime des trusts ainsi institué pourront servir à l'acquisition ou la garantie de tous biens de quelque nature qu'ils soient et quelque soit le lieu de leur situation, à la discrétion absolue du trustee disposant du pouvoir d'investir, et de modifier tous investissements, comme s'il bénéficiait de la propriété absolue de ces biens ;

Qu'il est enfin envisagé que tout exécuteur testamentaire ou trustee en fonction qui serait un  « solicitor »  ou un autre professionnel aura le droit de facturer et de recevoir paiement de ses frais relatifs aux affaires traitées par lui ou son entreprise dans le cadre de l'exécution du trust institué ;

Attendu que qu'elles qu'aient pu être l'utilité ou la nécessité, du point de vue de leur mise en œuvre, des dispositions contenues dans ce document du 5 juillet 1977, force est de constater que celles-ci tendent à régler le sort des biens de la défunte après décès suivant le procédé, relevant du droit britannique, du trust ;

Qu'en effet la constituante du trust, M. G. H., prévoit que ses biens seront administrés par un ou plusieurs trustees dans l'intérêt d'autres personnes ;

Attendu que les modalités du procédé de trust ainsi institué excluent que le document litigieux puisse être interprété comme un simple testament désignant seulement un exécuteur testamentaire ;

Qu'à cet égard, il convient de relever :

* que le trustee peut ne pas demeurer la même personne et peut être « original, supplémentaire ou substitué »,

* que ce trustee, au-delà de ses pouvoirs d'administration, est le propriétaire des biens constitués en trust et peut en disposer à sa guise sans aucune limitation et sans devoir rendre compte,

* que le trustee peut effectuer tous actes de disposition en utilisant les fonds provenant de la succession à sa seule discrétion,

* que le trustee, dans certains cas, peut être rémunéré sur les fonds de la succession sans que cette rémunération soit fixée par avance,

* soit autant de dispositions incompatibles avec un testament ordinaire et révélatrices de la constitution d'un trust qu'il n'y a pas lieu d'interpréter plus avant ;

Attendu qu'aux termes de l'article 3 de la loi n° 214 du 27 février 1936 sur les trusts - à laquelle la constituante a implicitement fait référence dans l'acte du 5 juillet 1977 -, la constitution du trust doit être faite par acte authentique, à peine de nullité ;

Attendu en conséquence que le trust constitué le 5 juillet 1977 par M. G. H., formant un tout indivisible, doit être annulé dès lors qu'il est constant que l'acte qui le contient ne revêt pas la forme authentique ;

Qu'il s'ensuit que la succession de la défunte devra être réglé ab intestat, à défaut d'autres dispositions testamentaires connues, sans qu'il ait lieu de procéder à la détermination des successibles en l'état d'acte de notoriété établi et au regard de ce qu'aucun litige ne s'est élevé quant à l'application des dispositions légales relatives aux successions ab intestat ;

Attendu, eu égard à ce qui précède, que W. D. doit être déboutée de ses demandes tendant à être mise en possession de la succession et à obtenir la condamnation des hoirs F. au paiement de dommages intérêts ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare nul et de nul effet le trust constitué par M. G. B. veuve H. selon acte non authentique du 5 juillet 1977 ;

Dit que la succession de celle-ci à défaut d'autres dispositions testamentaires connues, sera réglée ab intestat ;

Déboute W. F. D. de ses demandes d'envoi en possession et de condamnation des hoirs F. ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; MMes Sbarrato et Léandri, av. déf., Lambert, av. barr. de Nice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26147
Date de la décision : 30/04/1992

Analyses

Civil - Général ; Droit des successions - Successions et libéralités


Parties
Demandeurs : Consorts F.
Défendeurs : D.

Références :

article 8 de la loi du 10 août 1927
article 835 du Code civil
article 2 de la loi n° 214 du 27 février 1936
Code civil
article 3 de la loi n° 214 du 27 février 1936


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1992-04-30;26147 ?

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