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25/04/1991 | MONACO | N°26078

Monaco | Tribunal de première instance, 25 avril 1991, B. c/ T. et Cie d'Assurances Europa.


Abstract

Conflit de juridictions

Action en responsabilité délictuelle

Compétence

Compétence internationale du tribunal - Détermination selon les règles du droit interne

Conflit de loi

Accident de la circulation survenu en France - Action en responsabilité délictuelle - Lieu du dommage - Application de la loi française

Résumé

La victime (passager bénévole) d'un accident de la circulation survenu en France, est redevable à intenter une action en responsabilité, contre le conducteur et l'assureur de celui-ci, domiciliés en Pr

incipauté, devant la juridiction monégasque, en application de l'article 2 du Code de procédure civile ; les dé...

Abstract

Conflit de juridictions

Action en responsabilité délictuelle

Compétence

Compétence internationale du tribunal - Détermination selon les règles du droit interne

Conflit de loi

Accident de la circulation survenu en France - Action en responsabilité délictuelle - Lieu du dommage - Application de la loi française

Résumé

La victime (passager bénévole) d'un accident de la circulation survenu en France, est redevable à intenter une action en responsabilité, contre le conducteur et l'assureur de celui-ci, domiciliés en Principauté, devant la juridiction monégasque, en application de l'article 2 du Code de procédure civile ; les défendeurs étrangers ne peuvent décliner la compétence de la juridiction monégasque que si leur domicile n'est point fixé à Monaco (art. 2), ou s'il s'agit d'action en matière d'état des personnes, et en cas de domiciliation de droit et de fait à l'étranger (art. 4).

Le dommage ayant été réalisé en France, la lex loci delicti apparaît seule applicable en vertu des règles monégasques de conflit de lois ; il doit être en effet admis que la responsabilité délictuelle du gardien de la chose demeure indépendante tant de la nationalité et du domicile des intéressés, que du pays où sont immatriculés et assurés les véhicules impliqués, étant observé que la Principauté de Monaco n'a pas signé ni ratifié la convention de la Haye du 3 mai 1971 sur les accidents de la circulation ; qu'il s'en suit que cette action doit relever de l'ordre juridique interne du pays dans lequel a eu lieu d'accident.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu que, suivant exploit du 16 février 1989 A. B. a fait assigner S. T. et la Compagnie Europa Assurances ce en présence du Centre hospitalier Princesse Grace à l'égard duquel il a toutefois déclaré renoncer à son action, aux fins de s'entendre déclarer le sieur T. seul et unique responsable de l'accident en date du 14 janvier 1984, condamner celui-ci solidairement à A. B. la somme de 56 0171,54 F à titre de provision et désigner enfin tel expert qu'il appartiendra à l'effet de décrire ses séquelles et évaluer son préjudice corporel ;

Attendu que la Compagnie La Mutuelle est intervenue aux débats le 12 avril 1989 aux lieu et place de son courtier ; que les codéfendeurs estiment pour leur part que la loi qui gouverne au fond l'action en responsabilité diligentée par A. B. attribue compétence au Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel l'accident est survenu, et qu'ainsi le différend aurait dû être porté devant le Tribunal de Nice seul compétent pour connaître du litige ; qu'ils font en outre valoir le fondement erroné invoqué par A. B. au soutien de son action, dans une espèce où seule la loi spécifique française du 5 juillet 1985 devrait recevoir application à l'exclusion des règles du droit commun de la responsabilité civile ; que, l'article 45 de ladite loi attribuant compétence exclusive au Tribunal dans le ressort duquel eut lieu le délit, les codéfendeurs concluent à l'incompétence des juridictions monégasques, et, subsidiairement au débouté pur et simple d'A. B. de l'ensemble de ses demandes ;

Attendu qu'en réplique à de tels moyens de défense, A. B. expose que la loi du 5 juillet 1985 n'a aucune force obligatoire en Principauté de Monaco et s'avère antérieure d'un an et demi à l'accident dont s'agit ; qu'il fait en outre valoir que le conducteur du véhicule est domicilié en Principauté de Monaco, alors que ledit véhicule est également immatriculé et assuré à Monaco, et qu'il est de la sorte bien fondé à invoquer tant la compétence des juridictions monégasques que l'application des articles 1229 et 1231 du Code civil monégasque ;

SUR CE,

Attendu que le présent litige commande de se prononcer en premier lieu sur la compétence des juridictions monégasques, étant en effet rappelé que les co-défendeurs ont soulevé in limine litis une exception d'incompétence tirée de l'extranéité du fait dommageable et de l'application des règles de compétence édictées par la loi étrangère à laquelle serait selon eux soumis le litige au fond ;

Attendu qu'il doit cependant être préalablement observé qu'il n'y a pas d'identité entre les règles de compétence judiciaire internationale qui permettent de résoudre un conflit de juridictions entre divers pays concernés et les règles de compétence législative qui fixent la loi applicable au fond et ne doivent de la sorte être examinées qu'ultérieurement ;

Attendu qu'il est de principe de déterminer la compétence juridictionnelle internationale par application des règles internes de compétence territoriale ; qu'en l'occurrence, il convient dès lors de se référer aux dispositions édictées par le Code de procédure civile monégasque qui constituent des règles matérielles ayant pour objet de régler la compétence des juridictions de la Principauté dans des matières où, en raison d'un élément étranger, plusieurs rattachements peuvent être envisagés ; qu'il ne saurait, être fait référence à la loi de fond étrangère invoquée par les codéfendeurs, dont les dispositions relatives à la compétence juridictionnelle intégrées dans le Code de procédure civile français demeurent internes à ce pays étranger et ne peuvent prévaloir sur les règles de compétence territoriale du for qui ont seules vocation à s'appliquer à l'ordre international ;

Attendu qu'en vertu de l'article 2 du Code de procédure civile monégasque, les Tribunaux de Monaco connaissent de toutes actions intentées contre un ou plusieurs défendeurs si l'un d'eux est domicilié à Monaco, condition que remplissent en l'espèce tous les codéfendeurs ;

Attendu, en outre, que si l'article 5 du même code invoqué en défense prévoit au bénéfice de tout étranger la faculté de décliner la compétence des juridictions monégasques, encore faut-il que cette partie ne soit pas domiciliée à Monaco ou qu'elle puisse bénéficier des dispositions de l'article 4 du Code de procédure civile, instituant une exception à la compétence des juridictions monégasques en matière d'actions d'état des personnes et en cas de domiciliation de droit et de fait à l'étranger ;

Qu'à défaut, il ne doit pas en l'espèce être dérogé à la compétence de principe du Tribunal de Monaco déterminée par application à l'ordre international des règles monégasques de compétence et qu'il y a lieu de rejeter l'exception soulevée de ce chef par les codéfendeurs ;

Attendu qu'il convient désormais de rechercher quelle est la loi applicable au fond du litige ;

Qu'il est à cet égard constant que la loi française du lieu de réalisation du dommage soit la lex loci delicti apparaît seule applicable en vertu des règles monégasques de conflit de lois (jugements P.-C. du 10 mai 1984, et P.-E. du 11 oct. 1984) ; qu'il doit, en effet, être admis que la responsabilité délictuelle du gardien de la chose demeure indépendante tant de la nationalité et du domicile des intéressés, que du pays où sont immatriculés et assurés les véhicules impliqués, - étant observé que la Principauté de Monaco n'a pas signé ni la Convention de La Haye du 3 mai 1971 sur les accidents de la circulation - et qu'elle doit dès lors relever de l'ordre juridique interne du pays dans lequel est survenu l'accident, une telle règle de conflit entretenant les relations les plus étroites avec la situation concernée ;

Attendu qu'il incombe toutefois aux codéfendeurs qui ont en l'occurrence intégré le droit étranger de rapporter la preuve de son contenu, ce qu'ils font suffisamment en désignant la loi française n° 85-677 du 5 juillet 1985, dont ils produisent le texte, comme étant celle ayant vocation à régler le litige au fond ;

Attendu qu'il convient cependant d'observer que si les codéfendeurs limitent leurs prétentions aux seules règles de compétence contenues dans cette loi étrangère - dont l'extension à l'ordre international apparaît contraire à la règle de conflit monégasque ainsi qu'il l'a été précédemment indiqué - il demeure néanmoins loisible au Tribunal de se référer à toutes autres dispositions de fond de cette législation française à laquelle les codéfendeurs ont entendu soumettre le présent litige ;

Attendu, s'agissant en premier lieu de l'application dans le temps de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 que les dispositions transitoires édictées en son article 47 prévoient son applicabilité aux accidents survenus dans les trois années précédant sa publication et n'ayant pas donné lieu à l'introduction d'une instance à cette date, ce qui est le cas de l'accident dont s'agit intervenu le 14 janvier 1984 ;

Attendu qu'il ressort des circonstances de la cause décrites notamment par les procès-verbaux de police produits aux débats qu'A. B. se trouvait le 14 janvier 1984 dans le véhicule de T. en qualité de passager, lorsque celui-ci en perdit totalement le contrôle et alla heurter le mur de soutènement bordant le côté de la RN 98, avenue Jean-Jaurès, à Roquebrune-Cap-Martin, soit sur le territoire français ;

Attendu qu'il ressort à cet égard des dispositions claires et précises de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, que le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation doit indemniser les victimes non conducteurs des dommages résultant des atteintes à leurs personnes, sans que puisse leur être opposée leur propre faute, à l'exception de la faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident ;

Qu'en outre, l'alinéa 3 de cet article prive de toute indemnisation la victime qui a volontairement recherché le dommage ;

Attendu qu'il doit à cet égard être relevé que - bien qu'elles différent des règles de la responsabilité civile délictuelle du for - ces dispositions législatives étrangères ne sont pas contraires à la conception monégasque de l'ordre public international ;

Attendu que leur application au cas de l'espèce permet de constater qu'A. B. était au moment des faits un simple passager du conducteur S. T. et qu'il n'a eu qu'un rôle purement passif, aucune faute ne pouvant lui être reprochée, pas plus qu'un quelconque acte volontaire ayant eu pour effet de provoquer le dommage ;

Qu'il suit que le conducteur S. T. doit - in solidum avec son assureur la Compagnie la Mutuelle - (dont l'intervention volontaire doit être admise) - être tenu d'indemniser entièrement A. B. des conséquences dommageables étant résultées pour celui-ci de l'accident du 14 janvier 1984 ;

Attendu qu'il ressort des pièces produites que les frais d'hospitalisation de la victime à Menton puis à Monaco se sont respectivement élevés à la somme de 16 348,50 F et à celle de 9 772,99 F dont A. B. sollicite à bon droit le paiement ; que celui-ci n'apparaît pas en revanche fondé à réclamer le remboursement de divers prêts dont le lien de cause à effet avec l'accident n'est pas établi ;

Qu'il suit que le préjudice matériel s'est élevé à la somme totale arrondie à 26 121 F qu'A. B. apparaît fondé à solliciter ;

Attendu qu'il convient par ailleurs - eu égard à l'importance et à la multiplicité des blessures subies par A. B. tant au crâne qu'aux membres inférieurs - de désigner un médecin-expert à l'effet de décrire ses séquelles et d'évaluer son préjudice corporel ; qu'il doit en outre être fait droit à la demande de provision à hauteur d'une somme de 8 000 F ;

Et attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS ;

Le Tribunal ;

Statuant contradictoirement ;

Se déclare compétent pour connaître de l'action en responsabilité intentée par A. B. ;

Donne acte à celui-ci de ce qu'il renonce à son action contre le Centre hospitalier Princesse Grace ;

Reçoit l'intervention volontaire de la compagnie la Mutuelle ;

Faisant application des règles monégasques de conflit de lois, dit que le présent litige doit être soumis quant au fond à la loi française du 5 juillet 1985 ;

Déclare en conséquence S. T. seul et entièrement responsable de l'accident dont a été victime le 14 janvier 1984 son passager A. B. et tenu « in solidum » avec la compagnie La Mutuelle de réparer les conséquences dommageables qui en sont résultées pour cette victime ;

Condamne S. T. « in solidum » avec la Compagnie La Mutuelle à payer à A. B. la somme de 26 121 F au titre de son préjudice matériel ;

Et avant-dire droit sur l'évaluation de son préjudice corporel, ordonne une expertise médicale et commet pour y procéder le docteur Pastorello, à Monaco lequel serment préalablement prêté aux formes de droit, aura pour mission ;

1° d'examiner A. B., de décrire les lésions imputées à l'accident dont il a été victime le 14 janvier 1984 ; d'indiquer, après s'être fait communiquer tous documents relatifs aux examens, soins et interventions dont la victime a été l'objet, son évolution et les traitements appliqués ; de préciser si ces lésions sont en relation directe et certaine avec l'accident, en tenant compte éventuellement d'un état pathologique antérieur et d'événements postérieurs à l'accident ;

2° de déterminer la durée de l'incapacité temporaire en indiquant si elle a été totale ;

3° de dégager, en les spécifiant, les éléments propres à justifier une indemnisation au titre de la douleur, éventuellement du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément ;

4° de dire si, du fait des lésions constatées, il existe une atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions et, dans l'affirmative après avoir précisé les éléments, chiffrer le taux de l'incapacité permanente partielle qui en résulte ;

5° de dire si l'état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ou amélioration : dans l'affirmative, fournir au Tribunal, toutes précisions utiles sur cette évolution, son degré de probabilité et, dans le cas où un nouvel examen lui apparaîtrait nécessaire, d'indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé ;

Commet Monsieur Philippe Narmino, premier juge, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en qualité de juge chargé du contrôle de l'expertise ;

Impartit à l'expert ainsi commis un délai de cinq jours pour le refus ou l'acceptation de sa mission ledit délai courant à compter de la réception par lui de la copie de la présente décision qui lui sera adressée par le Greffe Général ;

Disons qu'en cas d'acceptation de sa mission ce même expert déposera au Greffe Général un rapport écrit de ses opérations dans les deux mois du jour où il les aura débutées à défaut d'avoir pu concilier les parties, ce qu'il lui appartiendra de tenter dans toute la mesure du possible ;

Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou du magistrat ainsi commis, il sera procédé à son remplacement par simple Ordonnance ;

Condamne S. T. in solidum avec la compagnie La Mutuelle à payer à A. B. une somme de 8 000 F à titre d'indemnité provisionnelle ;

Réserve les dépens ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; MMes Léandri et Lorenzi, av. déf.

Note

Les défendeurs avaient soulevé l'incompétence de la juridiction monégasque en invoquant le fait que l'accident s'était produit en France et que la loi française n° 85-677 du 5 juillet 1985, dans son article 45 attribuait compétence exclusive au Tribunal dans le ressort duquel avait eu lieu l'accident.

Le Tribunal rappelle qu'il lui importe d'abord de se prononcer sur la compétence des juridictions monégasques, puis sur la loi applicable au fond du litige.

Il observe qu'il n'y a pas d'identité entre les règles de compétence judiciaire internationale et les règles de compétence législative fixant la loi applicable au fond.

En ce qui concerne la compétence juridictionnelle internationale il énonce que celle-ci est déterminée par les règles internes de compétence territoriale et se réfère à cet égard à l'article 2 du Code de procédure civile.

En ce qui concerne la compétence législative il fait état de la jurisprudence monégasque : jugement du 10 mai 1984 dans l'affaire P.-C. (v. Recueil de jurisprudence) et du 11 octobre 1984 dans l'affaire P.-E., qui applique le principe de la lex loci delicti ; comme conséquence de l'application de ce principe, il s'en suit que la loi française n° 85-677 du 5 juillet 1985 a vocation à régler le litige au fond. Or, il ressort de l'article 3 de cette loi, que le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de circulation doit indemniser les victimes non conducteurs (dont les passagers, ce qui est le cas en l'espèce), des dommages résultant des atteintes à leurs personnes, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de la faute inexcusable, si elle a été la cause exclusive de l'accident.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26078
Date de la décision : 25/04/1991

Analyses

Justice (organisation institutionnelle) ; Contentieux et coopération judiciaire


Parties
Demandeurs : B.
Défendeurs : T. et Cie d'Assurances Europa.

Références :

loi du 5 juillet 1985
loi n° 85-677 du 5 juillet 1985
11 octobre 1984
article 2 du Code de procédure civile
article 4 du Code de procédure civile
articles 1229 et 1231 du Code civil
jugement du 10 mai 1984
Code de procédure civile
article 3 de la loi du 5 juillet 1985


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1991-04-25;26078 ?

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