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11/04/1991 | MONACO | N°26068

Monaco | Tribunal de première instance, 11 avril 1991, R. et Cie d'Assurances Général Accidents c/ dame P.-G. et G., Cie d'assurance via Assurances.


Abstract

Baux d'habitation

Trouble de jouissance du preneur - Infiltrations d'eau provenant d'un colocataire - Obligation de garantie du bailleur

Résumé

S'agissant d'infiltrations d'eau provenant de la rupture d'une canalisation, survenue dans les locaux situés au-dessus de ceux occupés par un colocataire, l'assureur de celui-ci subrogé à ses droits, est fondé à réclamer au bailleur le remboursement du montant des dommages qu'il a réglé ; en effet, le bailleur, par application de l'article 1559 du Code civil, doit sa garantie au preneur de la chose louée

, notamment en cas de trouble de jouissance causé, comme il est constant en l'espèc...

Abstract

Baux d'habitation

Trouble de jouissance du preneur - Infiltrations d'eau provenant d'un colocataire - Obligation de garantie du bailleur

Résumé

S'agissant d'infiltrations d'eau provenant de la rupture d'une canalisation, survenue dans les locaux situés au-dessus de ceux occupés par un colocataire, l'assureur de celui-ci subrogé à ses droits, est fondé à réclamer au bailleur le remboursement du montant des dommages qu'il a réglé ; en effet, le bailleur, par application de l'article 1559 du Code civil, doit sa garantie au preneur de la chose louée, notamment en cas de trouble de jouissance causé, comme il est constant en l'espèce, par un autre locataire du même bailleur.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu que, suivant l'exploit susvisé, R. C. R., commerçant exploitant à Monaco, villa R., et la compagnie d'assurances dénommée « Général Accidents », dont le représentant légal à Monaco est le sieur A. S., ont assigné G. P. née G. et M. G., co-propriétaires indivis de l'immeuble « Villa R. », ainsi que la compagnie d'assurances dénommée « Via Assurances » dont le représentant légal à Monaco est le « cabinet Noble Assurances » agent général, en paiement, conjointement et solidairement de la somme en principal de 86 323,76 F outre les intérêts de droit, ainsi que la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, le tout avec exécution provisoire en raison du temps écoulé ;

Attendu que les demandeurs exposent que G. P. et M. G. ont, en leur qualité de propriétaires indivis de l'immeuble Villa R., consenti à R.-C. R. un bail commercial suivant acte du 3 janvier 1985, enregistré, portant au rez-de-chaussée sur une salle de restaurant avec cuisine, office et toilettes ainsi que sur une pièce à sage de bureau et au sous-sol, sur l'ensemble de ce niveau, sauf 7 pièces ;

Que R.-C. R. a eu son établissement, le 11 juillet 1985, affecté par d'importantes infiltrations suite à une fuite sur une canalisation apparente d'alimentation en eau, dans les locaux sus-jacents loués par les défendeurs à un sieur B. ;

Qu'un expert, le sieur O., a établi le 23 juin 1986, un rapport d'expertise au contradictoire de l'expert de la Compagnie Via Assurances et de la Compagnie MPF assureur du sieur B., et faisant ressortir que R. avait subi, au titre de ses préjudices un dommage matériel fixé à la somme de 46 717,76 F et un dommage immatériel fixé à la somme de 39 606 F, soit un dommage total de 86 323,76 F ;

Attendu que R. et sa compagnie d'assurances s'estiment dès lors fondés en leurs demandes susvisées ;

Attendu que la compagnie d'assurances Via Assurances IARD, soutient que le recours formé par les demandeurs tendant à obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes « in solidum » avec la dame P. et le sieur G. ne peut trouver son fondement que dans les obligations lui incombant contractuellement à l'égard de ses propres assurés et qu'en conséquence, ladite compagnie ne peut se trouver tenue au-delà des engagements qu'elle a souscrits conventionnellement avec les deux co-propriétaires indivis assignés ;

Qu'elle rappelle à cet égard qu'aux termes des dispositions de l'alinéa 6-12 de l'article 6 intitulé « Dégâts des eaux », figurant dans les conventions spéciales prévoyant les dispositions particulières à l'assurance multirisques du propriétaire d'immeuble annexées à la police souscrite par l'hoirie P., se trouvent exclus de la garantie les dommages ayant pour cause manifeste la « vétusté » ;

Que le rapport d'expertise officieux du 12 septembre 1986, établi par le cabinet d'expertise du bâtiment pour les assurances relevait que la rupture de la canalisation litigieuse était uniquement imputable à la vétusté de l'installation sanitaire existant dans l'appartement occupé par le cabinet B. ;

Qu'elle conclut en conséquence à ce que R. et la compagnie Général Accident soient déclarés irrecevables à agir directement à son encontre en réparation d'un dommage qui ne se trouve pas garanti par la police conclue avec les hoirs P., et à ce que les demandeurs soient déboutés purement et simplement de toutes leurs prétentions tendant à obtenir sa propre condamnation personnelle ;

Attendu par ailleurs que la compagnie Via Assurances IARD, fait observer au surplus, à titre superfétatoire, que R. et l'assureur de celui-ci sont totalement irrecevables à réclamer réparation à P. et à G. pour des dommages occasionnés par des infiltrations d'eau survenues dans un local dont R. est locataire alors qu'il est constant que celui-ci s'était formellement engagé, suivant acte conclu régulièrement le 3 janvier 1985 avec ses bailleurs, à renoncer à exercer tout recours en responsabilité à leur encontre, en cas d'inondation même par refoulement des égouts (alinéa III des charges et conditions du bail) ;

Que les demandeurs, au vu de cette clause reconnue licite par leur propre expert, ne sauraient dès lors être recevables à exercer directement contre l'assureur des hoirs P. un recours que R. s'était interdit de formuler à l'encontre de ses bailleurs ;

Attendu enfin que la compagnie Via Assurances demande qu'il lui soit donné acte de ses réserves de contester ultérieurement la responsabilité de ses assurés dans l'hypothèse où l'action engagée à son encontre serait jugée recevable ;

Attendu que les défendeurs P. et G., par leurs écritures judiciaires du 12 octobre 1989 :

* contestent formellement la demande en considérant qu'il n'est pas établi que leur responsabilité puisse être engagée à l'occasion de ce sinistre et qu'à titre subsidiaire, leur compagnie d'assurances Via Assurances doit les relever et les garantir ;

* font observer qu'aucun constat d'huissier n'a été dressé par le sieur R. après le sinistre dont il se plaint, et que ce n'est qu'un an plus tard qu'il sera fait mention d'un procès-verbal d'expertise établi par l'expert de la compagnie d'assurances de R., la Général Accidents ;

* critiquent le travail de l'expert qui n'a pas décrit les lieux ni les dommages subis, ainsi que l'initiative de R. de faire réparer provisoirement, puis définitivement, les lieux sans fournir des factures des interventions matérielles ou des éléments de preuve quant à l'importance du prétendu préjudice immatériel (perte de revenus pour cause d'interruption temporaire d'exploitation) ;

* soutiennent que, les infiltrations dont s'agit provenant d'une fuite sur une canalisation apparente située dans un appartement supérieur loué par un sieur B., la responsabilité doit être recherchée du chef de ce locataire ;

* font valoir, enfin, que le contrat de location qu'ils ont signé avec R., le 3 janvier 1985, prévoit une clause d'exonération des responsabilités et une renonciation de recours contre le bailleur, notamment en cas d'inondation, même par refoulement d'égouts tant pour le matériel détérioré que pour tous autres dégâts ;

Attendu qu'ils concluent en conséquence que R. doit être débouté, de plano, de sa demande et à titre subsidiaire, doit être déclaré dépourvu de tout droit à agir à leur encontre ;

Attendu que les demandeurs répliquent en observant que les bailleurs n'ont jamais contesté ni les dégâts des eaux ni leur origine, ni l'étendue des dommages causés au restaurant de R., et contradictoirement appréciés et estimés par l'ingénieur-expert de la Compagnie d'assurances des défendeurs et que sur le plan du droit, le bailleur est tenu de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail, conformément à l'article 1559 du Code civil, ainsi que l'a affirmé souvent la jurisprudence en appliquant cet article à la responsabilité du bailleur pour le trouble de jouissance causé à un locataire par un autre colocataire ;

Que la Compagnie d'assurances Général Accidents subrogée dans les droits à R. est fondée aujourd'hui à exercer une action directe à l'encontre des bailleurs et de leur Compagnie d'assurances en vue d'obtenir le paiement de la somme en principal de 86 323,76 F, outre les intérêts de droit, versée par elle à titre d'indemnité à son assuré R. ;

Attendu que les bailleurs par de nouvelles écritures judiciaires répondent qu'aucune preuve objective de l'existence, de l'importance et de la valeur du préjudice évoqué n'est rapportée, que le prétendu rapport d'expertise dressé par O. pour le compte de la société Général Accidents assureur de R., leur est inopposable, n'ayant jamais été appelés à cette expertise, que si la compagnie Via Assurances a délégué à cette opération son propre expert, un sieur S., celui-ci n'avait aucun pouvoir pour représenter les bailleurs ;

Que par ailleurs, nonobstant les dispositions de l'article 1559 du Code civil, ils avaient, comme ils l'ont fait, la possibilité de prévoir une renonciation à tout recours en responsabilité, notamment en matière d'inondation ;

Qu'enfin, ils font valoir que la compagnie Général Accidents qui invoque être subrogée dans les droits de son assuré R. ne justifie pas d'une telle subrogation ;

SUR CE,

Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats que R. C. R. a subi, le 11 juillet 1985, dans le local commercial qu'il exploite dans l'immeuble « Villa R. » dont les co-propriétaires indivis sont G. G. épouse P. et M. G., des infiltrations d'eau suite à une fuite sur une canalisation immeuble apparente d'alimentation en eau se trouvant dans un appartement sus-jacent loué par les mêmes bailleurs à un sieur B. ;

Que le demandeur R. a été entièrement indemnisé pour les dégâts des eaux qu'il a subis, du fait desdites infiltrations, par sa propre Compagnie d'assurances dénommés Général Accidents ainsi que celle-ci, également demanderesse aux débats, l'affirme dans ses écritures judiciaires, pour un montant de 86 323,76 F sans toutefois en rapporter la preuve, notamment par une quittance subrogatoire ;

Attendu que, R. ne contestant pas avoir reçu cette somme à titre d'indemnité, il y a lieu de considérer la Compagnie d'assurances « Général Accidents » comme subrogée jusqu'à concurrence de cette indemnité dans les droits et actions de son assuré contre les responsables du dommage ayant donné lieu à l'intervention de l'assureur ; qu'en conséquence, le demandeur R. doit être d'office déclaré irrecevable en sa présente action ;

Attendu que sur l'origine du sinistre allégué, il résulte des deux rapports d'expertise versés aux débats, l'un en date du 23 juin 1986, établi par F. O., expert choisi par la compagnie Général Accidents, l'autre en date du 12 septembre 1986, établi par le cabinet d'expertise du bâtiment pour les assurances, à la requête de la compagnie Via Assurances, que la rupture de la canalisation apparente en alimentation en eau, survenue dans les locaux occupés par un sieur B. situés au-dessus de la salle de restaurant, a été la cause d'infiltrations d'eau dans les locaux du fonds de commerce exploité par R. ; que ces infiltrations qui ont endommagé le plafond et les murs de la salle de restaurant, ainsi que cela est établi au contradictoire des experts des assureurs par le détail des travaux de remise en état provisoire des 5 et 6 août 1985 et de remise en état définitive effectuée pendant la période de fermeture annuelle de l'établissement, ne sauraient être assimilées au cas d'inondation prévu par l'une des clauses du contrat de bail signé le 3 janvier 1985 par les bailleurs et le preneur, tendant explicitement à limiter de ce chef les obligations du bailleur définies par l'article 1559 du Code civil, en excluant à ce titre tout recours en responsabilité de la part du preneur « en cas d'inondation, même par refoulement des égouts, pour le matériel détérioré et tous autres dégâts » ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations, les co-propriétaires indivis G. P. et M. G. ne peuvent, comme ils le soutiennent dans leurs conclusions, prétendre, pour rendre applicable la clause contractuelle excluant tout recours en responsabilité contre le bailleur, que leur locataire a été victime dans les locaux donnés à bail d'une inondation, c'est-à-dire d'un débordement des eaux recouvrant une certaine étendue des lieux loués ;

Qu'il suit que le bailleur par application de l'article 1559 du Code civil, doit sa garantie au preneur de la chose louée, notamment en cas de trouble de jouissance causé, comme il est constant en l'espèce, par un autre locataire du même bailleur ;

Attendu que la compagnie Général Assurances, subrogée dans les droits de R., est fondée à réclamer au bailleur de ce dernier, la réparation du trouble provoqué par les infiltrations d'eau dont s'agit ;

Attendu qu'en l'état des deux rapports d'expertise susvisés, établis à la requête tant de la Compagnie Général Accidents que de la Compagnie Via Assurances IARD, assureur des copropriétaires indivis de l'immeuble « Villa R. », la réalité des dommages subis et le montant de la réparation du préjudice tant matériel qu'immatériel en résultant apparaissent suffisamment justifiés par les déclarations conformes des experts et par les pièces fournies par l'expert comptable de R. ;

Qu'il y a lieu de faire droit à la demande de la compagnie Général Accidents, tendant à la condamnation des bailleurs à lui rembourser la somme de 86 323,76 F, outre les intérêts de droit à compter du présent jugement ;

Attendu que sur la demande formée également par la compagnie Général Accidents, à l'encontre de la compagnie Via Assurances, il y a lieu d'observer que les parties n'ont pas contesté les conclusions du rapport d'expertise du 12 septembre 1986, établi à la demande de la compagnie Via Assurances, aux termes desquelles, la cause du sinistre est imputable à la vétusté de l'installation de la canalisation d'eau existant dans les locaux loués au sieur B. ;

Attendu que le contrat d'assurances multirisques d'habitation, conclu le 18 avril 1979 par l'hoirie P., bailleresse de R. et ladite Compagnie Via Assurances, exclut de la garantie par une disposition spéciale au titre des dégâts des eaux, les dommages ayant pour cause manifeste la vétusté ;

Qu'en conséquence, par application de cette disposition contractuelle, il convient de débouter la Compagnie Général Accidents de son action en paiement dirigée contre la Compagnie Via Assurances lard, assureur des copropriétaires de R. ;

Attendu que sur la demande en dommages-intérêts pour résistance abusive, la Compagnie Général Accidents ne s'explique pas sur la réalité du préjudice qu'elle dit avoir subi par le refus abusif de payer que lui aurait opposé les bailleurs de R., ni sur les diligences qu'elle aurait effectuées à cet égard ;

Qu'elle doit être débouté de ce chef de demande ;

Attendu que, par ailleurs, l'urgence n'apparaissant pas établie, compte tenu des circonstances de la cause, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit la Compagnie d'assurances Général Accidents subrogée dans les droits et actions de R. ;

Déclare R. C. R. irrecevable en son action en paiement ;

Déboute la Compagnie Général Accidents de son action en paiement à l'encontre de la Compagnie d'assurances Via Assurances IARD ;

Condamne conjointement G. P. et M. G. à payer la somme de 86 323,76 F à la Compagnie d'assurances Général Accidents avec intérêts de droit à compter du présent jugement ;

Déboute la Compagnie Général Accidents de sa demande dirigée contre la compagnie Via Assurances IARD ainsi que du surplus de ses autres demandes ;

Composition

M. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Lorenzi-Sbaratto et Clérissi, av. déf.

Note

Le bailleur doit garantie au preneur des troubles de jouissance que celui-ci pourrait subir (C. civ., art. 1559). Sa garantie n'est exclue que pour les troubles occasionnés par des tiers et qui ne seraient pas des troubles de droit (C. civ., art. 1565). Il est de principe, selon la jurisprudence française que la garantie due au preneur s'étend aux divers troubles, se produisant entre colocataires d'un même immeuble, notamment pour les dégâts causés par l'eau, par la suite de ruptures de canalisation (Cass. soc., 22 mars 1957 : Bull. civ. IV, n° 355).

Le fondement de cette garantie peut être trouvé à Monaco, dans la circonstance que les troubles en question échappent à l'exclusion de garantie, prévue par l'article 1565 du Code civil, soit parce qu'il s'agit de troubles de droit, comme résultant de l'exécution d'un contrat de bail par leur auteur, soit parce que ce dernier n'est pas un tiers par rapport au bailleur (cf. JCl. Civil, Fasc. 263, p. 10 et 11).

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26068
Date de la décision : 11/04/1991

Analyses

Baux ; Immeuble à usage d'habitation


Parties
Demandeurs : R. et Cie d'Assurances Général Accidents
Défendeurs : dame P.-G. et G., Cie d'assurance via Assurances.

Références :

C. civ., art. 1565
article 1559 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1991-04-11;26068 ?

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