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21/03/1991 | MONACO | N°26056

Monaco | Tribunal de première instance, 21 mars 1991, SA Diffusion Automobile monégasque c/ Commune de Monaco.


Abstract

Baux commerciaux

Bail consenti pour 3, 6 ou 9 ans - Résiliation au gré du preneur - Reprise du bailleur pour reconstruction de l'immeuble - Application de l'article 16-1 de la loi n° 490

Résumé

En l'état d'un bail commercial conclu pour une durée de trois, six ou neufs années entières et consécutives, à compter du premier janvier 1978 pour se terminer le 31 décembre 1980, 1983 et 1986 au gré du preneur, le bailleur, exerçant la reprise en vue de la reconstruction de l'immeuble, ne saurait s'opposer au droit de renouvellement du preneur en lui

délivrant un congé le premier août 1980 pour le 31 décembre suivant, alors que le bai...

Abstract

Baux commerciaux

Bail consenti pour 3, 6 ou 9 ans - Résiliation au gré du preneur - Reprise du bailleur pour reconstruction de l'immeuble - Application de l'article 16-1 de la loi n° 490

Résumé

En l'état d'un bail commercial conclu pour une durée de trois, six ou neufs années entières et consécutives, à compter du premier janvier 1978 pour se terminer le 31 décembre 1980, 1983 et 1986 au gré du preneur, le bailleur, exerçant la reprise en vue de la reconstruction de l'immeuble, ne saurait s'opposer au droit de renouvellement du preneur en lui délivrant un congé le premier août 1980 pour le 31 décembre suivant, alors que le bail spécifiait que seul le preneur avait la faculté de le résilier à l'expiration de chaque période triennale, et rappelait que l'éviction interviendrait dans le respect absolu des dispositions de la loi n° 490 du 24 novembre 1948.

Il appartenait au bailleur, pour mettre fin au bail, de se conformer aux règles d'ordre public, édictées par le second alinéa de l'article 16-1 de la loi susvisée, qui imposent au propriétaire de notifier au locataire, par acte extra-judiciaire, son intention de reprendre les locaux douze mois au moins avant la date qu'il fixe pour la fin anticipée du bail.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu que par l'exploit susvisé, la Société Anonyme de Diffusion Automobile Monégasque, ci-après SADAM, qui expose avoir occupé pendant près de trente ans des locaux commerciaux essentiellement destinés à la vente de véhicules d'occasion, à Monaco, en vertu de conventions successives dont la dernière a été consentie par la Mairie de Monaco sous forme d'un bail commercial conclu par acte sous-seings privés du 24 avril 1979, auquel la bailleresse a mis fin à compter du 31 décembre 1980 en l'état des travaux de démolition et de reconstruction devant être effectués sur l'emplacement des halles et marchés du quartier Saint-Charles, a fait assigner le Maire de Monaco en paiement d'un complément d'indemnité de 6 121 950 F (la perte d'exploitation jusqu'au paiement de l'indemnité, non chiffrée, étant portée en mémoire) avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, représentant le préjudice qu'elle subit selon elle en raison du départ forcé, intervenu au cours de l'été 1985, des locaux précédemment occupés, en contrepartie duquel elle n'a reçu paiement par la Mairie que de la somme de 415 090 F versée le 13 août 1985, en sollicitant en outre le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution ;

Que la SADAM fonde sa demande sur les dispositions de l'article 2 de la loi n° 1076 du 27 juin 1984, ayant déclarés d'utilité publique les travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble des Halles et marchés de Monte-Carlo lequel édicte :

« Les locaux de l'immeuble ne faisait pas l'objet d'un transfert de propriété, la déclaration d'utilité publique a pour effet d'éteindre, à la date de sa publication, tous droits réels ou personnels pouvant être détenus sur ces locaux et de faire naître au profit des bénéficiaires un droit à indemnité.

Le montant de celle-ci est fixé à l'amiable. À défaut, il est déterminé par le Tribunal de première instance ; dans ce cas, l'éviction des anciens titulaires de droits réels ou personnels peut être exigée dès le versement d'une somme d'argent au moins égale aux offres d'indemnisation faites par l'administration expropriante » ;

Qu'elle justifie le quantum de sa réclamation par l'expertise amiable qu'elle a confiée à l'expert-comptable S., dont elle reprend les conclusions ;

Que dans ses écrits judiciaires ultérieurs, la SADAM soutient que le congé que la mairie lui a délivré le 1er août 1980, à effet du 31 décembre suivant, en vue de mettre fin au bail du 24 novembre 1979 est irrégulier au regard de l'article 16-1 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 - en relevant que la Mairie n'a d'ailleurs jamais poursuivi l'exécution de ce congé - et estime en conséquence que le bail, conclu pour trois, six ou neuf années à compter du 1er janvier 1978, n'a pas pris fin à l'issue de la première période triennale mais s'est trouvé éteint seulement à la date de la déclaration d'utilité publique, conformément aux dispositions de la loi n° 1076 précitées, ce que la Mairie aurait d'ailleurs admis dans une lettre du 31 juillet 1984 où elle précise : « À compter du 30 juin 1984, vous n'êtes plus titulaires d'aucun droit locatif sur les locaux » ;

Qu'elle conclut en conséquence au rejet de l'ensemble des prétentions formulées par la défenderesse et réitère ses propres demandes ;

Attendu qu'en réponse, « le Maire de Monaco » rappelle, au plan des faits, que l'acte du 24 avril 1979 fait référence à deux lettres des 5 décembre 1978 et 30 mars 1979 par lesquelles il s'engageait à faire bénéficier le preneur des garanties offertes par la loi n° 490 eu égard à l'opération d'urbanisme envisagée, en sorte que la SADAM était consciente de l'incertitude pesant sur la durée réelle de l'engagement locatif, que le bail commercial a pris fin à compter du 31 décembre 1980, en suite du congé donné par lettre du 1er août 1980, laquelle n'a pas suscité de protestation, que la SADAM, dans l'attente du début des travaux de reconstruction du marché, a été autorisée à continuer d'occuper les lieux, mais à titre précaire et révocable de mois en mois, et que l'indemnité d'éviction de 415 090 F, calculée en fonction des chiffres d'affaires déclarés, a été dûment versée à la SADAM ;

Qu'en droit, le Maire observe que la demande dont il fait l'objet est irrecevable tant en application de la loi n° 490 que de la loi n° 1076, dès lors, d'une part, que l'article 31 de la loi n° 490 édicte une prescription de deux ans pour toute action exercée en vertu de cette loi et que celle-ci est acquise depuis le 1er janvier 1983 soit deux années après l'expiration du bail, et d'autre part, que l'article 2 de la loi n° 1076, qui fait implicitement référence à la loi n° 502 du 6 avril 1949 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, à laquelle les parties se sont reportées pour mandater leurs experts, suppose en conséquence le respect des procédures et délais de forclusion établis par cette loi n° 502, ce qui n'a pas eu lieu en l'espèce ;

Que par ailleurs, le Maire observe qu'à la date d'application de la loi n° 1076, la SADAM se trouvait déjà sans droit ni titre par l'effet du congé et ne peut donc aujourd'hui s'en prévaloir ; qu'il estime en effet qu'il a été régulièrement mis fin au bail et qu'au 1er janvier 1981 la SADAM est devenue occupante sans droit ni titre des lieux, son occupation n'ayant été tolérée qu'à titre précaire et révocable depuis lors, et ne pouvait plus en conséquence revendiquer un quelconque titre locatif mais seulement le paiement d'une indemnité d'éviction ;

Qu'à cet égard, il remarque que la SADAM, qui estime l'indemnité versée par la commune insuffisante, n'a entrepris aucune diligence pour faire fixer le montant de cette indemnité et se trouve aujourd'hui forclose pour ce faire, encore qu'une telle action relève de l'appréciation exclusive de la Commission arbitrale des loyers commerciaux ;

Que le Maire demande en définitive au tribunal de juger qu'il a été régulièrement mis fin au bail par lettre du 1er août 1980 ayant valeur de congé dont il sollicite la validation, de dire qu'en l'état de l'occupation des lieux sans droit ni titre, la loi n° 1076 du 27 juin 1984 est inapplicable aux faits de la cause, et de juger, sous réserve de la question de compétence, que la SADAM est forclose à demander la fixation d'une indemnité d'éviction complémentaire à celle déjà réglée ;

Qu'il conclut donc au rejet de l'ensemble des demandes :

Sur quoi,

Attendu qu'en dépit des termes de l'assignation et des écrits judiciaires des parties, il convient d'observer que la partie défenderesse n'est pas « le maire de Monaco », mais en réalité la Commune, ainsi qu'il ressort implicitement des circonstances de fait et de droit du litige ;

Attendu que le bail conclu entre la ville de Monaco et la SADAM le 24 avril 1979 - dont les lettres des 5 décembre 1978 et 30 mars 1979 visées comme étant annexées audit bail ne sont pas produites - prévoit qu'il est « consenti et accepté pour une durée de trois, six ou neuf années entières et consécutives, à compter du 1er janvier 1978 pour se terminer le 31 décembre 1980, 1983 et 1986 au gré du preneur... » ;

Attendu en conséquence, qu'aux termes de cette convention, seul le preneur, c'est-à-dire la SADAM, avait la faculté de résilier le bail à l'expiration de chaque période triennale ; que la commune ne pouvait donc s'opposer au renouvellement dudit bail à la date du 31 décembre 1980 marquant l'expiration de la première période ;

Attendu que dans l'hypothèse de l'espèce d'une reprise en vue de la reconstruction de l'immeuble, révélée tant par la lettre du 30 mars 1979 où « l'opération d'urbanisme » projetée et « les travaux de démolition et de reconstruction des Halles et Marchés » envisagés y étaient annoncés, que par d'autres correspondances ou éléments du dossier, la commune propriétaire des locaux avait la possibilité de mettre un terme au bail avant son échéance, fixée au 31 décembre 1986, dans le cadre de la loi n° 490 régissant la convention de bail, et plus particulièrement de l'article 16-1 de cette loi ;

Que cette disposition était en effet applicable dès lors qu'il est constant que le bail initialement consenti a été renouvelé depuis près de trente ans à la SADAM, en dernier lieu par formalisation de l'acte sous seing privé du 24 avril 1979 ;

Attendu cependant que cette faculté de mettre fin au bail avant son terme obéit aux règles édictées par le second alinéa de l'article 16-1 précité et impose en conséquence au propriétaire de notifier au locataire, par acte extra-judiciaire, son intention de reprendre les locaux douze mois au moins avant la date qu'il fixe pour la fin anticipée du bail ;

Attendu que ce formalisme édicté pour la protection des droits du locataire par la loi d'ordre public sur les loyers commerciaux n'a nullement été observé en l'espèce, puisque le Maire s'est borné à adresser à la SADAM une lettre le 1er août 1980 « (mettant) fin à compter du 31 décembre 1980, au bail commercial », tout en rappelant que l' « éviction interviendra dans le respect absolu des dispositions de la loi n° 490 » ;

Attendu qu'il s'ensuit que le congé « du 1er août 1980, irrégulièrement délivré, n'a eu aucun effet de droit, en sorte que le bail doit être considéré comme s'étant poursuivi après le 31 décembre 1980 ;

Que c'est bien cette analyse qui apparaît avoir été faite par les parties puisque la SADAM écrivait le 19 mars 1982 » ... Non seulement nous n'avons jamais été d'accord pour considérer notre bail comme terminé, et nous vous l'avons écrit formellement dans nos lettres du 1er août 1980, puis du 12 février 1981, mais avons revendiqué et continuons à revendiquer le statut de locataire commercial de droit commun... «, tandis que la commune, qui a laissé la SADAM dans les lieux après le 31 décembre 1980, aux clauses et conditions antérieures qu'elle a il est vrai, révisées unilatéralement dans sa lettre du 8 mars 1982, où sont à la fois évoquées les notions de » loyers « et de » location à titre précaire et révocable «, semble être revenue sur sa position dans sa lettre du 31 juillet 1984, qui précise à la SADAM :

» ... À compter du 30 juin 1984, vous n'êtes donc plus titulaires d'aucun droit locatif sur les locaux dépendant des Halles et Marchés et je me vois par conséquent dans l'obligation de refuser toute somme que vous estimeriez devoir me verser à titre de loyer... " ;

ce qui laisse entendre que la demanderesse était regardée jusqu'à cette date du 30 juin 1984 comme titulaire de droits locatifs ;

Attendu que la loi n° 1076 du 27 juin 1984 ayant eu pour effet d'éteindre à compter du 29 juin 1984, tous droits réels ou personnels détenus sur les locaux de l'immeuble de l'avenue Saint-Charles et de faire naître au profit des bénéficiaires un droit à indemnité dont le montant, faute d'accord amiable, est déterminé par le Tribunal, il doit être constaté que la SADAM, qui détenait à cette date des droits personnels sur les locaux en vertu du bail s'étant poursuivi comme il vient d'être dit, est fondée à se prévaloir des dispositions de ladite loi ;

Qu'elle est donc en droit de percevoir une indemnité, comme l'organise au demeurant la constitution en son article 24 qui prévoit dans les situations de celle de l'espèce le versement d'une juste indemnité, dans les conditions prévues par la loi n° 1076 elle-même, sans qu'il y ait lieu de suivre les parties ou leurs mandataires dans leurs errements sur l'application d'autres lois manifestement non pertinentes en la cause ;

Attendu qu'aucun accord amiable n'ayant pu être réalisé entre les parties quant au montant de cette indemnité, celui-ci doit être déterminé par le Tribunal, par application de l'article 2 de la loi n° 1076, conformément au droit commun ;

Qu'au regard, à la fois des résultats des expertises amiables auxquelles il a été procédé (bien que le rapport de l'expert de la commune n'ait pas été produit) et des sommes d'abord offertes puis payées à la SADAM par la ville de Monaco, qui démontrent des écarts très sensibles insusceptibles de permettre un arbitrage équitable, il y a lieu d'ordonner une expertise judiciaire à l'effet de recueillir tous éléments nécessaires à la fixation de l'indemnité, aux frais avancés de la demanderesse, avant dire droit sur la demande en paiement ;

Attendu que la demande tendant au bénéfice de l'exécution provisoire n'étant pas motivée, il n'y a pas lieu d'y faire droit en l'absence d'un fondement dûment invoqué et justifié ;

Attendu que la commune, qui succombe en ses prétentions, doit dès lors être tenue aux dépens de l'instance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit sans effet de droit le congé délivré par la commune à la SADAM selon lettre du 1er août 1980 ;

Constate que le bail commercial conclu entre les parties s'est poursuivi jusqu'à la date de publication de la loi n° 1076 du 27 juin 1984 ;

Juge que conformément à l'article 2 de ladite loi, la SADAM est en droit de percevoir une indemnité et constate qu'il lui a été d'ores et déjà versé la somme de 415 090 F le 13 août 1985, sur laquelle elle ne s'est pas accordée ;

Avant dire droit sur le montant de l'indemnité réellement dû à la SADAM ;

Ordonne une mesure d'expertise à ses frais avancés ;

Commet pour y procéder, M. François Brych, expert-comptable, lequel aura pour mission, serment préalablement prêté, de recueillir par tous moyens tous éléments permettant de déterminer le montant du préjudice subi par la SADAM du fait de la perte de ses droits locatifs sur les locaux qu'elle occupait jusqu'en 1985, dans l'immeuble dit des Halles et Marchés à Monte-Carlo, en proposant une méthode d'actualisation dudit montant ;

Dit que l'expert conciliera les parties si faire se peut, sinon dressera et déposera rapport de ses opérations dans les trois mois de leur commencement ;

Commet M. Philippe Narmino, Premier Juge au siège, pour suivre les opérations d'expertise dont les frais seront avancés par la demanderesse ;

Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou du Juge Commis, il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Composition

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. du proc. gén. - Mes Karczag-Mencarelli et Leandri av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26056
Date de la décision : 21/03/1991

Analyses

Contrat - Général ; Baux commerciaux


Parties
Demandeurs : SA Diffusion Automobile monégasque
Défendeurs : Commune de Monaco.

Références :

loi n° 1076 du 27 juin 1984
loi n° 502 du 6 avril 1949
loi n° 490 du 24 novembre 1948
article 16-1 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948
article 2 de la loi n° 1076 du 27 juin 1984


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1991-03-21;26056 ?

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