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21/03/1991 | MONACO | N°26055

Monaco | Tribunal de première instance, 21 mars 1991, S. c/ SAM Chase Manhattan Bank N.A.


Abstract

Responsabilité civile

Faute contractuelle d'un préposé d'une banque - Action contre la Banque en responsabilité contractuelle (non) - Banque étrangère au contrat - Action contre la Banque en responsabilité délictuelle - Article 1231 alinéa 4 (non) - Faute commise en dehors des fonctions du préposé - Action contre la banque pour méconnaissance de son obligation de conseil (non)

Résumé

Les prêts successifs consentis, à titre purement personnel, par le client d'une banque, à un préposé de celle-ci, occupant des fonctions de gestionnaire de f

onds, en dehors de toute intervention de l'établissement dans cette opération, ne saurait,...

Abstract

Responsabilité civile

Faute contractuelle d'un préposé d'une banque - Action contre la Banque en responsabilité contractuelle (non) - Banque étrangère au contrat - Action contre la Banque en responsabilité délictuelle - Article 1231 alinéa 4 (non) - Faute commise en dehors des fonctions du préposé - Action contre la banque pour méconnaissance de son obligation de conseil (non)

Résumé

Les prêts successifs consentis, à titre purement personnel, par le client d'une banque, à un préposé de celle-ci, occupant des fonctions de gestionnaire de fonds, en dehors de toute intervention de l'établissement dans cette opération, ne saurait, en l'état de la faute dudit préposé, engager la responsabilité contractuelle de la banque, dès lors que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties et qu'elles ne nuisent point aux tiers, ainsi qu'en dispose l'article 1020 du Code civil.

La banque ne saurait, par ailleurs, encourir une responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil en tant que commettant, étant donné que son préposé, a agi sans son autorisation, à des fins étrangères à ses attributions, sans rapport avec les services de l'établissement et s'est placé hors des fonctions, auxquelles il était employé (Cass. civ. ass. plén., 15 nov. 1985).

La responsabilité du fait personnel de la banque, basée sur l'article 1229 du Code civil pour méconnaissance de son devoir de renseignements et de conseil ne saurait davantage être retenue, une telle obligation ne jouant que dans le cadre effectif des prestations de service bancaire, à titre accessoire et complémentaire de rapports contractuels, ce qui n'est point le cas.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

V. F., employé à la Chase Manhattan Bank à Monaco, obtenait de M. S., dont il gérait le portefeuille de valeurs mobilières, l'octroi d'un prêt de la somme de 30 000 dollars US qu'il s'engageait à lui rembourser, aux termes d'une reconnaissance de dette en date du 3 novembre 1986, dans le délai d'un an augmentée d'intérêts au taux de 4 % l'an ;

De l'aveu de M. S., ce prêt était destiné à permettre à V. F. et à son épouse née E. W., de financer l'achat d'une maison près de Grasse en France ;

Par la suite, V. F. obtenait de M. S. l'octroi d'un nouveau prêt de 20 000 dollars US en date du 17 février 1987 ;

Les sommes ainsi empruntées étaient débitées du compte de M. S., en exécution de deux ordres de virement signés par celle-ci, les 3 novembre 1986 et 17 février 1987, pour être portées au crédit du compte ouvert par E. W. épouse F. auprès de la Barclays Bank à Monaco, les 10 novembre 1986 et 26 février 1987 ;

Sur ce, la Direction de la Chase Manhattan Bank à Monaco, ayant découvert les opérations d'emprunts personnels contractées par son employé, le sieur F., auprès de sa cliente M. S., prenait alors contact avec celle-ci pour obtenir tous éclaircissements utiles à ce sujet ;

Lors de l'entrevue qui s'est déroulée au siège de la Chase Manhattan à Monaco, le Directeur de cet établissement obtenait que M. S. lui délivre une attestation aux termes de laquelle elle reconnaissait que les prêts qu'elle avait consentis à V. F. étaient personnels à ce dernier et que les virements avaient été effectués sur ses instructions « sans engager aucune responsabilité ni obligation de remboursement quelles qu'elles soient, de la part de la Chase Manhattan Bank » ;

Par ailleurs M. S. acceptait, toujours à la demande du Directeur de cet établissement, de lui remettre l'original de la reconnaissance de dette initiale, signée par V. F. sur un papier à en tête de la Chase Manhattan, pour recevoir en contrepartie de celui-ci, une nouvelle reconnaissance de dette, du même montant de 30 000 dollars US, signée par les époux F.-W., faisant apparaître la femme comme emprunteur et le mari comme caution solidaire ;

Faisant état de ce qu'elle avait perdu toute possibilité d'obtenir le remboursement des sommes prêtées, compte tenu de la disparition des époux F., M. S., a, suivant exploit en date du 31 janvier 1990, assigné la société anonyme de droit monégasque dénommée « Chase Manhattan Bank N.A. » en responsabilité des conséquences dommageables du non remboursement des prêts consentis à V. F., sur le fondement des dispositions des articles 1219, 1220 et 1221 du Code civil d'une part, et de celles de l'article 1231 alinéa 4 du même code, tout en sollicitant sa condamnation au paiement, avec exécution provisoire, de l'équivalent en francs français des sommes suivantes :

* 30 000 dollars US avec intérêts au taux de 14 % l'an à compter du 3 novembre 1986,

* 20 000 dollars US avec intérêts au taux légal à compter du 26 février 1987,

* 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Elle fait valoir au soutien de sa demande que la Chase Manhattan s'avère tenue en sa qualité de commettant des agissements de son préposé V. F., commis dans l'exercice de ses fonctions ;

Que pour le cas où la défenderesse pourrait prétendre s'exonérer de sa responsabilité de commettant en arguant du fait que son employé avait agit à titre purement personnel, en dehors du cadre de son travail, il n'en demeurerait pas moins, que la Chase Manhattan, qui a cherché à couvrir les agissements indélicats de son employé, en la contraignant à lui faire signer une décharge de responsabilité, puis en substituant un nouveau débiteur à l'emprunteur initial, a par là même engagé sa responsabilité contractuelle en s'immisçant dans les rapports intervenus entre V. F. et sa cliente, pour les modifier à son avantage à l'effet d'éluder toute responsabilité éventuelle, de sa part ;

La Chase Manhattan Bank a conclu au débouté, aux motifs suivants :

* Tout d'abord elle ne saurait être en aucune manière tenue de la responsabilité du commettant du fait de son préposé, prévue par l'article 1231 du Code civil, du seul fait que V. F. en empruntant, à titre personnel, des sommes à la demanderesse, a agi à des fins étrangères à ses attributions et s'est ainsi placé en dehors des fonctions auxquelles il était employé ; qu'au surplus la dame S. avait parfaite connaissance que son emprunteur agissait pour son propre compte ainsi qu'elle l'a d'ailleurs reconnu ;

* Par ailleurs, sa responsabilité ne saurait pas davantage être recherchée sur le terrain contractuel dès lors qu'elle n'a souscrit aucun engagement envers la demanderesse et que son intervention était extérieure aux rapports contractuels liant cette dernière aux époux F. ;

* Enfin les éléments de la cause ne permettent en aucune manière à la dame S. de se prévaloir du bénéfice de la gestion d'affaires dont les conditions d'application ne sont pas réunies, en l'espèce ;

SUR CE,

Attendu qu'il apparaît des circonstances de fait ci-dessus exposées, résultant des pièces versées aux débats et non contestées par les parties, que la Chase Manhattan Bank, n'a, à aucun moment ni contracté, ni cautionné les prêts litigieux consentis par M. S. à V. F. ; que la responsabilité que cet établissement bancaire serait susceptible d'encourir, en la cause, s'agissant d'un tiers, ne saurait être utilement recherchée sur un fondement contractuel dès lors que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties et qu'elles ne nuisent point aux tiers ainsi qu'en dispose l'article 1020 du Code civil ;

Attendu, quant à la responsabilité délictuelle du fait d'autrui, dont se prévaut par ailleurs la demanderesse, qu'il résulte des mêmes circonstances de fait non contestées, que M. S. qui disposait d'un compte à la Chase Manhattan Bank, agence de Monaco, à successivement consenti à V. F. qui occupait les fonctions de gestionnaire de fonds dans cet établissement, deux prêts successifs, le premier d'un montant de 30 000 dollars US, avec intérêts au taux de 14 % l'an, en date du 3 novembre 1986 dont ce dernier lui délivrait reçu le même jour, le second d'un montant de 20 000 dollars US sans intérêts, en date du 17 février 1987.

Que le caractère purement personnel desdits prêts est suffisamment établi par le fait que M. S. a libellé et signé de sa main les deux ordres de virement correspondant à leur montant respectif, par lesquels elle chargeait la Chase Manhattan Bank de débiter son compte des sommes prêtés pour les porter ensuite au crédit du compte ouvert à la Barclays Bank par E. W., épouse de son emprunteur ;

Que par ailleurs, la demanderesse savait pertinemment, dès l'origine, que l'objet de ces prêts était étranger aux fonctions occupées par V. F. à la Chase Manhattan Bank, dès lors que dans une lettre adressée le 4 janvier 1988 au directeur de cet établissement, elle lui exposait notamment : « Le 3 novembre 1986, le responsable en charge de mon portefeuille, V. F., m'a suggéré de placer la somme de 30 000 dollars US sur le compte de sa femme, Mme E. W. afin qu'il puisse acheter une maison près de Grasse (Alpes-Maritimes), ce qui me rapporterait 14 % d'intérêts », tout en ajoutant par la suite « le vendredi 17 février 1987, il m'a demandé de transférer 20 000 dollars US supplémentaires, j'ai accepté » ;

Qu'il s'évince des faits ci-dessus rapportés que V. F., en contractant ces deux emprunts pour son propre compte, dans son intérêt personnel exclusif, a manifestement agi en dehors de ses fonctions, quelles que soient les circonstances entourant son action, et que M. S. qui avait entendu traiter avec lui personnellement pour réaliser une opération sans rapport avec les services inhérents à la banque et dont elle escomptait un profit supérieur, ne pouvait donc ignorer que son emprunteur n'agissait pas comme mandataire de la Chase Manhattan Bank ;

Attendu que les dispositions de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil ne s'appliquant pas au commettant, en cas de dommages causés par le préposé qui, comme en l'espèce, agissant sans autorisation, à des fins étrangères à ses attributions, s'est placé hors des fonctions auxquelles il était employé (Cass. civ. ass. plén.,15 nov. 1985), il échet en conséquence de débouter M. S. de toutes ses demandes, de ce chef ;

Attendu, quant à la responsabilité du fait personnel qu'aurait encourue la Chase Manhattan Bank pour avoir méconnu son devoir de renseignements et de conseil, comme le soutient la demanderesse, une telle responsabilité ne saurait être retenue, en la cause ;

Qu'en effet, tout banquier n'est réellement tenu d'une obligation de renseignement et de conseil envers son client, que dans le cadre effectif de ses prestations de service, c'est-à-dire des rapports contractuels le liant à ce dernier, cette obligation n'étant que l'accessoire d'un service, en ce sens qu'elle complète les prestations attachées à un service donné, de manière à ce qu'il remplisse correctement son objet ;

Qu'en l'espèce, il est constant que la Chase Manhattan Bank n'est intervenue auprès de sa cliente, M. S., qu'après avoir incidemment eu connaissance de l'existence des prêts que celle-ci avait consentis personnellement à son préposé, V. F. ;

Qu'à ce moment là, quels que soient les mobiles de son intervention auxquels son intérêt personnel n'était sans doute pas étranger, ainsi qu'elle l'a reconnu, le rôle de cette banque s'est, en fait, borné à proposer à M. S. et aux époux F.-W. de substituer en qualité d'emprunter E. W. à son mari V. F., ce dernier devenant caution solidaire de celle-ci, ce que tous deux ont accepté, en connaissance de cause, en rédigeant une nouvelle reconnaissance de dette tandis que pour sa part, M. S. donnait son accord à cette substitution d'emprunteur avec adjonction d'une sûreté personnelle, en restituant l'original de la reconnaissance de dette, opérant novation, souscrite initialement par V. F. ;

Attendu que, dès lors qu'il est toujours loisible aux parties de revenir sur leurs engagements initiaux pour en modifier le contenu de leur consentement mutuel, ce qui a été le cas en l'espèce, il apparaît que l'initiative prise par la Chase Manhattan Bank, dans son rôle d'intermédiaire, ne saurait en elle-même être constitutive d'une faute quelconque au sens des articles 1229 et 1230 du Code civil ;

Attendu qu'il n'est pas, par ailleurs sans intérêt d'observer ici, que le préjudice qu'a subi la demanderesse résultant pour elle, ainsi qu'elle l'a expressément reconnu dans ses écritures judiciaires, de l'impossibilité actuelle de recouvrer les sommes prêtées aux époux F.-W. du fait de leur disparition de la Principauté de Monaco, il apparaît ainsi que ce fait s'avère sans aucun lien de causalité direct avec le comportement incriminé de la défenderesse, d'autant que le remboursement des emprunts n'était pas encore devenu exigible à l'époque où se situe l'intervention de cette dernière ; qu'il échet en conséquence, au vu des considérations qui précèdent de débouter M. S. de toutes ses demandes de ce chef ;

Attendu que par ailleurs, la demanderesse ne saurait pas davantage prétendre se prévaloir du bénéfice de la gestion d'affaires, dont les conditions d'application ne sont nullement réunies, en l'espèce, la Chase Manhattan Bank n'ayant à aucun moment manifesté son intention de gérer l'affaire de M. S., ni accompli pour le compte de celle-ci aucun acte quelconque de gestion ;

Qu'elle doit en conséquence être déboutée de toutes ses demandes, à ce titre ;

Attendu enfin que les dépens suivront la succombance de la demanderesse ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute M. S. de toutes ses demandes.

Composition

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. proc. Gén. - Mes Brugnetti, Clerissi av. déf. ; Vignal av. bar. de Paris.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26055
Date de la décision : 21/03/1991

Analyses

Droit des obligations - Responsabilité civile contractuelle ; Contrat de prêt ; Établissement bancaire et / ou financier


Parties
Demandeurs : S.
Défendeurs : SAM Chase Manhattan Bank N.A.

Références :

articles 1219, 1220 et 1221 du Code civil
articles 1229 et 1230 du Code civil
article 1020 du Code civil
article 1229 du Code civil
article 1231 alinéa 4 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1991-03-21;26055 ?

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