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14/03/1991 | MONACO | N°26053

Monaco | Tribunal de première instance, 14 mars 1991, Crédit industriel de l'Ouest c/ SAM expansion commerciale européenne.


Abstract

Conflit de lois

Cession de créance - Créancier en France - Débiteur à Monaco - Formes de la cession - Loi applicable à leur détermination dans les relations entre le débiteur cédé et le cessionnaire - Loi de la créance originaire - Loi française

Résumé

S'agissant de fournitures de vêtements qu'une société monégasque avait commandées à une entreprise française, laquelle a cédé sa créance à un établissement de crédit, il y a lieu d'en déduire, en vertu du principe de l'autonomie de la volonté, que le contrat est devenu parfait par

l'acceptation de la commande donnée en France par l'entreprise française ; il s'ensuit que la loi s...

Abstract

Conflit de lois

Cession de créance - Créancier en France - Débiteur à Monaco - Formes de la cession - Loi applicable à leur détermination dans les relations entre le débiteur cédé et le cessionnaire - Loi de la créance originaire - Loi française

Résumé

S'agissant de fournitures de vêtements qu'une société monégasque avait commandées à une entreprise française, laquelle a cédé sa créance à un établissement de crédit, il y a lieu d'en déduire, en vertu du principe de l'autonomie de la volonté, que le contrat est devenu parfait par l'acceptation de la commande donnée en France par l'entreprise française ; il s'ensuit que la loi sous laquelle a pris naissance la dette de la société monégasque, est la loi française, ce qui conduit à considérer que c'est à la loi française du 2 janvier 1981, dite loi Dailly, de déterminer si la simple remise du titre prévu par celle-ci suffit - comme il est prétendu en l'occurrence - à engager la société monégasque à l'égard du cessionnaire.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par acte d'huissier en date du 26 juillet 1989, la SA Crédit Industriel de l'Ouest (CIC) a fait citer la SA Monégasque Expansion Commerciale Européenne aux fins d'entendre le Tribunal :

* le condamner à lui payer une somme principale de 150 000 F outre intérêts, frais et accessoires, en règlement d'une créance dont elle se dit régulièrement cessionnaire ;

* dire que l'inscription provisoire prise le 30 juin 1989 volume 25 n. 22 au répertoire du commerce et de l'industrie de Monaco produira son plein et entier effet par application de l'article 762 ter du Code de procédure civile et deviendra une inscription définitive ;

* condamner la société ECE aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Charles Marquet, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

La société CIO a exposé que la société Jacquel lui `avait cédé trois créances qu'elle possédait à l'encontre de la société ECE pour la somme totale de 99 526,43 F représentant trois factures en date respective des 27 et 28 juin 1988 ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 juin 1988 la demanderesse notifiait à la société ECE la cession des créances et sollicitait le paiement des sommes dues. Une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception du 10 novembre 1988 restait également infructueuse ;

Ayant été autorisée par ordonnance du Président du Tribunal de première instance le 22 juin 1989 à prendre une inscription conservatoire de nantissement sur le fonds de commerce de la société ECE à hauteur de 150 000 F, celle-ci fut prise le 30 juin 1989 ;

En conséquence la société CIO a sollicité le bénéfice de son exploit introductif d'instance ;

En réponse, la société ECE a objecté qu'aux termes de l'article 6 alinéa 1 de la loi française du 2 janvier 1981, « facilitant le crédit aux entreprises » le débiteur peut, sur la demande du bénéficiaire du bordereau, s'engager à payer directement ; cet engagement est constaté à peine de nullité par un écrit intitulé « acte d'acceptation de la cession ou du nantissement d'une créance professionnelle ». Elle a donc fait valoir que l'acte d'acceptation dont se prévaut la requérante était nul car dépourvu justement de l'acceptation, et que dès lors la société CIO ne pouvait exiger un paiement direct ;

La société ECE a également indiqué que le bordereau constatant la mobilisation de créance ne constituait pas un effet de commerce et qu'en conséquence, la débitrice pouvait opposer à la société CIO les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau ;

C'est ainsi qu'elle a précisé que de mai à juillet 1988, son volume d'affaires avec la société Jacquel s'était élevé à 523 210,10 F mais que suite à une transaction, la société ECE s'était acquittée entièrement de ses obligations en réglant la somme de 421 412,31 F ;

La société ECE en a conclu dès lors que la société Jacquel avait cédé à la société CIO, une créance à laquelle elle avait renoncé ;

En conséquence elle a sollicité du tribunal qu'il :

* déboute la société CIO de toutes ses demandes,

* ordonne la mainlevée de l'inscription provisoire prise le 30 juin 1989,

* condamne la société CIO aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Georges Blot, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;

Par conclusions additionnelles, la société CIO a rappelé qu'aux termes de l'article 1 de la loi du 2 janvier 1981, « la cession de créances transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée », et que l'article 4 précise que « la cession prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau (acte de cession de créance professionnelle) » ;.

La société CIO a donc fait valoir que sa demande était incontestablement fondée, d'autant plus que l'article 5 de la même loi prévoit expressément que « l'établissement de crédit peut à tout moment interdire au débiteur de la créance cédée de payer entre les mains du signataire du bordereau. À compter de cette notification le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit » ;

La société CIO a donc contesté de plus fort que la société ECE puisse se prévaloir de ses rapports personnels avec la société Jacquel d'autant plus que les faits allégués n'étaient nullement établis à la fois quant à l'existence d'un différent intervenu entre les parties suivi d'une transaction et à un calcul pour le moins fantaisiste sur les sommes arrêtées ;

La société CIO a conclu au bénéfice de ses précédentes écritures mais en ajoutant une demande en dommages-intérêts à hauteur de 30 000 F ;

SUR CE,

Attendu que les parties se sont constamment et expressément référées à la loi française du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, appelée également loi Dailly dont elles ont requis l'application, étant observé qu'en l'espèce les créances dont pourrait se prévaloir la société de droit français Jacquel à l'égard de la société de droit monégasque ECE débitrice ont été cédées à la société de droit français CIO ;

Attendu qu'il convient dès lors de se prononcer sur l'applicabilité de la loi étrangère ainsi invoquée quant aux rapports unissant les parties cessionnaire et cédée en présence, au regard des règles monégasques de conflit de lois ;

Attendu que, s'il est de principe que la cession de créance, considérée comme un acte juridique nouveau et autonome peut être soumise à la loi étrangère que les parties à cet acte sont libres de choisir, en revanche dans les relations entre les cessionnaires d'une créance et le débiteur cédé il ne peut qu'être fait application de la loi de la créance d'origine dès lors que les droits et obligations du débiteur cédé ne sauraient être modifiés par un acte étranger auquel il n'est pas intervenu ;

Qu'en l'espèce s'agissant de fournitures de vêtements que la société monégasque ECE avait commandées à l'entreprise Jacquel, il y a lieu d'en déduire en vertu du principe de l'autonomie de la volonté, que le contrat est devenu parfait par l'acceptation desdites fournitures donnée en France par la société Jacquel, en sorte que la loi sous l'emprise de laquelle a pris naissance la dette de la société ECE est la loi française, ce qui doit conduire à considérer que c'est à cette loi et en particulier à la loi Dailly de déterminer si la simple remise du titre prévu par celle-ci suffit comme il est prétendu en l'occurrence, à engager la société ECE à l'égard du Crédit Industrie de l'Ouest cessionnaire ;

Qu'il n'y a pas lieu de se référer pour cela à la loi du domicile du débiteur cédé, soit en l'espèce à la loi monégasque, puisque celle-ci ne saurait être invoquée que pour apprécier la régularité des formalités de publicité accomplies envers les tiers quant à la cession de créance opérée, et que le débiteur cédé ne peut sous ce rapport être considéré comme un tiers aux termes mêmes de l'article 1530 du Code civil ;

Qu'en d'autres mots c'est à la loi de la créance cédée et non à la loi du domicile du débiteur de déterminer les modalités selon lesquelles peut naître de la part de celui-ci son obligation de s'acquitter désormais de sa dette originaire envers le cessionnaire ;

Qu'en définitive la loi française invoquée par les parties et dont celles-ci ont justifié du contenu doit être appliquée en l'espèce à l'effet d'apprécier la portée des argumentations présentées ;

Attendu qu'il est produit aux débats le bordereau dit Dailly par lequel la société Jacquel a transféré le 30 juin 1988 au Crédit Industriel de l'Ouest trois créances qu'elle détenait envers la société Expansion commerciale européenne représentant la somme totale de 99 526,43 F ;

Attendu que ce document remplit les conditions formelles édictées par la loi du 2 janvier 1981, et que l'objection de la société ECE selon laquelle la date ne serait pas lisible, doit être écartée puisque la date du 30 juin 1988 est identifiable ;

Attendu que par lettre recommandée avec accusé de réception du même jour, la société CIO a adressé à la société ECE un document dit « acte de notification des créances professionnelles » pris en application de l'article 5 de la loi lequel prévoit : « l'établissement de crédit peut à tout moment interdire au débiteur de la créance cédée ou... de payer entre les mains du signataire du bordereau. À compter de cette notification le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit » ;

Attendu que le 30 juin 1988, la société CIO a adressé sous la même forme à la société ECE un document intitulé « acte d'acceptation de créances professionnelles » aux termes duquel la société CIO, en application de l'article 6 de la loi demande à la société ECE d'accepter les créances mentionnées, en apposant par un cachet sa signature précédée du terme « accepté » ;

Attendu que ce document produit ne porte pas la mention « accepté » et la signature de la société ECE ;

Attendu que par la suite la société ECE a fait valoir un certain nombre de documents à l'encontre de la société Jacquel, cédant ; que la société CIO prétend que par l'envoi de ces documents, elle a manifesté son intention de se voir déclarer inopposables les exceptions que lui soulèverait la société ECE ;

Attendu que l'article 6 de la loi stipule : « sur la demande du bénéficiaire du bordereau, le débiteur peut s'engager à payer directement » ; cet engagement est constaté à peine de nullité par un écrit intitulé « acte d'acceptation de la cession des créances professionnelles. Dans ce cas, le débiteur ne peut opposer à l'établissement de crédit les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau » ;

Attendu qu'il ressort clairement du mot « peut » que le débiteur dispose de la faculté de s'engager ou non à payer directement, cette volonté se manifestant alors par l'apposition de sa signature ;

Attendu qu'en l'absence de toute mention de ce type, la société ECE n'apparaît avoir voulu souscrire un tel engagement et qu'il en résulte directement qu'elle peut opposer à la société CIO les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec la société Jacquel ; qu'il convient dès lors d'examiner le bien-fondé de celles-ci ;

Attendu que la société ECE a fait valoir que la société Jacquel avait cédé à la société CIO une créance à laquelle elle avait renoncé par suite d'une transaction antérieure à la cession ; qu'elle a exposé que si son volume d'affaires avec la société Jacquel était bien de 523 260,10 F, elle s'était acquittée en accord avec celle-ci de la somme de 421 412,31 F pour solde de tout compte ; qu'elle a rappelé que cette transaction aurait été la conséquence de doléances qu'elle avait exprimées sur la qualité des produits vendus ;

Attendu que, force est de constater qu'aucun commencement de preuve ne vient étayer les dires de la société ECE ; que son argumentation doit donc être purement et simplement rejetée ;

Attendu que la société ECE se prévaut également d'un courrier que lui a adressé le 28 février 1989 la société Jacquel selon lequel elle bénéficierait d'un avoir de 2 320,66 F, pour en conclure que la transaction alléguée était bien intervenue sur les 99 526,43 F aujourd'hui litigieux ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites par la défenderesse que les relations commerciales entre elle-même et la société Jacquel se sont poursuivies postérieurement à la cession puisqu'elle ont donné lieu à des factures du 30 juin 1988, 6 juillet 1988, 8 juillet 1988, 18 juillet 1988, et que l'avoir notifié le 28 février 1989 est parfaitement explicite en ce qu'il concerne exclusivement des seules factures : qu'il s'ensuit que cet argument doit être déclaré également inopérant ;

Attendu en conséquence qu'il convient d'une part de condamner la société ECE à payer à la société CIO la somme principale de 99 526,43 F outre intérêts de droit à compter du 30 juin 1988, et d'autre part, pour faire produire son plein et entier effet à l'inscription provisoire de nantissement prise le 30 juin 1989 auprès du répertoire du commerce et de l'industrie de Monaco de renvoyer le Crédit de l'Ouest à l'accomplissement des formalités prévues par l'article 762 bis du Code de procédure civile qui deviendra définitive ; qu'en effet l'inscription provisoire apparaît régulière ;

Attendu par ailleurs que la société CIO ne justifie pas d'un préjudice autre que celui réparé par les intérêts de retard ; qu'il convient de la débouter de sa demande en dommages-intérêts ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement et déclarant la loi française dite « Dailly » applicable aux relations des parties ;

Condamne la société anonyme monégasque Expansion Commerciale Européenne à payer au Crédit Industriel de l'Ouest, la somme principale de 99 526,43 F, outre intérêts de droit à compter du 30 juin 1988 ;

Constate que l'inscription provisoire prise le 30 juin 1989, volume 25 n. 22 au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco est régulière ;

Renvoie le Crédit de l'Ouest à l'accomplissement des formalités prévues par l'article 762 ter du Code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Composition

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. - Mes Marquet et Blot av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26053
Date de la décision : 14/03/1991

Analyses

Loi et actes administratifs unilatéraux ; Contrat - Général


Parties
Demandeurs : Crédit industriel de l'Ouest
Défendeurs : SAM expansion commerciale européenne.

Références :

article 1530 du Code civil
loi du 2 janvier 1981
article 762 ter du Code de procédure civile
article 762 bis du Code de procédure civile
article 1 de la loi du 2 janvier 1981


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1991-03-14;26053 ?

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