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14/03/1991 | MONACO | N°26052

Monaco | Tribunal de première instance, 14 mars 1991, SAM Cobry - E. c/ Max Factor British Branch


Abstract

Conflit de juridiction

Action en responsabilité quasi délictuelle dirigée contre une personne morale ayant son siège à l'étranger - Localisation à l'étranger du fait générateur de l'obligation de réparer invoquée - Incompétence de la juridiction monégasque

Résumé

En l'état d'une action en responsabilité quasi délictuelle dirigée par un demandeur de nationalité française, contre une société défenderesse de droit étranger, ayant son siège en Grande-Bretagne, la compétence de ce tribunal ne pourrait être retenue que dans l'hypothè

se envisagée par l'article 3-2° du Code de procédure civile, dans la mesure où l'obligation de la soc...

Abstract

Conflit de juridiction

Action en responsabilité quasi délictuelle dirigée contre une personne morale ayant son siège à l'étranger - Localisation à l'étranger du fait générateur de l'obligation de réparer invoquée - Incompétence de la juridiction monégasque

Résumé

En l'état d'une action en responsabilité quasi délictuelle dirigée par un demandeur de nationalité française, contre une société défenderesse de droit étranger, ayant son siège en Grande-Bretagne, la compétence de ce tribunal ne pourrait être retenue que dans l'hypothèse envisagée par l'article 3-2° du Code de procédure civile, dans la mesure où l'obligation de la société étrangère serait née dans la Principauté, ce qui n'est point le cas en l'espèce.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Par contrat conclu le 1er avril 1981 entre la société de droit américain Max Factor & Co (ci-après Max Factor) et la société anonyme de droit monégasque dénommée Société Nouvelle des établissements Cobry (ci-après société Cobry), la concession de vente des produits de la gamme Max Factor a été donnée à la société Cobry pour les territoires de France, Monaco et Andorre jusqu'à la date du 31 mars 1983 ;

Parmi les multiples obligations souscrites par la société Cobry, il y a lieu de relever pour l'essentiel que cette société concessionnaire devait, aux termes du contrat.

* se fournir en marchandises auprès de la société Max Factor,

* acquérir un stock de départ s'élevant à 2 300 000 F,

* conserver pendant la durée du contrat des marchandises en stock d'un coût minimum de 2 300 000 F afin d'être en mesure de satisfaire les demandes de ses propres clients ;

En outre, la société Max Factor se réservait le droit de rompre le contrat sans indemnité dans les hypothèses suivantes :

* si J. E. (associé dirigeant de la SAM Cobry à cette date) n'octroyait puis ne maintenait pas personnellement un appui financier à la société Cobry à hauteur de 2 300 000 F,

* si le capital social de la société Cobry n'était pas porté de 100 000 F à 500 000 F et entièrement libéré avant le 31 juillet 1987,

* si un crédit de 2 300 000 F n'était pas consenti en permanence par une importante banque pendant la durée du contrat afin de permettre à la société Cobry d'acheter les produits Max Factor et plus généralement de satisfaire à ses obligations contractuelles ;

Par ailleurs, une disposition particulière prévoyait que le contrat serait considéré comme « exécuté » (ou « souscrit » selon les traductions) en Angleterre, lieu du siège social de la société Max Factor, et ses termes, conditions et clauses interprétés et déterminés conformément aux lois anglaises ;

Par l'assignation susvisée du 30 octobre 1987, la société Cobry, en état de liquidation des biens et représentée par son syndic O., et J. E. ont fait assigner la société Max Factor ayant son siège en Grande-Bretagne, en paiement :

* au profit de la société Cobry, d'une somme de 10 000 000 F en réparation du préjudice par elle subi du fait de la non exécution de ses obligations et de la rupture du contrat de distribution du 1er avril 1981 par la société Max Factor ;

* au profit de J. E., d'une somme de 14 282 786,58 F en réparation de son préjudice ;

Les demandeurs poursuivent par ailleurs la condamnation de la société Max Factor à reprendre le stock de marchandises devenu invendable du fait de la résiliation abusive du contrat et à acquitter toutes les charges occasionnées par sa conservation ;

Pour justifier la compétence des tribunaux monégasques, les demandeurs mentionnent dans leur assignation que le contrat devait notamment être exécuté à Monaco et que l'article 5-1° de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1988 attribue compétence au Tribunal du lieu où l'obligation doit être exécutée ;

Quant à leurs prétentions au fond les demandeurs, qui observent que le contrat du 1er avril 1981 s'est successivement renouvelé, par prorogation annuelle jusqu'au 31 mars 1986, affirment que la société Cobry n'était pas financièrement en mesure de satisfaire aux obligations relatives à l'augmentation de capital, à la mise de fonds nécessaire à l'achat du stock ou au maintien d'une disponibilité de trésorerie de 2 300 000 F, et explique que c'est J. E. - implicitement partie au contrat et directement mentionné par celui-ci - qui a effectivement contribué de ses deniers pour remplir les obligations précitées, avec l'intention évidente d'obtenir le remboursement de ces sommes par la société Cobry dès que l'expansion de l'affaire le permettrait ;

À cet égard, ils insistent sur le fait que cette expansion supposait le renouvellement du contrat de distribution sur une période raisonnable nécessaire à la réalisation de l'objectif commun ;

Ils indiquent qu'en dépit de cette exigence la société Max Factor, pour des motifs inexpliqués sinon de façon lapidaire, a mis fin brutalement au contrat à effet du 31 mars 1986 alors que la société Cobry exécutait loyalement ses obligations contractuelles malgré des difficultés de gestion créées en 1982 par la société Max Factor, qui se trouvait alors dans l'incapacité de fournir plus de 50 % des commandes qui lui étaient passées, et que seule la durée des relations aurait pu permettre d'aplanir ;

Aussi, précisent-ils, J. E. s'est trouvé contraint de combler les insuffisances de trésorerie par des apports personnels s'élevant au total à 14 282 786,58 F que la résiliation du contrat de concession, en ce qu'elle a interdit à la société Cobry de continuer normalement son exploitation et de rembourser à terme J. E., rend désormais irrecouvrables ;

Ils affirment en effet que la société Max Factor, par ses agissements, a mis J. E. - qualifié de caution - dans l'impossibilité absolue d'obtenir le remboursement de sa créance par la société Cobry, lui occasionnant ainsi un préjudice considérable ;

En réponse à cette assignation, la société Max Factor a décliné in limine litis la compétence de ce Tribunal en raison du lieu et a demandé acte de ses réserves de contester devant les juridictions compétentes les prétentions dont elle fait l'objet et de solliciter l'allocation de tels dommages-intérêts qu'il appartiendra ;

Pour sa part R. O., en sa qualité de syndic, a demandé acte par conclusion du 13 avril 1989 de ce qu'il n'est pas demandeur dans la présente instance mais présent en qualité de syndic et a déclaré s'en rapporter à la sagesse du Tribunal ;

La société Cobry et J. E. d'une part, la société Max Factor de l'autre, ont alors échangé d'abondantes écritures sur la question de la compétence, seule évoquée de l'accord des parties à l'audience des plaidoiries ; à cette audience, O., agissant au nom de la société Cobry en liquidation des biens qu'il représente légalement en sa qualité de syndic, a déclaré se désister de l'instance et de l'action introduites par l'assignation susvisée, désistement que la société Max Factor a accepté sur le champ par l'intermédiaire de son avocat-défendeur ;

La position des parties demeurant en litige (J. E. et la société Max Factor), modifiée au cours de l'audience des plaidoiries pour tenir compte du désistement intervenu, peut être ainsi résumée :

* J. E. considère que la prétendue clause « d'attribution de compétence » au profit des juridictions anglaises prévue au contrat du 1er avril 1981 ne peut lui être opposée dès lors qu'il n'est pas signataire dudit contrat mais cité en qualité de caution ; il prétend que l'exécution de son obligation de caution devait bien se situer en territoire monégasque et qu'il peut donc attraire la société Max Factor devant la juridiction monégasque ; il soutient en définitive après avoir précisé et rectifié la traduction du contrat litigieux rédigé en langue anglaise, que celui-ci ne comporte pas de clause d'attribution de juridiction mais reconnaît au contraire la compétence des juridictions du ressort dans lequel il doit être exécuté ; il en déduit la compétence de ce Tribunal par application de l'article 3 du Code de procédure civile en ce que son action est fondée sur des obligations exécutées à Monaco ;

* la société Max Factor, dans le dernier état de ses écrits judiciaires concernant la demande formulée par J. E., affirme n'avoir jamais contracté avec ce demandeur avec lequel elle prétend n'être pas liée ; elle estime que cette demande, accessoire à celle formée par la société Cobry, doit suivre le sort de celle-ci, notamment sur le plan de la compétence, et entraîne donc les juridictions monégasques à faire droit à l'exception soulevée ;

Sur quoi,

Attendu qu'il y a lieu de prendre acte du désistement d'instance et d'action effectué par la société Cobry, dûment représentée dans les formes de l'article 410 du Code de procédure civile et de l'acceptation de ce désistement par la société Max Factor ;

Attendu que le tribunal ne demeure en conséquence saisi que de l'action introduite par J. E. à rencontre de la société Max Factor qui décline la compétence des juridictions monégasques ;

Attendu qu'il apparaît que cette action, tendant pour l'essentiel à obtenir paiement de la somme de 14 282 786,58 F correspondant au préjudice allégué par J. E., constitue une action en responsabilité ;

Qu'au plan des faits, J. E., qui affirme avoir soutenu financièrement l'activité de la société Cobry (dont il est aujourd'hui le président-délégué) en apportant des fonds importants dans le patrimoine social, estime avoir été privé de toute possibilité de remboursement de ses avances par cette société en raison des agissements fautifs de la société Max Factor qui aurait abusivement mis un terme à ses relations contractuelles avec la société Cobry, l'empêchant de ce fait de rétablir l'équilibre de sa situation financière ;

Attendu, dans ces conditions, que si les fautes imputées à la société Max Factor ne peuvent être que de nature contractuelle dans les rapports de cette société avec la société Cobry liées par le contrat de concession du 1er avril 1981, elles revêtent au contraire un caractère délictuel ou quasi-délictuel vis-à-vis de J. E., tiers audit contrat de concession dont il n'est pas signataire ; que le Tribunal se trouve en conséquence seulement saisi d'une action en responsabilité délictuelle fondée sur les manquements contractuels allégués de la société Max Factor dans ses relations avec la société Cobry, dès lors en particulier qu'E. n'agit pas sur le fondement du contrat de caution qu'il affirme - sans pour autant en apporter la preuve - avoir conclu par acte distinct au profit de la société Max Factor ;

Attendu que cette action en responsabilité étant dirigée contre une société défenderesse de droit étranger ayant son siège en Grande-Bretagne par un demandeur de nationalité française, la compétence de ce tribunal ne pourrait être retenue que dans l'hypothèse envisagée par l'article 3-2° du Code de procédure civile dans la mesure où l'obligation de la société Max Factor serait née en l'espèce dans la Principauté ;

Attendu cependant que tel n'est pas le cas en la cause dès lors que les agissements fautifs imputés à la société Max Factor consistent principalement selon J. E. en la rupture par lui jugée abusive du contrat du 1er avril 1981 - telle qu'elle résulte d'une lettre expédiée de l'étranger le 28 janvier 1986 - et, à un degré moindre, dans les carences contractuelles dont elle se serait rendue coupable à l'égard de la société Cobry, c'est-à-dire dans un comportement de la société britannique qui situe nécessairement à l'étranger le fait générateur d'une éventuelle responsabilité de sa part ;

Attendu dans ces conditions que le tribunal ne peut que décliner sa compétence ;

Attendu que les dépens suivent la succombance, la société Cobry devant également y être tenue par application de l'article 412 alinéa 2 du Code de procédure civile ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Constate le désistement régulier d'instance et d'action de la société Cobry et l'acceptation de celui-ci par la société Max Factor ;

Se déclare incompétent pour connaître de l'action en responsabilité dirigée par J. E. à l'encontre de la société Max Factor.

Composition

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. - Mes Lorenzi, Clerissi av. déf. ; Gonella av. bar. de Nice.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26052
Date de la décision : 14/03/1991

Analyses

Justice (organisation institutionnelle) ; Droit des obligations - Responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle


Parties
Demandeurs : SAM Cobry - E.
Défendeurs : Max Factor British Branch

Références :

article 3 du Code de procédure civile
article 412 alinéa 2 du Code de procédure civile
article 3-2° du Code de procédure civile
article 410 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1991-03-14;26052 ?

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