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14/02/1991 | MONACO | N°26042

Monaco | Tribunal de première instance, 14 février 1991, Dame L.-G. c/ H.


Abstract

Testaments

Capacité de recevoir - Garde-malade (oui) - Insanité d'esprit - Preuve non rapportée - Violences morales - Vice du consentement - Nullité

Résumé

Les incapacités de recevoir édictées par l'article 767 du Code civil sont d'interprétation stricte, la capacité étant la règle en la matière, conformément aux dispositions de l'article 770 du Code civil.

Il s'ensuit que la présomption légale de captation, résultant de l'article 767 du Code civil, ne saurait être étendue à d'autres professions ou catégories, que celles qu'il Ã

©numère de manière limitative, et que la défenderesse, en sa qualité de garde-malade de la testatric...

Abstract

Testaments

Capacité de recevoir - Garde-malade (oui) - Insanité d'esprit - Preuve non rapportée - Violences morales - Vice du consentement - Nullité

Résumé

Les incapacités de recevoir édictées par l'article 767 du Code civil sont d'interprétation stricte, la capacité étant la règle en la matière, conformément aux dispositions de l'article 770 du Code civil.

Il s'ensuit que la présomption légale de captation, résultant de l'article 767 du Code civil, ne saurait être étendue à d'autres professions ou catégories, que celles qu'il énumère de manière limitative, et que la défenderesse, en sa qualité de garde-malade de la testatrice, ne peut en aucun cas être assimilée à un médecin, à un pharmacien ou à un ministre du culte, d'autant qu'elle s'est limitée à ses fonctions et à son rôle subalterne dans les soins prodigués à celle-ci.

Il appartient à la demanderesse qui invoque la nullité d'un testament et a qualité à cet effet, en tant que successible, de rapporter la preuve, dont la charge lui incombe, soit de l'insanité d'esprit de la testatrice, soit de violences ou de manœuvres dolosives, l'ayant conduite à tester en faveur de la défenderesse.

Un acte écrit en entier daté et signé de la main de la testatrice ne saurait être annulé, dès lors que les dispositions de dernière volonté présentent un caractère raisonnable et logique, et qu'aucun document probant extérieur à l'acte n'est produit, qui puisse infirmer cette apparence de santé d'esprit, étant observé que l'altération des facultés mentales, dont pouvait souffrir la testatrice, n'apparaît pas en soi assimilable à l'insanité d'esprit requise pour l'annulation du testament litigieux.

Par contre, les témoignages concordants et circonstanciés recueillis au cours d'une instruction pénale, qu'aucun élément sérieux de preuve contraire ne contredit, établissent la réalité des pressions exercées par la garde-malade sur la volonté de la de cujus, livrée à elle-même et éloignée progressivement de ses amis et font apparaître une violence morale, qui a déterminé celle-ci, impuissante à résister à la contrainte exercée sur sa personne, à rédiger un nouveau testament, lequel doit en conséquence être déclaré nul en application des articles 964 et 967 du Code civil.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

J. L., veuve B. est décédée à Monaco le 31 juillet 1985, laissant pour lui succéder J. H., sa garde-malade, légataire universelle en vertu d'un testament olographe en date du 17 novembre 1983 ;

De son vivant et à la suite d'une altération de ses facultés mentales due à l'âge et à la maladie « de nature à perturber la libre expression de sa volonté », selon les conclusions du rapport du docteur Zemori désigné en qualité d'expert, par ordonnance du juge tutélaire en date du 4 mai 1983, J. L., veuve B. était à la requête du ministère public et par jugement du Tribunal de première instance du 10 juin 1983, pourvue d'un administrateur en application des dispositions de l'article 410-19e du Code civil ;

M.-M. L., épouse G., petite nièce de la défunte, instituée légataire universelle par celle-ci, en vertu d'un premier testament olographe en date du 21 décembre 1982, a, suivant exploit du 20 août 1985, assigné J. H. en nullité d'un deuxième testament du 17 novembre 1983 l'instituant légataire universelle de la dame L. veuve B., sollicitant en outre l'allocation de la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Elle fait valoir au soutien de sa demande que le testament litigieux ayant été rédigé par la dame B. après qu'elle eut été placée sous le régime des majeurs en tutelle, et alors qu'elle n'était pas saine d'esprit, encourt la nullité prévue par l'article 410-25 du Code civil ;

Elle expose, à titre subsidiaire, qu'il résulte des témoignages recueillis par le juge d'instruction, dans le cadre de l'information diligentée à la suite de sa plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de la dame H., que cette dernière avait exercé des violences à l'encontre de la dame B. dans le but d'obtenir un testament en sa faveur ; qu'ainsi le consentement de la testatrice ayant été vicié, le testament devrait être annulé en application de l'article 964 du Code civil ;

Elle soutient par ailleurs, que la déposition de L. C., administrateur judiciaire de la défunte, établirait que la dame H., a reconnu qu'elle était la garde-malade, de celle-ci alors qu'en cette qualité elle ne pouvait en aucun cas bénéficier des dispositions testamentaires universelles stipulées à son profit conformément à l'article 777 du Code civil ;

J. H. a conclu au rejet des prétentions de la demanderesse et formé une demande reconventionnelle en paiement de 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, en exposant que la dame B. qui avait conservé le plein exercice de ses droits civils, dès lors qu'elle ne se trouvait pas placée sous le régime de la tutelle des incapables majeurs, mais seulement pourvue d'un administrateur judiciaire à l'effet de gérer ses biens, pouvait en conséquence tester librement en disposant de ceux-ci après sa mort ainsi qu'elle l'a fait ;

Elle soutient d'autre part que la lecture du testament querellé entièrement écrit et signé de la main de la dame B., sans renvois, ni ratures, démontre que son auteur était sain d'esprit au moment de sa rédaction, ce que par ailleurs divers témoins ont attesté ;

Elle prétend enfin, que l'incapacité de recevoir un legs universel, ne s'applique nullement à sa personne, eût-elle été garde-malade, dès lors que l'article 777 du Code civil visant une telle incapacité ne mentionne que les médecins, pharmaciens et ministres du culte ;

SUR CE,

Quant à l'incapacité de recevoir de la dame H. ;

Attendu, que les incapacités de recevoir édictées par l'article 767 du Code civil sont d'interprétation stricte, la capacité étant la règle en la matière conformément aux dispositions de l'article 770 du Code civil ;

Qu'il s'ensuit que la demanderesse ne saurait utilement invoquer, en l'espèce, à l'encontre de la dame H., la présomption légale de captation résultant de l'article 767 du Code civil, dès lors que les dispositions de ce texte ne peuvent être étendues à d'autres professions ou catégories que celles qu'il énumère de manière limitative et que la dame H., en sa qualité de garde-malade de la testatrice, ne peut en aucun cas être assimilée à un médecin, à un pharmacien ou à un ministre du culte, d'autant qu'elle s'est limitée à ses fonctions et à son rôle subalterne dans les soins prodigués à la dame B. ;

Qu'il y a lieu en conséquence de débouter la dame G. de sa demande de ce chef ;

Quant à la nullité du testament

Attendu qu'il appartient à la demanderesse qui invoque la nullité du testament rédigé par la dame L. veuve B. et a qualité à cet effet, en tant que successible, de rapporter la preuve dont la charge lui incombe, soit de l'insanité d'esprit de la testatrice, soit de violences ou de manœuvres dolosives l'ayant conduite à tester en faveur de la dame H. ;

Que, s'il est constant et résulte notamment du rapport d'expertise judiciaire du docteur Zemori que la dame veuve B. présentait, à la date de son examen le 16 mai 1983, « une altération de ses facultés mentales due à l'âge et à la maladie, de nature à perturber la libre expression de sa volonté », il n'en demeure pas moins, que c'est à la date, non contestée du 17 novembre 1983, à laquelle a été rédigé le testament litigieux qu'il convient de se placer pour apprécier l'éventuelle insanité d'esprit de son auteur, c'est-à-dire l'existence d'une affection mentale par laquelle son intelligence aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée ;

Qu'à ce sujet, cet acte écrit en entier daté et signé de la main de la testatrice, révèle que les dispositions de dernière volonté prises par la dame veuve B. présentent un caractère raisonnable et logique, ne manifestant dans leur rédaction aucun signe extérieur révélant une insanité d'esprit ;

Attendu qu'au demeurant, la demanderesse ne produit aucun document probant, extérieur à l'acte, de nature à infirmer cette apparence, étant ici observé que l'altération des facultés mentales dont pouvait souffrir la dame veuve B. n'apparaît pas en soi assimilable à l'insanité d'esprit requise en l'espèce pour l'annulation du testament litigieux ;

Qu'il convient en conséquence de débouter la dame G. de sa demande en nullité dudit testament pour insanité d'esprit ;

Attendu en revanche, qu'il n'en demeure pas moins qu'un testament étant une libéralité soumise aux conditions de formation des actes juridiques, notamment à celles qui touchent le consentement, il convient d'apprécier si, en l'espèce, le consentement de la dame B. a été donné librement ou s'il lui a été extorqué par la violence, comme le prétend la demanderesse ;

Qu'à ce sujet, la dame G. a produit, à l'appui de ses prétentions, divers témoignages recueillis par le juge d'instruction au cours de l'information diligentée à l'encontre de la dame H. du chef d'extorsion de signature et clôturée, en raison de la prescription, par une ordonnance de non lieu ;

Qu'à cet égard, L. C. a, dans sa déposition du 28 octobre 1987, notamment déclaré : « ... je dois d'ailleurs préciser que Madame H. était toujours présente lorsque je voyais Madame Veuve B. - j'avais l'impression d'ailleurs que Madame Veuve B. avait peur de sa garde-malade ou du moins avait peur de prendre des initiatives sans son avis... J'ai constaté personnellement que Madame H. avait fait le vide autour de Madame Veuve B. en éloignant notamment ses vieilles amies qui m'avaient fait part de leur étonnement devant cette attitude qu'elles ne comprenaient pas... » ;

Que J. H. L. épouse C. a pour sa part, dans sa déposition du 17 novembre 1987, déclaré notamment : « je connaissais Madame Veuve B. qui était amie de mes parents. J'ai constaté qu'à partir de 1983, sa personnalité s'est transformée, son physique s'est amoindri et elle paraissait traumatisée par la présence de Madame H. Celle-ci avait fait le vide autour d'elle, éloignant d'elle toutes ses amies... Lorsque je voyais Madame Veuve B., elle me faisait part de la terreur que lui inspirait sa garde-malade. Je me souviens qu'à Noël 1983, j'ai réussi à voir Madame veuve B. seule, à son domicile, Madame H. était absente - Madame Veuve B. m'a alors confié qu'elle avait été frappée, giflée par Madame H., pour qu'elle lui fasse un testament en sa faveur... » ;

Que M. B. épouse C.-L. a de son côté déclaré, lors de sa déposition du 17 novembre 1987 : « Je connais Madame veuve B. depuis 1959. Nous avons entretenu de bonnes relations jusqu'à ce que Madame H. vienne au service de Madame Veuve B.... Par la suite, j'ai constaté que Madame H. avait fait le vide, en éloignant toutes les amies de Madame veuve B. - Lorsque je me présentai pour rendre visite à Madame Veuve B., j'ai constaté que Madame Veuve B. était terrorisée par madame H.... » ;

Qu'enfin S. M. épouse B. a, quant à elle, déclaré lors de sa déposition du 17 novembre 1987 : « Je connais madame Veuve B. depuis 50 ans... Petit à petit, madame H. a fait le vide, autour de Madame Veuve B., en éloignant ses amies. Je suis restée la seule à continuer à venir la voir, j'ai constaté que Madame Veuve B. était terrorisée par Madame H. - Madame Veuve B. m'avait toujours dit qu'elle laisserait ses biens à sa filleule, madame L., épouse G.... En 1984, elle m'a supplié de me rendre chez Maître Crovetto, notaire, pour y retirer le testament qu'elle avait fait sous la contrainte, selon ce qu'elle me disait, en faveur de madame H. » ;

Attendu que les faits ci-dessus rapportés et décrits de manière concordante et circonstanciée par cet ensemble de dépositions, qu'aucun élément sérieux de preuve contraire n'est venu contrecarrer, établissent à la conviction du tribunal, la réalité des pressions exercées par la dame H. sur la volonté de la dame veuve B. pour contraindre celle-ci à rédiger un nouveau testament en sa faveur ;

Que cette violence morale apparaît avoir été d'autant plus déterminante en la cause, que la dame H. qui était depuis plusieurs années, en sa qualité de garde-malade, constamment présente auprès de la dame veuve B., avait de ce fait acquis à son égard une autorité incontestable, alors surtout plus que cette dernière, livrée à elle-même, par l'éloignement progressif de ses amies, ne se trouvait plus en mesure de résister à la contrainte ainsi exercée sur sa personne, et d'exprimer désormais librement sa volonté devant la crainte que lui inspirait la dame H. notamment à raison de l'altération de ses facultés ;

Attendu qu'il s'ensuit que les conditions d'application des articles 964 et 967 du Code civil se trouvent réunies en l'espèce, en sorte que le testament litigieux rédigé le 17 novembre 1983 par la dame veuve B. doit, comme il est demandé, être déclaré nul ;

Attendu qu'en outre la dame H., ayant ainsi par son comportement fautif retardé l'entrée en jouissance des biens dépendant de la succession de la dame B. qui devaient échoir à la demanderesse et en contraignant en outre celle-ci à une action judiciaire afin d'obtenir l'annulation du testament litigieux, lui a occasionné un préjudice certain que le tribunal, en égard aux circonstances de la cause, a les éléments suffisants d'appréciation pour évaluer à la somme de 20 000 F ;

Attendu qu'en revanche la défenderesse ayant succombé dans ses prétentions, il y a lieu de la débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Attendu qu'enfin les dépens suivront la succombance de celle-ci ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

statuant contradictoirement ;

Déclare nul le testament olographe de J. L. veuve B. en date du 17 novembre 1983, avec toutes conséquences de droit ;

Condamne J. H. à payer à M.-M. L., épouse G. la somme de vingt-mille francs (20 000 F) à titre de dommages-intérêts ;

Déboute J. H. de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Marquilly, Karczag-Mencarelli, Boeri et Leandri, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26042
Date de la décision : 14/02/1991

Analyses

Civil - Général ; Droit des successions - Successions et libéralités


Parties
Demandeurs : Dame L.-G.
Défendeurs : H.

Références :

article 767 du Code civil
article 770 du Code civil
article 777 du Code civil
Code civil
article 410-25 du Code civil
article 964 du Code civil
articles 964 et 967 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1991-02-14;26042 ?

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