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10/01/1991 | MONACO | N°26026

Monaco | Tribunal de première instance, 10 janvier 1991, M. c/ Société Forti.


Abstract

Contrat de louage d'ouvrage

Condition suspensive - Obtention par l'entrepreneur étranger d'une autorisation administrative - Défaillance de la condition - Absence d'effet juridique du contrat (article 1036 du Code civil)

Gestion d'affaires

Dépenses utiles - Remboursement - Article 1222 du Code civil

Résumé

Une convention conclue entre le maître de l'ouvrage et son entrepreneur de nationalité étrangère, stipulant de l'exécution de travaux de construction à Monaco, sous la condition suspensive que celui-ci obtienne une autorisation ad

ministrative, se trouve dépourvue de tout effet juridique en application de l'article 1036 du ...

Abstract

Contrat de louage d'ouvrage

Condition suspensive - Obtention par l'entrepreneur étranger d'une autorisation administrative - Défaillance de la condition - Absence d'effet juridique du contrat (article 1036 du Code civil)

Gestion d'affaires

Dépenses utiles - Remboursement - Article 1222 du Code civil

Résumé

Une convention conclue entre le maître de l'ouvrage et son entrepreneur de nationalité étrangère, stipulant de l'exécution de travaux de construction à Monaco, sous la condition suspensive que celui-ci obtienne une autorisation administrative, se trouve dépourvue de tout effet juridique en application de l'article 1036 du Code civil, au cas de défaillance de cette condition.

Il s'ensuit que l'entrepreneur ne saurait invoquer une inexécution des obligations contractuelles pour réclamer des dommages-intérêts, sauf à établir ce qui n'est pas le cas, la preuve d'une faute quasi-délictuelle à l'encontre du maître de l'ouvrage.

Nonobstant cette défaillance, l'entrepreneur est en droit de se prévaloir de l'article 1222 du Code civil pour obtenir le remboursement des dépenses utiles que représente l'exécution de travaux de démolition, lesquels caractérisent une gestion d'affaires, le maître de l'ouvrage en ayant retiré un avantage certain.

Motifs

Le Tribunal,

Considérant les faits suivants :

Selon devis accepté du 5 octobre 1987 la société en commandite simple de droit monégasque dénommée « Forti et compagnie », a confié à L. M., exerçant l'activité d'entrepreneur à Roquebrune-Cap-Martin (06), sous l'enseigne « S. I. L. M. », l'exécution des travaux de restructuration et d'aménagement des locaux dans lesquels elle exploitait un fonds de commerce, à l'enseigne « Le Monte Carlo Bar », moyennant le prix de 1 423 000 F toutes taxes comprises, et ce, « sous réserve des autorisations nécessaires, Hygiène, Gouvernement et Propriétaire » ;

Suivant contrat du 10 octobre 1987, la Société Forti et compagnie confiait à J. L., architecte à Monaco, une mission complète d'architecte relative à l'opération susvisée, laquelle comprenait notamment, « la conception architecturale de l'œuvre », comportant pour ce dernier, l'élaboration de l'avant-projet avec constitution du dossier de demande de permis de construire, l'établissement du projet définitif comportant les plans et devis descriptif détaillé par corps d'état ainsi que les marchés liant le maître de l'ouvrage et les entrepreneurs ;

Sans attendre la délivrance de l'autorisation d'exercer son activité en Principauté qu'il avait sollicitée par lettre adressée le 7 octobre 1987 au Ministre d'État, ni celle du permis de construire, L. M. prenait l'initiative de procéder aux travaux de démolition prévus au devis initial, lesquels se déroulaient du 7 au 14 janvier 1988, date à laquelle il faisait connaître à la société Forti et compagnie, qu'il se voyait contraint de suspendre « la suite des travaux de démolition afin de ne pas aller contre les lois en vigueur », dans l'attente de l'obtention par cette dernière du permis de construire ;

Sur ce, par lettres recommandées des 4 et 11 février 1988, la société Forti et compagnie invitait L. M. à lui adresser l'autorisation du Gouvernement Princier pour l'exercice par lui de ses activités d'entrepreneur en Principauté, lequel lui répondait alors par lettre recommandée du 17 février 1988, qu'il était dans l'attente de cette autorisation ;

Par lettre du 18 février 1988, le Département des finances et de l'économie de la Principauté faisait connaître à L. M. que sa demande en vue d'être autorisé à exercer en Principauté, « l'activité de coordination des travaux pour l'aménagement du Monte Carlo Bar » était rejetée ;

La société Forti et compagnie, par lettre du 11 mars 1988, constatant que L. M. ne pouvait exercer son activité en Principauté, lui notifiait que ce manquement entraînait la rupture de leurs engagements respectifs ;

Suivant exploit en date du 19 mai 1988, L. M. a assigné la société en commandite simple « Forti et compagnie » aux fins d'obtenir d'une part la résiliation du marché intervenu le 5 octobre 1987, aux torts de cette dernière, d'autre part la condamnation de celle-ci au paiement, avec exécution provisoire, des sommes suivantes :

• 35 295,36 F montant de la facture en date du 18 janvier 1988 relative aux travaux de démolition ;

• 118 600 F montant de la facture en date du 14 avril 1988 relative aux études et plans réalisés pour la confection des devis nécessaires aux appels d'offres ;

• 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de contrat ;

La société Forti et compagnie a conclu au débouté et forme une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour retard dans les travaux, en faisant notamment valoir qu'elle avait accepté le devis de travaux et fournitures de L. M., sous réserve des autorisations administratives nécessaires ;

Que celui-ci, en entreprenant les travaux de démolition sans que le permis de construire ait été délivré et sans avoir, au surplus, obtenu l'autorisation préalable du Gouvernement Monégasque d'exercer son activité d'entrepreneur en Principauté, a eu un comportement gravement fautif en agissant en contravention avec la législation en vigueur qui le lui interdisait ;

Que, par ailleurs, l'architecte L. ayant pris à sa charge, dans le cadre de la mission qu'elle lui avait confiée, la conception des travaux qui comportait l'élaboration de l'avant-projet, puis du projet de construction, les prestations concernant les études et plans dont L. M. faisait état pour lui en réclamer le prix, ne se révélaient pour elle d'aucune utilité d'autant qu'elle ne les lui avait jamais commandés ;

L. M. réitérant sa demande initiale, a conclu au rejet des prétentions de la défenderesse en faisant observer que c'est à la suite de l'intervention du maître de l'ouvrage que l'autorisation d'exercer à Monaco lui a été refusée par l'autorité administrative, et que sans ce fait, imputable à ce dernier, il aurait pu accomplir la tâche qui lui avait été confiée ;

Il soutient en outre que c'est en raisons des exigences du maître de l'ouvrage qu'il a dû entreprendre les travaux de démolition et que celui-ci lui en doit donc le coût ;

Il fait enfin valoir que le maître de l'ouvrage qui s'est approprié ses plans et a conservé les entreprises qu'il avait choisies, en sorte que les travaux de rénovation ont été exécutés en fonction des prestations qu'il avait fournies, doit en conséquence l'indemniser du prix de celles-ci ;

La société Forti et compagnie, réitérant ses précédentes écritures tendant au rejet de la demande formée à son encontre, a dénié être intervenue auprès de l'Administration Monégasque pour empêcher que soit délivrée l'autorisation sollicitée par L. M., ce dont celui-ci ne rapporte par ailleurs nullement la preuve, en l'espèce ;

Elle expose, enfin, qu'elle ne saurait être tenue de payer à ce dernier, des travaux d'études et de plans qu'elle ne lui a jamais commandés et qu'il ne justifie nullement avoir effectués, de telles prestations ressortant au surplus de la mission confiée à l'architecte L. ;

Sur ce,

Quant à la demande principale de L. M.,

Attendu qu'il est constant que le marché de travaux intervenu, le 5 octobre 1987 entre L. M. et la société Forti et compagnie, était affecté de la condition suspensive, de l'obtention des autorisations administratives nécessaires à son exécution, expressément stipulée par les parties ;

Que, s'agissant, en l'espèce, de travaux de démolition et de construction effectués sur le territoire de la Principauté de Monaco, leur réalisation effective était tout d'abord subordonnée à la délivrance d'un permis de construire par les services de la Construction et de l'Urbanisme ;

Qu'en outre, cette même convention conclue entre le maître de l'ouvrage et un entrepreneur, de nationalité étrangère, était également affectée de la condition suspensive de l'autorisation administrative donnée à ce dernier d'exécuter les travaux dont s'agit sur le territoire de la Principauté ;

Attendu à ce sujet, qu'il résulte des éléments de la cause, que L. M. s'est vu refuser par le gouvernement monégasque, l'autorisation d'exercer en Principauté ; qu'il en résulte que la défaillance de cette condition suspensive a empêché la naissance des obligations respectives contractées par les parties dans le cadre du marché litigieux, qui s'est trouvé en conséquence dépourvu de tout effet juridique, en application de l'article 1036 du Code civil ;

Attendu que le refus de poursuivre l'exécution des travaux opposé par la société Forti et compagnie à L. M. ne pouvant être dès lors considéré comme fautif par référence aux obligations contractuelles des parties, il appartient à ce dernier de rapporter la preuve de la faute quasi-délictuelle qu'il impute par ailleurs à la défenderesse à l'effet de sa demande de dommages-intérêts, faute consistant selon ses dires en des agissements destinés à faire obstacle à la délivrance de l'autorisation administrative devant lui être donnée ;

Que les documents versés aux débats, à cet effet, par le demandeur, n'apportent aucun élément précis permettant de supposer qu'une entrave quelconque ait été apportée aux formalités normales de délivrance de cette autorisation dont l'opportunité relevait, au demeurant, de la seule appréciation de l'Administration ; qu'il convient dès lors, de rejeter la demande de dommages-intérêts formée de ce chef, par L. M. ;

Attendu d'autre part, que nonobstant la défaillance de la condition suspensive susvisée, il convient cependant de constater, quant à la demande de paiement de travaux de L. M., que s'agissant, en l'espèce, d'un contrat à exécution successive, ce demandeur a néanmoins effectué pour le compte de la société Forti et compagnie, des travaux de démolition s'avérant nécessaires, en tout état de cause, à la restructuration et à l'aménagement du fonds de commerce de ladite société, tels que prévus par le contrat d'architecte passé avec J. L. et dont il n'est pas allégué que le maître de l'ouvrage ait abandonné la réalisation ;

Qu'il en résulte, dès lors que lesdits travaux ont été exécutés, que la société Forti et compagnie a retiré un avantage certain de l'intervention de L. M., en sorte que se trouve caractérisée, en l'espèce, une gestion d'affaires de la part de celui-ci, qui par son intervention utile, a rendu service à la société Forti et compagnie, étant ici incidemment observé qu'une gestion d'affaires peut produire des effets entre personnes déjà antérieurement en rapport, comme dans le cas présent où le contrat de louage d'ouvrage conclu par les parties a été privé de tout effet de droit, pour n'être plus qu'un des éléments de fait permettant de résoudre la situation, objet du litige ;

Qu'il s'ensuit, qu'en sa qualité de gérée, la société Forti et compagnie se trouve obligée envers L. M., dans les termes de l'article 1222 du Code civil, qui lui imposent de rembourser à celui-ci toutes les dépenses qu'il a eu à exposer pour son compte, sous réserve de leur nécessité, ce qui est le cas, en l'espèce, au vu des considérations qui précèdent, en ce qui concerne le coût des travaux de démolition dont L. M. sollicite le règlement ; qu'il y a lieu en conséquence de condamner la société Forti et compagnie à payer à L. M. la somme de 35 295,36 F de ce chef qui portera intérêts au taux légal à compter du 19 mai 1988, date de l'assignation valant mise en demeure, à raison de la nature contractuelle de la créance ;

Attendu qu'en revanche, la demande par laquelle L. M. prétend obtenir le paiement des frais d'études, confection de plans et rédaction des marchés de sous-traitance, ne saurait prospérer, en l'état, dès lors que celui-ci n'établit pas que ses prestations, préalables à l'exécution des travaux, aient profité d'une manière quelconque au maître de l'ouvrage, d'autant que de telles prestations ressortaient expressément de la mission confiée à l'architecte L. et accomplie par celui-ci ;

Qu'il convient en conséquence de débouter L. M. de sa demande tendant au paiement de la somme de 118 600 F de ce chef ;

Quant à la demande reconventionnelle de la société Forti et compagnie,

Attendu que, dès lors que le contrat de louage d'ouvrage conclu entre les parties était subordonné à la condition suspensive de l'obtention préalable « des autorisations administratives nécessaires », la société Forti et compagnie ne saurait imputer à faute à L. M., les conséquences dommageables du retard dans les travaux, consécutifs à l'inexécution des prestations de celui-ci devenue désormais impossible, en l'état de l'inexistence de la convention ;

Qu'il échet donc de débouter celle-ci de sa demande, de ce chef ;

Attendu d'autre part, que ni les circonstances de la cause, ni l'urgence, ne justifiant l'exécution provisoire du présent jugement sollicitée par le demandeur, il n'y a pas lieu de l'ordonner, en l'espèce ;

Attendu qu'enfin les dépens suivront la succombance de la Société Forti et Compagnie ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Constate la défaillance de la condition suspensive affectant le marché de travaux susvisé du 5 octobre 1987 ;

Déclare en conséquence celui-ci dépourvu de tout effet de droit ;

Constate que L. M. en procédant aux travaux de démolition effectués dans les locaux de la société Forti et Compagnie, a agi en qualité de gérant d'affaires de cette dernière ;

Condamne en conséquence la Société Forti et compagnie à payer à L. M. la somme de trente-cinq mille deux cent quatre-vingt-quinze francs trente-six centimes (35 295,36 F) avec intérêts au taux légal à compter du 19 mai 1988, au titre desdits travaux ;

Déboute L. M. du surplus de ses demandes ;

Déboute la société Forti et compagnie de sa demande reconventionnelle tendant au paiement de dommages-intérêts ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

MM. Landwerlin prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. - Mes Léandri et Lorenzi av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26026
Date de la décision : 10/01/1991

Analyses

Contrat de louage


Parties
Demandeurs : M.
Défendeurs : Société Forti.

Références :

Article 1222 du Code civil
article 1036 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1991-01-10;26026 ?

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