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12/07/1990 | MONACO | N°25614

Monaco | Tribunal de première instance, 12 juillet 1990, Société Ambre c/ État de Monaco


Abstract

Responsabilité de la puissance publique

Responsabilité sans faute de l'Administration - Troubles de voisinage - Préjudice anormal - Réduction de l'indemnisation

Troubles de voisinage

Dommage anormal - Responsabilité de l'Administration

Résumé

Pour que l'État soit tenu à réparer les dommages résultant des travaux publics, sur le fondement d'une responsabilité sans faute, il faut que soit établie l'existence d'un préjudice indemnisable, résultant en l'espèce d'un trouble de voisinage, imputable au chantier, atteignant un degré d

e gravité tel qu'il constitue un préjudice anormal ; tel est le cas lorsqu'une grave atteinte à la l...

Abstract

Responsabilité de la puissance publique

Responsabilité sans faute de l'Administration - Troubles de voisinage - Préjudice anormal - Réduction de l'indemnisation

Troubles de voisinage

Dommage anormal - Responsabilité de l'Administration

Résumé

Pour que l'État soit tenu à réparer les dommages résultant des travaux publics, sur le fondement d'une responsabilité sans faute, il faut que soit établie l'existence d'un préjudice indemnisable, résultant en l'espèce d'un trouble de voisinage, imputable au chantier, atteignant un degré de gravité tel qu'il constitue un préjudice anormal ; tel est le cas lorsqu'une grave atteinte à la libre disposition des biens de la demanderesse lui a été portée du fait des travaux entrepris pour le compte de l'État, lesquels ont occasionné aux locaux commerciaux concernés un trouble ayant manifestement excédé, par son ampleur et sa durée, les inconvénients que les riverains des voies publiques sont tenus de supporter sans indemnité.

Toutefois, l'indemnisation peut être réduite, voire supprimée, si les dommages étaient prévisibles ou si une fois les travaux achevés, le bâtiment construit a apporté une réelle plus-value à l'immeuble voisin.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que, par ordonnance du 20 janvier 1988, le magistrat des référés, saisi par la société civile dénommée Ambre, promotrice d'un immeuble « Le Régina », sis ., d'une demande tendant à l'évaluation du préjudice qu'elle déclarait subir du fait de l'édification par l'État, à proximité de son immeuble, d'un complexe de halles et marché nécessitant d'importants travaux, a ordonné une expertise confiée à Roger Orecchia à l'effet d'apprécier les conditions dans lesquelles s'est déroulée la commercialisation des locaux de l'immeuble « Le Régina », de déterminer l'incidence que les travaux incriminés, effectués pour le compte de l'État, ont pu avoir sur le déroulement de cette commercialisation, et d'apprécier le cas échéant la nature et l'importance des préjudices financiers qui ont pu en découler pour la Société Ambre sur le seul plan d'une commercialisation déficiente des locaux par rapport aux résultats légitimement escomptés ;

Attendu que l'expert Orecchia a régulièrement déposé rapport de ses opérations au greffe général le 8 juin 1989 ; qu'il résulte de ce rapport, en particulier :

* qu'alors que l'immeuble « Le Régina » venait d'être achevé en juillet 1986, l'État a entrepris, sur une propriété jouxtant la façade arrière de l'immeuble, des travaux de démolition du marché couvert existant, de terrassements très profonds et de construction de l'immeuble des nouvelles halles,

* qu'à partir de septembre 1986, les lots commerciaux situés dans l'avenue Saint-Charles n'ont pu être normalement commercialisés, tandis que les parkings, pendant une assez courte période, ont souffert de la gêne apportée à la circulation,

* qu'un préjudice certain a été occasionné aux deux magasins sis avenue Saint-Charles, leur commercialisation s'étant avérée impossible pendant deux années, d'octobre 1986 à octobre 1988, et que, pendant la même période, l'exploitation des parkings a subi une gêne du fait de difficultés de circulation et d'accès,

* que la Société Ambre a subi un préjudice financier devant être calculé par rapport au prix de revient des locaux commerciaux et qui s'établit, compte tenu des intérêts ayant couru sur ledit prix, à 788 895 F,

* que le promoteur a également supporté un préjudice financier de 165 600 F en ce qui concerne les parkings, dont la location a été entravée bien que des dispositions aient été prises en cours de chantier pour en faciliter l'exploitation, après six mois de difficultés,

* que la S.C.I. Ambre a acquitté pour ces locaux, qui auraient pu être vendus, des charges de copropriété pour environ 96 000 F.,

* qu'ainsi le préjudice total, tel qu'évalué par l'expert, se chiffre à 1 050 495 F ;

Attendu que, par l'exploit susvisé, la Société Ambre a fait assigner l'État sur le fondement d'une responsabilité pour troubles anormaux de voisinage, en paiement de la somme de 1 558 000 F. en réparation du préjudice résultant de ce que les deux locaux commerciaux, sis du côté de l'avenue Saint-Charles n'ont pu être commercialisés pendant deux ans, de la somme de 295 158 F... en réparation du préjudice résultant de la gêne anormale apportée à l'exploitation des parkings en sous-sol, et de celle de 96 000 F. correspondant à des charges de copropriété afférentes à ces locaux et parkings durant la période de « neutralisation de la commercialisation », soit 1 949 158 F. au total ;

Qu'à titre subsidiaire, la Société Ambre demande l'homologation du rapport Orecchia en ce que ce mandataire de justice a fixé le préjudice lié à l'impossibilité temporaire de commercialisation à la somme de 788 895 F., son préjudice global étant alors ramené à 1 180 053 F. ;

Que les intérêts au taux légal sont réclamés sur ces sommes à compter de l'assignation et l'exécution provisoire du présent jugement sollicitée en raison de l'urgence ;

Qu'au soutien de ces demandes, la Société Ambre fait essentiellement valoir :

* que les travaux litigieux, en raison de leur ampleur, ont entraîné des sujétions permanentes pendant plus de deux ans (démolition de l'avenue Saint-Charles et mise en place d'un pont provisoire exclusif de tout autre passage, emprise du chantier en limite de la façade arrière de l'immeuble « Le Régina », mouvements de camions rendant inutilisable la rampe d'accès aux parkings de l'immeuble),

* que les constatations et avis de l'expert judiciaire confirment la réalité du préjudice qu'elle a souffert, même si celui-ci n'a pas été justement évalué par ce mandataire de justice, dès lors que le manque à gagner résultant de l'impossibilité de commercialisation des locaux commerciaux n'a pas été pris en compte alors qu'il s'élève à 769 105,74 F. représentant la perte de produits financiers pendant deux ans sur un bénéfice escompté à la revente de plus de 4 millions ;

* Qu'il convient par ailleurs de décompter les pertes financières sur les fonds investis au titre de la construction des parkings, ce que l'expert - qui s'est borné à calculer les pertes de revenus locatifs - n'a pas fait, ces pertes s'élevant à 295 158 F. ;

* Que son droit à réparation résulte du préjudice anormal qu'elle subit, tel que l'expert l'a relevé, et d'une décision du Tribunal rendue le 12 février 1988 dans une affaire mettant en cause le même chantier ;

* Que la construction de l'immeuble litigieux comportant également des parkings et locaux commerciaux n'a pas apporté de plus-value à ceux de l'immeuble « Le Régina » dès lors qu'ils ont au contraire créé une concurrence certaine qu'elle aurait pu éviter si la commercialisation avait été entreprise aux dates prévues ;

Attendu qu'en réponse, l'État nie le préjudice anormal allégué par la demanderesse et conclut au rejet de ses prétentions ;

Qu'en observant que le litige relève bien de la responsabilité sans faute du fait de troubles anormaux de voisinage, l'État affirme que certains de ces troubles sont considérés par la doctrine et la jurisprudence comme inhérents à l'exécution de travaux publics et que par ailleurs, le préjudice ne peut être jugé anormal lorsque, comme en l'espèce, il est compensé par certains avantages tels que la modernisation des lieux avoisinants résultant desdits travaux ;

Que l'État, qui rappelle les précautions prises par l'Administration pour limiter au maximum les inconvénients des travaux, estime que le seuil d'anormalité n'a pas été atteint, dans la mesure où le travail public entrepris n'a apporté qu'une gêne temporaire largement compensée par la valorisation de l'immeuble « Le Régina » du fait des travaux incriminés (modernisation du quartier, apport de clientèle...) ;

Que l'État dénie toute pertinence à la jurisprudence de ce Tribunal invoquée par la demanderesse en soulignant les différences de situations de fait ; qu'il conteste par ailleurs le grief de concurrence quant aux emplacements de parkings ou aux locaux commerciaux ;

Sur quoi,

Attendu que les règles gouvernant le présent litige, fondé sur la responsabilité encourue par l'État sans faute de sa part, imposent, pour que les dommages résultant des travaux publics fassent l'objet d'une réparation, que soit établi par la demanderesse un préjudice indemnisable, c'est-à-dire en l'espèce un trouble de voisinage, imputable au chantier, atteignant un degré de gravité tel qu'il constitue un préjudice anormal ;

Que toutefois, l'indemnisation peut être réduite, voire supprimée, si les dommages étaient prévisibles ou si, une fois les travaux achevés, le bâtiment construit a apporté une réelle plus-value à l'immeuble « Le Régina » ;

Attendu qu'il est constant que les palissades de bois délimitant l'emprise du chantier litigieux, par leur disposition immédiatement en regard des locaux commerciaux sis au rez-de-chaussée de l'immeuble « Le Régina » côté avenue Saint-Charles, de même que les activités du chantier, ont empêché toute exploitation normale desdits locaux qui, dès lors, n'ont pu être commercialisés pendant environ deux années ;

Qu'ainsi une grave atteinte à la libre disposition de ces biens a été portée à la demanderesse du fait des travaux entrepris pour le compte de l'État, lesquels ont occasionné aux deux locaux commerciaux concernés un trouble ayant manifestement excédé, par son ampleur et sa durée, les inconvénients que les riverains des voies publiques sont tenus de supporter sans indemnité ;

Attendu en conséquence que la Société Ambre est fondée à obtenir réparation de ce préjudice en fonction du mode de calcul retenu par l'expert, cette détermination apparaissant équitable ;

Attendu toutefois que le montant auquel ce mandataire de justice est parvenu ne saurait être intégralement alloué à la demanderesse ; qu'en effet, celle-ci, d'une part pouvait prévoir, en sa qualité de promotrice, la réfection des anciennes halles, publiquement connue de longue date avant sa réalisation effective, et donc l'ouverture d'un chantier important de travaux à proximité immédiate de l'immeuble qu'elle a néanmoins entrepris d'édifier, d'autre part bénéficie désormais d'un environnement rénové de nature à accroître la valeur dudit immeuble ;

Attendu en conséquence qu'eu égard aux éléments d'appréciation dont il dispose, le Tribunal estime devoir allouer, en réparation du préjudice subi par la Société Ambre, une indemnisation limitée à la somme de 500 00 F. ;

Attendu qu'au regard des principes sus énoncés, il n'y a pas lieu de réparer le préjudice consécutif à la gêne occasionnée relativement à l'utilisation des parkings et à leur exploitation, dès lors qu'elle ne revêt pas un caractère suffisant de gravité et qu'en outre l'État a pratiqué des aménagements particuliers en vue de faciliter, dans la mesure du possible, l'accès à ces parkings, pas d'avantage que ne saurait être indemnisé le « préjudice financier » résultant du paiement par la Société Ambre de charges de copropriété relatives aux deux locaux commerciaux durant la période de leur indisponibilité à la vente, dès lors que l'atteinte portée à la disposition de ces locaux fait l'objet d'une réparation globale ainsi qu'il a été ci-dessus précisé ;

Attendu que, le préjudice souffert par la demanderesse étant liquidé à la date du présent jugement, il n'y a pas lieu d'allouer les intérêts au taux légal sollicités à compter de l'assignation ;

Attendu qu'il ne saurait être fait droit par ailleurs à la demande d'exécution provisoire de la présente décision, la Société Ambre ne s'expliquant pas sur les circonstances qui motiveraient l'urgence qu'elle allègue mais qui n'apparaît nullement établie ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement en matière administrative,

Condamne l'État à payer à la Société Civile Ambre, la somme de 500 000 F., montant des causes sus-énoncées ;

Déboute cette société du surplus de ses demandes ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Pennaneach, subst. proc. gén., Mes Clérissi et Sanita, av.-déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25614
Date de la décision : 12/07/1990

Analyses

Public - Général ; Responsabilité (Public)


Parties
Demandeurs : Société Ambre
Défendeurs : État de Monaco

Références :

ordonnance du 20 janvier 1988


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1990-07-12;25614 ?

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