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16/03/1989 | MONACO | N°25531

Monaco | Tribunal de première instance, 16 mars 1989, Dame J. épouse C. c/ Sieur M.


Abstract

Propriété commerciale

Clause du bail excluant le bénéfice de la loi n° 490 du 24 novembre 1948

Bail commercial

Nature commerciale de l'activité du locataire exercée depuis 11 ans - Bail commercial - Nullité de la clause - Effet du congé

Résumé

En l'état d'un bail stipulant que le locataire pourra domicilier dans les lieux loués autant de sociétés ou commerces qu'il désirera, mais ne pourra jamais se prévaloir de la propriété commerciale, même après plusieurs années de location, ce locataire, qui exerce en réalité depuis

onze ans l'activité d'import-export de produits d'alimentation générale, est fondé, en raison de la nature...

Abstract

Propriété commerciale

Clause du bail excluant le bénéfice de la loi n° 490 du 24 novembre 1948

Bail commercial

Nature commerciale de l'activité du locataire exercée depuis 11 ans - Bail commercial - Nullité de la clause - Effet du congé

Résumé

En l'état d'un bail stipulant que le locataire pourra domicilier dans les lieux loués autant de sociétés ou commerces qu'il désirera, mais ne pourra jamais se prévaloir de la propriété commerciale, même après plusieurs années de location, ce locataire, qui exerce en réalité depuis onze ans l'activité d'import-export de produits d'alimentation générale, est fondé, en raison de la nature commerciale de celle-ci, à invoquer le bénéfice de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les baux commerciaux et à demander la nullité de la clause, ayant pour objet de faire échec aux dispositions de cette loi, en vertu de son article 28, de sorte que le congé régulier en la forme ne saurait ainsi avoir pour effet de mettre fin au contrat dans les conditions de droit commun.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu qu'il est constant :

* que par convention dénommée « bail à loyer » conclue le 10 juin 1980, régulièrement enregistrée, M. J. a loué à G. M. le local n° 155 sis . pour une durée d'une année prenant effet le 1e juin 1980, renouvelable tacitement d'année en année « sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception trois mois au moins avant la fin de la période annuelle en cours » ;

* que le bail précise à la rubrique « Utilisation » des conditions particulières que « le locataire pourra domicilier dans les lieux autant de sociétés ou commerces qu'il désirera, mais ne pourra jamais se prévaloir de la propriété commerciale même après plusieurs années de location » ;

* que parmi d'autres clauses énoncées au titre des « Conditions », il est fait interdiction au preneur de céder ou sous-louer tout ou partie des locaux, « à peine de nullité de cette cession ou sous-location et de résiliation pure et simple du présent bail », et il est prévu que « l'inexécution de l'une des clauses du présent bail entraînera de plein droit, à la volonté du bailleur seul, la déchéance du preneur dans tous les droits et bénéfices qu'il lui confère, sans qu'il soit besoin de faire prononcer la résiliation judiciairement et ce, 10 jours après un commandement demeuré infructueux » ;

* qu'en dernier lieu, M. a été autorisé, le 26 mars 1985, par le Ministre d'État, à exercer l'activité d'import-export de produits d'alimentation générale, de vins et alcools dans le bureau sis ., pour une durée de cinq années ; que les inscriptions portées au Répertoire du Commerce et de l'Industrie mentionnent que M. exploite sous l'enseigne « E.M.A. » à l'établissement principal . depuis mars 1978 ;

* que la boîte aux lettres dudit bureau porte notamment l'inscription « M.D.M. », laquelle est reprise sur un panneau annonceur avec l'indication « bureau n° 155 » et sur la porte d'entrée de ce bureau, au côté d'indications relatives à E.M.A. Import-Export ;

* que, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à M. ., le mandataire de J. faisait part au locataire de ce que le bail ne serait pas renouvelé à l'échéance du 31 mai 1987, date à laquelle la libération des lieux était sollicitée ; que ce courrier a été expédié le 26 février 1987 mais son accusé de réception n'a pas été signé par le destinataire ; que par acte extrajudiciaire du 20 mai 1987, C. J. épouse C., agissant en qualité d'héritière de son père, M. J., décédé, a réitéré les termes de ce congé à effet du 31 mai 1987, ce qui a suscité des protestations du locataire ;

Attendu que, par l'exploit susvisé du 25 septembre 1987, C. C., qui conteste à son locataire le droit à la « propriété commerciale », dont celui-ci se prévaut au motif que la clause contraire ci-dessus évoquée serait nulle, et estime qu'il ne s'agit pas d'un bail commercial, en relevant par ailleurs que l'activité exercée dans les lieux par F. M. sous l'enseigne M. D. M. constitue une sous-location prohibée, a fait assigner G. M. en validation du congé ci-dessus analysé et en expulsion des locaux sous astreinte de 500 F. par jour de retard, l'exécution provisoire du présent jugement étant sollicitée de ces chefs ; qu'elle demande en outre le paiement de 5 000 F. à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et la condamnation du défendeur aux dépens ;

Que C. C. insiste en effet sur la volonté clairement exprimée par les parties au contrat de bail, selon laquelle a été écartée l'idée de propriété commerciale, ce que confirme encore la dénomination dudit contrat ; qu'elle prétend que M. exerce en réalité son activité commerciale dans un autre bureau (n° 124) du ., ainsi que cela résulterait du constat d'huissier qu'elle produit, les dimensions du bureau n° 155 ne permettant pas, selon elle, d'y exploiter un commerce ; qu'elle cite des décisions de jurisprudence relatives aux fonds de commerce mais sans préciser le parti qu'elle entend en tirer dans la présente instance ; qu'elle estime que le congé a été valablement délivré le 26 février 1987, puis confirmé par exploit d'huissier du 20 mai 1987 pour la date du 31 mai 1987 ;

Que la demanderesse fait valoir par ailleurs que M. a sous-loué le local « à une demoiselle M. » et qu'il ne s'agit pas d'une simple domiciliation d'un commerce ; qu'à cet égard, elle interprète le bail comme n'autorisant une telle domiciliation que dans le cas où les sociétés ou commerces « appartiennent en propre » à G. M., de telle sorte que la résiliation du bail serait encourue en l'espèce ;

Attendu que, pour sa part, G. M. soutient que le congé est nul faute d'avoir été délivré dans le délai de trois mois contractuellement prévu puisque seul l'acte réitératif du 20 mai 1987 doit être pris en compte, que l'autorisation de domiciliation de son commerce dans les lieux a conféré à la location un caractère commercial et la protection de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, et que la domiciliation d'une autre activité dans les lieux est intervenue conformément aux clauses du bail ; qu'il insiste en particulier sur le fait que l'autorisation contenue dans le contrat est bien l'expression de ce que le locataire peut exercer dans les lieux une activité commerciale ; qu'il précise que F. M., sa fille, exerce également une telle activité sous l'enseigne . (M.D.M.) mais essentiellement dans le bureau n° 124, celle-ci ne payant aucun loyer et étant « gratuitement hébergée » dans le local n° 155, ce qui exclut toute sous-location ; que M. conclut en conséquence au rejet des prétentions de C. C. et demande au Tribunal de constater qu'il a manifestement droit à la propriété commerciale édictée par l'article 1er de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, de déclarer nulle, sur le fondement de l'article 28 de cette loi, la clause du bail qui exclut illicitement un tel droit, de juger que c'est à bon droit qu'il a domicilié un autre commerce dans les lieux, ce qui ne saurait être assimilé à une sous-location, de dire que la loi n° 490 attribue compétence exclusive à la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux pour connaître de toutes actions relatives au renouvellement des baux commerciaux, et de condamner la demanderesse à lui payer 50 000 F. à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ; qu'à titre subsidiaire, M. demande au Tribunal de constater son droit à percevoir une indemnité d'éviction en cas de refus de renouvellement du bail ;

Sur quoi,

Attendu que le régime auquel le contrat du 10 juin 1980 est soumis dépend, au-delà des mentions insérées par les parties, de la nature de l'activité exercée dans les lieux ;

Attendu que si, à la rubrique « Utilisation », l'une des clauses particulières du bail - qui ne précise pas par ailleurs la destination et l'affectation données aux locaux, lesquels consistent en un « bureau » - permet la domiciliation de sociétés ou commerces sans limitation de nombre, M. n'apparaît pas pour autant s'être cantonné à n'utiliser les lieux loués qu'à des fins d'adresse commerciale ; qu'en effet, il résulte des pièces produites qu'il y exerce un commerce d'import-export de produits d'alimentation générale depuis onze années, d'abord en association avec S., puis seul à compter du 23 février 1979, soit plus de dix ans à ce jour ; qu'à l'occasion de chaque renouvellement des autorisations administratives qui lui ont été délivrées, sa situation commerciale apparaît avoir été examinée, en particulier d'un point de vue fiscal ;

Attendu que ces éléments laissent sérieusement présumer que G. M. exploite bien dans le bureau n° 155 loué par la demanderesse un fonds de commerce depuis plus de trois ans consécutifs, au sens de l'article 1er de la loi n° 490 précitée ; qu'au demeurant, C. C. ne conteste pas l'existence d'une telle exploitation mais se borne à soutenir de façon non pertinente que la superficie des lieux (20 m2) ne permettrait pas d'y exercer une activité commerciale dont elle estime cependant qu'elle pourrait être effectuée dans un autre bureau du même immeuble ;

Attendu que le bail litigieux, qui s'applique à des locaux dans lesquels il y a lieu d'admettre que M. exploite un commerce, se trouve en conséquence régi par les dispositions de la loi n° 490, en particulier quant à son renouvellement ;

Qu'ainsi, la clause par laquelle il est fait interdiction au preneur « de se prévaloir de la propriété commerciale même après plusieurs années de location », en ce qu'elle a précisément et directement pour objet de faire échec aux dispositions de la loi n° 490 sur les loyers commerciaux, doit être déclarée nulle par application de l'article 28 de ladite loi ;

Attendu qu'il s'ensuit que le congé en date du 26 février 1987, qui certes apparaît avoir été régulièrement délivré à M. dans le respect des formes contractuellement prévues, ne saurait avoir pour effet de mettre fin au contrat dans les conditions du droit commun ;

Que si la demanderesse entend en effet s'opposer au renouvellement du bail, il lui appartient de respecter les dispositions de la loi précitée ;

Attendu que le Tribunal constate par ailleurs que, même à supposer que M. ait cédé ou sous-loué tout ou partie de ses locaux à sa fille - ce qui n'est nullement établi par les pièces du dossier, lesquelles montrent qu'il s'est borné à user de la faculté de domiciliation qui lui était offerte -, ce défendeur ne serait pas pour autant présentement déchu de ses droits de locataire dès lors que cette déchéance, pour être stipulée « de plein droit », exige toutefois au préalable une manifestation de volonté du bailleur dans les formes contractuellement prévues, soit en l'espèce un commandement non suivi d'effet dans les dix jours ;

Attendu que la demanderesse doit donc être déboutée de l'ensemble de ses prétentions et tenue aux dépens, en l'état de sa succombance ;

Attendu que la demande reconventionnelle en dommages-intérêts n'a pas lieu d'être admise dès lors qu'eu égard aux dispositions particulières du bail, C. C. a légitimement pu se méprendre sur l'étendue et la portée de ses droits, tels que transmis par son auteur, M. J. ;

Dispositif

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute C. J. épouse C. de l'ensemble de ses demandes ;

Dit que le bail conclu le 10 juin 1980 est soumis aux dispositions de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les loyers commerciaux, en particulier quant à son renouvellement ;

Déclare nulle la clause dudit bail par laquelle il est fait interdiction au preneur de se prévaloir de la « propriété commerciale » ;

Déboute M. de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;

Composition

MM. Landwerlin prés., Serdet prem. subst. proc. gén., MMes Karczag-Mencarelli et Léandri av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25531
Date de la décision : 16/03/1989

Analyses

Contrat - Général ; Baux commerciaux


Parties
Demandeurs : Dame J. épouse C.
Défendeurs : Sieur M.

Références :

article 1er de la loi n° 490 du 24 novembre 1948
loi n° 490 du 24 novembre 1948


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1989-03-16;25531 ?

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