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04/02/1988 | MONACO | N°25410

Monaco | Tribunal de première instance, 4 février 1988, Dame S.-D. V. c/ P.


Abstract

Transaction

Notion - Domaine d'application - Droits indisponibles - Dessein d'éluder l'application des règles de compétence d'ordre public - Nullité absolue de la transaction prononcée d'office

Résumé

Un protocole conclu devant un notaire étranger entre le père et la mère - divorcés - d'un enfant au sujet de la garde, du droit de visite et de la contribution à l'entretien de celui-ci constitue une transaction au sens de l'article 1883 du Code civil dès lors que cette convention contient de leur part aussi bien des renonciations à leurs préten

tions initiales que des concessions réciproques destinées à mettre un terme à une situ...

Abstract

Transaction

Notion - Domaine d'application - Droits indisponibles - Dessein d'éluder l'application des règles de compétence d'ordre public - Nullité absolue de la transaction prononcée d'office

Résumé

Un protocole conclu devant un notaire étranger entre le père et la mère - divorcés - d'un enfant au sujet de la garde, du droit de visite et de la contribution à l'entretien de celui-ci constitue une transaction au sens de l'article 1883 du Code civil dès lors que cette convention contient de leur part aussi bien des renonciations à leurs prétentions initiales que des concessions réciproques destinées à mettre un terme à une situation conflictuelle préexistant entre elles.

Cet acte doit être analysé comme tel, indépendamment de la clause qu'il comporte relative à la nécessité, convenue entre les parties, de l'homologation ultérieure de celui-ci par voie judiciaire, une telle clause n'impliquant aucune modification dans la nature de la convention.

Il est de principe qu'il ne peut être transigé sur des matières qui touchent à l'ordre public, ce que prohibe l'article 6 du Code civil, telles que l'état des personnes et, comme le prévoit l'article 1236 dudit code, la puissance paternelle, l'administration légale et la tutelle, non plus que sur les droits se trouvant hors du commerce et par suite indisponibles, lesquels ne peuvent aux termes de l'article 983 du Code civil, faire l'objet de convention particulière.

Tel est le cas du droit de garde du mineur issu d'un mariage dissous par le divorce puisque ce droit, au demeurant intimement lié par les dispositions de l'article 304 du Code civil à l'administration légale des biens de ce mineur, ne peut être déterminé lors du prononcé du divorce que par le tribunal, aux termes de l'article 29 de l'ordonnance sur le divorce et la séparation de corps du 3 juillet 1907, appliqué en l'espèce au divorce des parties en litige et analogue à cet égard à l'article 206-20 actuel du Code civil, étant observé que selon l'article 831 du Code de procédure civile (dans ses rédactions antérieure ou postérieure à la loi n. 1089 du 21 novembre 1985) toute modification de la garde d'un mineur fixée lors du divorce de ses parents suppose que se soit produit le fait nouveau défini par cet article mais non allégué en l'espèce, lequel, d'après ce texte, ne peut être apprécié en son existence, conditionnant la recevabilité de toute demande tendant à une telle modification, que par le juge tutélaire, à l'exclusion de toute autre juridiction de premier ressort.

Il s'ensuit que le protocole d'accord litigieux, dont les clauses apparaissent indivisibles, doit être d'office tenu pour nul et de nul effet comme ayant un objet illicite relativement à la garde de l'enfant et comme procédant du dessein d'éluder l'application d'ordre public de règles de compétence auxquelles les parties ne sauraient déroger.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que par l'exploit susvisé, S. S., actuellement épouse D. V., dont le mariage antérieur avec M. P. a été dissous par un jugement du tribunal en date du 15 juin 1972 ayant prononcé son divorce, a fait assigner M. P. en homologation d'un protocole d'accord qu'elle a réitéré avec ce dernier, le 23 novembre 1985 par devant M. Garrido de Palma, notaire à Madrid (Espagne), lequel protocole a eu pour objet, notamment, de modifier d'une part, ainsi qu'il est constant, une précédente décision judiciaire monégasque ayant confié au père la garde de leur enfant commun F., né le 8 septembre 1971, ce, à l'effet que cette garde soit transférée à la mère, et, d'autre part, de fixer à 30 000 F par mois la part contributive du père devant être versée à la mère pour l'entretien et l'éducation de l'enfant ;

Que S. S. sollicite par le même exploit, en faisant valoir que M. P. n'aurait pas exécuté, de ce dernier chef, la convention conclue, que ce défendeur soit condamné à lui payer 480 000 F au titre de la pension due depuis le 1er décembre 1985 et jusqu'au 31 mars 1987, et, en outre, 20 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que M. P., avant toute autre défense au fond, soutient que le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître de la demande en l'état des dispositions de l'article 831 du Code de procédure civile et, subsidiairement - dès lors que les pièces produites au soutien de cette même demande, et comportant des mentions rédigées en langue espagnole, ne seraient pas entièrement traduites - que lesdites pièces soient considérées comme n'ayant pas été régulièrement communiquées, en sorte que S. S. devrait être « de plano » déboutée de ses demandes ;

Attendu que cette demanderesse a conclu en réplique au rejet de la double exception ainsi soulevée par M. P., au motif, essentiellement, que l'homologation d'acte sollicitée ne pourrait être assimilée à une demande tendant au prononcé d'une décision judiciaire contentieuse quant au montant de la part contributive du père à l'entretien de l'enfant F., ce qui ferait échec à l'application invoquée de l'article 831 susvisé, et que, d'autre part, la communication de pièces initialement tenue pour insuffisante serait désormais complète au regard d'une traduction espagnole effectuée des documents précédemment versés aux débats, ce qui rendrait désormais sans objet l'exception soulevée de ce chef ;

Attendu qu'en ses dernières conclusions, M. P. maintient ses précédentes écritures, en précisant qu'aux termes de l'accord litigieux avait été modifiée la garde du mineur, dont il avait été lui-même investi par des décisions juridictionnelles monégasques passées en force de chose jugée, organisé, en outre, son droit de visite et prévu le montant de la pension mise à sa charge pour l'enfant, et que, dès lors, le juge tutélaire étant, légalement, seul compétent pour connaître de la modification de la garde d'un mineur dont les parents sont divorcés, du droit de visite ainsi que de la charge et du montant de la pension alimentaire relative à ce mineur, l'accord dont s'agit, qui prévoyait son homologation par les tribunaux monégasques, ne pourrait avoir de valeur qu'après homologation par le juge tutélaire, s'agissant d'une transaction, entre parties, portant sur des décisions juridictionnelles définitives, et ayant eu pour objet la garde et l'entretien d'un enfant en suite du divorce de ses parents, matières relevant, comme il vient d'être dit, de l'appréciation exclusive du juge tutélaire ;

Sur quoi,

Attendu que le protocole d'accord litigieux - qu'il convient d'apprécier en sa teneur préalablement à l'examen de l'exception d'incompétence soulevée et dont la copie versée aux débats n'apparaît pas enregistrée et devra dès lors être soumise aux formalités de l'enregistrement prévues par l'ordonnance souveraine du 29 avril 1828, si l'acte original ne l'a pas été antérieurement - comporte les mentions suivantes, selon la version française régulièrement versée aux débats que les parties ont conjointement signée et remise au Notaire Victor Manuel Garrido de Palma, lors de leur comparution par-devant lui à la date du 23 novembre 1985 ;

(...) ;

I. - Monsieur M. P. et Mme S. S. sont respectivement le père et la mère de F., leur fils légitime né de leur précédente union dissoute par le divorce ;

II. - A la suite de diverses procédures ayant opposé Monsieur M. P. et Madame S. S., la garde de cet enfant fut confiée à Monsieur M. P. ;

(...) ;

Les parties ont décidé de se rapprocher et de mettre fin à cet état conflictuel préjudiciable à leurs bonnes relations et surtout à l'intérêt bien compris de leur fils ;

Ils ont en conséquence décidé de conclure l'accord suivant :

a) Chacune des parties décide de façon formelle de renoncer au bénéfice de toute procédure passée ou en cours, concernant aussi bien le droit de garde que le droit de visite et l'hébergement que la participation de l'un ou de l'autre à l'entretien et à l'éducation de leur fils commun ;

b) Ils décident de confier la garde juridique de leur fils commun à Madame S. S., Monsieur M. P. renonçant par voie de conséquence au bénéfice dudit droit ;

c) Les parties décident de fixer comme suit le droit de visite et d'hébergement du père : (...) ;

Monsieur M. P. s'engage à verser à son épouse à titre de part contributive à l'entretien et à l'éducation de son fils une somme de 30 000 F par mois (...) non indexée ; cette somme est évaluée de façon forfaitaire et devra notamment permettre à Madame S. de prendre à sa charge le montant des voyages afférents à l'exercice du droit de visite et d'hébergement de son fils (...) ;

(...)

j) Les parties conviennent enfin de faire homologuer le présent accord par un notaire français ou monégasque et par un notaire espagnol à leurs diligences réciproques ;

(...)

k) Les parties décident également de faire homologuer en tant que de besoin le présent accord par les tribunaux monégasques et espagnols compétents ;

1° Attendu qu'il ressort des mentions qui précèdent que le protocole d'accord litigieux constitue, comme l'a incidemment relevé M. P. en ses dernières conclusions, une transaction correspondant à la définition qu'en donne l'article 1883 du Code civil dès lors qu'il apparaît que les parties ont conclu une convention contenant de leur part aussi bien des renonciations à leurs prétentions initiales du chef de la garde de l'enfant F., comme de celui de la pension et du droit de visite correspondants, que des concessions réciproques destinées à mettre un terme à une situation conflictuelle préexistant entre elles et ayant donné lieu à des décisions de justice contentieuses ;

Que cet acte doit être analysé comme tel indépendamment de la clause qu'il comporte relative à la nécessité, convenue entre les parties, de l'homologation ultérieure de celui-ci par voie judiciaire, notamment à Monaco, puisqu'une telle clause, ou son exécution, n'implique aucune modification dans la nature de l'acte intervenu qui demeure une simple convention, non plus que dans ses conditions de validité, son objet et ses causes de nullité qui continuent d'être soumis, ainsi qu'il est de principe, aux règles du droit commun des contrats et des transactions ;

2° Attendu que ces règles font obstacle à ce qu'il puisse être transigé sur des matières qui touchent à l'ordre public, ce que prohibe l'article 6 du Code civil, telles que l'état des personnes et, comme le prévoit l'article 1236 dudit code, la puissance paternelle, l'administration légale et la tutelle, non plus que sur les droits se trouvant hors du commerce, et par suite indisponibles, lesquels ne peuvent, aux termes de l'article 983 du Code civil, faire l'objet de convention particulière ;

Que tel est le cas du droit de garde du mineur issu d'un mariage dissous par le divorce puisque ce droit, au demeurant intimement lié par les dispositions de l'article 304 du Code civil à l'administration légale des biens de ce mineur, ne peut être déterminé lors du prononcé du divorce que par le tribunal, aux termes de l'article 29 de l'ordonnance sur le divorce et la séparation de corps du 3 juillet 1907, appliqué en l'espèce au divorce des parties en litige et analogue à cet égard à l'article 206-20 actuel du Code civil, étant observé que, selon l'article 831 du Code de procédure civile (dans ses rédactions antérieure ou postérieure à la loi n. 1089 du 21 novembre 1985) toute modification de la garde d'un mineur fixée lors du divorce de ses parents suppose que se soit produit le fait nouveau défini par cet article, mais non allégué en l'espèce, lequel, d'après ce texte, ne peut être apprécié en son existence, conditionnant la recevabilité de toute demande tendant à une telle modification, que par le juge tutélaire, à l'exclusion de toute autre juridiction de premier ressort ;

Attendu qu'il s'ensuit que le protocole d'accord litigieux, dont les clauses apparaissent indivisibles, notamment pour ce qui est de la charge de la pension actuellement réclamée à M. P., doit être tenu pour nul et de nul effet comme ayant un objet illicite relativement à la garde de l'enfant F., ce qui conduit à l'irrecevabilité de la demande, alors de surcroît que même à la supposer admissible à raison de l'objet de la transaction qu'elle vise, la demande d'homologation de l'espèce qui, au demeurant, ne s'explique pas en fait sur l'intérêt de l'enfant quant aux mesures convenues, heurterait en elle-même l'ordre public par la contrariété de jugements qu'elle serait susceptible de révéler - hors de tout fait nouveau, non invoqué en l'occurrence - entre, d'une part, la décision d'homologation requise et, d'autre part, la précédente décision ayant, comme il est constant, confié à M. P. la garde de F. en considération de l'intérêt de celui-ci ;

Attendu que la nullité absolue résultant du caractère illicite susvisé doit être prononcée d'office en l'espèce, en ce qu'elle procède notamment du dessein d'éluder l'application d'ordre public de règles de compétence auxquelles les parties ne sauraient déroger et dont dépend le pouvoir de décision régi par l'article 831 du Code de procédure civile que le législateur a entendu conférer à un seul organe judiciaire dans l'intérêt des mineurs en cause ;

Que la demande de S. S. doit être, par voie de conséquence, déclarée irrecevable sans qu'il y ait dès lors lieu de se prononcer plus avant sur le surplus des demandes des parties, et, notamment, sur l'exception d'incompétence soulevée dont le bien-fondé n'est pas, au demeurant, douteux, compte tenu de ce qui précède, s'agissant de la modification des mesures de garde et de pension précédemment fixées au terme de la procédure de divorce ayant opposé les parties ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Ordonne en tant que de besoin l'enregistrement du protocole d'accord susvisé ;

En prononce sa nullité ;

Déclare S. S. irrecevable en son action ;

Dit en conséquence n'y avoir lieu de statuer sur le surplus des demandes des parties ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe Clérissi et Sbarrato, av. déf. ; Edel, av. (Barreau de Nice) ; Lombard, av. (Barreau de Marseille).

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25410
Date de la décision : 04/02/1988

Analyses

Droit de la famille - Autorité parentale et droits de l'enfant


Parties
Demandeurs : Dame S.-D. V.
Défendeurs : P.

Références :

article 6 du Code civil
article 1883 du Code civil
article 304 du Code civil
loi n. 1089 du 21 novembre 1985
article 831 du Code de procédure civile
ordonnance souveraine du 29 avril 1828
Code civil
article 983 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1988-02-04;25410 ?

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