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04/02/1988 | MONACO | N°25409

Monaco | Tribunal de première instance, 4 février 1988, G., I., Copropriété du Palais de la Mer c/ S.A.M. « Le Colisée ».


Abstract

Propriété

Mur - Preuve - Usucapion du mur et de son assise

Résumé

Dès lors que le propriétaire d'un fonds établit avoir, tant par lui-même que par ses auteurs, accompli des actes matériels de possession sur un mur litigieux et son assise, situés (par hypothèse) à l'extérieur dudit fonds, depuis 1924, époque de la construction de ce mur jusqu'à la contestation s'étant élevée en 1980 (remblaiement de terre et dallage du sol contre le mur, scellement de tuyauterie et adossement de jardinières), il s'ensuit que celui-ci dont la possession est

exempte de vice et conforme aux conditions édictées par les articles 2047 et suivants du ...

Abstract

Propriété

Mur - Preuve - Usucapion du mur et de son assise

Résumé

Dès lors que le propriétaire d'un fonds établit avoir, tant par lui-même que par ses auteurs, accompli des actes matériels de possession sur un mur litigieux et son assise, situés (par hypothèse) à l'extérieur dudit fonds, depuis 1924, époque de la construction de ce mur jusqu'à la contestation s'étant élevée en 1980 (remblaiement de terre et dallage du sol contre le mur, scellement de tuyauterie et adossement de jardinières), il s'ensuit que celui-ci dont la possession est exempte de vice et conforme aux conditions édictées par les articles 2047 et suivants du Code civil, se trouve fondé à invoquer l'acquisition de la propriété de ces biens immobiliers par usucapion trentenaire sinon décennale.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que le Tribunal entend se référer expressément, sans les relater à nouveau, aux circonstances de fait et de droit ayant précédé l'assignation introductive de la présente instance, lesdites circonstances résultant en particulier des décisions rendues par le juge de paix (8 avril 1981 et 13 octobre 1982), le Tribunal de première instance (27 juillet 1984) et la Cour de révision (30 avril 1985) ;

Attendu qu'il suffit en conséquence d'énoncer que par l'exploit susvisé du 24 juillet 1985, T. G. - décédé depuis et dont l'épouse, légataire universelle, a déclaré par conclusions du 8 octobre 1986 poursuivre et, en tant que de besoin, reprendre l'instance engagée par son mari -, N. I. épouse G. et M. B., ès qualités de syndic du Palais de la Mer, ont fait assigner la S.A.M. dénommée « Le Colisée » devant ce tribunal, qu'ils saisissent d'une action en bornage de la limite sud-est de leur propriété « Palais de la Mer », à l'effet d'entendre dire que le mur de soutènement au rez-de-jardin du Palais de la Mer a bien été construit en 1924 par P. sur un terrain lui appartenant, que l'emplacement actuel de ce mur n'entraîne aucun déficit de contenance au détriment du fonds appartenant à la Société Le Colisée, et que la ligne divisoire des fonds contigus doit en conséquence, au sud-est, passer à l'extérieur du patio propriété privée de G., c'est-à-dire sur la face extérieure du mur de soutènement qui clôt ce patio au sud-est, en demandant en conséquence la désignation de tel homme de l'art pour dresser un procès-verbal de bornage et de délimitation des immeubles litigieux, avec plan à l'appui sur lequel seront cotées les mesures et figureront les emplacements des bornes à planter ;

Attendu que, par conclusions ultérieures, les demandeurs ont maintenu leurs prétentions en faisant valoir, pour l'essentiel :

* que le tribunal est désormais compétent pour statuer sur l'abornement des fonds, au besoin après avoir statué sur l'action en revendication de la propriété du mur formée par la Société Le Colisée ;

* que cette action en bornage est provoquée par la prétention, formulée par la S.A.M. Le Colisée lors de la construction des importants immeubles qu'elle a récemment fait édifier en bord de mer, et concrétisée par une assignation du 12 juin 1980 (ayant fait l'objet d'une radiation), selon laquelle la ligne séparative des fonds passerait sur la face interne du mur du patio clôturant la propriété G., donc à l'intérieur dudit patio ;

* qu'au contraire, cette ligne passe, au sud-est, sur la face externe de ce mur, construit en 1924 en même temps que les autres murs de clôture et l'immeuble à usage d'habitation dénommé Palais de la Mer, par leur auteur P. alors que la propriété contiguë ne comportait aucune construction, la villa Camargo, démolie depuis, n'ayant été édifiée, sur le terrain dont la Société Le Colisée est aujourd'hui propriétaire, qu'en 1934 ;

* qu'avant la prétention ci-dessus rappelée, cette société ou ses auteurs n'ont d'ailleurs jamais prétendu que ce mur aurait été construit sur leur propriété ;

* que l'hypothèse consistant à soutenir que ledit mur, large de 50 centimètres, aurait en quelque sorte absorbé un mur séparatif de dimension plus réduite, indiqué dans l'acte de partage du 15 avril 1904 comme étant la propriété exclusive des partageants (auteurs de la Société Le Colisée) n'est pas vérifiée ;

* qu'à la supposer exacte, le titre résultant de l'acte de partage de 1904 et du plan qui y est annexé, ne concerne que les copartageants et n'est pas opposable aux auteurs des G. qui y sont demeurés étrangers, alors en outre que l'auteur du plan a pris soin d'indiquer qu'il n'avait eu connaissance d'aucun titre ni renseignement pour l'établir ;

* qu'il est vraisemblable que le mur porté sur ce plan, d'une épaisseur de 30 centimètres selon l'échelle retenue, avait disparu en 1924 ;

* qu'à cette date a été construit le mur actuellement revendiqué, dont la structure et l'épaisseur montrent qu'il est destiné à soutenir les remblais ayant permis de planifier la cour du Palais de la Mer et à assurer la clôture du patio appartenant aux G. depuis l'acte Rey du 7 février 1958 ;

* que le rapport de l'Expert Depéri désigné par le juge de paix fait ressortir que ce mur fait partie intégrante de la propriété G. et leur appartient ; qu'il peut être relevé, en particulier, qu'il s'agit d'un mur de soutènement, puisque le fonds du Palais de la Mer est situé en amont de celui de la Société Le Colisée, et qu'à ce titre il est la propriété exclusive de celui dont il soutient les terres, que de nombreux indices font présumer de cette appartenance et donc de sa construction sur le terrain de la propriété G. (jardinières, fontaine, scellements, tuyauterie, plantations, etc.) ;

* que les marques dont se prévaut la Société Le Colisée sont inopérantes en la cause, ainsi que l'expert l'a noté dans son rapport, spécialement en ce qui concerne l'inclinaison de la sommité du mur ;

* qu'un déficit de contenance a été relevé au détriment de la propriété Palais de la Mer, ce qui laisse supposer que le mur a été construit en retrait des limites de la propriété, comme il était d'usage de le faire, tandis que le fonds de la Société Le Colisée correspond en superficie aux mentions portées sur ses titres ;

* que les époux G. ont exercé, personnellement et au besoin par l'intermédiaire de leurs auteurs, une possession continue et apparente du mur sud-est actuel construit en 1924, en sorte que la prescription acquisitive doit jouer en leur faveur si nécessaire ;

Attendu que la Société Le Colisée estime, pour sa part, être exclusivement propriétaire de ce mur et conclut au rejet des prétentions des demandeurs ; qu'elle indique qu'à défaut de titre commun à chacune des parties en litige, c'est à la lumière des présomptions invoquées de part et d'autre que doit être appréciée la question de propriété du mur litigieux ;

Qu'en premier lieu, elle ne reconnaît aucune valeur aux dispositions du règlement de copropriété du Palais de la Mer, qui ne constitue pas un titre, et observe que les actes acquisitifs produits par les époux G. ne permettent pas de se prononcer sur la propriété du mur fermant le patio ; qu'elle en conclut que ceux-ci ne disposent d'aucun titre apte à prouver leur droit ;

Qu'elle réfute, en deuxième lieu, les présomptions qu'ils allèguent, en soutenant, en droit, qu'un mur n'appartient pas plus à celui qui le construit qu'à celui à qui il profite mais est la propriété de celui à qui appartient la bande de terrain sous-jacente ;

Qu'elle insiste sur ce point, en relevant que « c'est nécessairement le propriétaire de cette bande de terrain qui est le propriétaire du mur », pour ensuite remarquer que les époux G. n'ont jamais pu prouver être les propriétaires de cette bande de terrain ;

Que la société défenderesse écarte encore le moyen tiré du déficit de contenance allégué en rappelant que la question à trancher est relative à la propriété du mur et n'est donc pas une action possessoire ;

Qu'elle mentionne, par ailleurs, que les époux G. ne sauraient faire état de la prescription acquisitive puisque, d'une part, leur possession se trouvait viciée dès l'origine eu égard à la configuration du mur dont la sommité fait légalement présumer son appartenance à la propriété Le Colisée, et que, d'autre part, l'acte du 9 juin 1959 autorise l'auteur des époux G. à faire passer le long du mur une canalisation, en sorte que cette canalisation, ayant fait l'objet d'une permission expresse, ne peut être présentée comme un signe d'usucapion ;

Qu'en troisième lieu, la Société Le Colisée estime rapporter la preuve de ses prétentions en se prévalant :

* de l'acte de partage du 15 avril 1904 et du plan annexé, selon elle opposable aux tiers, qui démontrent sans doute possible que le mur litigieux existait dès cette date et appartenait exclusivement à ses auteurs ; que déjà, le revers d'eau, incliné vers l'intérieur de la propriété partagée, dont le mur était pourvu, faisait présumer qu'il avait été construit en entier sur le sol de ladite propriété, ce qui infirme l'hypothèse avancée par l'expert ; qu'à supposer même que P., dont les demandeurs tiennent les droits, ait à l'époque fait reconstruire le mur litigieux, cette circonstance ne leur permettrait pas d'en revendiquer la propriété puisqu'il a été bâti à l'identique en ce qui concerne sa sommité, preuve que son constructeur reconnaissait n'avoir aucun droit sur ledit mur, et élevé de surcroît sur le sol dépendant de la propriété des auteurs de la Société Le Colisée ;

* de l'acte Prot du 9 juin 1959 qui, en indiquant que le terrain vendu à la Société Le Colisée est « clos de murs », laisse sérieusement présumer de la propriété exclusive desdits murs à une date postérieure à la construction du Palais de la Mer ;

* d'autres présomptions, tirées de ce que les potelets du portique de la propriété G. ne prennent pas appui sur le mur, de même que le bois de charpente dudit portique, ou encore de la présence de scellements dans le mur côté Le Colisée ;

Sur quoi,

Attendu que l'action en bornage dont le tribunal est régulièrement saisi suppose nécessairement, eu égard aux circonstances propres au présent litige, que la propriété du mur sud-est situé à la limite des propriétés G. et Société Le Colisée soit établie, ainsi que le relève le jugement d'appel du 27 juillet 1984 ;

Attendu que s'il peut être tenu pour acquis, eu égard aux pièces produites, - ce qui au demeurant n'est pas contesté par les demandeurs - que le mur, aujourd'hui disparu, ayant séparé au début du siècle les propriétés S. et T. (devenue Palais de la Mer) de celles appartenant actuellement à la Société Le Colisée, reposait entièrement sur le sol de ces dernières et était la propriété exclusive des terrains partagés, rien en revanche ne permet d'affirmer que le mur bordant à ce jour la propriété G. au sud-est, ait été construit à l'emplacement exact du mur dont font mention les documents de 1904 ;

Attendu qu'il est tout à fait vraisemblable - dès lors que les éléments de l'expertise Depéri, non critiquée de ce chef, montrent que le mur sud-est de la propriété Palais de la Mer a été construit en 1924 en même temps que l'immeuble à usage d'habitation et les autres murs sud-ouest et nord-est limitant la propriété - que ledit mur, en particulier, ait été élevé à l'intérieur de cette propriété pour la clôturer, ce qui expliquerait alors le déficit de contenance constatée dans celle-ci par rapport aux surfaces mentionnées dans les divers actes désignant la parcelle ;

Attendu que l'hypothèse inverse peut aussi être envisagée, le constructeur du Palais de la Mer ayant pu construire le mur sur le terrain appartenant aujourd'hui à la Société Le Colisée, notamment sur la bande de terre où était édifié le mur mentionné en 1904, encore que celui-ci ait eu, selon le plan annexé à l'acte de 1904, une largeur inférieure à celle du mur actuel ;

Mais, attendu que dans ce dernier cas de figure, la propriété de la bande de terrain sous-jacente au mur et, par voie de conséquence, celle du mur lui-même, auraient été transférées par le jeu de la prescription acquisitive qui constitue, en tout état de cause, la preuve irrécusable de la qualité de propriétaires des époux G. qu'aucune preuve ou présomption contraire ne saurait désormais détruire ;

Attendu qu'il apparaît en effet que depuis 1924, date de construction du mur litigieux, et jusqu'à la contestation s'étant élevée en 1980, les auteurs de T. G. (R. P. puis sa veuve) et G. lui-même aux droits duquel se trouve son épouse, ont exercé sur les terres formant l'assise du mur sud-est de leur propriété et sur celles éventuellement comprises entre leur propriété et ladite assise, ainsi que sur le mur lui-même, une possession, absente de vice et répondant aux conditions édictées par les articles 2047 et suivants du Code civil, qui a eu pour effet, le cas échéant, de leur faire acquérir la propriété de ces biens immobiliers par usucapion trentenaire sinon décennale ;

Attendu que cette possession s'est manifestée au premier chef par les opérations de remblaiement effectuées pour la mise à niveau de la propriété Palais de la Mer, ces opérations ayant eu pour effet de déverser et d'appuyer des terres sur le mur sud-est dont il est constant qu'il jouait, à tout le moins à sa base, le rôle d'un mur de soutènement ;

Que d'autres éléments montrent encore que la partie de terrain et le mur litigieux ont fait l'objet d'une appréhension matérielle : dallage de la cour du patio venant s'appuyer sur le mur, mise en place d'une fontaine qui y est scellée, adossement de deux jardinières, plantations importantes chevauchant la crête du mur, tuyauterie d'arrosage scellée au mur, etc. ;

Que cette possession est par ailleurs légalement présumée faite à titre de propriétaire et être dénuée de vices ;

Qu'à cet égard, l'argument tiré de la sommité inclinée du mur ne saurait être utilisé pour soutenir que la possession serait équivoque, dès lors que le constructeur du mur a pu façonner ainsi cette sommité pour éviter l'écoulement d'eaux de pluies dans le patio, sans pour autant avoir agi comme s'il n'était pas propriétaire ;

Que pas davantage il ne saurait être soutenu que les emprises en matière de canalisations résultent d'une tolérance qui s'oppose à la possession puisque l'examen de l'acte du 9 juin 1959 invoqué fait apparaître que si P. avait été autorisé avant l'année 1938 à faire passer dans la propriété - actuellement Le Colisée - une canalisation, il s'agissait d'une canalisation « de tout-à-l'égoût », qui ne figure pas au nombre des emprises invoquées pour établir la possession, et dont le passage était au surplus autorisé « le long du mur sud de ladite propriété », ledit mur n'étant pas concerné par le présent litige ;

Attendu, en conséquence, que les conditions de la possession ainsi analysée ont eu pour effet de rendre G. propriétaire du sol sur lequel est édifié le mur sud-est du Palais de la Mer ainsi que du mur lui-même, de telle sorte que la ligne divisoire des fonds contigus passe le long de la partie extérieure dudit mur privatif compris dans la propriété G. ;

Qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande visant à établir un procès-verbal de bornage dans les termes du dispositif ci-après ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit que le mur d'orientation sud-est par rapport à la propriété connue sous le nom de « Palais de la Mer », situé à la limite de cette propriété et de celle de la Société « Le Colisée », appartient exclusivement à N. I. veuve G. venant aux droits de ses auteurs ;

Dit en conséquence que la ligne divisoire de ces propriétés contiguës passe le long de la partie extérieure du mur privatif ci-dessous désigné, compris dans la propriété G. ;

Désigne André Depéri, architecte, demeurant . à l'effet de dresser, conformément aux dispositions du présent jugement, un procès-verbal de bornage et de délimitation des propriétés concernées avec plan à l'appui sur lequel seront cotées les mesures et distances et figureront les emplacements des bornes à planter, ces documents devant être déposés au Greffe général dans les deux mois du présent jugement ;

Dit que les frais et honoraires afférents au procès-verbal de bornage exclusivement - qui sera effectué en présence des parties où elles seront dûment appelées - seront partagés par moitié entre elles ;

Dit qu'en cas d'empêchement de l'architecte ainsi désigné ou de refus de sa part d'accomplir la mission qui lui a été dévolue, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe J.-Ch. Marquet et Boéri, av. déf. ; Champsaur, av. (Barreau de Nice).

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25409
Date de la décision : 04/02/1988

Analyses

Droit de propriété


Parties
Demandeurs : G., I., Copropriété du Palais de la Mer
Défendeurs : S.A.M. « Le Colisée ».

Références :

Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1988-02-04;25409 ?

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