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03/12/1987 | MONACO | N°25390

Monaco | Tribunal de première instance, 3 décembre 1987, Dame A. c/ Dame R.


Abstract

Contrat de travail

Faute de l'employeur - Rupture unilatérale par l'employé - Indemnité de préavis et dommages-intérêts dus par l'employeur

Résumé

L'apposition par l'employeur sur des contrats commerciaux d'une fausse signature imitant celle d'une employée, nominativement désignée dans ces documents, à des fins mercantiles, constitue en soi un comportement fautif justifiant que cette employée ait rompu unilatéralement le contrat de travail comme l'article 6 de la loi n. 729 du 16 mars 1963 l'y autorisait sans avoir à observer le délai-congé

prévu par l'article 8 de ladite loi, dès lors que la faute commise par son employeur la...

Abstract

Contrat de travail

Faute de l'employeur - Rupture unilatérale par l'employé - Indemnité de préavis et dommages-intérêts dus par l'employeur

Résumé

L'apposition par l'employeur sur des contrats commerciaux d'une fausse signature imitant celle d'une employée, nominativement désignée dans ces documents, à des fins mercantiles, constitue en soi un comportement fautif justifiant que cette employée ait rompu unilatéralement le contrat de travail comme l'article 6 de la loi n. 729 du 16 mars 1963 l'y autorisait sans avoir à observer le délai-congé prévu par l'article 8 de ladite loi, dès lors que la faute commise par son employeur la dispensait de satisfaire à ce préavis.

Les indemnités de rupture légales sont limitées par la loi n. 845 du 27 juin 1968 au cas de licenciement effectif du salarié par l'employeur et ne sauraient être allouées au cas d'espèce.

L'employeur demeure tenu au versement de l'indemnité dite de préavis et à des dommages-intérêts destinés à compenser le préjudice consécutif à la rupture des relations contractuelles, due à la faute de l'employeur.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que le tribunal, statuant sur l'appel régulier en la forme, interjeté le 13 avril 1987 par J. A. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail en date du 19 février 1987 signifié le 3 avril suivant, lequel, dans l'instance l'opposant à son ancienne employée G. R., a prononcé la résolution judiciaire du contrat de travail ayant lié les parties aux torts exclusifs de l'employeur avec toutes conséquences de droit et, faisant droit aux demandes en paiement des indemnités de rupture (indemnités compensatrices d'un préavis de deux mois, indemnités de congédiement et de licenciement) et de dommages-intérêts devant réparer le préjudice subi, a condamné J. A. à payer les sommes de 66 858,19 F et 70 000 F, soit 136 858,19 F au total, a débouté la demanderesse pour le surplus et a condamné J. A. aux dépens ;

Attendu que pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges ont relevé comme constant que l'employeur a utilisé sans son consentement, en l'imitant, la signature de son employée sur des documents commerciaux l'engageant vis-à-vis d'un client (en l'espèce le gouvernement marocain), et ont énoncé que le fait d'apposer la fausse signature de la secrétaire G. R., à l'insu de celle-ci, sur des documents commerciaux internationaux, constitue à lui seul une faute contractuelle imputable à l'employeur, sans égard pour la fausse qualité que la salariée a pu prendre par ailleurs en connaissance de cause, à la demande de l'employeur, pour ce genre d'affaires ; qu'ils ont considéré que cette faute revêtait un caractère de gravité tel qu'elle interdisait la poursuite des liens contractuels nés de la relation de travail entre les parties, du fait de la perte de confiance de la préposée en son employeur ;

Que le Tribunal du travail, faisant droit à la demande de G. R., a ordonné en conséquence la résolution du contrat de travail en l'analysant en un licenciement imputable à l'employeur sans faute grave de la salariée, ni motif valable, et a fait droit dans ces conditions aux demandes tendant pour l'essentiel au paiement des indemnités légales de rupture, excepté une indemnité de congés payés non étayée par des éléments de preuve ;

Qu'il a jugé par ailleurs que la résolution contractuelle de l'espèce équivalait à une rupture abusive du contrat de travail du fait de l'employeur ouvrant droit au paiement de dommages-intérêts, qu'il a octroyés en considération de la situation de G. R. et du préjudice moral et matériel par elle subi ;

Attendu qu'en appel J. A. poursuit l'infirmation du jugement et demande au Tribunal d'appel de juger que la rupture du contrat de travail ne résulte pas de sa propre faute mais d'une démission de l'employée, laquelle n'a d'ailleurs pas respecté le délai de préavis, en sorte qu'elle devrait être déboutée de ses demandes ; que, si une faute devait être retenue à sa charge, J. A. demande à titre subsidiaire la réduction aux sommes respectives de 6 063,20 F et 24 555,96 F des indemnités de congédiement et de licenciement allouées par le tribunal en fonction d'une ancienneté erronée ; que, sur les dommages-intérêts octroyés, l'appelante observe qu'aucun préjudice n'est établi ;

Que J. A. indique, à l'appui de ses prétentions, que son employée a accepté de signer un marché de fournitures avec le gouvernement marocain, le 17 octobre 1983, où elle apparaissait faussement comme directrice de l'entreprise, afin de permettre la passation dudit marché qui risquait de ne pas se conclure si un rapprochement pouvait être effectué par le client entre les Maisons A. Casablanca et A. Monaco ; qu'elle explique que, pour répondre dans les délais à de nouveaux appels d'offres lancés par ce même client en juillet 1984, la signature contrefaite de G. R. a dû être apposée sur trois marchés du 30 juillet 1984 établis depuis le Maroc, puis a ensuite été portée sur les factures afférentes ;

Qu'elle prétend que l'employée était informée de cette situation puisqu'un premier marché avait été signé par elle en 1983 et qu'elle ne pouvait dès lors manquer de comprendre qu'elle devenait ainsi l'interlocuteur direct du gouvernement marocain ;

Que l'appelante reproche au Tribunal du travail de n'avoir pas pris ces éléments en considération et donc de n'avoir pas retenu que G. R., qui souhaitait en réalité démissionner de son poste, a tenté par des manœuvres de faire croire à une rupture imputable à l'employeur ;

Que, subsidiairement, l'appelante estime établir que l'ancienneté de son employée à son service est de 8 années seulement et non 26 comme l'a par erreur retenu le Tribunal du travail, circonstance qui doit nécessairement retentir, selon elle, sur les montants des indemnités et dommages-intérêts alloués en première instance ;

Attendu que G. R. poursuit, pour sa part, la confirmation du jugement entrepris, excepté du chef des dommages-intérêts ; que, formant appel incident, elle élève à ce titre sa demande à 150 000 F ; qu'elle reconnaît toutefois dans les motifs de ses écrits judiciaires que son ancienneté au service de J. A. est de 102 mois (soit 8,5 années) mais n'en sollicite pas moins dans ces mêmes conclusions la confirmation de ce chef du jugement entrepris ; qu'elle apparaît toutefois avoir renoncé à maintenir cette demande à la barre ;

Que l'intimée fait valoir pour l'essentiel que les explications fournies par l'appelante, qu'elle dénie expressément, ne sont étayées par aucun élément probant et sont au surplus illogiques dans la mesure où son consentement allégué n'aurait nullement nécessité l'imitation par autrui de sa signature ; qu'elle remarque, en ce qui concerne le contrat de 1983 qu'elle admet avoir signé, qu'elle apparaît dans ce document sous sa véritable qualité de secrétaire de direction et non comme directrice de l'entreprise ; qu'elle estime que cet épisode ne peut être rapproché des circonstances ultérieures ayant conduit à l'établissement par l'employeur de documents commerciaux de nature à engager sa responsabilité, comportant fausses qualité et signature, dans le dessein d'obéir à des « raisons administratives » à propos desquelles il n'est avancé aucune explication ;

Que, sur le montant des dommages-intérêts réclamés, l'intimée soutient être encore au chômage et ne percevoir, pour un bref délai d'ailleurs, que des indemnités d'A.S.S.E.D.I.C. à un taux inférieur au taux habituel ;

Sur quoi,

Attendu qu'il est constant, ainsi que les premiers juges l'ont relaté dans leur jugement du 22 mai 1986 avant dire droit, dont appel -, que G. R., entrée au service de J. A. le 2 mai 1977, a informé son employeur par courrier du 24 septembre 1985 de son intention de ne pas reprendre son travail au terme de son arrêt maladie fixé à fin octobre 1985 ; qu'il n'est pas contesté que l'employée, comme elle l'avait annoncé, n'a plus reparu à son poste de travail ;

Attendu que ces circonstances établissent que G. R., manifestant ainsi sa volonté de ne pas poursuivre les relations de travail, a rompu unilatéralement le contrat la liant à J. A., comme l'article 6 de la loi n. 729 du 16 mars 1963 l'autorisait d'ailleurs à le faire ;

Attendu que cette rupture apparaît ainsi être intervenue avant que G. R. ait requis - et a fortiori obtenu - la résolution judiciaire dudit contrat ; qu'il s'ensuit que le Tribunal du travail ne pouvait ordonner la résolution judiciaire de ce contrat déjà rompu unilatéralement ; que leur décision doit donc être réformée de ce chef ;

Attendu cependant, sur les circonstances de cette rupture, que le Tribunal du travail a fait une exacte appréciation des agissements de l'employeur qu'il a justement estimé constitutifs d'une faute grave faisant obstacle à la poursuite des liens contractuels ; qu'en effet, l'apposition par l'employeur, sur des contrats commerciaux, d'une fausse signature imitant celle de l'employée, nominativement désignée par ailleurs dans ces documents, constitue en soi un comportement gravement fautif justifiant la rupture immédiate des relations de travail, étant relevé qu'il n'est pas établi que l'employée ait consenti à cette manœuvre, la référence au marché d'octobre 1983, où l'intimée apparaît tantôt comme directrice et tantôt sous sa véritable qualité au sein de l'entreprise, s'avérant à cet égard sans aucune portée ;

Attendu en conséquence que G. R. était parfaitement en droit de dénoncer le contrat de travail sans observer le délai-congé prévu par l'article 8 de la loi n. 729 précité, dès lors que la faute commise par son employeur la dispensait de satisfaire à ce préavis ;

Attendu qu'en l'absence de résolution judiciaire, le Tribunal du travail ne pouvait assimiler cette notion avec celle, au demeurant tout à fait distincte, de licenciement, ni en déduire que ce « licenciement », assimilable à celui prononcé sans motif valable et hors toute faute grave de la salariée, ouvrait droit aux indemnités de congédiement et de licenciement ;

Attendu, en effet, que les conditions d'octroi de ces indemnités sont limitées par la loi n. 845 du 27 juin 1968 au cas de licenciement effectif du salarié par l'employeur ; qu'elles ne sauraient donc être allouées lorsque c'est le salarié qui a usé de son droit de rupture, perdant alors toute vocation à ces indemnités ;

Attendu, en ce qui concerne le délai-congé, que l'employeur, dont il a été dit qu'il était par sa faute responsable de la rupture du contrat, apparaît tenu de verser à G. R. l'indemnité dite de préavis, telle que définie par l'article 11 de la loi n. 729 précité, à laquelle tout travailleur a droit en vertu de l'article 7 de cette même loi ; qu'il y a lieu à ce titre de confirmer la décision entreprise ayant alloué la somme de 13 656 F à G. R., à titre de deux mois de préavis et celle de 1 365 F à titre d'indemnité de congés payés sur préavis ;

Attendu, par ailleurs, que la décision par laquelle il a été octroyé à l'intimée les sommes de 1 853,92 F à titre d'indemnité de congés payés de cinquième semaine et de 4 509,27 F au titre d'un salaire restant dû sur la période de maladie du 10 septembre 1985 au 27 octobre 1985, n'a pas été critiquée par l'appelante dans la partie subsidiaire de ses écrits judiciaires ; que cette décision doit donc être confirmée de ces chefs ;

Attendu que, pour sa part, l'intimée n'a pas formé appel incident de la partie du jugement l'ayant déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité de congés payés pour la période du 1er mai au 28 octobre 1985 ;

Attendu, sur la demande en paiement de dommages-intérêts, que parmi les éléments d'appréciation soumis au tribunal, il y a lieu de retenir, non pas l'ancienneté de 26 ans dont ont tenu compte les premiers juges, mais celle de 8,5 années dûment établie par les pièces du dossier ;

Que le préjudice causé à G. R. par la faute de J. A. est directement lié à la perte brusque de l'emploi stable qu'elle occupait, dont l'employeur est à l'origine directe ;

Que ce préjudice doit en particulier compenser les difficultés et désagréments de tous ordres liés à la recherche d'un nouvel emploi, avec les aléas que cette recherche comporte, étant observé que dans ses écrits du 5 juin 1987 G. R. affirmait sans être contredite être encore au chômage ;

Qu'en considération des divers éléments en sa possession, le Tribunal d'appel estime devoir élever à 100 000 F le montant des dommages-intérêts destinés à compenser le préjudice consécutif à la rupture, justifiée par la rupture de l'employeur, des relations contractuelles ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

Le Tribunal,

Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail par jugement contradictoire,

Déclare l'appel recevable en la forme ;

Au fond, réformant la décision entreprise de ces chefs ;

Constate que G. R. a légitimement exercé son droit de rupture unilatérale du contrat de travail la liant à J. A. ;

Dit que cette rupture n'ouvre pas droit aux indemnités de congédiement et de licenciement octroyées par les premiers juges ;

Confirme le jugement entrepris du 19 février 1987 en ce qu'il a condamné J. A. à payer à G. R. les sommes respectives de 13 656 F, 1 365 F, 1 853,92 F et 4 509,27 F des chefs mentionnés aux motifs, soit au total 21 384,19 F ;

L'amendant du chef des dommages-intérêts alloués ;

Élève à 100 000 F la somme que J. A. devra verser à ce titre à G. R. ;

Composition

MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. ; MMe Marquilly et Sbarrato, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25390
Date de la décision : 03/12/1987

Analyses

Contrats de travail ; Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : Dame A.
Défendeurs : Dame R.

Références :

loi n. 845 du 27 juin 1968
article 6 de la loi n. 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-12-03;25390 ?

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