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09/07/1987 | MONACO | N°25359

Monaco | Tribunal de première instance, 9 juillet 1987, S.A.M. Eaton c/ Dame E.


Abstract

Procédure

Jugement interlocutoire - Appel recevable

Contrat de travail

Licenciement - Ordre de priorité - Appartenance à une même catégorie professionnelle

Résumé

Le jugement du Tribunal du travail qui ordonne une expertise à l'effet de rechercher si une secrétaire, reprochant à son employeur de l'avoir licenciée sans respecter l'ordre des priorités prévu par l'article 6 de la loi n. 629, du 17 juillet 1957, aurait pu être affectée avec le même classement dans des fonctions de secrétariat différentes exercées par d'autres em

ployées d'une ancienneté inférieure, tandis que ledit employeur conteste la validité de cette mesure d...

Abstract

Procédure

Jugement interlocutoire - Appel recevable

Contrat de travail

Licenciement - Ordre de priorité - Appartenance à une même catégorie professionnelle

Résumé

Le jugement du Tribunal du travail qui ordonne une expertise à l'effet de rechercher si une secrétaire, reprochant à son employeur de l'avoir licenciée sans respecter l'ordre des priorités prévu par l'article 6 de la loi n. 629, du 17 juillet 1957, aurait pu être affectée avec le même classement dans des fonctions de secrétariat différentes exercées par d'autres employées d'une ancienneté inférieure, tandis que ledit employeur conteste la validité de cette mesure d'instruction comme portant atteinte à son pouvoir de direction, revêt un caractère interlocutoire par application de l'article 4, alinéa 2, de l'ordonnance du 21 mars 1909, sur l'appel comme préjugeant du fond et peut en conséquence faire l'objet d'un appel avant le jugement définitif.

Si la notion de catégorie professionnelle impose au juge de se livrer dans certaines situations à une recherche ponctuelle, tenant compte des spécificités propres à chaque entreprise, il demeure que le regroupement légal des divers emplois en catégories déterminées suppose que ceux-ci impliquent l'accomplissement de fonctions communes rémunérées à un niveau comparable pour chaque catégorie.

Il importe, en vertu des dispositions de l'article 6, de la loi d'ordre public n. 629 susvisée, dont l'application éventuelle prévaut sur les considérations internes invoquées par l'employeur quant à l'organisation de son entreprise, de rechercher si des employés remplissaient des fonctions de même nature pour un salaire sensiblement équivalent dont les tâches spécifiques tant quantitatives que qualitatives pouvaient ou non justifier leur appartenance à une catégorie professionnelle distincte de celle dont relevait la secrétaire licenciée.

Motifs

LE TRIBUNAL, STATUANT COMME JURIDICTION D'APPEL

Attendu que le tribunal, statuant sur l'appel régulier en la forme, d'un jugement du Tribunal du travail en date du 10 juillet 1986, non signifié, ledit tribunal, saisi par R. E., ayant exercé les fonctions d'agent administratif au service de la S.A.M. Eaton qui l'a licenciée avec effet au 23 août 1984 pour cause économique de suppression de poste, d'une demande en paiement d'indemnités de licenciement et de dommages-intérêts formée contre son ancien employeur sur le fondement de l'irrespect par celui-ci des prescriptions de l'article 6 de la loi n. 629 du 17 juillet 1957 établissant un ordre de licenciement, a relevé que les parties étaient contraires en fait sur le contenu et les équivalences de la catégorie professionnelle à laquelle se rattache R. E. pour l'application de l'article 6 précité, sauf à admettre que celle-ci était affectée au secrétariat du service de coordination des ventes et classée au coefficient 285, échelon 3, niveau IV, a estimé qu'il lui appartenait de répondre à la question de savoir si, dans la catégorie professionnelle des employés administratifs, filière secrétariat, l'intéressée pouvait être mutée, compte tenu de sa classification, à l'un des postes de secrétaire occupé par d'autres secrétaires, nommément désignées, d'une ancienneté inférieure à la sienne, a énoncé ne pouvoir utilement répondre à cette question à défaut d'éléments d'appréciation suffisants et a ordonné d'office une mesure d'expertise confiée à Madeleine Boni en demandant à ce mandataire de justice, notamment, de déterminer si R. E. pouvait ou non présenter les capacités requises pour tenir l'un des emplois occupés par Mesdames C., M. ou R. affectées, avec le même classement, dans des départements différents de l'entreprise, de comparer les fonctions de ces secrétaires avec celles que remplissait R. E. et de dire si celle-ci pouvait être affectée, eu égard à ses antécédents et aux besoins du service concerné, à l'un de ces emplois, de rechercher, enfin, d'éventuelles permutations entre secrétaires de même niveau qui seraient intervenues dans l'entreprise Eaton entre 1979 et 1984, en précisant le cas échéant la durée nécessaire de la période d'adaptation ;

Attendu que la Société Eaton a interjeté appel de ce jugement ;

Qu'elle indique que le service de gestion des commandes auprès duquel l'intimée occupait les fonctions de secrétaire depuis 1979 a dû être réorganisé, en ce sens que le poste de secrétaire commerciale est devenu quasiment inutile du fait de l'informatisation du service ; qu'elle estime que le licenciement intervenu n'est pas critiquable dans la mesure où l'article 6 n'aurait pu recevoir application que si d'autres agents relevant de la même catégorie professionnelle étaient employés dans le même département que l'intimée - ce qui n'était pas le cas - et qu'il ne saurait être exigé d'un employeur, qui est maître de l'organisation et du fonctionnement de son entreprise, la destructuration d'autres secteurs qui procèderait nécessairement du licenciement d'employés aux fonctions similaires ;

Que l'appelante fait grief au Tribunal du travail d'avoir imparfaitement posé la question à trancher, laquelle impose de juger préalablement s'il peut être imposé à un employeur, ayant décidé de réorganiser un service dans lequel l'intéressée était seule à accomplir les fonctions de secrétaire du contrôle des ventes, d'appliquer l'article 6 précité au détriment de l'organisation des autres services, alors au surplus que R. E. n'aurait pu exercer les fonctions dévolues aux autres secrétaires désignées ; qu'elle en déduit que l'expertise, qui préjudicie du fond de l'affaire, est inutile et que la décision du Tribunal du travail, qui porterait atteinte aux pouvoirs de direction et de contrôle de l'employeur en ce qu'elle imposerait une restructuration non décidée par lui, n'a pas lieu d'être maintenue ; qu'elle demande en conséquence au Tribunal d'appel de juger que les dispositions de l'article 6 de la loi n. 629 sont inapplicables en l'espèce et que la notion de catégorie professionnelle doit être fixée en fonction de critères spécifiques extérieurs à ceux fixant la position hiérarchique du salarié ;

Attendu que l'intimée conclut pour sa part à la confirmation du jugement attaqué en faisant valoir, en particulier, que sa catégorie professionnelle ne se limite pas au seul service où elle était affectée lors du licenciement mais comprend l'ensemble des secrétaires des différents services de l'entreprise, regroupées sous l'appellation d' « agents administratifs », en sorte que parmi ces secrétaires certaines auraient dû être licenciées à sa place puisque bénéficiant d'un rang inférieur au sien ;

Qu'elle précise que la notion de catégorie professionnelle ne se définit pas en fonction de tâches particulières qui lui étaient confiées au département des ventes mais par rapport à sa qualification professionnelle ;

Que sans discuter la décision d'ordre économique prise par l'employeur, l'intimée lui reproche de n'avoir pas respecté l'ordre des priorités de licenciement prévu par la loi et de ne l'avoir pas mutée dans un emploi de même catégorie professionnelle, c'est-à-dire de même nature et de même coefficient, ainsi que la jurisprudence le commanderait ;

Qu'elle conteste enfin les affirmations - avancées pour la première fois par l'employeur en cours d'instance - selon lesquelles elle ne disposerait pas des capacités professionnelles nécessaires pour occuper l'un des postes maintenus ;

Attendu qu'en réponse la Société Eaton soutient que la catégorie professionnelle mentionnée par l'article 6 de la loi n. 629 se distingue de la classification professionnelle à laquelle se réfère l'intimée et confirme que le poste supprimé était le seul relevant de la catégorie professionnelle de R. E. ; qu'elle prétend qu'il était impossible, à peine de désorganiser gravement l'entreprise, de muter l'intéressée à l'un des postes occupés par les personnes citées, lesquelles accomplissent des fonctions spécifiques que l'intimée n'était pas en mesure de remplir ;

Attendu qu'en réplique, celle-ci, tout en maintenant ses écrits antérieurs, observe que la Société Eaton tente de la discréditer sur le plan de ses qualités professionnelles et remarque qu'elle n'avait fait l'objet d'aucun reproche lorsqu'elle se trouvait au service de cette entreprise ;

Sur quoi,

Attendu qu'il apparaît des circonstances de la cause que l'expertise ordonnée avant dire droit par le Tribunal du travail préjuge du fond de l'affaire, ce que l'intimée n'a au demeurant pas contesté ; qu'il s'ensuit que le jugement entrepris, réputé interlocutoire par l'application de l'article 4, alinéa 2, de l'ordonnance du 21 mai 1909 sur l'appel, peut faire l'objet d'un appel avant le jugement définitif, d'où il suit que l'appel est recevable ;

Attendu que si la notion de catégorie professionnelle, plus complexe à appréhender à l'heure actuelle que lors de l'intervention législative de 1957, impose désormais de se livrer dans certaines situations à une recherche ponctuelle tenant compte des spécificités propres à chaque entreprise, il demeure que le regroupement légal des divers emplois en catégories déterminées suppose que ceux-ci impliquent l'accomplissement de fonctions communes rémunérées à un niveau comparable pour chaque catégorie ;

Attendu qu'il convient donc de rechercher en l'espèce, compte tenu de la discussion instaurée en fait par l'appelante, si, lors du licenciement de l'intimée, la Société Eaton employait des salariés, remplissant des fonctions de même nature pour un salaire sensiblement équivalent, dont l'importance tant quantitative que qualitative des tâches spécifiques à leur emploi par ailleurs accomplies par eux, pouvait ou non justifier leur appartenance à une catégorie professionnelle distincte de celle dont relevait l'intimée ;

Que cette recherche est en effet commandée par les dispositions de l'article 6 de la loi d'ordre public n. 629 du 17 juillet 1957 dont l'application éventuelle prévaut sur les considérations internes invoquées par l'employeur quant à l'organisation de son entreprise ;

Attendu en conséquence que le principe de l'expertise ordonnée par les premiers juges doit être maintenu - le tribunal ne disposant pas davantage en appel des éléments d'appréciation qui lui sont nécessaires - sauf à compléter la mission confiée à l'expert dans les termes du dispositif ci-après ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges ;

Le Tribunal,

Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Confirme le jugement entrepris du 10 juillet 1986 en ce qu'il a ordonné une expertise confiée à Madeleine Boni aux frais avancés par chacune des parties, désigné Monsieur Rosselin pour en suivre les opérations, et réservé les droits des parties ainsi que les dépens ;

L'émendant du chef de la mission confiée à l'expert commis ;

Dit que ce mandataire de justice aura en outre, pour mission essentielle :

* de rechercher si les trois secrétaires visées, ou d'autres salariés le cas échéant, d'une part accomplissaient des fonctions et percevaient une rémunération comparables à celles de R. E. lors de son licenciement, d'autre part exécutaient en outre des tâches spécifiques à leur emploi ;

* de décrire dans ce cas la nature et l'importance de ces tâches et de fournir au tribunal tous éléments lui permettant de se prononcer sur l'appartenance éventuelle desdites secrétaires à une catégorie professionnelle distincte de celle dont relevait l'intimée ;

* de fournir, pour chaque salarié concerné, tous éléments sur leur nationalité, domicile et ancienneté ;

Déboute la Société Eaton de ses prétentions ;

Composition

MM. Landwerlin, vice-près. ; Serdet, subst. ; MMe Léandri et Marquilly, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25359
Date de la décision : 09/07/1987

Analyses

Social - Général ; Contrats de travail


Parties
Demandeurs : S.A.M. Eaton
Défendeurs : Dame E.

Références :

article 4, alinéa 2, de l'ordonnance du 21 mai 1909
article 4, alinéa 2, de l'ordonnance du 21 mars 1909
article 6 de la loi n. 629 du 17 juillet 1957


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-07-09;25359 ?

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