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04/06/1987 | MONACO | N°25349

Monaco | Tribunal de première instance, 4 juin 1987, C. c/ S.C.I. « Villa Flor ».


Abstract

Baux d'habitation

Droit de préemption du locataire - Apport social - Cession à titre onéreux (non).

Résumé

Le locataire d'une villa, laquelle fait l'objet de la part des copropriétaires indivis d'un apport en société, ne peut se prévaloir à l'encontre de ceux-ci d'un droit de préemption tiré de l'article 40, de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959, accordé au cas de « cession à titre onéreux ».

En effet, cette disposition dérogatoire au droit commun dans la mesure où elle porte atteinte à la libre disposition des biens d

oit être interprétée strictement comme visant la situation d'une vente et non point un apport socia...

Abstract

Baux d'habitation

Droit de préemption du locataire - Apport social - Cession à titre onéreux (non).

Résumé

Le locataire d'une villa, laquelle fait l'objet de la part des copropriétaires indivis d'un apport en société, ne peut se prévaloir à l'encontre de ceux-ci d'un droit de préemption tiré de l'article 40, de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959, accordé au cas de « cession à titre onéreux ».

En effet, cette disposition dérogatoire au droit commun dans la mesure où elle porte atteinte à la libre disposition des biens doit être interprétée strictement comme visant la situation d'une vente et non point un apport social.

Si un apport en société d'un bien a pour effet d'en transférer la propriété, ce transfert apparaît insuffisant pour caractériser un contrat de vente lequel suppose paiement du prix de la chose par l'acquéreur, ou en l'occurrence par le préempteur.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que par acte de Maître J.-C. Rey, notaire à Monaco, du 11 mars 1982, E. G., J. G. veuve L., G. L. épouse E., R. L. épouse C., J.-E. L., G. A. veuve L. et H. L. épouse M. ont formé entre eux une société civile particulière à objet immobilier dénommée « Société civile immobilière Vallon de la Rousse » ;

Qu'ils ont fait apport à cette société, le jour même de sa constitution, d'une villa dénommée Villa V. B. sise à Monte-Carlo dont ils se trouvaient copropriétaires indivis dans des proportions diverses ; que le capital social, correspondant au montant des apports effectués par chacun des associés, a été fixé à 3 144 000 F et divisé en 160 parts d'intérêts réparties entre les associés en proportion de leur apport respectif ;

Que la propriété et la jouissance de la villa apportée ont été transférées dès le 11 mars 1982 à la S.C.I. Vallon de la Rousse, l'acte mentionnant que la villa est actuellement occupée par C. C. ;

Attendu que par acte distinct de Maître J.-C. Rey, également daté du 11 mars 1982, les associés de la S.C.I. Vallon de la Rousse, à l'exception de J.-E. L., ont cédé à la S.C.I. dénommée « Villa Flor » tous les droits leur appartenant dans le capital de la S.C.I. Vallon de la Rousse - la cession portant ainsi sur 130 parts au total - moyennant le prix de 2 554 500 F ;

Attendu que suivant acte sous seings privés à Monaco en date du 11 mars 1985 enregistré le 11 avril suivant, J.-E. L., qui demeurait titulaire de 30 parts d'intérêts dans le capital de la S.C.I. Vallon de la Rousse, les a cédées à son associée la S.C.I. Villa Flor pour le prix de 589 500 F ;

Que cette société, réunissant de ce fait les 160 parts représentant l'intégralité du capital de la S.C.I. Vallon de la Rousse, s'est ainsi trouvée seule titulaire de l'actif social composé de la villa V. B. ;

Que par acte Rey du 2 avril 1985, il a donc été constaté que la S.C.I. Vallon de la Rousse se trouvait dissoute de plein droit, la S.C.I. Villa Flor - unique associée - devenant propriétaire des biens composant le patrimoine social, soit en fait l'immeuble ci-dessus désigné dénommé « Villa V. B. » ;

Attendu que par l'exploit susvisé du 23 octobre 1986, C. C., locataire occupant de la Villa V. B., qui expose avoir eu connaissance de l'origine de propriété de ce bien immobilier à l'occasion de correspondances faisant suite à un congé qui lui a été délivré par son propriétaire, et soutient que l'apport de la villa par les hoirs G.-L. à la S.C.I. Vallon de la Rousse ne lui a pas été dénoncé et a été réalisé au mépris du droit de préemption qu'il tient de l'article 40 de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959, a fait assigner la S.C.I. Villa Flor pour que le tribunal juge que l'apport effectué par l'hoirie G.-L. au profit de la S.C.I. Vallon de la Rousse, aux droits de laquelle se trouve actuellement la S.C.I. Villa Flor, s'analyse en une vente, dise qu'il bénéficiait à ce titre d'un droit de préemption qu'il n'a pas été mis en situation d'exercer, annule en conséquence ledit apport, lui donne acte, enfin, de ce qu'il entend acquérir la villa qu'il occupe aux prix et conditions « correspondant à l'apport en société » et de ce qu'il se réserve de réclamer réparation du préjudice résultant du congé délivré en l'état d'une qualité de propriétaire manifestement irrégulière ;

Attendu que pour conclure au rejet de ces diverses demandes, la S.C.I. Villa Flor fait valoir pour l'essentiel :

* que l'apport en société échappe au droit de préemption consacré par l'article 40 de l'ordonnance-loi n. 669 précitée, lequel ne vise en réalité que la vente du bien occupé par le locataire ;

* que l'acquisition de la Villa V. B. par la Société Villa Flor se situe dans le cadre d'une opération précise de remembrement immobilier, prévue et réglementée par la législation monégasque, en vue de l'édification d'un nouvel immeuble devant remplacer les constructions anciennes, cette opération étant exclusive du droit de préemption d'un locataire ;

* que C. ne peut donc reprocher à ses bailleurs, et moins encore à la S.C.I. Villa Flor qui n'est qu'un tiers, d'avoir méconnu son droit de préemption ;

* que sa demande traduit en réalité l'intention de nuire dont il fait preuve en tentant de paralyser sinon d'empêcher l'opération immobilière envisagée ;

Que la S.C.I. Villa Flor forme à cet égard une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts qu'elle entend provisoirement limiter à 1 F, dans l'attente de justifier le moment venu du montant exact de son préjudice ;

Attendu qu'en réponse C. C., qui déclare maintenir ses demandes, affirme que si la vente se distingue de l'apport en société, ce principe connaît une importante exception lorsque l'apport en société a pour objet de faire échec aux droits des tiers ; qu'il estime, au vu du mécanisme juridique employé et de la chronologie des actes passés, que c'est bien le cas en l'espèce et considère avoir été victime de manœuvres dolosives de la part de l'hoirie G.-L. - dont il met en doute l'affectio societatis - avec la complicité de la S.C.I. Villa Flor ;

Sur quoi,

Attendu que la demande de C. est fondée sur le droit de préemption tel qu'il est accordé au locataire par l'article 40 de l'ordonnance-loi n. 669 ; qu'elle tend à ce que le tribunal qualifie d'abord de vente l'apport en société de la Villa V. B. effectué par ses propriétaires indivis, puis juge que C. n'a pas été mis en situation d'exercer son droit ;

Attendu que quelle que soit l'analyse pouvant être donnée en l'espèce audit apport, le tribunal observe que c'est aux anciens propriétaires de la Villa V. B., les hoirs G.-L., que C. reproche de ne l'avoir pas mis en mesure, avant la date effective de l'apport du 11 mars 1982, d'exercer son droit de préemption ;

Attendu que ce grief est justement dirigé contre l'hoirie dès lors qu'aux termes de l'article 40 alinéa 3 de l'ordonnance-loi n. 669, c'est bien en effet au propriétaire qu'incombe l'obligation de permettre au locataire d'exercer son droit ;

Attendu en conséquence que C., qui prétend être titulaire de ce droit, lequel n'aurait pas été respecté en l'espèce, apparaît mal fondé à reprocher à la S.C.I. Villa Flor de n'avoir pas mis en œuvre les formalités prévues par l'alinéa 3 précité de l'article 40, dès lors que cette société - seule défenderesse à la présente instance - n'a réuni l'intégralité des parts sociales de la S.C.I. Vallon de la Rousse, et donc l'actif représenté par la Villa V. B., qu'à la date du 11 mars 1985 à laquelle elle en est devenue propriétaire ;

Attendu en tout état de cause que l'article 40 alinéa 1 ne reconnaît à l'occupant ou au locataire un droit de préemption qu'en cas de « cession à titre onéreux », cette expression devant être entendue au sens d'une vente, ainsi que le précisent les alinéas 2, 3, 4, 5, 6 et 7 dudit article qui se rapportent respectivement à la « cession aux enchères » (ce qui ne peut se concevoir qu'en cas de vente), à « l'acte de vente », à « l'offre de vente », au « vendeur », à la « vente » et encore à l'acte de vente ; que cette interprétation est d'ailleurs admise par C. qui demande que l'apport soit ainsi analysé par le tribunal, nonobstant la stricte interprétation devant être donnée aux dispositions d'exception, dérogatoires au droit commun puisque portant atteinte à la libre disposition des biens, édictées par l'article 40 ;

Attendu que si l'apport du 11 mars 1982 a eu pour effet de transférer la propriété de la villa V. B. à la S.C.I. Vallon de la Rousse, ce transfert est insuffisant à caractériser un contrat de vente, lequel suppose paiement du prix de la chose par l'acquéreur, ou, en l'occurrence par le préempteur ;

Qu'en la cause, un tel paiement n'a pas eu lieu puisque les apporteurs n'ont pas reçu ce prix mais des parts sociales ;

Attendu qu'il s'ensuit que C. ne saurait prétendre, par l'effet du droit de préemption qu'il souhaite exercer en payant la valeur totale de ces apports, substituer un prix d'acquisition aux parts d'intérêts de la société, ce qui aurait pour conséquence de faire échec à un double titre au contrat par lequel les hoirs G.-L. ont entendu constituer entre eux une société civile particulière puisque une telle société suppose à la fois des apports faits à la personne morale et la réunion de deux associés au moins ;

Attendu dès lors qu'il ne peut être reproché à la Villa Flor, qui a fait un exercice légitime de ses droits, une quelconque complicité de fraude, l'opération ayant consisté à apporter le bien litigieux à la S.C.I. Vallon de la Rousse n'étant pas assimilable à une vente et n'ouvrant pas droit, par conséquent, à préemption du locataire ou occupant ;

Attendu que si les demandes de C. doivent être rejetées dans leur ensemble, il ne saurait en être inféré que le demandeur a commis une faute en engageant la présente procédure, ce plaideur ayant légitimement pu se méprendre en l'espèce sur la véritable étendue de ses droits ;

Qu'il y a donc lieu de débouter la S.C.I. Villa Flor de sa demande reconventionnelle ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute C. C. de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;

Déboute la S.C.I. Villa Flor de sa demande reconventionnelle ;

Composition

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Sbarrato et J.-Ch. Marquet, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25349
Date de la décision : 04/06/1987

Analyses

Baux ; Immeuble à usage d'habitation


Parties
Demandeurs : C.
Défendeurs : S.C.I. « Villa Flor ».

Références :

article 40 de l'ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959
ordonnance-loi n. 669 du 17 septembre 1959


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-06-04;25349 ?

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