La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/05/1987 | MONACO | N°25343

Monaco | Tribunal de première instance, 21 mai 1987, Société immobilière Carina c/ S.C.I. Saint-André.


Abstract

Troubles de voisinage

Conditions - Caractère excessif du dommage - Désordres immobiliers - Trouble de jouissance - Dépréciation d'un immeuble

Résumé

Il s'infère implicitement des demandes en dommages-intérêts formées par le propriétaire d'un immeuble qui se plaint de désordres, de dépréciation de la valeur de son bien et de troubles de jouissance subis à la suite de l'exécution des travaux entrepris dans son voisinage par un promoteur immobilier, que le demandeur a nécessairement fondé son action sur la théorie des troubles de voisinage.<

br>
L'application qu'en a faite la jurisprudence veut que le maître de l'ouvrage soit respons...

Abstract

Troubles de voisinage

Conditions - Caractère excessif du dommage - Désordres immobiliers - Trouble de jouissance - Dépréciation d'un immeuble

Résumé

Il s'infère implicitement des demandes en dommages-intérêts formées par le propriétaire d'un immeuble qui se plaint de désordres, de dépréciation de la valeur de son bien et de troubles de jouissance subis à la suite de l'exécution des travaux entrepris dans son voisinage par un promoteur immobilier, que le demandeur a nécessairement fondé son action sur la théorie des troubles de voisinage.

L'application qu'en a faite la jurisprudence veut que le maître de l'ouvrage soit responsable des dommages causés au propriétaire voisin d'un chantier de construction, lorsque ces dommages excèdent la mesure coutumière de ce qui doit être supporté entre voisins.

Des désordres immobiliers caractérisés (fissures) provenant de la mise en place de tirants et de tirs de mines excèdent à l'évidence la mesure des obligations coutumières du voisinage.

Cependant si les tirs de mines ont nécessairement occasionné des nuisances par le bruit, la poussière et les vibrations qui en sont résultés, il faut encore que le trouble de jouissance invoqué puisse être établi, que celui-ci ait excédé les inconvénients normaux de voisinage dans un quartier ayant connu un essor important de construction.

Le bouchage de fissures qui ne peut permettre de recouvrer une liaison parfaite et solide entre les matériaux, ne fait pas disparaître le préjudice résultant de la dépréciation de l'immeuble.

Motifs

LE TRIBUNAL,

I. Par exploit du 9 février 1983, la Société immobilière Carina, propriétaire d'une villa construite sur un terrain mitoyen à celui sur lequel la S.C.I. Saint-André avait entrepris des travaux de démolition et de terrassement en vue de la construction d'un immeuble à gabarit moyen, a assigné cette dernière en homologation des rapports déposés par les experts Jahlan, désigné par ordonnance de référé du 7 décembre 1977 et Palausi, désigné par ordonnance de référé du 17 mai 1978 et a sollicité la condamnation de la défenderesse au paiement des sommes suivantes :

* 180 123 F T.T.C., avec réactualisation au jour du jugement, représentant les travaux de remise en état de la villa consécutifs à l'action des tirants ancrés dans le sous-sol et des tirs de mines ;

* 380 000 F en réparation des troubles de jouissance subis pendant trois ans et deux mois ;

* 39 672,73 F représentant les travaux de réparation des conduites d'eau chaude et de chauffage endommagées lors du chantier ;

* 40 000 F en réparation du trouble de jouissance consécutif à la remise en état des lieux ;

* 300 000 F au titre de la dépréciation subie par la villa du fait du caractère dangereux du passage longeant le mur mitoyen des deux propriétés ;

* 4 000 000 F au titre de la dépréciation subie par la villa du fait des ébranlements que les tirs ont occasionnés aux murs maîtres du bâtiment ;

II. Par exploit du 6 juin 1983, la Société Carina qui expose qu'elle a appris au mois d'avril 1983 à l'occasion d'une procédure en inscription provisoire d'hypothèque que la S.C.I. Saint-André avait vendu le 26 septembre 1978 à la S.C.I. Saint-André II le terrain sur lequel cette dernière a édifié l'immeuble Le Saint-André, a assigné cette dernière société aux fins de s'entendre joindre cette instance, avec celle engagée contre la S.C.I. Saint-André, dire et juger qu'en l'état de la vente précitée, les dommages constatés par l'expert Palausi entre le 26 septembre 1978 et le dépôt du rapport ont été occasionnés par la Société Saint-André II, dire et juger que la S.C.I. Saint-André qui n'a pas signalé cette vente et la S.C.I. Saint-André II qui n'est pas intervenue en cours d'expertise ont agi frauduleusement et de concert entre elles, dire et juger que la S.C.I. Saint-André II venant aux droits et obligations de la S.C.I. Saint-André, doit être condamnée solidairement avec cette dernière à réparer les dommages tels que chiffrés dans l'exploit du 9 février 1983, transformer en inscription définitive, l'inscription provisoire d'hypothèque prise le 1er juin 1983, volume 162, n° 112, prise sur les parties de l'immeuble Saint-André, propriété de la S.C.I. Saint-André II ;

A/ Les conclusions des parties :

Attendu que les parties ont conclu sur ces assignations de la manière suivante :

a) la Société Carina, le 23 mai 1984, rappelle qu'à la suite de l'inscription provisoire d'hypothèque prise le 1er juin 1983, la Société Saint-André II a sollicité et obtenu par ordonnance du 19 juillet 1983 la mainlevée de cette inscription contre la constitution d'une caution bancaire irrévocable d'un montant de 1 500 000 F spécialement affectée au règlement des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ;

Que dans le dispositif de ses conclusions, la Société Carina sollicite qu'il soit fait droit aux fins de l'assignation du 9 février 1983 « ladite assignation étant imputable à la S.C.I. Saint-André II en l'état de sa lettre à M. le Président du Tribunal en date du 6 juillet 1983 » et que soit condamnée « en conséquence » la S.C.I. Saint-André II au paiement des sommes initialement réclamées à la Société Saint-André ainsi qu'aux dépens ;

b) la S.C.I. Saint-André II, le 7 mars 1985, rappelle dans un paragraphe intitulé « État de la procédure » que la S.C.I. Saint-André (sic) a, en qualité de promoteur de l'immeuble Le Saint-André, appelé en intervention forcée et garantie les diverses entreprises ayant œuvré sur le chantier ainsi que leurs compagnies d'assurances, et que la Société Saint-André II (sic) a appelé aux débats - pour que le jugement à intervenir soit rendu à son contradictoire - la Compagnie La Préservatrice - qui l'assure par deux contrats contre les risques de responsabilité civile maître de l'ouvrage et « tous risques chantiers » ; que la S.C.I. Saint-André II sollicite la jonction de l'instance engagée le 9 février 1983 par la Société Carina et celle engagée par la S.C.I. Saint-André le 1er juin 1983 ;

Que discutant au fond les demandes de la Société Carina, la Société Saint-André rappelle tout d'abord que la Société Carina a refusé l'établissement d'un contrat contradictoire de l'état des lieux de la villa Carina préalablement au démarrage du chantier au motif qu'elle avait déjà fait procédé à ce constat par un huissier instrumentaire ;

Qu'abordant les demandes de réparation formulées par la Société Carina la Société Saint-André II estime que :

* en ce qui concerne les travaux de remise en état de la villa chiffrés à 180 123 F par la Société Carina, le chantier n'a pas entraîné la totalité des dégâts relevés par M. B. car, d'une part, il n'existe pas de constat préalable contradictoire et que, d'autre part plusieurs postes ont été soit calculés sans tenir compte de la vétusté (peinture, maçonnerie) soit inscrits sans qu'une relation certaine de cause à effet entre l'existence du chantier et les dégâts constatés ait été établie ; qu'en définitive, la S.C.I. Saint-André II propose d'indemniser la Société Carina pour un montant de 122 855,54 F T.T.C. ;

* en ce qui concerne les troubles de jouissance chiffrés à 380 000 F et 40 000 F par la Société Carina, la villa a été occupée durant tout le chantier et par une seule personne ; la Société Saint-André II estimant que les troubles occasionnés n'ont pas excédé les troubles normaux de voisinage en milieu urbanisé conclut au rejet de ces chefs de demandes ;

* en ce qui concerne la réparation et la modification des conduites d'eau et de chauffage, la Société Saint-André II sollicite le déboutement de ces demandes ;

* en ce qui concerne la dépréciation de la villa, en raison du danger que représenterait le passage longeant le mur mitoyen de l'immeuble Saint-André, que cet immeuble à été construit dans le respect de la réglementation, c'est-à-dire à 4 mètres de la propriété voisine, aucun balcon ne surplombant la villa ;

* en ce qui concerne la dépréciation de la villa consécutive à l'ébranlement de ses fondations, la demande de la Société Carina serait irrecevable car l'expert n'a pas reçu mission d'établir un lien de causalité éventuel entre le chantier et la prétendue dépréciation de la villa ; dans l'hypothèse où le Tribunal examinerait le principe d'une indemnisation de ce chef, la Société Saint-André II relève que l'expert n'a fait qu'évoquer l'incidence de fissures dont l'origine est peut-être plus ancienne sur la stabilité de la villa, sans relever aucune aggravation ou aucune formation de fissures ; que cette société estime que selon les principes jurisprudentiels existants, rien ne permet de déclarer fondée la demande de la Société Carina et ce d'autant moins que la valeur de la villa Carina est constituée essentiellement par son emplacement ;

c) la Société Carina, le 4 décembre 1986, s'oppose à une nouvelle expertise sollicitée par la Société Saint-André II dans une instance en appel en garantie et demande au tribunal de dire et juger que les rapports Jahlan et Palausi ont démontré la mauvaise foi « de la Société Saint-André devenue Saint-André II », de faire droit à l'assignation du 9 février 1983 en homologation des rapports d'expertise et à celle du 6 juin 1983 en validation d'hypothèque et jonction et de condamner la Société Saint-André II aux dépens ;

d) la Société Saint-André II répondant à ces conclusions, fait remarquer que l'inscription provisoire d'hypothèque dont la Société Carina sollicite la « validation » a été levée et remplacée conformément à l'ordonnance de référé du 19 juillet 1983 par une caution bancaire ; qu'en ce qui concerne le déroulement des travaux, elle rappelle que le chantier a été dès le début placé sous mains de justice puisque l'expert Palausi a contrôlé toutes les opérations de construction ;

B/ Les rapports d'expertises :

Attendu qu'il en ressort les éléments suivants :

1. Le rapport de l'expert Jahlan désigné par ordonnance de référé du 7 décembre 1977 rendue à la requête de la Société Carina contre la S.C.I. Saint-André :

L'expert avait reçu mission de visiter la villa Carina, se faire remettre tous plans et documents utiles lui permettant de vérifier plus particulièrement comment ledit immeuble se comporte, comment il est fondé et quelle en est la structure, de décrire son état actuel, de constater son état d'entretien, s'il existe ou non des fissures ou dégradations et, dans l'affirmative, si elles sont imputables à la vétusté ou à l'absence d'entretien, de dresser tout état descriptif ou qualificatif qu'il jugera nécessaire tant dans la villa elle-même que du mur mitoyen séparant les deux propriétés ;

a) au cours du premier accédit du 16 janvier 1987 tenu en l'absence de la Société Saint-André, l'expert a relevé que toutes les constatations faites le 5 décembre 1977 par Maître Escaut-Marquet et concernant l'intérieur de la villa, se sont avérées exactes ; l'expert précise en réponse au 4e point de sa mission que la villa achetée en 1949 par la Société Carina a été en partie restaurée à partir de 1950 sous la direction d'un architecte et qu'en conséquence certaines des fissures ou dégradations actuelles sont plus visibles selon que les pièces ont été restaurées ou non en 1950 (l'expert a dressé la liste des pièces remises à neuf en 1950) ; l'expert conclut que l'ensemble de la villa intra muros est dans un bon état d'entretien et certifie qu'à la date du 17 janvier 1978, date du premier accédit, toutes les fissures ou dégradations existantes sont consignées dans le procès-verbal dressé le 5 décembre 1977 lequel a été plus particulièrement précis en ce qui concerne la zone Est mitoyenne avec la propriété de la Société Saint-André ;

b) lors du deuxième accédit, le 31 janvier 1978, l'architecte chargé par la S.C.I. Saint-André de l'édification de l'immeuble Le Saint-André, a déclaré au nom de sa cliente, que la Société Saint-André acceptait in extenso les constatations effectuées par l'expert lors du premier accédit, le dispensant de réaliser un nouvel état des lieux au contradictoire de la société, et que la Société Saint-André ne ferait aucune réserve sur les conclusions ci-dessus rappelées de l'expert ; une visite de l'état d'entretien de la partie extérieure de la villa a été effectuée au cours de cet accédit au contradictoire de la Société Saint-André ; l'expert a constaté que toutes les observations faites par l'huissier dans son procès-verbal du 15 septembre 1977 sont exactes et n'ont donné lieu à aucune réserve de la part des parties ;

c) après que la Société Saint-André ait renoncé à démolir le mur de clôture mitoyen, l'expert a effectué un constat le 10 mai 1978 à la demande de la Société Carina qui s'était plainte de troubles graves, duquel il ressort que les constatations effectuées par Maître Escaut-Marquet le 27 avril 1978 sont exactes et que de nouvelles dégradations se sont produites depuis cette date notamment le percement de la canalisation des eaux usées de la Société Carina provoqué par des forages dans le tréfonds de la villa en vue de la mise en œuvre de tirants à l'insu des propriétaires de la villa et de l'expert ;

d) au cours d'un dernier accédit tenu le 12 mai 1978, l'architecte de la Société Saint-André reconnaît l'existence de travaux entrepris dans le tréfonds de la villa Carina pour soutenir selon lui le mur mitoyen ; la Société Carina ayant estimé nécessaire d'obtenir une extension de mission de l'expert en raison de ces travaux, l'expert Jahlan a déposé rapport de ses opérations le 17 mai 1978 ;

1. Le rapport de l'expert Palausi désigné par ordonnance de référé du 17 mai 1978 rendue à la requête de la Société Carina contre la Société Saint-André :

L'expert qui avait été autorisé à s'adjoindre un sapiteur avait reçu mission de :

a) constater si des tirants ont été mis en place dans le mur mitoyen et dans le tréfonds de la Société Carina,

b) constater les travaux qui seront effectués dans le tréfonds de la Société Carina et qui n'auraient pas reçu l'agrément de cette société,

c) décrire la situation des lieux, l'état du sol, la nature et l'importance de l'implantation des constructions à entreprendre pour le compte de la Société Saint-André :

* de se faire remettre, par cette dernière société, tous les plans et documents utiles concernant le futur immeuble,

* de dire si leur conception ou les méthodes de terrassement envisagées risquent d'entraîner pour la Société Carina des désordres ou des dégâts,

* de surveiller périodiquement l'état d'avancement des travaux ;

L'expert a rappelé en préambule de son rapport la chronologie des visites qu'il a effectuées avec son sapiteur du 24 mai 1978 au 13 octobre 1981 et les constatations auxquelles il a procédé au fur et à mesure de l'avancement du chantier qu'il avait reçu mission de surveiller ;

Les travaux ayant débuté au mois de décembre 1977 concomitamment à la désignation de l'expert Jahlan, les constatations portant sur l'état de la villa antérieurement à la désignation de l'expert Palausi ont été consignées dans le rapport Jahlan qui a été communiqué à l'expert Palausi et ce dernier a, après l'achèvement des travaux de fouilles et de terrassement et avec l'accord des parties, fait établir un relevé exhaustif des désordres subis par la villa Carina et les a fait évaluer par un métreur-vérificateur ;

Du 24 mai 1978 au 4 septembre 1978, les visites du chantier effectuées par l'expert ont eu pour objet la mise en place de tirants dans le tréfonds de la villa Carina ;

Le 8 août 1978 un protocole d'accord est signé entre la Société Carina et la Société Saint-André duquel il résulte notamment :

• que la Société Carina autorise la Société Saint-André à ancrer dans son tréfonds les tirants provisoires jugés nécessaires par les experts Palausi et Géry, moyennant le versement d'une somme forfaitaire de 100 000 F ;

• que pour la détermination de dommages que le chantier de l'immeuble Saint-André a provoqués ou pourra provoquer dans les bâtiments privatifs ou mitoyens de la Société Carina, il sera fait référence au rapport d'expertise Jahlan déposé le 17 mai 1978 et précisé par sa lettre du 6 juin 1978 ; le protocole d'accord précisait par ailleurs que ce rapport constatait l'excellent état de la villa Carina restaurée en 1949-1951, toutes les pièces ayant été remises à neuf en 1976-1977 ;

• que la Société Saint-André prend « l'engagement de couvrir la Société Carina de l'intégralité des travaux qui seraient rendus nécessaires pour la remise en état des lieux et ce au fur et à mesure de l'apparition de dommages du fait des travaux exécutés sur le chantier et pendant la durée de ceux-ci ;

• que la Société Saint-André prend en charge tous les frais et honoraires d'experts concernant les ordonnances de référé des 7 décembre 1977 (désignant M. Jahlan) et 17 mai 1978 (désignant M. Palausi) ;

• que la convention » réserve entièrement les droits de la Société Carina en ce qui concerne la réparation des troubles de jouissance subis du fait des travaux « ;

L'expert constate lors d'une visite le 14 novembre 1978 de très nombreuses fissures sur le toit du garage de la villa Carina, sur les corniches et le toit de la villa, le tout sur les parties donnant sur le chantier, des fissures également dans la cheminée du chauffage central et rappelle que depuis le 9 novembre précédent, le service de l'Urbanisme a donné l'ordre d'arrêter les tirs de mines ; l'expert constate encore que la réception des images de télévision est affectée par la présence de la grue ;

L'expert constate le 6 décembre 1978 que les désordres provoqués par les tirs de mines se poursuivent ;

L'expert note au cours de la visite de chantier du 4 janvier 1979 que le service de l'Urbanisme a exigé la pose de deux appareils enregistreurs ; que toutefois la pénurie d'appareils disponibles ne permet pas un contrôle efficace ;

Le 27 février 1979 lors d'une visite de chantier, l'expert constate que les désordres dans la villa Carina progressent ; le 8 mai 1979 l'expert note que les tirs de mines sont quasiment terminés, les tirs restant étant poursuivis au brise-roche ; le 18 juin 1979 l'expert constate que des briques sont tombées dans la cheminée de la villa, faisant face au chantier ;

Le 27 mars 1980, visite du chantier par l'expert qui note que l'immeuble est en cours de construction ;

Le 16 mars 1981, les têtes de tirants sont coupées en présence de l'expert qui ne constate aucun incident, en particulier dans la villa Carina ;

Le 13 octobre 1981 accédit de clôture au cours duquel il est décidé de confier à un métreur-vérificateur l'examen et le coût des désordres subis par la villa Carina ;

A ce propos, l'expert rappelle que les tirants posés avant sa désignation ont occasionné des désordres importants à la villa alors que les tirants des passes inférieures n'ont provoqué aucun désordre pas plus que la coupure des têtes de ces tirants ;

En ce qui concerne l'intensité des tirs de mine, l'expert a tenu compte :

* des fiches journalières établies par l'Entreprise Mariotti, desquelles il résulte pour la période du 1er décembre au 23 décembre 1978 des charges d'explosifs normales et même inférieures aux chiffres mentionnés dans le rapport Lemerex du 9 octobre 1978 ; que cependant l'expert rappelle que des désordres importants se sont produits dans la villa les 12 décembre, 14 décembre, 15 décembre, 18 décembre, 19 décembre et 20 décembre 1978 au moment des tirs ; que plusieurs autres désordres dont la liste a été établie par un métreur-vérificateur se sont produits à l'occasion des tirs et ce jusqu'au 9 mai 1979, époque à laquelle les tirs ont été achevés ; l'expert rappelle qu'à la suite d'une correspondance échangée avec l'architecte N., l'importance des tirs a été diminuée ;

* du calendrier du chantier jusqu'au 1er décembre 1978 qui fait ressortir que les tirs avaient été à plusieurs reprises arrêtés par le service de l'Urbanisme à la suite des protestations élevées par les occupants de la villa Girasole, située à l'ouest de la villa Carina ; c'est à la suite de ces protestations que le service de l'Urbanisme avait imposé la réduction des charges à 400 g ;

En ce qui concerne les terrassements, l'expert note qu'ils ont été exécutés dans les règles de l'art et n'ont pas causé de désordres à la villa Carina, autres que le bruit et la poussière qui ont perturbé les conditions de vie dans la villa, troubles sur lesquels il sera revenu ci-après ; de même l'expert indique que les chutes d'objets divers survenues en cours de chantier (pierres-ciment, planches, bouteilles) qu'il a lui-même constatées et qui l'avaient amené à interdire la circulation dans le passage situé entre la villa Carina et le mur divisoire de l'immeuble Saint-André, constituent désormais un risque permanent créant une » servitude anormale « dont il y a lieu de tenir compte au plan de l'appréciation des préjudices ;

Ainsi qu'il en avait été convenu avec les parties, l'expert a confié à un métreur-vérificateur le soin de dresser un état descriptif et quantitatif des désordres en prenant pour base de référence le rapport d'expertise Jahlan ; il en résulte que le montant des réparations s'élève à la somme de 150 547 F T.T.C., valeur janvier 1982 ;

Enfin l'expert a répondu in fine de son rapport, aux dires déposés par les parties en relevant qu'il n'entrait pas dans sa mission de faire le compte des parties mais que les éléments qu'il fournit en réponse à ces dires pourront servir de base au tribunal pour l'appréciation des demandes des parties ; c'est ainsi qu'en ce qui concerne les chefs de préjudice invoqués par la Société Carina dans son dire du 16 février 1982 et contestés par la Société Saint-André dans son dire en réponse du 24 mai 1982, l'expert estime que les réparations effectuées à la demande de la Société Carina par l'Entreprise Monterastelli sur le système d'eau chaude et le chauffage de la villa pour un montant de 39 672,73 F sont directement liées aux désordres subis ; en revanche l'expert ne se prononce pas en ce qui concerne une facture ayant trait à une mauvaise réception des images de télévision en soulignant que ce phénomène est général à Monaco en raison de la hauteur des immeubles construits ; pour ce qui concerne les troubles de jouissance, l'expert indique que les travaux de minage-terrassement ont duré de janvier 1978 à juin 1979 et que l'achèvement de la construction se situe au 16 mars 1981 ; qu'il précise que lors des nombreuses visites qu'il a effectuées, il n'a rencontré que Mademoiselle O. qui n'habitait pas en permanence dans la villa ; l'expert estime que les troubles de jouissance ont duré trente huit mois et il laisse à l'appréciation du tribunal la demande d'indemnisation de la Société Carina qu'elle évalue à 10 000 F par mois, en soulignant qu'il n'est pas démontré que la villa aurait été habitée en permanence par plusieurs personnes ; l'expert a en outre estimé à deux mois la durée des travaux de remise en état de la villa ; abordant la question de la dépréciation de la villa évoquée par la Société Carina dans son dire, l'expert constate ainsi qu'il l'a mentionné dans son rapport que le passage situé entre la villa et l'immeuble Le Saint-André le surplombant devrait être soit interdit à la circulation des occupants de la villa, soit recouvert d'un auvent de protection en raison du risque de chutes d'objets ;

Enfin, l'expert a estimé devoir évoquer la dépréciation de la villa consécutive aux ébranlements qu'elle a subis pendant la construction de l'immeuble Le Saint-André en soulignant que les fissures dont certaines traversent les murs ont fragilisé le bâtiment qui a perdu son monolithisme ;

L'expert estime cette dépréciation au quart ou au cinquième de la valeur de la villa ;

Sur ce,

Attendu qu'il y a lieu dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des deux instances ci-dessus rappelées pour qu'il soit statué sur elles par un seul et même jugement ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu de prononcer la jonction de l'instance engagée le 9 février 1983 avec l'appel en garantie engagé par la Société Saint-André à l'encontre de plusieurs défendeurs compte tenu de l'état procédural particulier de cette dernière instance ;

a) Attendu qu'il ressort de cet exposé la situation procédurale suivante :

* la S.C.I. Saint-André assignée par exploit du 9 février 1983 et ayant constitué avocat-défenseur n'a pas conclu mais qu'en revanche il résulte des conclusions et plaidoiries de la S.C.I. Saint-André II assignée par exploit du 6 juin 1983 que cette dernière vient aux droits et obligations de la S.C.I. Saint-André dont elle a acquis par acte du 26 septembre 1978 la propriété anciennement dénommée » Villa Les Colonnes « sur l'emplacement de laquelle elle a fait édifier l'immeuble Le Saint-André ; que la Société Saint-André II a confirmé cet état procédural en joignant aux conclusions qu'elle a déposées le 26 juin 1986, une lettre datée du 6 juillet 1983 par laquelle la S.C.I. Saint-André II déclare prendre en charge les responsabilités concernant le chantier du Saint-André même et y compris la période antérieure au 26 septembre 1978 ;

* la S.C.I. Carina, après avoir demandé par exploit du 6 juin 1983 la condamnation » conjointe et solidaire " des Sociétés Saint-André et Saint-André II, n'a pas suivi sur cette demande de condamnation solidaire puisque dans ses écritures des 23 mai 1984 et 4 décembre 1986, elle a conclu à la condamnation de la seule S.C.I. Saint-André II tant au paiement des dommages-intérêts qu'aux dépens, en imputant à cette société - par la dissimulation qu'elle lui reproche de la vente du 26 septembre 1978 - l'erreur de dénomination commise dans son exploit du 9 février 1983 ;

Attendu qu'il suit de là que l'assignation du 9 février 1983 dirigée contre la S.C.I. Saint-André doit être désormais déclarée sans objet ;

b) Sur la demande en homologation des rapports d'expertise :

Attendu que la Société Saint-André II ne peut sérieusement contester la description et l'évaluation des dommages proposés par l'expert Palausi au motif qu'il n'existerait pas de constat contradictoire de l'état des lieux originaire alors que :

* le protocole d'accord signé le 8 août 1978 entre la Société Carina et la Société Saint-André en vue de l'implantation de tirants dans le tréfonds de la villa Carina, document qui est invoqué par la Société Saint-André II, mentionne que pour la détermination des dommages que les travaux ont provoqués ou pourront provoquer dans les bâtiments privatifs ou mitoyens de la Société Carina, il sera fait référence au rapport d'expertise Jahlan ; que ce protocole précisait par ailleurs que ce rapport constatait l'excellent état de la villa Carina restaurée en 1949-1950 ;

* au cours de l'expertise confiée à M. Jahlan, la S.C.I. Saint-André a déclaré par l'intermédiaire de son architecte J. N., accepter in extenso les constatations effectuées par l'expert le 18 janvier 1978 pour ce qui concernait l'état intérieur de la villa Carina, constatations qui confirmaient celles contenues dans un procès-verbal de constat du 5 décembre 1977 ; que cette société a encore déclaré qu'elle dispensait l'expert de réaliser un nouvel état des lieux et qu'elle ne ferait aucune réserve sur ces constatations ; qu'enfin la Société Saint-André a accepté sans réserve les constatations concernant l'état extérieur de la villa, consignées dans le procès-verbal de constat de Maître Escaut-Marquet du 15 septembre 1977 ;

Attendu que l'analyse ci-dessus effectuée des rapports d'expertise Jahlan et Palausi démontre le caractère sérieux et complet du travail accompli par ces experts permettant au tribunal de disposer des éléments d'appréciation suffisants pour statuer ;

c) Sur les demandes en réparation formées par la Société Carina :

Attendu que les demandes sont implicitement mais nécessairement fondées sur la théorie des troubles de voisinage et l'application qu'en a fait la jurisprudence qui rend le maître de l'ouvrage responsable des dommages causés au propriétaire voisin d'un chantier de construction lorsque ces dommages excèdent la mesure coutumière de ce qui doit être supporté entre voisins ;

1. Les désordres

Attendu qu'il ressort des constatations des experts Jahlan et Palausi que la villa Carina a subi des désordres importants tant lors des travaux préparatoires pour la mise en place des tirants non autorisés (rapport Jahlan et rapport Palausi, p. 7) qu'à l'occasion des tirs de mines (rapport Palausi, p. 11, 13, 35) ; que ces désordres qui ont donné lieu à un état descriptif détaillé et qui ont été évalués par l'expert Palausi à la somme de 150 547 F T.T.C. en ce qui concerne le bâtiment et à celle de 39 672,73 F en ce qui concerne l'installation d'eau chaude et de chauffage, excèdent à l'évidence la mesure des obligations coutumières du voisinage et constituent de ce fait des troubles anormaux qui engagent la responsabilité de la S.C.I. Saint-André II maître de l'ouvrage à qui la construction qu'elle a fait édifier a profité ;

Qu'ainsi que le sollicite la Société Carina, la somme de 150 547 F évaluée par l'expert au mois de janvier 1982 doit être réévaluée pour tenir compte de l'évolution du coût des matériaux et de la main-d'œuvre depuis cette date ; qu'il y a lieu en conséquence de condamner la Société Saint-André II à payer à la Société Carina la somme - réactualisée au jour du présent jugement compte tenu des éléments d'appréciation dont le tribunal dispose - de 180 000 F au titre de la remise en état du bâtiment, outre celle de 39 672,73 F exposée par la Société Carina pour la réfection de l'installation de chauffage et d'eau chaude ;

2. Les troubles de jouissance

Attendu en ce qui concerne la réclamation formulée au titre des conditions d'habitabilité de la villa durant les travaux, que si les tirs de mines ont nécessairement occasionné des nuisances par le bruit, la poussière et les vibrations qui en sont résultés, il n'est pas établi que ces troubles aient excédé les inconvénients normaux du voisinage dans un quartier qui a connu un essor important de construction ;

Attendu en ce qui concerne la réclamation formulée au titre des inconvénients liés à la remise en état de la villa, que les travaux de réfection en affectant la rentabilité patrimoniale de la villa justifient l'allocation, compte tenu des éléments d'appréciation dont le tribunal dispose, d'une somme de 20 000 F au paiement de laquelle il y a lieu de condamner la S.C.I. Saint-André II ;

3. La dépréciation

Attendu que la demande de la Société Carina de ce chef de préjudice est double, qu'elle invoque d'une part le caractère dangereux du passage situé entre la villa et l'immeuble Le Saint-André et d'autre part la déstabilisation des structures de la villa provoquée par le chantier ; qu'à cet égard, la demande formulée par la Société Carina ne peut être qualifiée d'irrecevable comme le soutient la défenderesse au motif que l'expert n'avait pas reçu mission de ce chef, car une partie a toujours la faculté de formuler son préjudice comme elle l'entend ;

Attendu que si le risque de chute d'objets dans le passage longeant l'immeuble Le Saint-André n'est pas en soi de nature à entraîner une perte de valeur sensible de la villa, il n'en va pas de même des conséquences que le chantier a eues sur l'état général de la villa ; qu'en effet, il apparaît que l'essentiel des désordres subis sont constitués par des fissures ; que les réparations préconisées par l'expert Palausi et ci-dessus ordonnées n'ont d'autre objet que celui de masquer ces désordres car il est certain que le rebouchement des fissures ne permettra pas une liaison parfaite et solide entre les matériaux comme elle existait avant l'ouverture du chantier ; que l'ébranlement des structures de la villa ainsi qu'en témoignent les nombreuses fissures relevées est irrémédiable et que le préjudice qui en résulte doit être réparé par l'allocation d'une indemnité, que le tribunal a les éléments d'appréciation suffisants - notamment au regard de l'état antérieur de la villa constaté par le rapport Jahlan - pour fixer à la somme de 500 000 F au paiement de laquelle il y a lieu de condamner la Société Saint-André II ;

Attendu que l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire prise le 1er juin 1983 volume 162 n° 112 sur les parties de l'immeuble Le Saint-André appartenant à la Société Saint-André II, dont la mainlevée a été ordonnée par ordonnance de référé du 19 juillet 1983 - confirmée par arrêt du 13 décembre 1983 - contre constitution par la Société Saint-André II d'une caution bancaire irrévocable sans bénéfice de discussion ni de division, d'un montant de 1 500 000 F, a été radiée le 8 mars 1984 ; que la demande de la Société Carina tendant à déclarer régulière avec toutes conséquences de droit ladite inscription n'a donc plus d'objet et doit être rejetée ;

Attendu toutefois qu'il y a lieu de constater que la créance de la Société Carina à l'encontre de la Société Saint-André II est garantie à concurrence du montant de la caution bancaire précitée ;

Que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Joint les instances numéros de rôle 299 et 540 de l'année 1983 (assignations des 9 février et 6 juin 1983) ;

Déclare sans objet l'assignation du 9 février 1983, dirigée à l'encontre de la S.C.I. Saint-André ;

Condamne la S.C.I. Saint-André II à payer à la S.C.I. Carina la somme totale de 739 672,73 F ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la validité de l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire prise le 1er juin 1983 volume 162 n° 112 sur les parties de l'immeuble Le Saint-André appartenant à la S.C.I. Saint-André II en l'état de la radiation de cette inscription le 8 mars 1984 ;

Composition

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Marquilly et J.-Ch. Marquet, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25343
Date de la décision : 21/05/1987

Analyses

Droit des biens - Biens et patrimoine ; Droits d'auteur et droits voisins


Parties
Demandeurs : Société immobilière Carina
Défendeurs : S.C.I. Saint-André.

Références :

ordonnance du 19 juillet 1983


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-05-21;25343 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award