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21/05/1987 | MONACO | N°25342

Monaco | Tribunal de première instance, 21 mai 1987, Compagnie « Union des assurances de Paris » et Centre hospitalier Princesse-Grace c/ F.


Abstract

Accident du travail

Expert désigné - Récusation : qualité de médecin traitant (non) - Soins occasionnels - Renonciation implicite à une irrégularité éventuelle - Commission spéciale - Saisine facultative - Pouvoir souverain du juge

Résumé

Les expertises diligentées en matière d'accidents du travail ne relèvent que de la loi n. 636 du 11 janvier 1958, et ne sauraient être soumises aux règles générales de la récusation prescrites par le Code de procédure civile et notamment par l'article 345 de celui-ci.

Un médecin, désigné en q

ualité d'expert en matière d'accidents du travail, ne saurait être récusé au motif qu'il a été amené ...

Abstract

Accident du travail

Expert désigné - Récusation : qualité de médecin traitant (non) - Soins occasionnels - Renonciation implicite à une irrégularité éventuelle - Commission spéciale - Saisine facultative - Pouvoir souverain du juge

Résumé

Les expertises diligentées en matière d'accidents du travail ne relèvent que de la loi n. 636 du 11 janvier 1958, et ne sauraient être soumises aux règles générales de la récusation prescrites par le Code de procédure civile et notamment par l'article 345 de celui-ci.

Un médecin, désigné en qualité d'expert en matière d'accidents du travail, ne saurait être récusé au motif qu'il a été amené à un moment donné à dispenser, occasionnellement, des soins dans le cadre d'un établissement hospitalier, à la personne, objet de son expertise, dès lors qu'il n'est pas établi qu'il ait été son médecin traitant, condition requise par l'article 23, de la loi n. 636 du 11 janvier 1958, pour fonder la récusation.

Au surplus, l'accidenté, qui n'a jamais émis la moindre réserve sur la régularité de la désignation de l'expert et a déféré à toutes les convocations, apparaît avoir renoncé à se prévaloir, en temps utile, de cette éventuelle irrégularité - dont il avait déjà connaissance -, laquelle ne saurait prospérer à ce stade de la procédure.

Il s'évince des dispositions d'ordre public de l'article 23 bis, de la loi n. 636 du 11 janvier 1958, que si la Commission spéciale peut être saisie par la juridiction qui statue au vu du rapport d'expertise, ce n'est là qu'une faculté réservée à la libre appréciation de cette juridiction.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que C. F. employée pour le compte du Centre hospitalier Princesse-Grace - dont l'assureur-loi est la Compagnie U.A.P. Urbaine - a été victime le 14 juin 1979 d'un accident du travail ayant entraîné, aux termes d'un rapport d'expertise établi le 10 septembre 1981 par le Docteur Marchisio une I.P.P. de 10 % avec consolidation au 30 juin 1981, sur lequel les parties se conciliaient le 26 novembre 1981 ;

Attendu toutefois que l'état de santé de C. F. s'étant aggravé du fait de l'apparition d'une algodystrophie affectant les bras gauche et droit, celle-ci formait une demande en révision de rente à la suite de laquelle le Docteur Marchisio à nouveau désigné considérait qu'une rechute de l'accident du travail initial était intervenue le 7 juin 1982 et avait entraîné une I.T.T. du 7 juin 1982 au 26 juillet 1984 à prendre en charge pour moitié par le régime accident du travail, pour moitié en régime maladie, tout en occasionnant une I.P.P. de 8 % (en régime accident du travail exclusivement) ;

Attendu que C. F. ayant contesté ces conclusions expertales, le Tribunal de céans saisi par son assignation du 8 août 1985 confirmait le caractère de rechute de l'épisode accidentel du 7 juin 1982 et faisait droit à la demande de la victime en désignant en qualité de nouvel expert le Docteur Pastorello, auquel mission était donnée de déterminer :

1° s'il y a un lien de cause à effet entre les soins reçus sur le bras droit et l'accident du travail ;

2° si C. F. souffre actuellement de séquelles rattachables à un éventuel état antérieur qui n'aurait pas été aggravé du fait de l'accident du 14 juin 1979 ;

3° la durée de l'I.T.T. et la date de consolidation consécutives à la rechute ;

4° dans quelle mesure la rechute du 7 juin 1982 avait pu entraîner une modification du taux d'I.P.P. de 10 % consécutif à l'accident du travail initial ;

Attendu que l'expert ainsi commis déposait son rapport le 7 avril 1986 aux termes duquel il confirmait notamment les conclusions de l'expert Marchisio relatives à la durée de l'I.T.T. consécutive à la rechute, soit du 7 juin 1982 au 26 juillet 1984 (moitié en régime accident du travail et moitié en régime maladie), avec consolidation à cette dernière date, tout en maintenant le taux d'I.P.P. de la victime à 10 % ;

Attendu que selon exploit du 12 septembre 1986, la Compagnie U.A.P. et le Centre hospitalier Princesse-Grace assignaient C. F. aux fins de s'entendre homologuer le rapport Pastorello et voir déclarer satisfactoire leur offre de continuer de verser à la victime une rente annuelle et viagère de 2 092 F ;

Attendu que C. F. s'opposait formellement à cette demande en soulevant l'irrecevabilité de la procédure ; qu'elle invoquait en effet les dispositions de l'article 23 de la loi n. 636 du 11 janvier 1958 aux termes duquel l'expert désigné judiciairement ne peut être le médecin de la victime ou de l'employeur ; qu'elle indiquait à cet égard que le Docteur Pastorello qui a été amené à la soigner a également été l'employé du Centre hospitalier Princesse-Grace, son employeur, ainsi que son propre médecin traitant ;

Que C. F. estime en outre que la Commission spéciale prévue par les mêmes dispositions légales n'ayant pas examiné son cas, la procédure s'avère tout à fait irrégulière et doit être mise à néant ; qu'elle sollicite en conséquence la désignation d'un nouvel expert médical choisi auprès d'une juridiction française, dès lors que tous les praticiens exerçant à Monaco ont déjà eu à connaître de son cas ;

Attendu que la Compagnie U.A.P. et le Centre hospitalier Princesse-Grace invoquent pour leur part l'irrecevabilité de la demande de la victime tendant à voir déclarer irrégulière la procédure en exposant que la récusation de l'expert devait être effectuée en temps utile par une déclaration motivée au Greffe général et avant l'ouverture des opérations d'expertise ; que les codéfendeurs invoquent par ailleurs le manque de sérieux de l'argument de la victime tiré du défaut d'examen de son cas par la Commission spéciale, laquelle ne saurait être réunie qu'après dépôt du rapport d'expertise et saisine par la juridiction qui a statué, ce qui ne s'est pas avéré être le cas de l'espèce ;

Que la Compagnie U.A.P. et le Centre hospitalier Princesse-Grace concluent en conséquence au débouté des fins de la demande tendant à voir diligenter une nouvelle expertise ;

Sur ce,

I. En la forme

Attendu sur le premier moyen d'irrecevabilité soulevé par C. F. tiré de l'irrégularité de la procédure due à la désignation du Docteur Pastorello en qualité d'expert, qu'il convient de rappeler au préalable que les expertises diligentées en matière d'accidents du travail ne relèvent que de la loi n. 636 du 11 janvier 1958 et ne sauraient se voir soumises aux règles générales de la récusation prescrites par le Code de procédure civile, et notamment l'article 345 du Code de procédure civile invoqué par les codemanderesses ;

Attendu toutefois que si C. F. apparaît fondée à prétendre que le Docteur Pastorello a été amené à lui dispenser occasionnellement des soins comme à exercer de façon libérale dans l'enceinte du Centre hospitalier Princesse-Grace où il suivait le sort clinique de certains de ses patients, elle n'établit nullement que l'expert désigné selon jugement avant dire droit du 19 décembre 1985 ait été son médecin traitant, conditions requises par l'article 23 de la loi n. 636 du 11 janvier 1958 ; qu'il ressort au contraire de l'analyse des pièces produites que C. F. qui a consulté de multiples généralistes et spécialistes avait pour médecin traitant le Docteur C. et a de surcroît participé volontairement à toutes les opérations d'expertise diligentées par le Docteur Pastorello sans jamais émettre la moindre réserve sur la régularité de sa désignation ; qu'en déférant à toutes les convocations de l'expert, C. F. apparaît en effet avoir renoncé à se prévaloir en temps utile de cette éventuelle irrégularité dont elle avait déjà connaissance et qui ne saurait au vu de l'analyse qui précède prospérer au stade actuel de la procédure ;

Attendu par ailleurs que C. F. n'apparaît pas plus fondée à tirer argument du fait que son cas n'a pas été soumis à l'examen de la Commission spéciale pour conclure à l'irrecevabilité de la demande ; qu'il s'évince à cet égard des dispositions d'ordre public de l'article 23 bis de la loi n. 636 que cette commission ne peut en effet être saisie que par la juridiction qui statue au vu du rapport d'expertise, cette faculté ne constituant nullement une phase obligatoire de la procédure, et étant réservée à la libre appréciation de la juridiction saisie du dossier ;

Qu'il suit qu'aucune omission procédurale à une prescription de la loi n. 636 n'a en l'espèce été commise, étant de surcroît observé que le tribunal n'avait pas estimé opportun de donner à l'expert mission de dire s'il y avait lieu ou non de faire apprécier la capacité résiduelle de gains de la victime par la Commission spéciale ;

Attendu en conséquence que la procédure suivie apparaît tout à fait régulière, comme ayant obéi aux prescriptions d'ordre public de la loi n. 636 du 11 janvier 1958 ;

II. Sur le fond

Attendu que lors de l'audience du 12 décembre 1985 la principale contestation portait sur la qualification juridique de l'épisode accidentel du 7 juin 1982 ; que par jugement avant dire droit du 19 décembre 1985 dont il y a lieu de rappeler les dispositions essentielles, le Tribunal de céans avait tranché cette question en précisant notamment :

« ...Il apparaît que l'algodystrophie des membres supérieurs apparue en juin 1982 provient bien de l'évolution des séquelles de l'accident initial, à l'occasion duquel C. F. avait déjà présenté des symptômes algodystrophiques à l'annulaire et à l'auriculaire gauches... résultant en l'espèce d'une aggravation spontanée et naturelle des lésions organiques de la victime... ;

...Doit être déboutée de ce chef de demande tendant à voir qualifier de nouvel accident du travail la rechute survenue le 7 juin 1982 » ;

Qu'il s'ensuit que l'épisode précité du 7 juin 1982 constitue bien une rechute de l'accident du travail survenu le 14 juin 1979 et qu'il s'agissait dès lors pour le tribunal, aidé dans cette tâche par un nouvel expert médical, de déterminer en particulier :

1° si le terrain présentant des troubles de la personnalité de type psychotique - soit cet état pathologique antérieur, ainsi défini par les experts Marchisio et Lavagna lors de la phase non contentieuse de la procédure - avait pu être provoqué ou aggravé de quelque manière que ce soit par l'accident du travail du 14 juin 1979 ou la rechute du 7 juin 1982 ;

2° les raisons pour lesquelles le taux d'I.P.P. consécutif à l'accident du travail initial alors chiffré à 10 % avait pu être ramené à l'occasion de la rechute à un taux de 8 %, alors que les lésions de type algodystrophique avaient évolué de façon notable ;

Attendu que sur ces deux points essentiels, le Docteur Pastorello a pu apporter les explications suivantes :

1° après avoir relevé les antécédents de la victime (soit une certaine anxiété et une « D.N.V. ») la pauvreté de la thérapeutique suivie pour y remédier et l'aspect atypique des risques allégués, l'expert conclut :

« ...Il faut accepter un discret syndrome dépressif apparu après l'accident du travail du 14 juin 1979 et retenir une petite I.P.P. de 2 %... l'inactivité a conduit cette patiente vers une sinistrose... il n'existe pas d'état antérieur important... les risques psychiatriques actuels sont en charge au titre de l'assurance maladie » ;

2 « la rechute du 7 juin 1982 a laissé un taux d'I.P.P. comparable à celui avancé par le Docteur Marchisio lors de la seconde expertise, soit 10 % » ; qu'il est à cet égard précisé par l'expert que 8 % sont attribués à l'incapacité résultant des séquelles du syndrome d'algodystrophie et 2 % à l'aggravation de l'état dépressif antérieur à l'accident du travail ;

Attendu enfin que par d'ultimes observations le Docteur Pastorello a confirmé tant la durée, que la nature, du régime de prise en charge de l'I.T.T. consécutive à la rechute du 7 juin 1982, relevant pour moitié du régime général maladie et moitié de la législation sur les accidents du travail, et a constaté en page 6 (2°) (c) de son rapport : « ...dans ce domaine la Compagnie d'assurances me semble avoir fait preuve de compréhension... » ;

Attendu que si une même observation ne peut être effectuée en ce qui concerne C. F. qui conteste globalement toutes les conclusions expertales, il n'en demeure pas moins que celle-ci ne produit aucune pièce médicale lui permettant de critiquer la matérialité des constatations cliniques opérées par le Docteur Pastorello ; qu'il suit que ce praticien apparaît en conséquence avoir justifié sa décision de retenir les mêmes périodes d'I.T.T. que celles précédemment mentionnées par les experts Marchisio et Lavagna qui avaient objectivé divers troubles psychiques devant relever d'une prise en charge au titre maladie ;

Attendu dès lors - aucune lacune, erreur ou omission n'apparaissant entacher le travail sérieux et détaillé de l'expert Pastorello - qu'il y a lieu d'homologuer son rapport en date du 7 avril 1986 avec toutes conséquences de droit quant à l'attribution à C. F. d'une rente calculée en fonction d'un taux d'I.P.P. de 10 % d'une part, et quant au régime de prise en charge de l'incapacité temporaire de travail résultant de la rechute du 7 juin 1982 d'autre part, laquelle, compte tenu des conclusions susvisées de l'Expert Pastorello, doit être supportée quant à ses conséquences pécuniaires à raison de 50 % de son montant total par l'assureur-loi, la Compagnie U.A.P. ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Homologue le rapport du Docteur Pastorello en date du 7 avril 1986 ayant maintenu à 10 % le taux d'I.P.P. dont demeure atteinte C. F. à la suite de son accident du travail du 14 juin 1979 et de la rechute du 7 juin 1982 ;

Déclare satisfactoire l'offre formulée par la Compagnie U.A.P. - substituée au Centre hospitalier Princesse-Grace - de continuer à verser à C. F. une rente annuelle et viagère de 2 092 F calculée en fonction dudit taux d'I.P.P. et d'un salaire annuel de 41 840,06 F ;

Condamne en tant que de besoin la Compagnie U.A.P. à continuer de payer cette rente à C. F. à compter du 7 avril 1986, date de l'expertise diligentée par l'expert Pastorello ;

Dit que l'I.T.T. consécutive à la rechute du 7 juin 1982 ne relève que pour moitié de la législation sur les accidents du travail ;

Condamne en conséquence l'assureur-loi au paiement de la moitié de l'indemnité totale consécutive à cette I.T.T. ;

Composition

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Clérissi et Boéri, av. déf. ; Soldano, av. (Barreau de Nice).

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25342
Date de la décision : 21/05/1987

Analyses

Sécurité au travail


Parties
Demandeurs : Compagnie « Union des assurances de Paris » et Centre hospitalier Princesse-Grace
Défendeurs : F.

Références :

article 345 du Code de procédure civile
article 23 de la loi n. 636 du 11 janvier 1958
Code de procédure civile
loi n. 636 du 11 janvier 1958


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-05-21;25342 ?

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