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02/04/1987 | MONACO | N°25311

Monaco | Tribunal de première instance, 2 avril 1987, Dame P. c/ A. dit R. R.


Abstract

Exequatur

Jugement des U.S.A. - Dispositions contraires à l'ordre public et aux principes de droit monégasque : injonctions données à un officier public monégasque - Rejet du droit de visite du père et dommages-intérêts prononcés contre celui-ci à titre de sanction violation des droits de la défense

Résumé

Ne saurait être prononcé l'exequatur d'une décision rendue par une juridiction des U.S.A. interdisant à un notaire monégasque de remettre des certificats d'actions à quiconque, sauf à y être autorisé par elle, supprimant les droits d

e visite du père pour une période indéterminée à titre de sanction, condamnant celui-ci à des...

Abstract

Exequatur

Jugement des U.S.A. - Dispositions contraires à l'ordre public et aux principes de droit monégasque : injonctions données à un officier public monégasque - Rejet du droit de visite du père et dommages-intérêts prononcés contre celui-ci à titre de sanction violation des droits de la défense

Résumé

Ne saurait être prononcé l'exequatur d'une décision rendue par une juridiction des U.S.A. interdisant à un notaire monégasque de remettre des certificats d'actions à quiconque, sauf à y être autorisé par elle, supprimant les droits de visite du père pour une période indéterminée à titre de sanction, condamnant celui-ci à des dommages-intérêts exagérés pour avoir « détenu arbitrairement » ses enfants sans qu'il ait pu faire valoir ses moyens de défense.

En effet cette décision dont les énonciations sont indissociables, contient des dispositions manifestement contraires à l'ordre public et aux principes du droit monégasque qui excluent qu'une autorité judiciaire étrangère porte atteinte à la Souveraineté de la Principauté de Monaco en prononçant des injonctions à l'égard d'un officier public nommé par S.A.S. le P. Souverain et qui commandent que l'octroi du droit de visite tienne compte de l'intérêt supérieur des enfants, que les dommages et intérêts soient proportionnés à la faute et au préjudice et que les droits de la défense dans une instance soient respectés.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Rend le jugement dont la teneur suit :

Exposé des faits et de la procédure :

Il résulte des pièces produites par les parties que E. P. (demanderesse à la présente instance) et A. dit R. R. (défendeur) ont divorcé à Monaco selon jugement de ce Tribunal rendu le 7 mars 1980, définitif ;

La garde des enfants mineurs issus du couple (G. et R., nés le 20 août 1974) a été confiée à la mère par ledit jugement, qui a réservé au père le droit de visite le plus large en précisant les modalités d'exercice de ce droit à défaut de meilleur accord des parties ;

La demanderesse ayant fixé par la suite sa résidence à Newport (État du Rhode Island - États-Unis d'Amérique) où elle s'est installée avec ses enfants, les parties, d'un commun accord, se sont adressées au Tribunal de la famille de Newport pour faire modifier les modalités du droit de visite reconnu à R. par le jugement précité du 7 mars 1980 ; un jugement « par consentement des parties » a été rendu en ce sens le 17 juin 1982 par le tribunal américain prévoyant notamment la fixation des périodes de visite, l'institution d'une garantie financière pour assurer le retour des enfants sans retard auprès de leur mère et la répartition des frais de voyage entre les parents ;

Il n'est pas contesté qu'à l'occasion de la venue de ses enfants en France au cours de l'été 1982, R. R. s'est opposé à leur retour prévu pour le 10 septembre 1982, contraignant ainsi E. P. à effectuer le déplacement avec des membres de sa famille pour tenter de récupérer les enfants ; elle y est en définitive parvenue, non sans difficultés sérieuses, le 24 septembre 1982 après avoir conclu un « protocole d'accord » avec son ex-époux, document dont elle a aussitôt contesté la valeur comme lui ayant été extorqué sous la contrainte ;

La demanderesse avait entre-temps saisi à nouveau le Tribunal de Newport qui a constaté, par Ordonnance du 14 septembre 1982, le refus volontaire, par R., d'obéir au « Consent Judgment » du 17 juin 1982, a prescrit à celui-ci de renvoyer immédiatement les enfants aux États-Unis et a autorisé la mère à tout mettre en œuvre pour aller les reprendre ; cette Ordonnance a par ailleurs prescrit à R. de comparaître le 28 septembre 1982 « afin d'exposer les raisons pour lesquelles il s'oppose à ce que les droits de visite lui soient définitivement supprimés » et a fait interdiction à Maître Aureglia, Notaire à Monaco, de se dessaisir des parts d'une société civile monégasque qu'il détenait au titre de la garantie d'exécution loyale des droits de visite par R. « ;

L'audience prévue pour le 28 septembre 1982 s'est tenue le 13 octobre 1982 ; à cette date, le juge du Tribunal de la famille de Newport, constatant l'absence de comparution de R. mais sa régulière représentation par un avocat occupant, après avoir pris acte de l'absence d'objection - à l'égard de la demande de E. P. - » de la part des avocats du défendeur qui étaient présents au Tribunal et comparaissaient (en son) nom «, a suspendu les droits de visite du père jusqu'à ce qu'il se conforme aux décisions présentes et passées du Tribunal, a ordonné la comparution de R. pour le 27 octobre 1982 afin » d'exposer ses raisons pour lesquelles il s'opposerait à la suppression définitive de ses droits de visite « et de s'expliquer sur la demande en dommages-intérêts formée par E. P., et a décidé que la présente Ordonnance délivrée à l'avocat postulant de R. constituerait une notification valablement signifiée au défendeur, cet avocat devant en outre lui en adresser une copie conforme par courrier recommandé avec avis de réception ;

Le Tribunal de Newport a siégé le 27 octobre 1982 et R. n'a pas comparu à cette audience ; ses avocats ont été autorisés sur leur demande à ne plus se charger de ses intérêts ; le juge Gendron composant le tribunal, après rapport détaillé des circonstances de la cause, a » ordonné, déclaré et décrété «, selon Ordonnance du Tribunal prononcée le 10 novembre 1982, ce qui suit :

» 1. Le défenseur refuse et continue de refuser d'obéir aux ordonnances en vigueur du Tribunal, et ce refus est volontaire, délictueux et intentionnel ;

2. Les droits de visite du défendeur sont supprimés par les présentes, et ce, jusqu'à nouvelle ordonnance du Tribunal sur requête présentée par le défendeur en personne, et jusqu'à ce que le défendeur fasse amende honorable de son refus en se conformant pleinement aux ordonnances du Tribunal en date du 17 juin 1982, du 14 septembre 1982, du 13 octobre 1982 et de toutes autres ordonnances exposées aux présentes, et résultant de l'audience tenue sur cette affaire le 27 octobre 1982 ;

3. Les ordonnances de restriction et toutes autres ordonnances précédemment prononcées par le Tribunal à l'encontre du défendeur dans la présente affaire et toutes les ordonnances énoncées aux présentes demeureront en vigueur et porteront leur plein effet, et ce, jusqu'à nouvelle ordonnance du Tribunal, et spécifiquement et sans limitation aucune, les alinéas 6 et 7 de l'Ordonnance du Tribunal en date du 14 septembre 1982 stipulant comme suit :

6. Il est interdit à Paul-Louis Aureglia, à quelque autre égard que ce soit, de transférer, d'aliéner ou de remettre à quiconque autre qu'à Maître Patrick Hayes et à Maître Joseph Houlihan les certificats d'actions ci-dessus visés, actuellement détenus par Maître Aureglia, en qualité de séquestre en la matière, et ce, jusqu'à ce qu'il soit libéré à cet égard par le tribunal ou autorisé par le tribunal à le faire ;

7. Il est interdit au défendeur ou à quiconque agissant à sa demande ou pour son compte, de demander à Maître Paul-Louis Aureglia, ou de donner des instructions à celui-ci à l'effet de transférer, d'aliéner ou de remettre à quiconque autre qu'à Maître Patrick Hayes ou à Maître Joseph Houlihan, les certificats ci-dessus visés, et ce, à moins qu'il n'ait été libéré à cet égard par le tribunal ou autorisé par le tribunal à le faire.

4. Le Tribunal continuera d'être compétent relativement aux enfants, aux parties, et à toutes autres questions s'y rapportant, et ce, à l'effet notamment, de prononcer d'autres ordonnances concernant le droit de visite, les frais et dépens, et les dommages-intérêts encourus par la demanderesse relativement à l'exécution et au maintien en vigueur de la présente ordonnance du Tribunal et de toutes les ordonnances antérieures du Tribunal dans cette affaire ;

5. Le document de deux pages établi par l'avocat du défendeur, Maître Vezon, et signé par la demanderesse et le défendeur, le 24 septembre 1982 à 4 heures du matin, visant notamment (i) à réglementer le droit de visite du défendeur ; (ii) à désavouer et à abolir de quelque autre manière que ce soit la compétence et les pouvoirs du Tribunal en la matière, et (iii) à priver la demanderesse de son droit de demander l'exécution des obligations et responsabilités du défendeur en vertu des ordonnances applicables du Tribunal est nul et non avenu ab initio et sans validité de quelque autre manière que ce soit au motif que la signature de la demanderesse lui a été extorquée en échange de la libération des enfants, exécuté par la demanderesse sous grande contrainte, traumatisme émotionnel et par intimidation, et en outre, ladite demanderesse et ledit défendeur n'avaient pas la capacité nécessaire pour conclure ledit accord envisagé, et ce, sans le consentement et l'autorisation du Tribunal ;

6 Un jugement d'un montant de cent sept mille sept cent cinquante trois dollars quatorze cents ($ 107 753,14) est par les présentes prononcé à l'encontre du défendeur pour rembourser à la demanderesse les dépenses suivantes encourues par celle-ci pour son compte au cours de la période du 13 août 1982 au 27 octobre 1982 pour obtenir la libération des enfants et leur retour chez eux à Newport, lesquelles ont toutes découlé du refus volontaire, délictueux et intentionnel du défendeur d'obéir aux ordonnances du Tribunal, et de son refus continu à cet égard :

Pour services juridiques rendus pendant la période du 13 août 1982 au 24 septembre 1982 :

a. Cabinet Migdal, Tenney, Glass & Pollack $ 25.419,72

b. Cabinet Tillinghast, Collins & Graham $ 4.515,17

* -----

$ 29.934,89

Pour services juridiques rendus pendant la période du 25 septembre 1982 au 27 octobre 1982 :

c. Cabinet Migdal, Tenney, Glass & Pollack $ 39.689,72

d. Cabinet Tillinghast, Collins & Graham $ 9.656,96

* -----

$ 49.346,68

e. Voir pièce jointe à la procédure (Exhibit) de F. H. P. 24.986,91

f. Frais de remplacement des passeports (voir Affidavit de la demanderesse) 30,00

g. Facture téléphonique pendant que les enfants se trouvaient chez le défendeur (*) 179,45

h. Billets d'avion supplémentaires (*) 428,00

i. Maître Etienne Joutard 1 458,33

j. A. R. 1 388,88

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$ 28.471,57

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Montant total des dommages-intérêts : $ 107.753,14

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7. Un nouveau jugement pour dommages-intérêts exemplaires d'un montant de quarante quatre mille six cent quatre vingt douze dollars quarante et un cents ($ 44.692,41) est par les présentes prononcé à l'encontre du défendeur pour le punir des faits suivants : (i) ses violations volontaires, délictueuses, intentionnelles et continues de l'Ordonnance du Tribunal ; (ii) sa détention arbitraire des enfants ; (iii) la détresse et la souffrance morale intentionnellement infligée à la demanderesse et aux enfants, et en outre, afin d'indemniser la demanderesse (i) d'avoir été privée de la compagnie, de la présence et des services des enfants ; (ii) des souffrances morales infligées à la demanderesse et (iii) de la douleur, des souffrances, de la détresse et des souffrances morales subies par celle-ci par suite de la conduite obstinée et rebelle du défendeur.

( « Bien que le Tribunal reconnaisse que les frais encourus pour les billets d'avion, et toutes les notes téléphoniques ne furent pas entièrement encourus pendant la période du 13 août 1982 au 27 octobre 1982, le Tribunal conclut aux faits suivants : (i) le défendeur est responsable des dépenses relatives aux billets d'avion comme précédemment indiqué à l'alinéa 29 de la constatation de fait du Tribunal contenue aux présentes et (ii) lesdits appels téléphoniques par la demanderesse furent rendus nécessaires par la conduite obstinée et rebelle du défendeur pendant que les enfants étaient en visite chez lui).

Lesdits dommages-intérêts exemplaires correspondent au montant nécessaire pour rembourser à la demanderesse les frais suivants :

Services juridiques rendus pendant la période du 18 juin 1982 au 12 août 1982 :

a. Cabinet Migdal, Tenney, Glass & Pollack $ 10.856,31

b. Cabinet Tillinghast, Collins & Graham $ 1.400,50

* -----

$ 12.256,81

Services juridiques rendus pendant la période du 12 mai 1982 au 17 juin 1982 :

c. Cabinet Migdal, Tenney, Glass & Pollack $ 10.450,95

d. Cabinet Tillinghast, Collins & Graham $ 8.432,21

* -----

$ 18.883,16

Services juridiques rendus pendant la période du 30 décembre 1982 au 11 mai 1982 :

e. Cabinet Migdal, Tenney, Glass & Pollack undefined2.483,21

f. Cabinet Tillinghast, Collins & Graham 0

g. Maître Leandri 769,23

h. Professeur pour les enfants

pendant la période du 27 septembre 1982 au 27 octobre 1982 300,00

* -----

$ 13.552,44

* -----

Total des dommages-intérêts exemplaires : $ 44.692,41

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* -----

Un jugement total d'un montant de cent cinquante deux mille quatre cent quarante cinq dollars cinquante cinq cents ($ 152.445,55) est par les présentes prononcé à l'encontre du défendeur et au profit de la demanderesse »

Par l'exploit susvisé du 19 janvier 1985 E. P. a fait assigner A. dit R. R. devant ce Tribunal, à qui il est demandé de déclarer exécutoire en Principauté de Monaco le jugement rendu le 27 octobre 1982 (en réalité le 10 novembre 1982, ainsi que la demanderesse l'a rectifié à l'audience) par le Tribunal de Newport dont le dispositif est ci-dessus intégralement reproduit ;

R. s'oppose à cette demande en faisant valoir :

* que l'article 184 alinéa 17 du Code de procédure civile impose au ministère public de donner ses conclusions en cette matière, ce qu'il n'a pas fait,

* que cette instance ne peut être soumise aux dispositions de l'article 473 de ce code dans la mesure où il n'est pas démontré que l'État du Rhode Island admet, dans sa législation, la réciprocité requise,

* que les formalités imposées par l'article 475 ne semblent pas respectées en la cause,

* que le jugement du Tribunal de Monaco en date du 7 mars 1980, définitif et revêtu de l'exequatur en France, fait obstacle à la reconnaissance en Principauté du jugement du Tribunal de Newport dès lors que ces décisions, mettant en cause les mêmes parties et statuant sur le même objet, sont incompatibles,

* que la décision dont l'exequatur est poursuivie émane d'une juridiction incompétente puisque l'article 15 du Code civil français lui permet, au bénéfice de sa nationalité française, d'exiger d'être jugé en France,

* que cette décision est contraire à l'ordre public dans la mesure où elle consacre des mesures exorbitantes du droit commun,

* que sa convocation pour l'audience ayant abouti au jugement du 10 novembre 1982 lui est parvenue après la tenue de celle-ci,

* qu'en introduisant simultanément deux instances visant à des objectifs contraires (en France à Alès et aux États-Unis d'Amérique à Newport), E. P. a commis une fraude à la loi ;

En réponse la demanderesse observe :

* que la décision dont elle demande l'exequatur est régulière et contradictoire, qu'elle a été rendue en conformité des règles de conflit de loi en droit international privé, qu'elle ne comporte aucune disposition contraire à l'ordre public,

* que le jugement prononcé par le Tribunal de Monaco n'interdit pas que les droits de visite et d'hébergement du père soient modifiés en fonction d'événements nouveaux, les décisions relatives à ces droits étant par essence révisables,

* que le défendeur, qui a accepté la compétence de la juridiction américaine, ne saurait invoquer à son bénéfice le privilège que lui confère l'article 15 du Code civil français,

* que les décisions prises ont été commandées par les circonstances, créées par l'attitude de R. ;

Discussion :

Attendu que le ministère public a fait connaître au cours de l'instruction de l'affaire (lors de l'appel de la cause du 6 février 1986), au contradictoire des conseils des parties en présence, qui en ont été de ce fait informées, qu'il n'entendait pas conclure et s'en rapportait à la décision du Tribunal ; qu'il suit de là que le moyen invoqué par le demandeur est inopérant ;

Attendu que la demanderesse n'établit nullement ni même n'allègue que la législation de l'État du Rhode Island autorise l'exécution des jugements monégasques sans examen du fond ; que par ailleurs la Principauté de Monaco n'est pas liée avec les États-Unis d'Amérique par une convention régissant la reconnaissance des jugements émanant de l'un ou l'autre État dans le pays où l'exequatur est requis ;

Attendu, dans ces conditions, qu'il y a lieu de faire application en l'espèce des dispositions des articles 474 et 475 du Code de procédure civile, qui permettent en particulier au Tribunal d'examiner le jugement en la forme et au fond, à défaut de réciprocité admise par la loi du pays dont il émane ;

Attendu que l'analyse du jugement rendu le 10 novembre 1982 montre qu'il contient, tant en la forme qu'au fond, des dispositions critiquables qui ne sauraient être admises et qui font obstacle à ce qu'il soit déclaré exécutoire en Principauté ;

En la forme :

Attendu que R. n'apparaît pas avoir été mis à même de se défendre utilement dans la procédure ayant abouti au jugement du 10 novembre 1982 consécutif à l'audience du 27 octobre précédent ;

Attendu en effet que si l'ordonnance du 13 octobre 1982 lui enjoignant de comparaître à l'audience du 27 octobre comportait l'obligation, pour l'avocat occupant pour le défendeur (Maître Houlihan), de lui en adresser une copie, aucune pièce ne permet de vérifier si cette obligation a été remplie ; que la pièce communiquée par la demanderesse sous le n.3 (p. 9) établit toutefois que l'avocat plaidant de R. (Maître Hayes) a adressé une copie de l'ordonnance à son client par courrier daté du 14 octobre 1982 ;

Mais attendu que le délai ayant couru entre la réception de ce courrier et la date prévue pour l'audience doit être considéré comme manifestement insuffisant eu égard au lieu de résidence en France du défendeur ;

Attendu au surplus que les avocats du défendeur - conformément à la demande qu'ils avaient déposée devant le Tribunal le 14 octobre 1982 et dont il n'est pas établi que R. ait eu connaissance en temps opportun - ont été autorisés par le juge à ne plus représenter les intérêts de leur client à l'audience du 27 octobre 1982 ;

Qu'il s'ensuit que R. n'a pu faire valoir ses moyens de défense, soit personnellement, soit par l'intermédiaire d'un conseil, dans l'instance ayant abouti au jugement du 11 octobre 1982 rendu hors son contradictoire sans qu'il y ait été dûment appelé ; que ces circonstances sont contraires aux droits devant être reconnus à tout défendeur ;

Au fond :

Attendu que la lecture de ce jugement fait apparaître qu'en se basant exclusivement sur les déclarations, pièces et justifications fournies par E. P., le Tribunal a considéré comme établis l'ensemble des faits exposés par la demanderesse et a fait droit à ses prétentions, se bornant à reproduire pour l'essentiel dans son dispositif les termes de la demande ;

Attendu que les décisions prises par le Tribunal de Newport dans les circonstances ci-dessus précisées, si elles forment un ensemble cohérent et confèrent de ce fait au jugement une globalité rendant ces décisions indissociables l'une de l'autre, contiennent à certains égards des dispositions manifestement contraires à l'ordre public ou aux principes de droit dont la Principauté se réclame :

1°) Attendu que le jugement supprime tous les droits de visite de R. à titre de sanction de l'inobservation, par celui-ci, des injonctions antérieures ; que cette décision n'est pas précédée de la recherche de l'intérêt supérieur des enfants dont il est manifeste qu'il commande le maintien des relations avec leur père, sauf si ces relations devaient leur faire encourir un danger physique ou moral, hypothèse qui n'est pas avérée en l'espèce ;

Que la suppression des relations avec le père est décidée pour une période indéterminée puisque supposant d'une part, une « amende honorable » dont les modalités apparaissent en fait inapplicables dès lors que R. ne saurait désormais se conformer à toutes les décisions antérieures du Tribunal dont certaines sont dépassées, et d'autre part, une nouvelle saisine du Tribunal par une requête présentée par R. en personne, alors que l'éloignement et les moyens matériels de celui-ci constituent un obstacle sérieux à sa venue aux États-Unis, étant relevé qu'il lui est ainsi interdit de se prévaloir du droit de se faire représenter en justice ;

2°) Attendu que le jugement prononce des interdictions à l'égard de Maître Paul-Louis Aureglia, Notaire à Monaco, et soumet la levée de ces interdictions à l'autorisation préalable du Tribunal de Newport ;

Attendu que la souveraineté de la Principauté de Monaco exclut qu'une autorité judiciaire étrangère prononce des injonctions à l'égard d'un officier public nommé par le P. ;

3°) Attendu que le jugement alloue des dommages-intérêts (plus de 150 000 dollars US) à titre de sanction des fautes commises par R. à qui il est notamment reproché d'avoir détenu arbitrairement et infligé des souffrances intentionnelles à ses enfants ; que le Tribunal n'avait pas qualité pour qualifier le comportement du défendeur de « détention arbitraire » et ne disposait pas des éléments l'autorisant à tenir pour acquises « les souffrances intentionnelles » dont R. aurait été l'auteur ;

Que par rapport au dépassement de quatorze jours des droits de visite et d'hébergement qui lui étaient alors reconnus, les dommages-intérêts octroyés à la mère apparaissent manifestement excessifs et disproportionnés compte tenu de la faute commise et du préjudice qui en est directement et personnellement résulté pour la demanderesse ;

Attendu en conséquence que dans la mesure où la décision rendue le 10 novembre 1982 - sans que R. ait pu utilement faire valoir ses moyens de défense - ordonne la suppression de tout droit de visite du père, sans limitation de durée, à l'égard de ses enfants - à telle enseigne qu'il n'a pu les revoir à ce jour depuis septembre 1982 -, prononce des injonctions à l'encontre d'un notaire monégasque titulaire d'un office public et alloue des dommages-intérêts selon des modalités et règles de réparation incompatibles avec les principes de responsabilité appliqués en droit monégasque, l'exequatur de ce jugement ne saurait être ordonné en Principauté, étant observé que les autres dispositions qu'il contient, en ce qu'elles sont nécessairement liées à celles critiquées, ne sauraient davantage être rendues exécutoires à Monaco ;

Attendu que E. P., qui succombe, doit être condamnée aux dépens du présent jugement ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déboute E. P. de sa demande en exequatur ;

Composition

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Boéri et Blot, av. déf. ; Flory-Bertrand, av. (Barreau de Paris).

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25311
Date de la décision : 02/04/1987

Analyses

Exequatur ; International - Général ; Droit de la famille - Autorité parentale et droits de l'enfant


Parties
Demandeurs : Dame P.
Défendeurs : A. dit R. R.

Références :

ordonnance du 13 octobre 1982
article 184 alinéa 17 du Code de procédure civile
articles 474 et 475 du Code de procédure civile
Ordonnance du 14 septembre 1982


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-04-02;25311 ?

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