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19/02/1987 | MONACO | N°25290

Monaco | Tribunal de première instance, 19 février 1987, P.-A. c/ Veuve P.-L.


Abstract

Promesse de vente

Immeuble situé à Monaco et en France.

Compétence du tribunal

Action en réalisation de la promesse - Défendeur domicilié à Monaco - Action mobilière - Compétence de la juridiction monégasque

Nullité d'un acte

Altération des facultés mentales - Preuve : éléments intrinsèques et extrinsèques - Article 410-24°

Résumé

Le tribunal, saisi d'une demande en réalisation d'une promesse de vente rétractée concernant un immeuble situé pour partie en Principauté, pour partie en France, dirigée contre

un défendeur domicilié à Monaco, se trouve compétent, pour connaître, en vertu de l'article 2 du Code de procédure civil...

Abstract

Promesse de vente

Immeuble situé à Monaco et en France.

Compétence du tribunal

Action en réalisation de la promesse - Défendeur domicilié à Monaco - Action mobilière - Compétence de la juridiction monégasque

Nullité d'un acte

Altération des facultés mentales - Preuve : éléments intrinsèques et extrinsèques - Article 410-24°

Résumé

Le tribunal, saisi d'une demande en réalisation d'une promesse de vente rétractée concernant un immeuble situé pour partie en Principauté, pour partie en France, dirigée contre un défendeur domicilié à Monaco, se trouve compétent, pour connaître, en vertu de l'article 2 du Code de procédure civile, de cette action laquelle, tendant à l'exécution d'une obligation de faire, revêt une nature mobilière, alors que les dispositions de l'article 44 du Code de procédure civile français invoqué, sont étrangères à l'ordre procédural monégasque.

Se trouve fondée, en application de l'article 410-24° du Code civil, la nullité d'une promesse de vente dès lors qu'il est établi tant par les termes intrinsèques de celle-ci que par des éléments extrinsèques que la personne qui l'a consentie souffrait d'une altération des facultés mentales l'empêchant d'appréhender la compréhension de son engagement.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'aux termes d'une convention sous seing privé datée du 16 mars 1985, et enregistrée le 18 mars suivant, E. A. née P. a obtenu et accepté d'A. P. née L., une promesse unilatérale de vente portant sur un bien immobilier situé pour partie en France et pour partie à Monaco, ., consistant en une maison bâtie de 2 étages avec jardin et garage et devant lui être cédée, en viager, en contrepartie d'un bouquet de 800 000 F et d'une rente mensuelle de 3 500 F, ladite promesse étant stipulée valable jusqu'au 30 juin 1985 ;

Attendu que, par une lettre datée du 19 mars 1985, A. P. a notifié à E. A. qu'elle entendait se rétracter car elle n'était plus d'accord avec les termes de cette promesse ;

Attendu qu'E. A. a, sur ce, sommé A. P. par huissier et à la date du 22 mars 1985 d'avoir à comparaître le 26 mars suivant par-devant un notaire français et un notaire monégasque successivement, aux fins que soient dressés en exécution de la promesse susvisée les actes de la vente correspondante qu'E. A., par la même sommation, a déclaré accepter ;

Attendu que cette sommation étant demeurée sans effet, E. A., par l'exploit susvisé, demande au tribunal d'impartir un délai de 15 jours à A. P. pour signer lesdits actes et de décider, que faute pour celle-ci de ce faire, et sans préjudice des dommages-intérêts qu'elle aurait à supporter, en dernier lieu chiffrés à 10 000 F, le présent jugement vaudrait acte de vente avec tous effets de droit ;

Attendu que comparaissant en personne aux côtés de son administrateur judiciaire R. L. désigné par le tribunal à la date du 5 juillet 1985 sur le fondement de l'article 410-19° du Code civil, A. P. a d'abord excipé de l'incompétence du tribunal pour statuer, sur la promesse dont s'agit, quant à la partie d'immeuble située en France, et fait plaider la nullité de ladite promesse en vertu, d'une part, de l'article 410-24° du Code civil du fait qu'aurait déjà existé au 18 mars 1985 la situation ayant motivé la désignation de l'administrateur susnommé, et d'autre part, des articles 963 et 964 du Code civil au motif d'une violence morale qu'elle aurait subie en signant l'acte dont s'agit ;

Qu'elle réclame par ailleurs à E. A. outre 100 000 F de dommages-intérêts, en raison des circonstances, qu'elle estime fautives, dans lesquelles aurait été obtenu cet acte, une rente de 3 500 F depuis le 1er avril 1985 et jusqu'à ce que le jugement qu'elle sollicite soit devenu définitif, ce, en réparation du dommage matériel qu'elle aurait subi faute d'avoir pu conclure par-devant Maître Crovetto, notaire à Monaco, une vente qu'elle avait envisagée avec lui portant sur le bien objet de la promesse litigieuse et qui lui aurait procuré, si elle s'était réalisée, les arrérages de rente présentement sollicités ;

Attendu qu'E. A. a conclu en réplique au débouté des défendeurs des fins de leurs conclusions, et, sans se prononcer dans le dispositif de ses conclusions sur l'exception d'incompétence soulevée, au maintien des termes de son assignation tout en demandant acte de son offre de consigner entre les mains de qui il appartiendra notamment le montant de la rente viagère prévue par la promesse litigieuse, ce, à compter du 1er juillet 1985 ;

Qu'elle soutient pour l'essentiel à l'encontre de la thèse invoquée en défense, et qui ne tendrait selon elle qu'à permettre la vente de l'immeuble dont s'agit à un sieur E. avec lequel A. P. avait envisagé de contracter en se rendant avec lui en l'étude de Maître Crovetto le 13 mars 1985, que cette défenderesse, d'une part, était alors en pleine possession de ses moyens, dès lors qu'elle n'avait pas hésité à entrer de son plein gré en pourparlers avec des tiers au sujet de la vente envisagée, et, d'autre part, qu'elle n'aurait connu aucun vice de son consentement à la date de l'acte litigieux établi sur la base de documents qu'elle avait produits ;

Sur quoi,

Quant à la compétence :

Attendu qu'aux termes de l'article 2 du Code de Procédure civile les tribunaux de la Principauté ont compétence de principe pour connaître de toutes actions dirigées contre un défendeur domicilié en Principauté ;

Que la défenderesse, domiciliée à Monaco, ne peut être admise en son moyen d'incompétence tiré du lieu de situation de partie de l'immeuble objet de la promesse de vente litigieuse, dès lors que ledit moyen se trouve fondé en premier lieu sur les dispositions d'un texte de droit français (article 44 du Nouveau Code de procédure civile français) étranger à l'ordre procédural interne monégasque, et en deuxième lieu, mais a contrario, sur l'article 3-1° du Code de procédure civile monégasque, alors que ce texte n'est relatif qu'aux seules actions immobilières, tandis que l'action dont le tribunal se trouve saisi, ayant pour objet immédiat l'exécution d'une obligation de faire, est de nature mobilière ;

Quant au fond :

Attendu qu'assistée de son administrateur A. P. a produit à l'appui de sa défense :

– outre un jugement du tribunal rendu le 5 juillet 1985, et relevant son entière inaptitude à pourvoir à la gestion normal de ses intérêts :

– un certificat du Docteur G. M. L. attestant qu'en mars 1985 son état physique et psychique était devenu extrêmement préoccupant, ledit praticien ayant antérieurement indiqué qu'elle souffrait à la même époque d'une polyarthrite chronique évolutive très invalidante, d'une atteinte de son système nerveux central et d'un syndrome impliquant notamment une sécheresse des voies respiratoires supérieures ;

– par ailleurs, un certificat du Docteur R.-P., daté du 4 avril 1985, et précisant qu'elle avait reçu des soins de ce médecin motivés notamment par des vertiges ;

– d'autre part encore, un certificat du Docteur M. daté du 19 mars 1985, dont il ressort qu'elle était atteinte d'une insuffisance circulatoire cérébrale se manifestant en particulier par des absences ;

– et enfin une note, non contestée quant à ses indications, précisant qu'elle avait été en traitement au Centre hospitalier Princesse-Grace du 23 février au 22 mars 1985 et qu'elle avait alors reçu des soins à domicile prodigués par une infirmière diplômée ;

Attendu que les faits décrits par cet ensemble de pièces, qu'aucun élément sérieux de preuve contraire n'est venu contrecarrer, sont de nature à établir, avec précision et concordance à la conviction du Tribunal, la réalité, en mars 1985, de l'altération des facultés mentales d'A. P., résultant tant des maux dont celle-ci souffrait alors que de son âge, ayant motivé la mesure de protection ultérieurement prescrite par le tribunal, dans les termes de son jugement précité du 5 juillet 1985 ;

Attendu que le rapport d'enquête de la Sûreté publique préalable audit jugement daté du 29 avril 1985 et versé aux débats par le Ministère public au contradictoire des parties, confirme l'existence d'une telle altération et permet en outre de considérer que celle-ci était connue des proches d'A. P. en raison notamment du rythme de vie de cette dernière, sujette à des stades d'hypoglycémie pouvant la conduire à la syncope, inapte à soutenir longuement une conversation en raison de son extrême faiblesse, et devant par suite d'un déséquilibre de son métabolisme se nourrir essentiellement de liquide ;

Qu'en effet il ressort en particulier dudit rapport qu'une dame V. se rendait chaque mercredi chez A. P., dont elle était amie, afin de lui faire les courses et de lui entretenir gracieusement le logement, et que, de l'avis général tant de cette dame que de divers autres proches d'A. P., celle-ci, par son comportement, manifestait le besoin d'une personne attachée à la gestion de ses affaires, étant, à l'époque considérée, incapable d'y pourvoir par elle seule ;

Attendu par ailleurs, que le fait non contesté que la promesse litigieuse ait été longuement rédigée de la main d'A. P. en la seule présence du mari d'E. A. atteste en lui-même, eu égard aux conditions de santé d'A. P. ci-dessus relevées, de ce que l'acte alors souscrit excédait par sa nature les facultés de compréhension concomitantes de sa rédactrice, l'établissement de cet acte n'ayant pu qu'être laborieux et lassant pour cette partie ;

Qu'à ce propos, les termes intrinsèques de la promesse de vente dont s'agit, dont il est constant qu'ils ne laissent aucune possibilité à A. P. de continuer à habiter son logement, confirment manifestement l'incompréhension, qui vient d'être évoquée, par A. P. de la portée de ses engagements ;

Attendu qu'il s'ensuit que les conditions d'application de l'article 410-24° du Code civil se trouvent réunies en l'espèce, en sorte que la promesse de vente litigieuse conclue le 16 mars 1985 doit comme il est demandé être déclarée nulle ;

Quant aux dommages intérêts :

Attendu que les circonstances ci-dessus indiquées, dans lesquelles ladite promesse a été matériellement établie en ce qu'elles ont été le fait du mari de la demanderesse, non partie aux débats, ne sauraient justifier présentement l'allocation de la réparation du préjudice moral qui est réclamée à concurrence de 100 000 F en considération de leur caractère fautif ;

Que toutefois ledit préjudice, incontestable en son principe, apparaît devoir être partiellement réparé par E. A. à raison de l'introduction fautive de la présente instance fondée sur un titre dont cette demanderesse ne pouvait ignorer qu'il émanait d'une personne de son entourage notablement diminuée ; qu'il convient de ce chef de faire droit à la demande de réparation à concurrence d'une somme de 10 000 F ;

Attendu toutefois que la demande d'allocation de rente correspondant, comme il est soutenu, au produit d'un acte de vente qui aurait pu être conclu sans la présente instance apparaît, par son objet, procéder d'un préjudice éventuel ; qu'il n saurait dès lors y être fait droit ;

Et attendu qu'E. A., qui succombe en son action en sorte qu'elle ne saurait prétendre aux dommages intérêts qu'elle réclame, doit supporter les dépens du présent jugement ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Donne acte à R. L. de son intervention aux côtés d'A. P. née L., ès qualités d'administrateur judiciaire ;

Prononce la nullité de la promesse de vente litigieuse conclue le 16 mars 1985, ce, avec toutes conséquences légales ;

Condamne E. A. née P. à payer à A. P. née L. assistée de R. L. la somme de 10 000 F à titre de dommages intérêts ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Composition

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe J.-Ch. Marquet, Boéri et Léandri, av. déf. ; Cohen, av. (Barreau de Nice).

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25290
Date de la décision : 19/02/1987

Analyses

Avant-contrat ; Contrat - Général ; Compétence


Parties
Demandeurs : P.-A.
Défendeurs : Veuve P.-L.

Références :

article 2 du Code de procédure civile
article 410-19° du Code civil
article 410-24° du Code civil
article 3-1° du Code de procédure civile
articles 963 et 964 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-02-19;25290 ?

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