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23/01/1987 | MONACO | N°25271

Monaco | Tribunal de première instance, 23 janvier 1987, Société Industrielle de Monaco c/ dame M.


Abstract

Contrat de travail

Licenciement abusif - Absence de faute grave de l'employée

Résumé

Des négligences anodines et un refus de se prêter à l'épreuve d'une dictée comme test d'aptitude, dont les conditions n'étaient pas précisées par l'employeur, ayant donné lieu à un avertissement et à un blâme contre une employée en fonction depuis dix-huit ans dans l'entreprise, ne sauraient caractériser de sa part, un comportement d'insubordination constitutif d'une faute grave qui soit de nature, en faisant obstacle à la bonne continuation des relations

de travail, à justifier d'un motif valable de licenciement.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Statua...

Abstract

Contrat de travail

Licenciement abusif - Absence de faute grave de l'employée

Résumé

Des négligences anodines et un refus de se prêter à l'épreuve d'une dictée comme test d'aptitude, dont les conditions n'étaient pas précisées par l'employeur, ayant donné lieu à un avertissement et à un blâme contre une employée en fonction depuis dix-huit ans dans l'entreprise, ne sauraient caractériser de sa part, un comportement d'insubordination constitutif d'une faute grave qui soit de nature, en faisant obstacle à la bonne continuation des relations de travail, à justifier d'un motif valable de licenciement.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

Attendu que par l'exploit susvisé, la S.A.M. dénommée Société Industrielle de Monaco, ci-après S.I.M., a régulièrement formé appel d'un jugement du Tribunal du travail du 24 janvier 1985 signifié le 14 février suivant, lequel, dans l'instance opposant H. M. à son ancien employeur la Société S.I.M., après exposé des faits, moyens et prétentions des parties auquel le Tribunal d'appel entend faire référence, a jugé :

1° Sur la demande de réajustement des salaires, que les circulaires, publiées à Monaco, relatives au calcul de la rémunération minimale mensuelle du personnel relevant des entreprises de commerce et de commission import-export s'appliquent aux employés de la Société S.I.M. tant en ce qui concerne le salaire minimum de l'indice que la prime - variable - d'ancienneté s'ajoutant au salaire de base, au même titre que l'indemnité exceptionnelle de 5 % ;

Que bien que les parties n'aient pas convenu d'un classement pour la fixation du salaire de l'intimée, qui ne comprenait ni prime d'ancienneté ni indemnité exceptionnelle, il y a lieu de considérer - nonobstant l'incompétence du Tribunal du travail, en l'espèce, pour se prononcer sur ledit classement - que le salaire attribué à H. M. au cours des cinq années précédant sa demande correspond au coefficient minimal de la catégorie de l'emploi rémunéré, sans égard pour la détermination du classement de cet emploi ;

Que l'employeur n'ayant pas versé à l'intimée l'indemnité d'ancienneté et l'indemnité exceptionnelle de 5 % comme il en avait l'obligation, celle-ci est fondée à en obtenir paiement, depuis octobre 1978 jusqu'au jour de son licenciement, préalable calcul de leur montant par mesure d'expertise ;

2° Sur la demande en paiement du salaire du 29 novembre au 28 décembre 1983, que l'employeur en doit le paiement déduction faite des remboursements des caisses sociales, ce solde devant également être déterminé par voie d'expertise ;

3° Sur le préavis et l'indemnité de congédiement, que les dispositions légales imposent le paiement de ces indemnités sauf en cas de faute grave du préposé licencié dont la preuve n'est pas administrée en l'espèce, en sorte que la demande de ces chefs est fondée, référence devant être faite, pour en fixer le montant, au calcul du salaire et primes auquel tend l'expertise ;

4° Sur la validité du motif du licenciement et l'indemnité de licenciement, que les actes d'insubordination et les négligences volontaires de l'intimée, invoquées par l'employeur comme faisant obstacle à la bonne continuation des relations de travail, ne présentent pas un caractère réel et sérieux démontré, le fait de solliciter un nouveau classement et de refuser après près de 18 ans de service un test d'aptitude, outre d'autres faits à caractère anodin, n'étant pas de nature à constituer un motif valable de licenciement, en sorte que la demande de ce chef est fondée en son principe et déterminable en son montant au vu des éléments qui seront recueillis par l'expert ;

5° Sur les congés payés, que la période pendant laquelle leur paiement est demandé s'étend, durée de préavis comprise, entre le 1er juin 1983 et le 12 mars 1984, et que leur calcul dépend ici encore de la rémunération totale à déterminer par expertise ;

6° Sur les dommages-intérêts pour rupture abusive, que le refus de l'employeur d'envisager de manière sérieuse le reclassement de l'intimée, sa prétention de vouloir la soumettre, en dépit de son ancienneté dans l'entreprise, au test d'une dictée, comme la futilité des griefs qu'il invoque, administrent la preuve d'un licenciement fautif ayant occasionné un préjudice moral et matériel à l'employée - dont il importe peu de connaître le montant des retraites qu'elle peut être en droit de percevoir - justifiant l'allocation de dommages-intérêts à son profit ;

7° Sur les dépens, que ceux-ci doivent être réservés dans l'attente d'une décision statuant après expertise ;

Que pour les motifs ci-dessus rapportés dans leurs éléments essentiels, le Tribunal du travail s'est déclaré incompétent pour procéder en première instance au classement de H. M., la décision de la Commission de classement ne lui ayant pas été déférée dans les formes et délais de la loi, a dit y avoir lieu à réajustement de la rémunération minimale, fixée de gré à gré par les parties, par l'octroi de la prime d'ancienneté et de l'indemnité exceptionnelle de 5 % pour la période d'octobre 1978 au jour du licenciement, en application notamment des circulaires monégasques mentionnées, a dit que l'employeur est tenu de verser à son ancienne préposée l'intégralité de son salaire pendant la période d'absence pour cause de maladie justifiée, sauf à déduire le montant de versements des prestations en espèces effectués par les caisses sociales, a déclaré fondées les demandes en paiement des indemnités compensatrices de congés payés et de préavis, de congédiement et de licenciement, a jugé que le licenciement est intervenu sans justification d'une faute grave et sans motif valable, a déclaré ledit licenciement abusif, a condamné en conséquence la S.A.M. S.I.M. à payer à H. M. :

* l'indemnité d'ancienneté et l'indemnité exceptionnelle de 5 % pour la période d'octobre 1978 au 12 janvier 1984,

* le salaire du 29 novembre 1983 au 28 décembre 1983 déduction faite des prestations en espèces versées par les caisses sociales,

* l'indemnité de préavis pour la période du 12 janvier au 12 mars 1984,

* l'indemnité de congédiement et de licenciement,

* la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,

a débouté la demanderesse du surplus de ses prétentions et la Société S.I.M. de ses demandes d'enquête, et, par décision avant dire droit, a commis Madame Madeleine Boni, en qualité d'expert, à l'effet de déterminer, aux frais avancés par la Société S.I.M., les montants relatifs aux divers chefs de demande ci-dessus analysés, par application des dispositions législatives et réglementaires pertinentes, et le cas échéant, de concilier les parties ou de dresser rapport de ses opérations, a désigné le président du Tribunal du travail pour suivre l'expertise et a réservé les dépens ;

Attendu que par son acte d'appel et ses écritures ultérieures, la Société S.I.M. a sollicité la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a fait droit aux demandes en paiement des indemnités de préavis, de congédiement, de licenciement et de dommages-intérêts, sa confirmation en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent pour procéder au reclassement de l'intimée, et le maintien, sauf à les modifier pour tenir compte des gratifications et primes qui auraient été versées à l'employée, des premiers chefs de mission de l'expertise tendant à déterminer les taux et montants des indemnités exceptionnelle et d'ancienneté (acte introductif d'instance du 22 février 1985) ; qu'elle a ensuite demandé un sursis à statuer jusqu'à « la démonstration par l'une ou l'autre des parties des ressources de Madame M. en tant que retraitée » (conclusions du 27 juin 1985) puis a réitéré les termes de son exploit d'appel en estimant toutefois qu'au cas où le tribunal reconnaîtrait fondés les chefs relatifs aux indemnités exceptionnelle et d'ancienneté, au salaire pendant la période de maladie et à l'indemnité de congés payés - les autres chefs devant être abandonnés en l'état d'un licenciement qu'elle estime valablement intervenu sans préavis ni indemnité et justifié par une faute grave -, il n'y aurait plus lieu de recourir à une mesure d'expertise en l'état des pièces justificatives produites (conclusions du 12 décembre 1985) ;

Qu'au soutien de ses prétentions, la société appelante fait essentiellement valoir qu'elle a été « victime d'une provocation à licenciement » ourdie par l'intimée dont les agissements au cours des quelques jours ayant précédé son licenciement (actes répétés d'insubordination, négligences volontaires, comportements insolents, lettre d'avertissement et blâmes adressés sans appeler de contestation de sa part), d'autant plus incompréhensibles que cette salariée n'avait jamais donné lieu à observation en près de 18 ans de service, ne peuvent s'expliquer que par son intention dissimulée de cumuler les avantages d'une très proche retraite lui ouvrant droit à des pensions supérieures à son salaire, avec ceux d'un licenciement qu'elle veut faire juger abusif ;

Qu'à l'appui de cette thèse, la Société S.I.M. mentionne les excessives prétentions, formulées en novembre 1983, de son employée tendant à être reclassée du coefficient 135 au coefficient 200 sans se satisfaire des propositions de transaction qui lui étaient faites et en s'abstenant de saisir la commission paritaire ad hoc dans les délais requis, et fait état de sa mauvaise volonté délibérée dans le travail destinée à rendre insupportable la continuation des relations professionnelles jusque-là marquées par un esprit de compréhension très élevé voire de générosité de la part de l'employeur ; que l'appelante déduit en outre de la préparation minutieuse, par l'intimée, de son dossier tendant au paiement d'arriérés de salaire la préméditation du licenciement qu'elle cherchait manifestement à provoquer ;

Que l'appelante reproche par ailleurs aux premiers juges d'avoir inexactement apprécié les griefs, qu'ils auraient à tort qualifiés de futiles, qu'elle a invoqués à l'encontre de l'intimée et estime que la reconsidération de son classement imposait le recours à une épreuve tendant à vérifier son niveau d'orthographe, contrôle auquel elle a refusé, sans raison sérieuse, de se soumettre, admettant par là-même ne pas posséder les aptitudes requises pour être classée au coefficient sollicité ;

Qu'elle conteste le caractère abusif du licenciement tel que retenu par les premiers juges et considère au contraire qu'après un avertissement écrit et trois blâmes, le licenciement avait une cause valable et était justifié par une faute lourde de l'employée ;

Attendu qu'en réponse, H. M., abandonnant certaines de ses prétentions initiales, conclut à la confirmation pure et simple du jugement entrepris en toutes ses dispositions ; qu'elle soutient en particulier que son employeur a imaginé de la soumettre à une dictée par mesure de rétorsion, après qu'elle ait légitimement exprimé sa volonté d'être reclassée, puis a pris l'initiative de la rupture des relations de travail en invoquant des motifs qui ne peuvent être qualifiés de valables ni a fortiori justifier un licenciement immédiat sans indemnité ni préavis, dont le Tribunal du travail a retenu à bon droit le caractère abusif ouvrant droit à des dommages-intérêts à son profit dont le quantum a été justement apprécié ;

Qu'elle s'oppose à la demande de sursis à statuer en indiquant, en tant que de besoin, et sans appeler de contestation de ce chef, le montant des retraites qu'elle perçoit (2 818 francs mensuels au total) ; que de manière générale, elle conteste la présentation des faits et l'argumentation développée par l'appelante ;

Sur quoi,

Attendu que la Société S.I.M. s'abstient de critiquer les chefs du jugement dont appel par lesquels le Tribunal du travail, après avoir constaté que les indemnités exceptionnelle de 5 % et d'ancienneté n'avaient pas été payées, a reconnu à H. M. le droit d'en obtenir paiement durant la période considérée, d'une part, et a admis la demande en paiement du salaire du 29 novembre au 28 décembre 1983 sous déduction des prestations en espèces perçues, d'autre part ;

Attendu qu'en faisant droit à ces demandes par des motifs que le Tribunal d'appel entend faire siens, les premiers juges ont fait une juste application des dispositions concernées aux faits de la cause, en sorte que leur décision doit être confirmée y compris en ce qu'elle a ordonné une expertise à l'effet de déterminer les montants dus à l'employée, cette mesure d'instruction apparaissant nécessaire à l'information de la juridiction, ne serait-ce que pour vérifier les calculs auxquels s'est livrée H. M. sur ces points, calculs que l'appelante, en dernier ressort, n'a pas expressément reconnus exacts et s'est elle-même abstenue de chiffrer pour en offrir ensuite le paiement - dont elle ne paraît pas contester le principe - à la demanderesse, le tribunal observant qu'en cas d'accord des parties, l'expert commis ne manquerait pas, ainsi que sa mission le commande, de les concilier ;

Qu'il y a lieu de relever, par ailleurs, qu'en dépit de ses allégations, la Société S.I.M. ne justifie pas avoir versé le salaire afférent à la période d'arrêt de travail pour maladie de son employée, rémunération dont le montant doit être fixé à dire d'expert compte tenu des circonstances de la cause ;

Attendu, sur les conditions du licenciement, que l'employeur a justifié la rupture avec effet immédiat des relations de travail par une attitude d'insubordination délibérée et systématique que l'employée aurait adoptée dans les premiers jours de l'année 1984, soit une dizaine de jours, comportement qu'il entend établir par les notes portées sur un cahier d'instructions - qu'il produit - au moyen duquel les parties communiquaient, le tribunal relevant qu'aucune autre pièce n'apporte la justification de la « lettre d'avertissement » ou des blâmes invoqués par la Société S.I.M. ;

Mais attendu que les éléments qui peuvent être puisés de ce document montrent que les relations entre les parties se sont dégradées à compter du jour (3 janvier 1984) où H. M. a estimé, forte de conseils qu'elle aurait obtenus de fonctionnaires de l'Inspection du travail, devoir être classée au coefficient hiérarchique 200, son employeur l'ayant alors invitée à se soumettre à une épreuve d'orthographe ; que le refus de subir un tel test a conduit l'employeur à lui donner un « avertissement » le 4 janvier 1984 et à lui infliger un « blâme » le 5 janvier 1984, réitéré les 6 et 7 janvier suivants, tout en lui faisant par ailleurs divers reproches relatifs aux reliefs malodorants des repas ou collations qu'elle prenait sur place, à l'absence systématique de remise en place, après usage, de la housse protectrice du photocopieur, à une mauvaise utilisation de la chasse d'eau des toilettes, au défaut de fermeture des portes de placard ou de WC et à des appels téléphoniques privés reçus pendant les heures de travail ;

Attendu que ces reproches, à les supposer fondés, ne permettraient pas pour autant de déduire que l'employée a fait preuve d'une insubordination constitutive d'une faute grave ; que, par ailleurs, son refus de se soumettre au test d'orthographe - dont les conditions n'étaient pas précisées par l'employeur - n'apparaît nullement fautif en l'espèce, eu égard à son ancienneté dans l'entreprise, et ne saurait dès lors justifier les « avertissements ou blâmes » dont elle a été à tort l'objet ; qu'enfin les éléments de la cause n'autorisent pas à affirmer que l'intimée a entendu - dans le dessein d'en tirer un parti dont l'intérêt, au demeurant, n'apparaît pas clairement - provoquer la mesure de licenciement prise à son encontre ;

Attendu en conséquence que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'aucun motif valable n'était invoqué au soutien du licenciement, que la rupture n'était pas justifiée par une faute grave de l'employée et, qu'au contraire, l'employeur avait commis une faute dans l'exercice de son droit de licenciement intervenu dans les conditions ci-dessus rapportées ;

Que c'est donc à juste titre qu'ils ont alloué à H. M. des indemnités compensatrices de préavis, de congédiement et de licenciement - dont le montant ne peut être déterminé que par référence au salaire réellement dû, à fixer lui-même par voie d'expertise -, une indemnité afférente aux congés payés portant sur la période, durée de préavis comprise, du 1er juin 1983 au 12 mars 1984, et des dommages-intérêts exactement évalués compte tenu du préjudice occasionné ;

Attendu en conséquence que la décision du Tribunal du travail doit être confirmée en toutes ses dispositions, excepté toutefois du chef des dépens dès lors que ceux-ci n'ont pas lieu d'être réservés, eu égard à la succombance de la Société S.I.M., mais doivent d'ores et déjà être mis à la charge de cette société ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

En la forme, reçoit l'appel de la société anonyme monégasque dénommée « Société Industrielle de Monaco » ;

Au fond, l'en déboute ;

Confirme en conséquence le jugement entrepris du Tribunal du travail en date du 24 janvier 1985 en toutes ses dispositions, excepté du chef des dépens ;

Réformant à cet égard seulement ledit jugement ;

Composition

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Marquet et Clérissi, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25271
Date de la décision : 23/01/1987

Analyses

Contrats de travail ; Social - Général


Parties
Demandeurs : Société Industrielle de Monaco
Défendeurs : dame M.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-01-23;25271 ?

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