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20/01/1987 | MONACO | N°25269

Monaco | Tribunal de première instance, 20 janvier 1987, B. c/ Société Transports Frigorifiques Auvergne-Méditerranée.


Abstract

Responsabilité du fait des choses inanimées

Conditions d'application de l'article 1231 du Code civil - Rôle actif de la chose - Faute de la victime ayant concouru à l'accident - Exonération partielle du gardien

Résumé

Les circonstances d'une collision se produisant entre une remorque, tractée par un camion, se déportant hors de son couloir de circulation pour dépasser un véhicule en stationnement et une voiture automobile qu'elle croisait, qui font apparaître, d'une part, la position anormale de la remorque sur la chaussée et son rôle actif da

ns la réalisation des dommages, d'autre part, le défaut de maîtrise du conducteur de ...

Abstract

Responsabilité du fait des choses inanimées

Conditions d'application de l'article 1231 du Code civil - Rôle actif de la chose - Faute de la victime ayant concouru à l'accident - Exonération partielle du gardien

Résumé

Les circonstances d'une collision se produisant entre une remorque, tractée par un camion, se déportant hors de son couloir de circulation pour dépasser un véhicule en stationnement et une voiture automobile qu'elle croisait, qui font apparaître, d'une part, la position anormale de la remorque sur la chaussée et son rôle actif dans la réalisation des dommages, d'autre part, le défaut de maîtrise du conducteur de la voiture automobile qui n'a pu, en raison de sa vitesse et de la pluie rendant la chaussée glissante, opérer une manœuvre salvatrice, justifient une exonération partielle de la responsabilité pesant sur le gardien de la remorque, en vertu de l'article 1231 du Code civil, par suite de la faute du conducteur de l'automobile.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'il est constant que P. B. a été victime d'un accident de la circulation, survenu le 25 mars 1984 vers 7 heures 20, en entrant en collision, alors qu'il circulait, au volant de son automobile de marque Peugeot type 205 GT, sur la voie descendante du boulevard du Jardin Exotique en direction du Pont Sainte-Dévote, avec le camion semi-remorque de 38 tonnes, propriété de la Société Transports Frigorifiques Auvergne-Méditerranée, conduit par le chauffeur préposé de cette société J. A. R., qui, circulant dans le sens inverse dudit boulevard, venait de se déporter sur sa gauche, empiétant ainsi sur la partie aval de la chaussée, pour dépasser une benne de ramassage des ordures ménagères momentanément stationnée au niveau du n° 35 du boulevard du Jardin Exotique ;

Attendu que par l'exploit susvisé P. B., estimant que la responsabilité civile de l'employeur de R., également propriétaire d'un semi-remorque, se trouve engagée sur la base de l'article 1231 du Code civil, a fait assigner la société de droit français dénommée « Transports Frigorifiques Auvergne-Méditerranée » (ci-après T.F.A.M.) et sollicite du tribunal qu'il déclare R. exclusivement responsable de l'accident, et la Société T.F.A.M. civilement responsable de celui-ci, qu'il condamne cette société à lui payer la somme de 41 038,59 francs en réparation de son préjudice matériel, qu'il ordonne une expertise médicale à l'effet d'évaluer son préjudice corporel et qu'il condamne la société requise à lui payer une provision de 4 000 francs, outre les dépens ;

Attendu que la Société T.F.A.M. a opposé à ces demandes deux moyens d'irrecevabilité, le premier fondé sur le fait que R. n'a pas été attrait aux débats alors que l'appréciation de sa responsabilité est préalable à celle du civilement responsable, le second tenant à ce que B., sapeur-pompier à Monaco, ayant été victime d'un accident de trajet présentant le caractère d'un accident de travail, l'État de Monaco, son employeur, et la Compagnie U.A.P., assureur-loi, doivent être appelés en la cause ;

Attendu que B. a alors précisé qu'il fonde sa demande sur les principes de la responsabilité du fait des choses édictés par l'article 1231 du Code civil, la Société T.F.A.M. pouvant en conséquence être attraite seule aux débats en sa qualité de propriétaire gardienne du camion ; qu'il a par ailleurs fait connaître que l'U.A.P., assureur-loi de l'État, a été intégralement indemnisée par l'assureur de la Société T.F.A.M. et n'a donc pas lieu d'être appelée en cause, faute d'intérêt à agir ;

Attendu que la Société T.F.A.M. a, à ce stade, pris acte des argumentations contradictoires successivement développées par le demandeur, en relevant qu'elle n'a pas été assignée en qualité de gardienne du véhicule mais comme civilement responsable de son préposé R., non présent aux débats ;

Qu'elle estime en tout état de cause que la présence de celui-ci est indispensable puisqu'il se trouvait investi de la garde du camion qu'il conduisait, et qu'en outre, l'accident ayant mis en cause deux véhicules, les présomptions de responsabilité du fait des choses pouvant être invoquées de part et d'autre s'annulent ;

Qu'elle observe par ailleurs que le défaut d'intérêt de l'assureur-loi dont il est fait état n'est pas prouvé et qu'en outre des réserves sur l'évolution future de la victime pourraient être formulées par celui-ci ;

Qu'enfin, elle conteste l'utilité de la mesure d'expertise sollicitée ;

Attendu qu'en réponse à ces conclusions B. a clairement précisé, ce qu'il a d'ailleurs confirmé à l'audience, que son action est uniquement fondée sur l'article 1231, alinéa 1, du Code civil, la responsabilité de la Société T.F.A.M. étant recherchée en sa qualité de gardienne du camion, en sorte que la présence de R. n'est pas indispensable ; qu'eu égard à l'assureur-loi, il considère avoir rapporté la preuve que celui-ci a été rempli de ses droits ;

Attendu que dans d'ultimes conclusions, la société défenderesse, se plaçant sur le terrain juridique invoqué par B., a à nouveau prétendu que les conséquences des présomptions de responsabilité pesant sur chacun des gardiens se neutralisent, en précisant à cet égard que les gardiens sont respectivement responsables des dommages qu'ils se sont l'un l'autre occasionnés, ce qui doit entraîner le rejet des demandes de B. ;

Qu'à titre subsidiaire, elle estime être exonérée de sa responsabilité dans la mesure où la cause essentielle, sinon unique, de l'accident réside dans la faute de conduite de B., qui n'aurait pas su rester maître de son véhicule, tandis qu'il est allégué, en tant que de besoin, que R. n'a commis aucune faute ;

Que plus subsidiairement, la Société T.F.A.M., relevant que l'accident n'a pas donné lieu à une I.P.P. et que l'I.T.T. éventuellement subie par B. a été entièrement prise en charge par l'assureur-loi, s'oppose à la mesure d'expertise sollicitée ; qu'elle conteste par ailleurs l'évaluation, produite par le demandeur, des dégâts matériels occasionnés dont le coût n'est pas, selon elle, justifié ;

Qu'elle conclut en conséquence au débouté de B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Sur quoi,

La responsabilité

Attendu que les précisions fournies par B. quant au fondement de son action ont pour conséquence d'ôter toute portée à sa demande initiale tendant à faire déclarer R. entièrement responsable de l'accident et tenu de réparer le préjudice qui en est résulté ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer de ce chef, ni de celui, qui en est le corollaire, visant à faire déclarer la Société T.F.A.M. civilement responsable de son préposé, dans le cadre de la responsabilité pour autrui présumée par l'article 1231, alinéa 4, du Code civil ;

Attendu que la question que le tribunal est en l'espèce conduit à trancher est relative au point de savoir si la société défenderesse peut être déclarée responsable, par application de l'article 1231, alinéa 1, dudit code, des dommages causés par le camion avec lequel la voiture de B. est entrée en collision, ce qui suppose notamment qu'elle ait eu la garde dudit camion lors de l'accident ;

Attendu à cet égard qu'il n'est pas contesté qu'elle est propriétaire de ce véhicule et que celui-ci était conduit par son préposé dans le cadre de ses fonctions de chauffeur ; que, dès lors, la Société T.F.A.M. doit être considérée comme gardienne du camion comme en ayant, en sa qualité de propriétaire-commettante, conservé les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle, l'utilisation qu'en faisait R. pour le compte de son employeur étant insuffisante à établir à elle seule que la garde lui ait, de ce fait, été transférée ; qu'il doit en conséquence être passé outre au moyen tiré de l'absence aux débats du conducteur du camion ;

Attendu que par ailleurs il n'est pas dénié que ce véhicule, dont la remorque occupait une situation anormale sur la chaussée dans le couloir de circulation ne lui étant pas réservé, a joué un rôle actif dans l'accident et a été l'instrument du dommage occasionné au demandeur ;

Attendu qu'il doit donc être déduit des considérations qui précèdent que la présomption de responsabilité du fait des choses que l'on a sous sa garde doit s'appliquer à la Société T.F.A.M., laquelle est tenue de réparer les dommages occasionnés à B. - le tribunal relevant ici que pour sa part le demandeur n'apparaît pas avoir causé de préjudice à la Société T.F.A.M. ou, qu'à tout le moins, celle-ci n'invoque pas un tel préjudice ni n'en demande réparation -, sauf pour elle à s'exonérer de la responsabilité qui lui incombe ;

Attendu, sur ce dernier point, que les éléments du dossier d'enquête de police produit aux débats montrent que B., qui conduisait par temps de pluie sur une voie descendante à une allure supérieure, selon ses propres dires, à celle admise en Principauté, n'a pu immobiliser à temps son véhicule pour éviter la collision ou tenter une manœuvre de passage sur la partie droite de sa voie de circulation, dans l'espace laissé libre entre le trottoir aval et le côté gauche de la remorque ;

Qu'il apparaît ainsi avoir manqué de maîtrise dans la conduite de son véhicule et commis une faute qui, eu égard aux circonstances, justifie qu'il conserve à sa charge un tiers de ses propres dommages, la responsabilité de la société défenderesse se trouvant diminuée d'autant en raison de l'admission de cette cause d'exonération partielle ;

La réparation

Attendu qu'il ne résulte pas avec certitude des éléments soumis au tribunal que l'U.A.P. soit intervenue en qualité « d'assureur-loi » de l'État garantissant les conséquences d'un accident du travail, au sens de la loi n. 636 du 11 janvier 1958, B., sapeur-pompier de la force publique, apparaissant relever d'un statut ne le soumettant pas aux règles instituées en la matière pour les relations de travail de droit privé ; qu'en outre, il est justifié que l'U.A.P. a été intégralement remplie de ses droits ; que dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'imposer à B. d'appeler son employeur ou l'assureur de celui-ci en la cause ;

Attendu, sur le préjudice corporel subi par la victime, que selon certificat médical annexé au dossier d'enquête - seul élément produit à ce titre - B. a fait l'objet du fait de l'accident d'un traumatisme crânien sans perte de connaissance et d'un traumatisme thoracique et hypocondre gauche ayant justifié huit jours d'incapacité de travail ; qu'il a en outre déclaré avoir été gardé trois jours en observation au Centre hospitalier Princesse Grace ;

Attendu que ces éléments qui, ainsi que la victime l'a admis, ne révèlent aucune incapacité permanente prévisible, ne justifient pas la mesure d'expertise sollicitée près de trois ans, en outre, après les faits ; que, toutefois, les atteintes corporelles subies par la victime consécutivement à l'accident doivent être réparées par l'allocation d'une somme que le tribunal estime devoir fixer à 3 600 francs, dont la société défenderesse devra supporter en définitive les 2/3 ;

Attendu, en ce qui concerne le préjudice matériel consécutif aux dégâts occasionnés au véhicule Peugeot de la victime, qu'il résulte des rapports d'expertise établis à la demande des assurances concernées que le véhicule n'a pas été réparé compte tenu de l'importance des dégâts mais « traité en épave » ; qu'il n'y a donc pas lieu de se référer à l'évaluation de la remise en l'état à laquelle se sont livrés les experts mais à celle qu'ils ont établie par différence des valeurs, vénale et de sauvetage, soit le montant de 36 600 francs sur lequel ils se sont d'ailleurs accordés ;

Qu'il y a lieu dès lors de condamner la Société T.F.A.M. à payer les 2/3 de cette somme compte tenu du partage de responsabilité retenu ;

Attendu que les dépens doivent être partagés dans la même proportion entre les parties, eu égard à leur succombance respective ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare recevable la demande de P. B. ;

Au fond, déclare la société dénommée Transports Frigorifiques Auvergne-Méditerranée aux deux tiers responsable, en sa qualité de gardienne de camion tracteur semi-remorque immatriculé 8216 et 8227 SE 63, de l'accident survenu le 25 mars 1984 et tenue de réparer dans cette proportion les conséquences dommageables qui en sont résultées pour P. B., d'un point de vue tant corporel que matériel ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner une mesure d'expertise médicale ;

Fixe respectivement à 3 600 francs et 36 600 francs les montants de la réparation des préjudices corporel et matériel subis par B. du fait de l'accident ;

Condamne en conséquence la Société Transports Frigorifiques Auvergne-Méditerranée à payer à B., compte tenu de sa part de responsabilité dans l'accident, les sommes de 2 400 francs et 24 400 francs à ces titres, soit 26 800 francs au total ;

Composition

MM. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Sbarrato et Clérissi, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25269
Date de la décision : 20/01/1987

Analyses

Droit des obligations - Responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle


Parties
Demandeurs : B.
Défendeurs : Société Transports Frigorifiques Auvergne-Méditerranée.

Références :

article 1231 du Code civil
loi n. 636 du 11 janvier 1958


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1987-01-20;25269 ?

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