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14/11/1986 | MONACO | N°25245

Monaco | Tribunal de première instance, 14 novembre 1986, Société Infinitif c/ Dame C. V.


Abstract

Responsabilité contractuelle

Contrat de distribution exclusive - Clause d'exclusivité de diffusion d'une marque. - Refus de vente - Ordonnance-loi du 5 mai 1944 - Caractère anormal de la demande : fait justificatif (oui) marchandise juridiquement indisponible (oui)

Résumé

Le contrat de distribution exclusive s'il peut être prouvé en matière commerciale par tous les moyens, n'est pas en l'espèce établi, à défaut d'un document émanant du contestataire, alors que l'absence de tout élément contractuel apparaît peu probable dans le commerce des a

rticles de mode et de haute qualité, où le concessionnaire a des obligations définies e...

Abstract

Responsabilité contractuelle

Contrat de distribution exclusive - Clause d'exclusivité de diffusion d'une marque. - Refus de vente - Ordonnance-loi du 5 mai 1944 - Caractère anormal de la demande : fait justificatif (oui) marchandise juridiquement indisponible (oui)

Résumé

Le contrat de distribution exclusive s'il peut être prouvé en matière commerciale par tous les moyens, n'est pas en l'espèce établi, à défaut d'un document émanant du contestataire, alors que l'absence de tout élément contractuel apparaît peu probable dans le commerce des articles de mode et de haute qualité, où le concessionnaire a des obligations définies et particulièrement strictes concernant aussi bien la commercialisation des articles que le maintien du prestige de la marque, dont il est le garant à l'égard du concédant.

A défaut de l'existence d'un contrat d'exclusivité, les relations commerciales entre les parties eu égard aux circonstances de la cause, s'analysent en un contrat de vente, le revendeur à la différence d'un concessionnaire exclusif n'ayant aucune obligation de promouvoir la marque.

Le refus d'exécuter une commande - bien que pouvant se rattacher aux dispositions de l'article 26 de l'ordonnance-loi du 5 mai 1944 qui considère comme majoration illicite de prix, érigée en délit, le fait pour un commerçant de refuser de satisfaire à une demande qui ne présente aucun « caractère anormal » apparaît justifié par les pourparlers sérieux engagés par le vendeur avec un tiers en vue de concrétiser un contrat de franchise, lesquels étaient de nature à rendre juridiquement indisponible la marchandise détenue par le vendeur.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que suivant exploit susvisé en date du 26 juin 1984, la Société Anonyme Infinitif a assigné C. V. - ., aux fins de s'entendre celle-ci condamner à lui payer la somme de 14 552,04 francs représentant le montant d'une facture restée impayée, avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure, voir constater l'état de cessation des paiements de la requise, désigner par tel syndic et juge commissaire qu'il appartiendra, et, subsidiairement, pour le cas où le Tribunal ne prononcerait pas la cessation des paiements de C. V., la voir en outre condamner à lui payer 3 000 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice commercial subi, avec exécution provisoire du jugement à intervenir ;

Attendu que C. V., qui ne conteste pas le montant de la facture réclamée par la société demanderesse, forme néanmoins une demande reconventionnelle et sollicite la condamnation de la Société Infinitif à lui payer 30 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial que lui a causé son attitude, laquelle somme sera compensée judiciairement avec le montant de la facture précitée dont elle se reconnaît débitrice ;

Qu'à l'appui de ses prétentions, C. V. expose que dans le cadre de ses relations commerciales avec la Société Infinitif, un acte fut passé le 6 avril 1983, aux termes duquel lui fut concédée l'exclusivité de la diffusion dans la Principauté de Monaco des marques « Infinitif » et « R. Infinitif », dans l'attente de la création par elle d'une boutique franchisée dans de nouveaux locaux ; qu'elle avait alors acquis quelques articles d'été disponibles et passé une commande de vêtements d'hiver pour un montant d'environ 100 000 francs, tout en commençant à multiplier les initiatives pour promouvoir les produits de la marque « Infinitif » ;

Que s'étant par la suite rendue à la fin septembre au Salon du Prêt-à-porter de Paris, aux fins d'y passer commande pour la collection d'été 1984, la dame V. se vit alors opposer un refus de vente catégorique de la Société Infinitif, dont un dirigeant l'informait de la concrétisation toute proche d'un contrat de franchise au profit d'une autre boutique située à Monaco, avec exclusivité réciproque d'achat et vente ; qu'il s'ensuit que C. V., qui dit avoir accompli de nombreuses opérations de promotion des articles produits par la Société Infinitif, s'estime fondée à solliciter en réparation du préjudice subi 30 000 francs de dommages-intérêts ;

Attendu que la Société Infinitif expose en réponse que la réalité de l'accord du 6 avril 1983 conférant à C. V. l'exclusivité de la diffusion ne résulte d'aucun document contractuel ni autre élément de fait probant et s'oppose à l'existence d'une autre boutique assurant à Monte-Carlo la diffusion de sa marque ; que s'agissant par ailleurs du refus d'enregistrer la commande de M. pour la collection printemps-été 1984, la Société Infinitif fait valoir qu'elle s'apprêtait à concrétiser un contrat de franchise avec une boutique de Monaco, qui devait prévoir une exclusivité réciproque, et qu'elle était alors contrainte, dans un souci de loyauté commerciale, de « geler provisoirement » ses relations d'affaires avec tout autre dépositaire non exclusif de la marque Infinitif ; qu'elle avait dans ce but demandé à C. V. de se présenter au Salon du Prêt-à-porter le 27 septembre 1983, pour l'informer des risques d'annulation d'une éventuelle commande en cas de concrétisation d'un contrat de franchise sur la région de Monaco et donc de l'opportunité de ne pas enregistrer ladite commande ;

Qu'enfin, la société demanderesse précise que C. V. qui n'était pas franchisée n'avait aucune obligation contractuelle concernant la promotion de la marque Infinitif qu'elle a en fait assurée à ses risques et dans le cadre d'opérations publicitaires concernant avant tout son propre magasin, la Boutique M., qu'ainsi, les frais engagés de ce chef par C. V. l'ont été de sa seule initiative et à son seul profit ;

Qu'en conséquence, la Société Infinitif conclut au débouté de C. V. des fins de demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts et en compensation judiciaire ;

Sur quoi,

Sur la demande principale en paiement de facture :

Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats, et notamment de la facture portant le n° 38544 établie le 3 octobre 1983 et produite par la société demanderesse, que C. V., qui ne le conteste nullement, est redevable envers la Société Infinitif d'une somme de 14 552,04 francs correspondant au prix de diverses fournitures de vêtements pour la saison d'hiver 1983 qui lui ont été effectivement livrées ;

Qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de condamner C. V. à payer ladite somme de 14 552,04 francs à la Société Infinitif et d'assortir cette condamnation, ainsi que le réclame la société créancière, des intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 1983, date de la lettre recommandée avec accusé de réception versée aux débats, valant mise en demeure de la défenderesse ;

Sur la demande reconventionnelle :

Attendu qu'il ressort des écrits judiciaires de C. V. que celle-ci entend obtenir la compensation de la dette précitée avec la créance de dommages et intérêts dont elle serait titulaire à l'encontre d'Infinitif et résultant du préjudice commercial qu'elle aurait subi du fait d'une part, de la rupture d'un contrat verbal d'exclusivité, et, d'autre part, d'un refus de vente qui lui fut opposé par la Société Infinitif en septembre 1983 au Salon du Prêt-à-porter ;

Qu'il convient dès lors d'examiner chacun des chefs de préjudice précités :

1° Sur l'exclusivité consentie par la Société Infinitif à C. V. :

Attendu que l'accord allégué, qui serait intervenu le 6 avril 1983 lors d'une réunion entre la dame V. et un directeur commercial de la Société Infinitif, ne résulte d'aucun document contractuel versé aux débats ; que néanmoins, la preuve étant libre en matière commerciale, il appartient à celui qui se prétend bénéficiaire d'une clause d'exclusivité de rapporter par tous les moyens la preuve de son existence ; que C. V. ne produit à cette fin qu'une seule pièce, à savoir une correspondance du 6 octobre 1983 évoquant l'accord du 6 avril mais rédigée par elle-même et non par celui auquel elle impute ledit contrat et postérieure au salon du prêt-à-porter du mois de septembre 1983, au cours duquel elle fut informée par la Société Infinitif de ce que sa commande ne serait pas enregistrée ; que cet élément de fait allié à l'aveu par C. V. de la présence d'un autre dépositaire de la marque Infinitif sur la Principauté de Monaco, soit la Boutique V., permettent d'induire au contraire qu'aucune exclusivité de diffusion ne lui fut consentie sur Monte-Carlo par Infinitif dès lors qu'au moins deux points de vente existaient sur le territoire monégasque ;

Attendu de surcroît que l'absence de tout document contractuel apparaît peu probable dans le commerce des articles de mode et de haute qualité, où le concessionnaire a des obligations définies et particulièrement strictes concernant aussi bien la commercialisation des articles que le maintien du prestige de la marque, dont il est le garant à l'égard du concédant ;

Qu'il s'ensuit que la propriétaire exploitante de la Boutique M. ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu'elle serait bénéficiaire d'une exclusivité de diffusion de la marque Infinitif sur Monte-Carlo ;

Attendu dès lors qu'il convient de requalifier les relations commerciales des parties qui ne s'inscrivent plus, ainsi que tendait à le faire admettre C. V., dans le cadre d'un contrat de distribution exclusive, voire même de future franchise, dont la concrétisation était de l'aveu même de la dame V. subordonnée à la construction de nouveaux locaux, et très hypothétique ; qu'en fait, M., qui s'est avérée être un simple revendeur des vêtements Infinitif, n'avait, à la différence d'un concessionnaire exclusif, aucune obligation de promouvoir ladite marque, qu'il apparaît en fait que les divers frais de promotion, consistant notamment dans des défilés de mode, tracts publicitaires et annonces dans divers journaux, ont été engagés par C. V. de son propre gré et visaient la vente de vêtements de marques très diverses dont elle assurait également la diffusion, notamment Chanel, Sym et Cat ;

Qu'ainsi, les frais publicitaires supportés par la propriétaire exploitante de M. l'ont été de sa seule initiative et à son seul profit, étant observé que la notoriété de sa boutique n'a pu qu'en être accrue, eu égard notamment à la renommée de la marque Infinitif ;

Que C. V. n'apparaît pas en conséquence fondée à réclamer de dommages-intérêts de ce chef ;

2° Sur le refus par Infinitif d'enregistrer la commande de M. relative à la collection printemps-été 1984 :

Attendu qu'à cet égard C. V. verse aux débats une sommation interpellative en date du 28 septembre 1983 par laquelle Maître Colomb, huissier de justice près le Tribunal de grande instance de Paris, a recueilli le jour-même des explications d'Infinitif sur ce refus de vente, qu'il en résulte que la Société Infinitif avait en fait demandé à C. V. de bien vouloir passer à son stand au salon du prêt-à-porter, aux fins de l'informer de ce que leurs relations commerciales étaient « provisoirement gelées » ; qu'en fait, la Société Infinitif, sur le point de réorganiser son système de distribution classique pour lui substituer un réseau de franchise, prévoyait de concrétiser un contrat de franchise avec une boutique de Monaco, et estimait opportun de ne pas enregistrer une commande qui aurait pu ultérieurement enfreindre des stipulations contractuelles d'exclusivité réciproque ;

Attendu qu'il convient de déterminer si, ce faisant, la Société Infinitif a commis une faute de nature à engager sa responsabilité envers M. ; qu'il peut à cet égard être fait utilement référence aux dispositions de l'article 26 de l'ordonnance-loi du 5 mai 1944 qui considère comme majoration illicite de prix, érigée en délit, le fait pour le commerçant de refuser de satisfaire une demande qui ne présente aucun « caractère anormal » ; que si, en l'espèce, la commande réclamée par C. V. apparaissait remplir cette condition, étant rappelé qu'elle avait auparavant acquis à deux reprises des vêtements Infinitif il y a lieu toutefois d'assouplir le principe précité dans le domaine de la commercialisation des produits revêtus d'une marque de prestige ou de haute qualité, et ce, en raison de l'aptitude inégale de la plupart des revendeurs à assurer la distribution de ces articles ; que dans un tel cas, un contrat de concession exclusive qui tend essentiellement à assurer une amélioration du service rendu aux consommateurs peut avoir pour effet de rendre « juridiquement indisponible », selon l'expression retenue en jurisprudence, la marchandise détenue par le vendeur ;

Qu'il apparaît en l'espèce que les pourparlers sérieux engagés par la Société Infinitif avec une boutique de Monaco en vue de concrétiser un contrat de franchise procèdent de cette idée, et, qu'ainsi, le comportement d'Infinitif a pu être valablement modifié à l'égard d'un revendeur très occasionnel comme l'était M. et ce, dans le cadre d'une nouvelle politique commerciale de distribution visant l'instauration d'un réseau de franchise ;

Attendu en conséquence que l'attitude d'Infinitif, telle que ci-dessus décrite, ne permet de relever aucune faute à l'encontre de cette société, qui ne doit dès lors pas être tenue pour responsable du préjudice commercial allégué par C. V. ;

Qu'il convient ainsi de débouter cette dernière des fins de sa demande reconventionnelle en compensation judiciaire ;

Attendu par ailleurs que la Société Infinitif ne justifie pas que C. V. se trouve dans une situation définitivement obérée et ne dispose plus des disponibilités suffisantes pour faire face à ses engagements, ce qui n'est pas au demeurant démontré en l'état ; qu'il n'y a donc pas lieu de constater l'état de cessation des paiements de la dame V. ;

Qu'il convient dès lors d'examiner la demande subsidiaire formulée par la Société Infinitif qui sollicite une somme de 3 000 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice commercial subi ;

Attendu cependant que cette société ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct de celui déjà réparé par l'octroi des intérêts de retard ; qu'il y a lieu de la débouter de sa demande de dommages-intérêts ;

Attendu enfin que la preuve de l'urgence n'étant pas rapportée, il n'y a pas lieu à faire droit à la demande d'exécution provisoire de la Société Infinitif ;

Que les dépens doivent suivre la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Condamne C. V., exerçant le commerce sous l'enseigne M. - . à Monaco, à payer à la Société Infinitif la somme de 14 552,04 francs, montant des causes sus-énoncées, avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 1983 ;

Déboute la Société Infinitif des fins de sa demande de dommages-intérêts ;

Déboute C. V. des fins de sa demande reconventionnelle ;

Dit n'y avoir lieu à constater l'état de cessation des paiements de C. V. ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Karczag-Mencarelli, Boéri, av. déf. ; Bénichou, Gorra, av.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 25245
Date de la décision : 14/11/1986

Analyses

Droit des obligations - Responsabilité civile contractuelle


Parties
Demandeurs : Société Infinitif
Défendeurs : Dame C. V.

Références :

Ordonnance-loi du 5 mai 1944
article 26 de l'ordonnance-loi du 5 mai 1944


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1986-11-14;25245 ?

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