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27/02/1986 | MONACO | N°25201

Monaco | Tribunal de première instance, 27 février 1986, B. B. (Dame) K. c/ S.B.M.


Abstract

Bail commercial

Exercice du droit de repentir - Bail

Résumé

En s'opposant, dans un premier temps, au renouvellement du bail commercial venu à expiration, en sorte que la Commission arbitrale a été saisie du litige dont l'issue a été défavorable, puis en manifestant son intention de revenir sur sa décision à l'effet de se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction fixée par ladite commission, le bailleur n'a fait qu'user de son droit de repentir institué par l'article 11 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, sans commettre de faute dans

l'exercice d'un tel droit, en dépit du préjudice qui a pu en résulter pour le preneur....

Abstract

Bail commercial

Exercice du droit de repentir - Bail

Résumé

En s'opposant, dans un premier temps, au renouvellement du bail commercial venu à expiration, en sorte que la Commission arbitrale a été saisie du litige dont l'issue a été défavorable, puis en manifestant son intention de revenir sur sa décision à l'effet de se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction fixée par ladite commission, le bailleur n'a fait qu'user de son droit de repentir institué par l'article 11 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, sans commettre de faute dans l'exercice d'un tel droit, en dépit du préjudice qui a pu en résulter pour le preneur.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'il est admis comme constant par les parties que L. B. B., épouse K., qui exploitait depuis près de vingt ans dans les locaux appartenant à la Société des Bains de Mer un fonds de commerce de luxe ayant pour objet la vente d'articles de fumeurs, maroquinerie, frivolités et était titulaire en dernier lieu d'un bail de trois ans s'achevant le 1er juillet 1981, s'est vue notifier par son propriétaire à la date du 26 juin 1981 un congé pour le terme de cette location ;

Que la Société des Bains de Mer (ci-après S.B.M.), en refusant de renouveler le bail initialement consenti, n'a pas estimé devoir offrir à sa locataire une indemnité d'éviction pour des motifs - qu'elle qualifiait de graves et légitimes - tenant à un défaut d'entretien du fonds d'une manière luxueuse et à un règlement irrégulier du loyer ;

Que par jugement du 1er juillet 1982, la Commission arbitrale jugeait que la S.B.M. ne justifiait pas de motifs graves et légitimes de nature à l'exonérer du paiement de l'indemnité prévue par la loi n° 490 du 24 novembre 1948 et condamnait cette société à payer à L. B. B. une indemnité d'éviction à déterminer par voie d'expertise ;

Que par jugement du 7 juillet 1983, cette juridiction a fixé à la somme de 2 500 000 francs le montant de ladite indemnité et, faisant masse des dépens, a condamné L. K. à en supporter un tiers ;

Que par acte extrajudiciaire de Maître Escaut-Marquet, huissier, en date du 19 juillet suivant, la S.B.M. a fait connaître à L. K. qu'elle entendait exercer le droit prévu par l'article 11 de la loi n° 490 - par elle nommé « droit de repentir » - et offrait en conséquence de renouveler le bail commercial pour trois ans, à compter du 1er juillet 1981, en se dispensant de verser l'indemnité d'éviction ;

Que tout en continuant l'exploitation de son commerce, L. K. a tenté d'en céder le droit au bail et y est parvenue, pour le prix de 1 700 000 francs, au cours de l'été 1985 ;

Attendu que par l'exploit introductif d'instance susvisé, L. K., qui estime que la S.B.M. a abusé des droits dont elle disposait en entretenant pendant toute la durée de l'instance une incertitude préjudiciable à la bonne marche de son commerce et en faisant obstacle, à plusieurs reprises, à la cession du droit au bail dudit commerce dont elle n'entendait plus poursuivre l'exploitation, a fait assigner cette société en paiement de la somme de 1 200 000 francs à titre de dommages-intérêts devant compenser le préjudice financier, matériel et moral que lui aurait occasionné la procédure malicieuse et abusive intentée par la S.B.M., sauf pour le Tribunal à ordonner une mesure d'expertise s'il s'estime insuffisamment renseigné pour apprécier ledit préjudice ;

Que la demanderesse soutient à cet égard :

* avoir dû faire face à une partie des dépens et des frais de conseil à l'occasion de la procédure suivie devant la Commission arbitrale,

* s'être trouvée contrainte, par mesure de prudence, de ralentir le rythme d'exploitation de son commerce, en particulier quant aux investissements et aux achats de marchandises,

* avoir subi de ce fait une perte de clientèle, une diminution notable de son chiffre d'affaires et même des pertes d'exploitation, en sorte qu'elle a dû recourir à l'emprunt et payer des intérêts bancaires,

* avoir subi les exigences excessives de la S.B.M. relativement à la cession du droit au bail, laquelle n'a finalement pu avoir lieu qu'en contrepartie du versement de la somme de 500 000 francs par l'acquéreur à la S.B.M., outre le prix de cession proprement dit,

* avoir éprouvé, vis-à-vis de ses clients et des commerçants alentour, un préjudice moral lié à l'image défavorable qu'elle donnait de son commerce à l'activité réduite ;

Qu'elle estime, en conséquence, qu'au regard de ces éléments, qui aboutissent pour certains d'entre eux à une évaluation chiffrée de manière précise, la somme qu'elle réclame n'est nullement exagérée ;

Attendu qu'en réponse la S.B.M. s'oppose à cette demande qu'elle estime infondée et téméraire ; qu'elle se porte demanderesse reconventionnelle en paiement de la somme de 100 000 francs - réduite à 5 000 francs par conclusions ultérieures - pour procédure abusive ;

Que la S.B.M. prétend en effet s'être bornée, sans commettre de faute, à user du droit de repentir que la loi réserve au bailleur qui souhaite se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction ; qu'elle estime que l'exercice légitime de ce droit ne peut en aucun cas constituer un abus puisqu'elle a agi sans intention de nuire, après avoir estimé trop élevé le montant de l'indemnité fixée par la Commission arbitrale ;

Qu'en ce qui concerne les agissements qui lui sont prêtés quant à la cession du droit au bail des locaux loués, la S.B.M. rappelle qu'elle se doit d'assurer la cohésion et la qualité de son domaine locatif, ce qui l'a amenée à se montrer peu favorable à l'installation dans lesdits locaux d'un fourreur qui se serait trouvé en concurrence directe avec un commerce de même nature situé à proximité ; qu'en tout état de cause, elle estime n'avoir pas commis de faute et indique que pour d'autres candidatures plus adaptées aux circonstances, elle a sans délai fait part de son accord, allant même, en ce qui concerne le concessionnaire définitif, jusqu'à inviter l'Administration à prêter une attention favorable à la cession envisagée ; qu'elle observe par ailleurs qu'il est d'usage « officiel » à Monaco de monnayer les changements d'objet de bail ;

Sur quoi,

Attendu qu'aux termes de l'article 11 de la loi n° 490 précitée, « le bailleur qui aura succombé pourra, néanmoins... se soustraire au paiement de l'indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de consentir au renouvellement du bail... » ;

Attendu que la faculté ainsi conférée par la loi au bailleur apparaît pouvoir être exercée à sa discrétion, sauf à respecter les charges énoncées par le texte ci-dessus retranscrit ;

Attendu qu'en l'espèce, en s'opposant au renouvellement du bail venu à expiration, en sorte que la Commission arbitrale a été saisie du litige dont l'issue lui a été défavorable, puis en manifestant son intention de revenir sur sa décision à l'effet de se soustraire au paiement de l'indemnité fixée par ladite commission, la S.B.M. n'a fait qu'user de la voie de droit expressément organisée par la loi n° 490, sans toutefois commettre de faute dans l'exercice d'un tel droit, en dépit du préjudice qui a pu en résulter pour la demanderesse ;

Attendu par ailleurs qu'il n'est pas établi par les pièces produites que la S.B.M., après avoir légalement consenti au renouvellement du bail, ait fait obstacle dans des conditions répréhensibles à la cession du droit au bail des locaux occupés par sa locataire ; que même à supposer vérifiées à cet égard les allégations de la demanderesse, la responsabilité de la S.B.M. n'aurait pu être envisagée, dès lors qu'il résulte des circonstances évoquées en la cause que les « cessions » envisagées supposaient à chaque fois un changement de l'activité exercée dans les lieux loués, et donc la conclusion nécessaire d'un nouveau bail par la S.B.M. au profit de l'acquéreur pressenti, soit une situation juridique nouvelle conférant un caractère légitime aux éventuelles interventions de la bailleresse ;

Attendu en conséquence qu'en l'absence de faute prouvée de sa part, la S.B.M. ne saurait être tenue pour responsable du préjudice ayant pu être occasionné à L. K. ; que l'expertise sollicitée à titre subsidiaire s'avère dès lors sans objet ;

Attendu toutefois que cette société n'apparaît pas avoir satisfait à l'obligation lui incombant, en dehors de toute considération liée à l'appréciation de sa responsabilité, de supporter les frais de l'instance ayant fait l'objet du jugement rendu par la Commission arbitrale le 7 juillet 1983 ; que L. K., tenue pour un tiers desdits dépens en vertu de ce jugement, justifie avoir conservé à sa charge la somme de 28 054,40 francs ; qu'elle est donc fondée à en obtenir le remboursement comme elle le sollicite, outre la somme de 20 000 francs devant compenser les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager pour faire valoir ses droits ;

Attendu que la S.B.M. ne saurait être suivie en sa réclamation tendant au paiement de dommages-intérêts en raison du caractère abusif que présenterait la demande dont le Tribunal est saisi, dès lors que L. K. obtient, au moins pour partie, gain de cause ;

Attendu que les dépens doivent être laissés à la charge de la S.B.M., eu égard à sa succombance sur les chefs ci-dessus précisés ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Condamne la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers à payer à L. B. B., épouse K. la somme de 48 054,40 francs, montant des causes sus-énoncées ;

Déboute la demanderesse du surplus de ses prétentions et la S.B.M. de sa demande reconventionnelle ;

Composition

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMes Blot, J.-Ch. Marquet, av. déf. ; Brugnetti, av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25201
Date de la décision : 27/02/1986

Analyses

Baux commerciaux ; Contrat - Général


Parties
Demandeurs : B. B. (Dame) K.
Défendeurs : S.B.M.

Références :

article 11 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948
loi n° 490 du 24 novembre 1948


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1986-02-27;25201 ?

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