La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/01/1986 | MONACO | N°25192

Monaco | Tribunal de première instance, 30 janvier 1986, C. c/ S.C.I. Résidence, Compagnie Financière de la Méditerranée.


Abstract

Mandat apparent - contrat d'architecte

Rémunération de ses prestations - Contrat - Théorie du mandat apparent

Résumé

Le fait d'utiliser une lettre à en-tête d'une société française promotrice en se prévalant de la qualité de seul représentant de celle-ci apparaît de nature à laisser créer aux yeux d'un tiers la croyance légitime d'avoir à faire à un mandataire, alors que le comportement de cette société renforce cette conviction.

Les prestations fournies par un architecte dont le concours est sollicité à titre d'associé, consi

stant à établir les plans préparatoires et à concevoir les maquettes, avant même la conclusion du con...

Abstract

Mandat apparent - contrat d'architecte

Rémunération de ses prestations - Contrat - Théorie du mandat apparent

Résumé

Le fait d'utiliser une lettre à en-tête d'une société française promotrice en se prévalant de la qualité de seul représentant de celle-ci apparaît de nature à laisser créer aux yeux d'un tiers la croyance légitime d'avoir à faire à un mandataire, alors que le comportement de cette société renforce cette conviction.

Les prestations fournies par un architecte dont le concours est sollicité à titre d'associé, consistant à établir les plans préparatoires et à concevoir les maquettes, avant même la conclusion du contrat d'architecte envisagé, laquelle n'est pas intervenue par suite d'une rupture fautive de l'accord, justifient une indemnisation équitable.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que M. C., architecte, qui se prévaut pour l'essentiel de la correspondance que lui a adressée le 26 juillet 1982, sur papier en-tête de la banque d'affaires de droit français dénommée Compagnie Financière de la Méditerranée S.A., N. T. - sans indications de ses fonctions au sein de cet établissement bancaire -, ainsi libellée :

« Cher Monsieur,

En notre qualité de seul représentant des actuels propriétaires de l'immeuble Monte-Carlo Palace, nous avons l'avantage de vous confirmer ci-après que nous souhaitons retenir votre collaboration au titre d'architecte associé avec l'atelier de M. M. Y.

Compte tenu de l'importance de l'ouvrage envisagé et du contexte administratif spécifique de son étude, nous sommes convenus :

a) de préciser votre rôle et votre mission dans le cadre d'une première phase recouvrant tous les travaux et études nécessaires jusqu'à l'obtention de l'accord préalable et du permis de construire. Vos honoraires s'établissant pour cette phase à 22 % de la rémunération globale qui sera arrêtée pour la mission d'architecte,

b) de fixer ultérieurement votre mission au niveau de la phase chantier, compte tenu des précisions à découler de l'accord préalable et des répartitions de tâches à intervenir entre le bureau de M. Y. et vous-même.

Nous sommes à votre disposition pour préparer, avec votre concours, le contrat de base appelé à régir nos relations et en vous remerciant, nous vous prions de croire, Cher Monsieur, à l'assurance de notre considération distinguée » ;

a fait assigner, par l'exploit susvisé, la société civile dénommée S.C.I. Résidence et la Compagnie Financière de la Méditerranée - aux droits de laquelle se trouve désormais la Banque Révillon - pour obtenir le paiement de la somme de 1 950 000 francs qu'il estime lui être due par suite de la rupture du contrat d'architecte, résultant de la lettre ci-dessus retranscrite, par le fait des défenderesses ;

Qu'à l'appui de ses prétentions, C. précise, dans le domaine des faits, que T., ayant agi en qualité de directeur de la Compagnie Financière de la Méditerranée, « banque domiciliataire » de la S.C.I. Résidence, s'est attaché sa collaboration à titre d'architecte associé avec l'atelier d'architecture M. Y. pour assurer la maîtrise-d'œuvre d'un ouvrage à construire à Monte-Carlo, boulevard des Moulins, dénommé Monte-Carlo Palace ;

Qu'il affirme avoir alors entrepris la phase d'étude pour laquelle il était engagé en adressant à T. un contrat type d'architecte - maître d'ouvrage, en intervenant auprès des autorités administratives de la Principauté pour l'obtention des autorisations nécessaires à son confrère Y., en prenant l'attache de cet architecte sur les lieux de sa résidence dans le Michigan (E.U.A.), et en effectuant un premier travail technique ;

Qu'il indique être resté depuis 1982 jusqu'en 1984 sans nouvelle de l'opération immobilière projetée et avoir appris le 19 janvier 1984, du gérant M. de la S.C.I. Résidence à qui il s'était adressé peu avant, que cette société n'entendait pas donner de suite à la « lettre d'intention de commande » du 26 juillet 1982 dont il est titulaire ;

Qu'en droit, C. estime que T. a agi en qualité de mandataire apparent sinon réel, non seulement de la Compagnie Financière de la Méditerranée devenue Banque Révillon mais encore de la S.C.I. Résidence, dont la quasi totalité du capital est détenu par ladite banque ;

Qu'il soutient que le mandat résulte de la lettre précitée du 26 juillet 1982 qui lui a légitimement laissé croire que T., qui avait accompagné sa correspondance d'une note d'information, signée par lui sur le même papier commercial, et destinée au Cabinet princier, disposait des pouvoirs requis dont il n'est pas d'usage de contrôler l'étendue ;

Qu'en ce qui concerne les relations entre les défenderesses, C. relève que l'unicité de leurs intérêts découle de la défense unique qu'elles ont mise en œuvre ;

Qu'eu égard aux sommes réclamées, calculées par référence au tarif des honoraires d'architecte sur la base d'une évaluation du coût des mètres carrés à construire et aux usages professionnels applicables en cas de résolution de fait du contrat, C. estime avoir droit au paiement des sommes correspondant au travail qui lui a été commandé par la lettre d'intention lui ayant permis de commencer une œuvre professionnelle ;

Attendu que pour s'opposer aux demandes dont elles font l'objet, la S.C.I. Résidence et la Banque Révillon font valoir, sur le mandat apparent allégué, que T. n'a pu engager la Cofimed, son employeur de l'époque, ni a fortiori la S.C.I. Résidence, puisque le demandeur, architecte confirmé, n'était pas dans l'impossibilité morale de se procurer les statuts de la Cofimed ou de vérifier par tous autres moyens le défaut d'habilitation du signataire et n'aurait pas dû se laisser abuser par l'utilisation du papier commercial à l'en-tête de l'établissement bancaire ;

Qu'elles relèvent qu'il n'est pas justifié par ailleurs du prétendu mandat consenti par la S.C.I. Résidence à la Cofimed et soutiennent qu'en sa qualité de conseiller de cette banque, T. n'a pu engager une personne morale distincte ; qu'en tout état de cause, elles font plaider que la Cofimed n'a pas souscrit d'obligation contractuelle en faveur de C., mais a seulement engagé des pourparlers précontractuels destinés à définir des conditions préalables au contrat futur, lui-même qualifié de « contrat de base », non conclu entre les parties ;

Que la S.C.I. Résidence conclut à sa mise hors de cause, et à l'instar de la Banque Révillon, réclame par voie reconventionnelle à C. le paiement de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts devant compenser le préjudice qu'elles subissent en raison des frais qu'elles ont dû engager par suite de l'action infondée et abusivement mise en œuvre par le demandeur ;

Sur quoi,

Sur la demande dirigée à l'encontre de la S.C.I. Résidence :

Attendu que C., qui admet comme constant que la preuve d'un mandat formel ou d'un pouvoir de représentation donné par la S.C.I. Résidence à la Compagnie Financière de la Méditerranée n'est pas par lui rapportée en la cause, soutient que par la lettre précitée du 26 juillet 1982, la Cofimed, sous la signature de T., s'est présentée à lui comme investie du pouvoir de négocier pour le compte de la S.C.I. Résidence sa propre collaboration au titre d'architecte associé, et en déduit que par application de principes jurisprudentiels, la S.C.I. Résidence se trouve engagée à son égard sur le fondement d'un mandat apparent ;

Mais attendu que l'existence d'un tel mandat ne saurait résulter, en l'absence de tous autres éléments probants, de la seule affirmation selon laquelle la Cofimed, dans la lettre précitée, a déclaré agir en qualité de « représentant des actuels propriétaires de l'immeuble Monte-Carlo Palace » ; que la S.C.I. Résidence, bien qu'à ce jour propriétaire de l'immeuble dont s'agit, ne saurait en effet être liée à l'égard de C. du seul fait que la banque a déclaré la représenter - au demeurant sans la nommer expressément - ; qu'il appartenait en l'espèce à C., même s'il supposait à juste titre que des rapports - notamment financiers - pouvaient unir les deux sociétés en cause, d'obtenir, en particulier auprès de la société monégasque propriétaire de l'immeuble, confirmation de la qualité invoquée par la Cofimed, ce que commandait l'importance du contrat envisagé et des obligations qui en seraient résultées de part et d'autre ; qu'à défaut d'avoir fait preuve de la prudence et de la diligence requises, C., qui ne peut être considéré comme s'étant mépris de façon légitime sur les véritables pouvoirs de la Cofimed, ne saurait imputer de responsabilité à la S.C.I. Résidence, cette société n'apparaissant pas au surplus, au vu des pièces du dossier, avoir entretenu fautivement la croyance du demandeur ;

Attendu en conséquence qu'en l'absence de tout lien de droit entre C. et la S.C.I. Résidence, cette société doit être mise hors de cause ainsi qu'elle le sollicite, sans toutefois qu'il puisse être fait droit à sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts dès lors qu'il ne peut être reproché à C., qui a légitimement pu conférer une portée erronée aux relations existant entre les sociétés défenderesses, d'avoir abusivement attrait aux débats la S.C.I. Résidence ;

Sur la demande dirigée à l'encontre de la Cofimed devenue Banque Révillon :

Attendu que pour prospérer, cette demande suppose au préalable que l'engagement contenu dans la lettre du 26 juillet 1982 émanant de T. soit opposable à la Cofimed ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que cette correspondance adressée à C. s'accompagnait de la copie d'une note d'information « établie par la Cofimed sous la signature de M. N. T., Directeur », lequel apparaît avoir été engagé par la banque - originairement dénommée B.A.F.A. - comme « conseiller et responsable des projets et affaires immobilières du groupe » ; que par ailleurs T. s'est adressé à C., par lettre à l'en-tête de la Compagnie Financière de la Méditerranée, en employant des termes (En notre qualité de seul représentant (...) nous sommes convenus, nous sommes à votre disposition...) faisant sérieusement présumer qu'il agissait au nom de la banque, tandis que l'allusion à une « confirmation » laisse supposer que des contacts antérieurs avaient été pris ;

Attendu que ces circonstances doivent conduire à admettre, sans qu'il y ait lieu d'examiner plus avant les moyens non opposables aux tiers relatifs au défaut d'habilitation de T., au plan du fonctionnement interne de la banque, ou à ses agissements prétendument effectués hors le cadre de ses fonctions et sans autorisation, que T. est apparu à C. comme le mandataire de la Cofimed ; qu'eu égard à l'importance des fonctions dévolues à un directeur responsable des affaires immobilières d'un établissement bancaire et des pouvoirs généralement conférés à un tel salarié dont il est indiqué qu'il pouvait faire usage de la signature sociale, il y a lieu d'observer que la Banque Cofimed a par imprudence ou négligence laissé se créer, aux yeux de C., cette apparence de mandat ;

Que la croyance légitime de C. a pu se trouver renforcée par les relations qu'il a ultérieurement entretenues avec la Cofimed, cette société ne contestant pas avoir pris en charge son séjour aux E.U.A. et reçu de lui, sans y répondre, un contrat type d'architecte ;

Attendu en conséquence qu'il appartient au Tribunal, après avoir constaté que T. a agi comme mandataire apparent de la Cofimed, de préciser l'étendue et la portée de l'engagement souscrit par cette société à l'égard de C. ;

Attendu qu'il n'est pas sérieux de prétendre que la lettre du 26 juillet 1982 constitue le contrat achevé d'architecte dont la rupture ouvrirait droit aux indemnités réclamées par C. ; que l'examen de cette correspondance, qui se borne à souhaiter la collaboration de C. au titre d'architecte associé et à annoncer la précision ou la fixation futures de son rôle et de sa mission dans les différentes phases du projet, tout en relevant la nécessaire préparation d'un « contrat de base » devant régir les relations des parties, fait apparaître que la Cofimed entendait essentiellement engager des pourparlers en vue d'une collaboration future, ce que C. lui-même admet, en utilisant l'expression de « lettre d'intention de commande » ;

Attendu qu'en dépit de la portée réduite qu'il convient de conférer à la lettre précitée, il ne peut être méconnu que la Cofimed faisait alors choix de C. comme architecte associé, ce que celui-ci acceptait de manière tacite, notamment en se rendant aux États-unis pour y rencontrer l'associé pressenti, Y., et en présentant la candidature de ce dernier aux autorités monégasques ; qu'en l'état de cet accord de volonté ayant pour objet de préparer le contrat de base envisagé, et de la rupture de cet accord qui s'évince de la position prise par la Cofimed, qui ne l'a pas exécuté avec la bonne foi requise en matière de convention, et s'est abstenue d'informer le demandeur qu'elle n'entendait pas y donner suite, C. - qui, doit-il être observé, renonce dans le dernier état de ses écrits judiciaires, à réclamer le paiement d' « honoraires » engendrés par le contrat d'architecte dont il se prévalait à l'origine -, apparaît fondé à obtenir réparation du dommage que lui a occasionné cette rupture fautive ;

Attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause, c'est légitimement que C., selon ses propres termes, a « commencé une œuvre professionnelle » dont il justifie de la matérialité par les pièces versées aux débats ;

Que si les travaux techniques ainsi entrepris, au demeurant peu avancés en l'état du silence opposé par son cocontractant et de l'incertitude en résultant pour C. quant à sa mission effective, ne sauraient ouvrir droit au paiement de la somme de 1 950 000 francs réclamée, le sérieux avec lequel ils ont été menés, tant au niveau des plans préparatoires que de la conception des maquettes, établit qu'ils ont nécessité de la part de l'architecte une collaboration non négligeable qui doit être équitablement indemnisée, en dépit de l'opposition manifestée de ce chef par les défenderesses sur la base d'une argumentation peu convaincante que le Tribunal n'estime pas devoir retenir ;

Que les diligences inhérentes au travail accompli par C. justifient que lui soient alloués des dommages-intérêts, le Tribunal disposant des éléments suffisants d'appréciation pour en fixer le montant à la somme de 100 000 francs ;

Attendu qu'il s'ensuit que la Banque Révillon demeurant aux débats doit être déboutée de sa demande reconventionnelle et tenue aux dépens de l'instance en raison de sa succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Met hors de cause la société civile dénommée S.C.I. Résidence ;

La déboute de sa demande reconventionnelle ;

Condamne la Banque Révillon, venant aux droits de la Compagnie Financière de la Méditerranée, à payer à M. C., à titre de dommages-intérêts, la somme de 100 000 francs, montant des causes sus-énoncées et déboute ce demandeur du surplus de ses prétentions ;

Déboute la Banque Révillon de sa demande reconventionnelle ;

Composition

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Blot, Boéri, av. déf., de la Rochefoucault, av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25192
Date de la décision : 30/01/1986

Analyses

Architectes ; Contrat de mandat


Parties
Demandeurs : C.
Défendeurs : S.C.I. Résidence, Compagnie Financière de la Méditerranée.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1986-01-30;25192 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award