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28/11/1985 | MONACO | N°25157

Monaco | Tribunal de première instance, 28 novembre 1985, J. c/ S.C.P. Suva.


Abstract

Promesse de vente

Rupture précipitée.

Résumé

La rupture d'une promesse de vente quarante-huit heures après la date fixée pour le règlement de l'intégralité du prix, consommée par une revente précipitée de la chose, à un autre acquéreur constitue une faute de la part du vendeur qui avait reçu un acompte substantiel justifiant le remboursement de celui-ci et le paiement d'un dédit, étant relevé qu'une convention doit être exécutée de bonne foi.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'il est constant et non contesté que par ac

te sous-seing privés daté du 11 ou 12 avril 1984 (selon l'exemplaire original respectivement produit par les pa...

Abstract

Promesse de vente

Rupture précipitée.

Résumé

La rupture d'une promesse de vente quarante-huit heures après la date fixée pour le règlement de l'intégralité du prix, consommée par une revente précipitée de la chose, à un autre acquéreur constitue une faute de la part du vendeur qui avait reçu un acompte substantiel justifiant le remboursement de celui-ci et le paiement d'un dédit, étant relevé qu'une convention doit être exécutée de bonne foi.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'il est constant et non contesté que par acte sous-seing privés daté du 11 ou 12 avril 1984 (selon l'exemplaire original respectivement produit par les parties), la société Suva s'est engagée à vendre à M. J. un navire yacht dénommé « S. » moyennant le prix de 300 000 francs - dont 50 000 francs ont été payés le jour même - devant être réglé pour les 250 000 francs restant le 30 avril 1984 au plus tard, date prévue pour la signature de « l'acte définitif de vente », les parties ayant en outre convenu chacune à leur charge qu'un « dédit » de 30 000 francs serait dû au cocontractant si, par leur fait, il n'était pas donné suite à la transaction à la date précitée du 30 avril 1984 ; que l'acheteur s'est toutefois réservé le droit, à l'acte, d'annuler la transaction si l'expertise à intervenir du navire par l'expert maritime C. concluait à sa non-navigabilité, la vérification de l'état de la coque et de la mécanique devant être effectuée aux frais de l'acheteur J. ;

Que J. a, dès le 12 avril, présenté le navire à l'expert C. qui, après une visite sommaire à bord, a conclu à la nécessité de voir le navire à sec avant de se prononcer définitivement ;

Qu'après convenances de la société Suva, le navire a été hissé à quai dans la matinée du 26 avril 1984 en présence de C. qui a pu en constater l'état satisfaisant, après nettoyage au jet de la carène, vers 17 heures, et faire part ensuite dans la soirée de ses constatations à J. ;

Que le 28 avril 1984, à 12 heures, J. postait, de son domicile à . (Maine-et-Loire), un courrier recommandé avec accusé de réception, daté du 27, au gérant de la société Suva à Monaco comportant trois exemplaires d'acte définitif de vente signés par ses soins et un chèque de 200 000 francs avec instructions d'avoir « à transmettre à Cegemer avec l'acte de non hypothèque maritime » l'un des exemplaires, étant ici précisé que par courrier daté du 27 avril 1984 remis en photocopie au gérant de la société Suva, J. a invité la Cegemer à remettre au vendeur « le chèque de 50 000 francs dès qu'il vous aura fourni l'acte de non hypothèque maritime », soit en définitive le solde de 250 000 francs prévu ;

Que ce courrier, présenté à son destinataire le 2 mai 1984, soit le lendemain du mardi 1er mai, jour férié, a été refusé par le gérant de la société Suva ;

Que celui-ci écrivait, le même jour, à J. qu'il considérait les accords intervenus comme caducs, conformément au compromis de vente, aux motifs qu'il n'avait plus de nouvelles de sa part, et, après avoir retenu le dédit de 30 000 francs prévu à l'acte du 12 avril 1984, outre une somme de 6 997,40 francs correspondant aux frais de travaux de carénage entrepris après la mise à sec du navire, lui adressait en retour le « solde disponible » de l'acompte de 50 000 francs, versé le 12 avril 1984, soit la somme de 13 000 francs ;

Que ce deux mai également, la société Suva vendait à nouveau le yacht « S. » pour le prix de 300 000 francs à un tiers ayant l'obligation de prendre possession du navire, selon l'acte de vente établi à Monaco, le 5 mai au plus tard ;

Qu'une procédure en opposition au transfert de l'acte de francisation du navire a été immédiatement diligentée par J. en France avec succès puis abandonnée contre constitution d'une caution bancaire de 30 000 francs - élevée par les parties d'accord entre elles à 100 000 francs - ordonnée le 8 juin 1984 par décision de référé du Président du Tribunal de commerce de Cannes ;

Attendu que, selon l'exploit susvisé et ses conclusions du 9 mai 1985, J., qui expose avoir fait toute diligence pour adresser règlement convenu dès le lendemain du résultat de l'expertise du navire - laquelle n'a pu, du fait de la société Suva, intervenir avant le 26 avril - soutient que cette société, pour des considérations qu'il ignore, a en réalité manifesté par son comportement qu'elle n'entendait plus donner suite à l'affaire et sollicite en conséquence, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, le paiement par la société particulière Suva :

* de 30 000 francs représentant le montant de la clause de dédit devant lui bénéficier,

* de 36 997,40 francs outre les intérêts à compter du 11 avril 1984, à titre de restitution de l'acompte de 50 000 francs versé, diminué des 13 002,60 francs déjà remboursés,

* de 40 000 francs à titre de dommages-intérêts devant en particulier compenser l'engagement de frais irrépétibles,

outre les entiers dépens devant comprendre les frais des procédures engagées en France ;

Attendu que la société Suva prétend, pour sa part, que J. n'a pas exécuté les obligations découlant de la convention du 11 avril 1984 qui prévoyaient notamment le paiement de l'intégralité du solde du prix de vente (250 000 francs) et la prise de possession du navire à la date du 30 avril 1984 et s'expliquent par le fait qu'elle s'était engagée à acquérir un autre bateau payable le 30 avril 1984 ;

Qu'indiquant avoir appris par téléphone du courtier de J. que le courrier recommandé contenant de nouvelles conditions de vente - dans la mesure où un crédit de 50 000 francs d'un organisme inconnu d'elle devait compléter le paiement du prix - lui était adressé, elle a estimé pouvoir réaliser la vente avec un autre acquéreur et refuser par voie de conséquence le paiement partiel qui lui était proposé par J. au mépris des accords antérieurs ;

Que relevant par ailleurs que les frais d'expertise devaient demeurer à la charge de J. ainsi que celui-ci s'y était obligé, elle conclut au rejet des prétentions du demandeur et demande au Tribunal :

* de juger que J. est redevable du dédit de 30 000 francs prévu à l'acte, et qu'elle est fondée à retenir, outre le montant de ladite clause, les frais d'expertise du chantier naval,

* de condamner J. à lui payer 10 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédures abusives et de décharger la Société Marseillaise de Crédit et la caution solidaire de 100 000 francs donnée en faveur de J. dans l'instance opposant les parties, ce, avec exécution provisoire du jugement à intervenir ;

Sur quoi,

Attendu, sur la responsabilité de la rupture du contrat dénommé « compromis de vente » signé entre les parties le 11 avril 1984, qu'il doit être constaté que la société Suva - qui n'établit pas avoir eu connaissance le 2 mai 1984 du contenu du courrier recommandé adressé par J. le 27 avril 1984 - a estimé pouvoir dénoncer par lettre du 2 mai les accords intervenus au motif que J. n'avait pas pris possession du navire, ni assuré le paiement du solde dû à la date du 30 avril 1984 ;

Mais attendu que le contrat du 11 avril 1984 ne prévoit nullement la date de prise de possession ; qu'en ce qui concerne le solde du prix (250 000 francs) payable au 30 avril 1984, il est constant que 200 000 francs ont été adressés par chèque contenu dans le courrier précité que la Suva a refusé de retirer tandis que 50 000 francs auraient été réglés - de manière certaine, au vu des pièces produites - par l'organisme Cegemer ayant fait une offre de crédit acceptée équivalente à ce montant au bénéfice de J., sur présentation d'un certificat de non hypothèque maritime, étant ici observé que la Suva a simplement affirmé à l'acte que le navire n'était pas grevé d'hypothèque ;

Attendu que ces circonstances ôtent toute pertinence aux motifs invoqués par la Suva pour dénoncer les accords pris le 11 avril 1984 ; qu'il doit en être déduit que la rupture desdits accords, consommée par la revente du navire à un tiers dès le 2 mai 1984, et qui doit être appréciée à sa date, est exclusivement imputable à la Suva ; que la précipitation dont cette société a fait preuve pour constater, le lendemain même d'un jour férié qui précédait la date prévue du paiement du prix, que cette échéance n'avait pas été respectée, apparaît en effet excessive et par là même fautive, dès lors que l'engagement de J., au demeurant concrétisé par le versement d'un acompte non négligeable de 50 000 francs dès le 11 avril et par l'expertise à laquelle il a fait procéder dans des délais dont il ne peut lui être fait grief, aurait été scellé à l'égard de la Suva dès réception, le 5 mai 1984, du contenu de la lettre recommandée avec accusé de réception qui lui a été en outre expédiée avant le 30 avril ;

Attendu en conséquence que, par application de la convention liant les parties, laquelle se devait d'être exécutée de bonne foi de leur part, circonstance dont ne peut se prévaloir la société Suva, le dédit de 30 000 francs doit être alloué à titre de dommages-intérêts à J. sans que la Suva puisse en retenir le montant sur l'acompte de 50 000 francs qui lui a été versé le 11 avril 1984, ledit acompte devant par ailleurs être restitué au demandeur sous déduction du montant de 13 002,60 francs déjà remboursé, avec intérêts au taux légal à compter de la date précitée ;

Attendu qu'en ce qui concerne les frais de vérification du navire, prévus à la charge de l'acheteur par le contrat du 11 avril 1984, ainsi que ceux de réfection de peinture de carène engagés pour le compte de J. (soit au total : 6 997,40 francs, si l'on s'en tient aux précisions fournies par les parties à cet égard), il y a lieu de relever que les premiers se sont révélés inutilement exposés par J., tandis que les seconds ont profité à la Suva ; qu'eu égard à la responsabilité de cette société dans la rupture du compromis de vente, leur montant doit demeurer à sa charge, à titre de dommages-intérêts complémentaires ;

Attendu que les dommages-intérêts contractuellement convenus apparaissant réparer à sa juste mesure le préjudice subi par J., il n'y a pas lieu de lui allouer d'indemnités supplémentaires ;

Attendu que l'exécution provisoire sollicitée, au demeurant sans motivation, par le demandeur ne saurait être ordonnée à défaut d'urgence caractérisée en l'espèce ;

Attendu qu'en raison de sa succombance, la société Suva doit être condamnée aux dépens, étant à peine besoin de préciser que cette juridiction ne saurait statuer sur ceux des procédures engagées à l'étranger, et déboutée de ses demandes reconventionnelles, y compris celle tendant à obtenir d'être déchargée d'une obligation de caution ordonnée par une décision juridictionnelle étrangère ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Déclare la Société Civile Particulière dénommée Suva responsable de la rupture de la promesse synallagmatique de vente du navire « S. » conclue entre les parties le 11 avril 1984 ;

Condamne en conséquence cette société à payer à M. J. la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts, montant des causes sus-énoncées ;

La condamne, en outre, à restituer à J. le montant de l'acompte versé le 11 avril 1984 sous déduction de la somme déjà remboursée, soit en définitive la somme de 36 997,40 francs avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 1984 ;

Déboute la société Suva de ses demandes reconventionnelles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Composition

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Marquilly, Karczag-Mencarelli, av. déf. ; Afchain, av.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 25157
Date de la décision : 28/11/1985

Analyses

Contrat - Général ; Contrat - Effets


Parties
Demandeurs : J.
Défendeurs : S.C.P. Suva.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1985-11-28;25157 ?

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