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28/11/1985 | MONACO | N°25154

Monaco | Tribunal de première instance, 28 novembre 1985, Union de Crédit pour le Bâtiment c/ N. et Société Civile Immobilière Linou.


Abstract

Action paulienne

Conditions de la fraude paulienne - Preuve de la fraude paulienne

Résumé

Il est de règle jurisprudentielle que l'action paulienne prévue par l'article 1022 du Code civil implique nécessairement que le créancier la mettant en œuvre, établisse que le tiers ayant conclu avec le débiteur l'acte à titre onéreux attaqué se soit rendu complice de la fraude.

L'administration d'une telle preuve exige à tout le moins que ledit tiers ait eu la connaissance que l'acte était destiné à frauder le créancier, et la volonté d'aider

le débiteur à organiser la fraude en ayant conscience de créer ou d'aggraver son insolvabilité....

Abstract

Action paulienne

Conditions de la fraude paulienne - Preuve de la fraude paulienne

Résumé

Il est de règle jurisprudentielle que l'action paulienne prévue par l'article 1022 du Code civil implique nécessairement que le créancier la mettant en œuvre, établisse que le tiers ayant conclu avec le débiteur l'acte à titre onéreux attaqué se soit rendu complice de la fraude.

L'administration d'une telle preuve exige à tout le moins que ledit tiers ait eu la connaissance que l'acte était destiné à frauder le créancier, et la volonté d'aider le débiteur à organiser la fraude en ayant conscience de créer ou d'aggraver son insolvabilité.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que l'établissement financier dénommé Union de Crédit pour le Bâtiment (en abrégé U.C.B.), qui expose avoir consenti un prêt de 3 000 000 francs à la société civile dénommée S.C.I. Résidences du Brésil, par acte notarié du 6 mai 1982 rectifié le 18 avril 1983, dont K. N. s'est porté caution solidaire à l'effet d'en garantir le remboursement, et relate que N., qu'elle entendait actionner en sa qualité de caution en l'état de la défaillance du débiteur principal, s'est empressé de vendre en fraude de ses droits le 4 avril 1984 l'appartement et ses dépendances dont il était propriétaire dans l'immeuble L. T., ., a fait assigner le 22 mai 1984, outre N., la société civile particulière dénommée S.C.I. Linou, ayant acquis ledit appartement, pour obtenir sur le fondement de l'action paulienne l'annulation de la vente intervenue le 4 avril 1984 pardevant maître Crovetto, notaire ;

Qu'à l'appui de sa demande, l'U.C.B. précise avoir été judiciairement autorisée le 30 mars 1984 à inscrire une hypothèque provisoire sur l'appartement ci-dessus désigné mais que cette mesure n'a pu avoir effet en raison de l'empressement avec lequel N. a procédé à la vente du bien immobilier, dont la transcription au service des hypothèques est intervenue dès le 11 avril 1984 ;

Que l'U.C.B. prétend que N. a ainsi organisé sciemment son insolvabilité et soutient que la vente est intervenue à vil prix, pour la somme de 1 400 000 francs inférieure de près de 1 000 000 francs au prix du marché immobilier local, et à une date faisant apparaître son caractère frauduleux ;

Attendu que si N. n'a pas comparu et a persisté dans son défaut, en dépit de sa réassignation ordonnée par le Tribunal - en sorte que le présent jugement n'est pas susceptible d'opposition par application de l'article 219 dernier alinéa du Code de procédure civile - la S.C.I. Linou a déclaré pour sa part s'opposer à l'action de l'U.C.B. aux motifs que l'action paulienne n'est pas ouverte aux créanciers négligents qui, comme l'U.C.B., ont tardé à prendre des garanties sur les biens du débiteur principal, qu'il n'est pas établi que l'U.C.B. ait subi un préjudice du fait de la vente litigieuse dès lors que N. était propriétaire d'un autre appartement à Monaco d'une valeur suffisante pour garantir la créance du demandeur, et qu'enfin et surtout, il ne peut lui être reproché aucune fraude dans l'acquisition querellée puisqu'elle a acheté l'appartement de bonne foi pour un prix correspondant à la valeur vénale du bien vendu, devant au surplus tenir compte des travaux de remise en état ayant dû être entrepris, et sans aucune dissimulation ou hâte quelconque ;

Que la société Linou estimant en conséquence que la présente action a été introduite à son encontre avec légèreté, demande reconventionnellement réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi en se trouvant contrainte d'organiser sa défense, par elle est évaluée à la somme de 50 000 francs ;

Attendu qu'en réponse l'U.C.B. précise que le produit de la vente de l'autre appartement dont N. était propriétaire à Monaco n'a pas permis le paiement de sa créance, par suite de la déduction de diverses sommes primant son propre remboursement, observe que N. a pris la fuite à l'étranger dès la réalisation menée à la hâte, des biens lui appartenant, ce qui serait révélateur de son comportement frauduleux, et estime que la connivence entre vendeur et acquéreur de l'appartement ayant fait l'objet de l'acte attaqué s'évince des circonstances de faits suivantes :

* constitution de la S.C.I. Linou le jour même de la vente, soit le 4 avril 1984,

* transcription de la vente dans des délais anormalement brefs,

* fixation du siège de la S.C.I. Linou dans l'appartement, objet de la vente, avant même ladite cession,

* paiement du prix effectué hors la comptabilité du notaire ;

Que par ailleurs, l'U.C.B. insiste sur le caractère lésionnaire du prix de vente consenti eu égard, notamment, à la superficie de l'appartement vendu, sans que les travaux entrepris soient de nature, selon le demandeur, à faire varier sa valeur vénale ;

Que l'U.C.B. maintient en conséquence sa demande d'annulation de la vente et sollicite subsidiairement la production des documents établissant le paiement de la somme de 1 400 000 francs et l'institution d'une mesure d'enquête à l'effet d'établir la valeur réelle de l'appartement objet de la vente, en concluant au rejet de la demande reconventionnelle ;

Sur quoi,

Attendu qu'il est constant en jurisprudence, ainsi que l'a au demeurant admis de manière implicite le demandeur, que l'action fondée sur l'article 1022 du Code civil suppose nécessairement que le créancier la mettant en œuvre établisse que le tiers ayant passé avec le débiteur l'acte à titre onéreux attaqué se soit rendu complice de la fraude ;

Attendu que l'administration d'une telle preuve requiert à tout le moins que ledit tiers ait eu la connaissance que l'acte était destiné à frauder le créancier et la volonté d'aider le débiteur à organiser la fraude en ayant conscience de créer ou d'aggraver son insolvabilité ;

Or, attendu qu'en l'espèce il n'est nullement démontré ni même allégué que la S.C.I. Linou connaissait seulement l'existence de la créance de l'U.C.B. à l'encontre de N. et l'insolvabilité de celui-ci ; qu'il s'ensuit qu'il ne peut être reproché à cette société un concours frauduleux avec N., étant relevé qu'un tel concours ne saurait résulter des circonstances ci-dessus relatées ayant trait à la constitution et à la fixation du siège de la société Linou ou encore à la transcription de la vente dans les 8 jours de sa passation - de telles modalités apparaissant fréquemment mises en œuvre en pratique - ;

Que pas davantage, il ne saurait être tiré argument de ce que le prix convenu - au demeurant payé à la comptabilité du notaire à concurrence de 650 000 francs - ne correspondrait pas à la valeur vénale du bien vendu pour établir la collusion des défendeurs ; qu'il peut être observé à ce titre que le prix d'acquisition de l'appartement - dont la société Linou a justifié du règlement par communication régulière du 18 octobre 1985 - à le supposer inférieur à la valeur du bien vendu, ne permet pas pour autant d'en déduire la vileté qui aurait pu corroborer une éventuelle complicité de fraude, eu égard aux circonstances de l'espèce ;

Attendu en définitive que l'U.C.B. doit être débouté de sa demande à défaut d'administrer la preuve que la société Linou, de concert avec N., ait eu conscience d'agir en fraude des droits et de causer un préjudice à ce créancier dont il n'est pas même établi qu'elle connaissait l'existence, ainsi qu'il a été dit ;

Attendu, sur la demande reconventionnelle, qu'il ne peut être fait grief à l'U.C.B. d'avoir abusivement attrait en justice la société Linou dès lors que sa présence aux débats était justifiée par la nature de l'action introduite par ce créancier qui, au vu des agissements commis par N., a pu légitimement estimer qu'il pouvait attaquer l'acte passé par son débiteur ; qu'il n'y a pas lieu en conséquence de faire droit à la demande de la S.C.I. Linou ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant par jugement non susceptible d'opposition,

Déboute l'Union de Crédit pour le Bâtiment de son action tendant à l'annulation de la vente intervenue entre K. N. et la S.C.I. Linou pardevant maître Crovetto, notaire, le 4 avril 1984 ;

Déboute la S.C.I. Linou de sa demande reconventionnelle.

Composition

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Lorenzi, Karczag-Mencarelli, av. déf. ; Brugnetti, Leandri, av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25154
Date de la décision : 28/11/1985

Analyses

Contrat - Général ; Droit des obligations - Régime général


Parties
Demandeurs : Union de Crédit pour le Bâtiment
Défendeurs : N. et Société Civile Immobilière Linou.

Références :

Code de procédure civile
article 1022 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1985-11-28;25154 ?

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