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10/05/1984 | MONACO | N°25978

Monaco | Tribunal de première instance, 10 mai 1984, Dame P. c/ E. C., Sté Micro Technic et Assurances Générales de France.


Abstract

Responsabilité civile

Accident survenu à l'étranger (Italie). Compétence des juridictions monégasques en vertu des articles 1 et 2 du Code de procédure civile. Applicabilité de la loi Italienne.

Résumé

Les tribunaux de la Principauté connaissent de toutes actions, à l'égard des monégasques et des étrangers, intentées contre un défendeur domicilié à Monaco.

L'exception de litispendance en matière internationale n'est pas admise en Principauté.

Il résulte des principes de droit international privé monégasque, que les faits

générateurs de responsabilité délictuelle sont régis par la loi du lieu où ils surviennent ; il s'ensuit ...

Abstract

Responsabilité civile

Accident survenu à l'étranger (Italie). Compétence des juridictions monégasques en vertu des articles 1 et 2 du Code de procédure civile. Applicabilité de la loi Italienne.

Résumé

Les tribunaux de la Principauté connaissent de toutes actions, à l'égard des monégasques et des étrangers, intentées contre un défendeur domicilié à Monaco.

L'exception de litispendance en matière internationale n'est pas admise en Principauté.

Il résulte des principes de droit international privé monégasque, que les faits générateurs de responsabilité délictuelle sont régis par la loi du lieu où ils surviennent ; il s'ensuit qu'en l'espèce, la loi locale est la loi italienne.

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu qu'il n'est pas contesté que le 10 mai 1980 A. P., passager du véhicule automobile de marque Mercédès assuré par la Compagnie A.G.F. et conduit par E. C. alors au service de la société monégasque dénommée Micro Technic - propriétaire du véhicule -, a été victime à San Remo (Italie) d'un accident de la circulation, provoqué par C., qui a entraîné son décès ;

Qu'une juridiction répressive italienne (Tribunal pénal de San Remo - décision du 5 juillet 1983 -) a condamné C. pour ces faits dont il a été reconnu coupable et a admis la constitution de partie civile des frères de la victime sans statuer cependant de manière définitive sur leur préjudice, tandis que sa concubine B. P. apparaît avoir renoncé en Italie à son action civile, tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de l'enfant naturel P. P. issu de ce concubinage le 2 novembre 1978 et reconnu successivement par chacun des parents ;

Attendu que par l'exploit susvisé et ses écritures postérieures, B. P., agissant tant en propre que comme administratrice légale des biens de son fils mineur P. P., qui expose d'abord que du fait du décès de son concubin A. P., professeur d'art à ..., artiste peintre et restaurateur de tableaux à Monaco, le mineur P. se trouve privé de revenus importants (lesquels s'évincent des déclarations de succession faites tant en Italie qu'à Monaco), et ensuite qu'elle éprouve un préjudice matériel et moral qui lui est personnel et a effectué des débours rendus nécessaires par le décès, a fait assigner E. C., la S.A.M. Micro Technic et les assurances générales de France (A.G.F.) aux fins :

« - d'entendre déclarer C. responsable de l'accident dont A. P. a été victime, par application des articles 1230 et 1231 du Code civil,

* d'entendre déclarer la société Micro Technic civilement responsable, de son préposé par application des dispositions de l'article 1231 alinéa 1°du Code civil,

* d'entendre déclarer B. P., tant en propre qu'es qualité de tutrice de son fils mineur P. recevable en son action,

* d'entendre condamner en conséquence in solidum C., la S.A.M. Micro Technic et les A.G.F. à lui payer :

1° en sa qualité de tutrice du mineur, la somme de 1 000 000 francs (préjudice matériel 700 000 - préjudice moral 300 000 francs) ;

2° à titre personnel :

a) au titre de remboursement des frais exposés à la suite du décès de A. P., la somme de 27 387 400 lires à convertir en francs français au jour du règlement, outre celle de 6 861,67 francs ;

b) à titre de dommages-intérêts pour le préjudice tant matériel que moral par elle subi du fait du décès de P., la somme de 400 000 francs » ;

Attendu que sur cette assignation les défendeurs ont fait valoir avant toute défense au fond, soulevant ainsi une exception d'incompétence et de litispendance :

* qu'il appartient à la demanderesse de saisir les juridictions civiles italiennes seules compétentes pour statuer sur la réparation demandée, eu égard au lieu de l'accident et à la nationalité de la victime et ayants-droit ;

* Et que le Tribunal de Monaco doit surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de ces juridictions ;

Qu'à titre subsidiaire, ils concluent au rejet des demandes « irrecevables et mal fondées » dont ils font l'objet et soutiennent :

* sur la demande formée à titre personnel par B. P., que celle-ci n'a pas de qualité ni d'intérêt légitimement protégé à agir ; qu'en effet, eu égard à sa nationalité italienne et à sa résidence en Italie, il doit être fait application de sa loi nationale qui ne reconnaît pas au profit de la concubine un droit personnel à réparation en cas de décès du concubin, la jurisprudence française ou monégasque à cet égard ne pouvant être utilement invoquée, alors en outre que le lieu de l'accident commande d'appliquer la loi italienne ;

* sur la demande formée par B. P. en sa qualité d'administratrice légale du mineur P., qu'il n'est pas justifié des revenus annuels du de cujus, alors que cette détermination est nécessaire selon la jurisprudence italienne, pour chiffrer la réparation résultant de la privation de ressources pour l'avenir du jeune P., une telle réparation ne pouvant être fondée sur les actifs de la succession de A. P. ;

* sur la demande en remboursement des frais exposés à la suite du décès, qu'aucun principe ne permet de les intégrer au préjudice réparable sauf pour B. P. à les réclamer à la succession ;

Attendu qu'en réponse la demanderesse relève :

* sur la compétence, que les défendeurs étant domiciliés à Monaco (comme elle-même et, de son vivant, A. P.), les Tribunaux monégasques doivent se déclarer compétents par application des articles 1 et suivants du Code de procédure civile ;

* sur la demande en réparation de son préjudice personnel, que son action est fondée sur les articles 1229 et suivants du Code civil en sorte qu'il n'y a pas lieu de faire application de son statut personnel mais des principes jurisprudentiels français récents qui reconnaissent à la concubine un droit à indemnisation ;

* sur la demande formée au nom de son fils mineur, que si elle ne peut justifier des revenus de P. en raison de son exonération fiscale à Monaco, la déclaration de valeur des biens successoraux tant en Italie qu'en Principauté démontre leur importance et légitime par voie de conséquence le montant de ses prétentions, es qualité ;

* sur les frais réglés à la suite du décès en Italie et à Monaco, qu'elle est fondée à en solliciter le remboursement aux défendeurs « soit à titre personnel, soit en sa qualité d'administratrice légale des biens de son fils mineur », seul héritier de son père, selon que l'on considère que ces frais lui sont dus personnellement pour les avoir payés, ou sont dus à la succession de P. qu'ils ont grevé ;

Que B. P. sollicite en outre dans le dernier état de ses écrits judiciaires, l'allocation d'une somme de 20 000 francs en réparation du préjudice causé par « l'argumentation spécieuse des défendeurs qui n'ont pour objet que de retarder l'issue du procès » outre les intérêts de droit pour le montant total de sa demande à compter du jour de l'accident ;

Sur quoi ;

I. - La compétence et la litispendance :

Attendu qu'aux termes des articles 1 et 2 du Code de procédure civile les tribunaux de la Principauté connaissent de toutes actions, à l'égard des monégasques et des étrangers, intentées contre un défendeur domicilié dans la Principauté ; qu'il est constant en l'espèce que les trois défendeurs au présent litige ont leur domicile à Monaco ;

Qu'il y a lieu en conséquence pour le Tribunal de se déclarer compétent ;

Attendu par ailleurs qu'aux termes d'une jurisprudence bien établie, l'exception de litispendance en matière internationale n'est pas admise en Principauté ; qu'il s'ensuit qu'il doit être passé outre à ces exceptions et statué au fond ;

II. - La responsabilité :

Attendu que la responsabilité de C. dans l'accident ayant entraîné la mort de A. P., telle qu'elle s'évince des éléments du dossier, n'est pas contestée par les défendeurs qui apparaissent en outre implicitement reconnaître leur responsabilité en qualité de civilement responsable (S.A.M. Micro Technic) et d'assureur tenu à garantie (Compagnie A.G.F.) ;

Qu'en conséquence, il y a lieu de les déclarer tenus, in solidum, de la réparation du préjudice ayant pu être occasionné du fait du décès de P. ;

III. - Le préjudice :

Attendu qu'il convient en premier lieu, eu égard à la discussion instaurée par les défendeurs, de déterminer la loi applicable au présent litige et donc aux règles gouvernant la réparation du préjudice invoqué, conformément aux principes de droit international privé monégasque ;

Attendu qu'au nombre de ces principes, il est admis en Principauté - et au demeurant de façon générale en droit comparé - que les faits générateurs de responsabilité délictuelle sont régis par la loi du lieu où ils surviennent ; qu'il s'ensuit que la loi locale devant trouver application au cas d'espèce est la loi italienne ;

Attendu par ailleurs qu'il y a lieu de constater que la demanderesse, dans le dernier état de ses prétentions, sollicite le paiement de sommes qui, à l'exclusion des dommages-intérêts au titre du préjudice moral qu'elle éprouve à titre strictement personnel, sont réclamées de façon cumulative soit en son nom propre soit en sa qualité de représentante légale de son fils mineur ;

1. - Attendu qu'en cette dernière qualité d'une part, B. P. est fondée, par application des principes généraux de la responsabilité civile, à obtenir réparation du dommage occasionné au mineur, né le 2 novembre 1978, du fait du décès de son père survenu à l'âge de 43 ans ;

a) qu'à cet égard, il n'est pas justifié, en dépit des allégations des défendeurs, que le droit positif italien exige, pour cette réparation, que les revenus annuels de la victime soient déterminés ; qu'il s'agit en réalité d'apprécier le préjudice subi par le jeune P., ce préjudice n'apparaissant pas nécessairement lié en l'espèce aux revenus de son père dès lors qu'il ressort des pièces du dossier - ce qui n'est pas contesté - que celui-ci disposait de la faculté de subvenir aux besoins normaux de l'enfant jusqu'à sa majorité ; qu'il y a lieu en conséquence d'indemniser le mineur de la privation des sommes nécessaires à son entretien et son éducation et de réparer en outre le préjudice moral qu'il ne manquera pas d'éprouver à l'avenir du fait de la grave carence familiale et affective entraînée par le décès ; qu'au regard des éléments d'appréciation dont le Tribunal dispose, il y a lieu d'évaluer respectivement à 450 000 francs et 250 000 francs les deux chefs de préjudice ci-dessus décrits ;

b) que par ailleurs il apparaît que la demanderesse a réglé de ses deniers pour le compte du mineur, seul héritier de son père, l'ensemble des frais funéraires et d'obsèques directement en relation avec l'accident ; qu'elle est donc également fondée, es qualité, à obtenir remboursement de ces sommes qui s'élèvent, selon les justificatifs produits, à 4 022 576 de lires italiennes à convertir en francs français au cours du jour du paiement effectif ;

c) qu'en revanche, il ne peut être fait droit à la demande en remboursement des sommes acquittées au titre des frais et impôts sur la succession du de cujus en Italie et en Principauté dès lors que ces sommes ont été réglées en vertu d'obligations légales et ne peuvent être rattachées à la faute commise par l'auteur de l'accident ;

Que de même les diverses autres sommes réglées par la demanderesse qui en réclame le remboursement ne peuvent être allouées à défaut d'avoir été payées du fait du décès, ces débours n'apparaissant pas en relation directe avec l'accident ;

2. - Attendu, d'autre part, qu'en son nom propre, B. P. sollicite la réparation de son préjudice personnel en invoquant l'état de concubinage qui la liait à A. P. ;

Qu'eu égard à la loi ou à la jurisprudence italiennes, il n'est cependant pas démontré que la concubine puisse, en cette qualité, faire utilement valoir un droit personnel à réparation du préjudice occasionné par le décès de son concubin ;

Que sans qu'il y ait lieu de se référer à la jurisprudence française - voire monégasque - propre à la matière considérée (dont il a été dit qu'elle n'était pas applicable à la présente espèce) il y a lieu de débouter la demanderesse de ce chef ;

Attendu enfin qu'il n'est pas établi que les défendeurs aient fautivement retardé l'issue du présent litige ; qu'il s'ensuit que la demande complémentaire en paiement de dommages-intérêts de ce chef doit être rejetée ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande en paiement des intérêts de droit à compter de l'accident, dès lors que le préjudice est apprécié et liquidé par le Tribunal au jour du présent jugement ;

Attendu que les défendeurs, qui succombent pour l'essentiel doivent supporter les dépens de l'instance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement ;

Rejette les exceptions d'incompétence et de litispendance soulevées par les défendeurs ;

Se déclare en conséquence compétent pour connaître du présent litige ;

Constate que les défendeurs ne contestent pas le principe de leurs responsabilité et garantie ;

Les déclare tenus, in solidum, de réparer le préjudice occasionné par le décès de A. P. survenu en Italie le 10 mai 1980 ;

Condamne en conséquence sous cette solidarité E. C., la S.A.M. Micro Technic et la compagnie A.G.F. à payer à B. P., en sa qualité de représentante légale du mineur P. P. né le 2 novembre 1978 et pour le compte de celui-ci ;

* 450 000 et 250 000 francs (soit 700 000 francs) au titre des préjudices matériel et moral subis par le jeune P. ;

* l'équivalent en francs français au cours du change au jour du paiement effectif, de la somme de 4 022 576 lires italiennes, montant des frais funéraires et d'obsèques ;

Déboute B. P. es qualité comme en son nom personnel de l'ensemble de ses autres demandes ;

Composition

MM. J.-Ph. Huertas, prés. ; J.F. Landwerlin, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Sanita et Marquet, av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25978
Date de la décision : 10/05/1984

Analyses

Droit des obligations - Responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle


Parties
Demandeurs : Dame P.
Défendeurs : E. C., Sté Micro Technic et Assurances Générales de France.

Références :

Code de procédure civile
articles 1230 et 1231 du Code civil
Code civil
articles 1 et 2 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1984-05-10;25978 ?

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