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03/06/1976 | MONACO | N°25809

Monaco | Tribunal de première instance, 3 juin 1976, Dame A. c/ C.


Abstract

Notaires

Devoir de conseil - Étendue - Manquement - Responsabilité (oui)

Résumé

Le devoir de conseil, inhérent à la fonction de notaire, s'impose à celui-ci en toutes circonstances aussi bien lorsque le client ne l'a pas sollicité expressément - le notaire devant alors suppléer par son initiative à l'inexpérience de ce client et à son ignorance des dispositions légales spécifiques du droit monégasque - que lorsque le client exige une rédaction qui compromet gravement ses intérêts. Le notaire ainsi responsable de la perte du droit au bail

d'un fonds de commerce doit réparer le préjudice subi de ce chef par son client.

Motifs

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Abstract

Notaires

Devoir de conseil - Étendue - Manquement - Responsabilité (oui)

Résumé

Le devoir de conseil, inhérent à la fonction de notaire, s'impose à celui-ci en toutes circonstances aussi bien lorsque le client ne l'a pas sollicité expressément - le notaire devant alors suppléer par son initiative à l'inexpérience de ce client et à son ignorance des dispositions légales spécifiques du droit monégasque - que lorsque le client exige une rédaction qui compromet gravement ses intérêts. Le notaire ainsi responsable de la perte du droit au bail d'un fonds de commerce doit réparer le préjudice subi de ce chef par son client.

Motifs

Le Tribunal

Attendu que par acte du 30 septembre 1974, passé en l'étude de Maître L. C. C., notaire à Monaco, la dame A., propriétaire d'un fonds de commerce d'agence matrimoniale qu'elle exploitait dans des locaux appartenant à un sieur R., a vendu au sieur S., les éléments suivants dudit fonds :

* l'enseigne et le nom commercial,

* le matériel et les objets mobiliers servant à son exploitation,

* la clientèle ou achalandage y attachés,

* mais pas de droit au bail (sic) sis, ., le sieur S. se proposant d'assurer cette exploitation dans d'autres locaux ;

Attendu que sous le titre « Droit de préemption » l'acte de vente précisait :

« Madame A. restant le bénéficiaire du bail des locaux dans lesquels s'exploitait le fonds sis, ., les prescriptions de la loi n° 574 du 23 juillet 1953 ne doivent pas recevoir application » ;

Attendu que par lettre recommandée du 23 octobre 1974, le conseil du sieur R. faisait savoir à dame A. que celui-ci entendait se prévaloir des dispositions de l'article 32 bis, alinéa 3 - 1°, de la loi n° 574 précitée, aux termes duquel au cas où la cession du fonds de commerce ne comprend pas le droit au bail, le bail en cours ou renouvelé est considéré comme résilié de plein droit et les locaux rendus au propriétaire un mois après la date de la cession ; que le 24 octobre 1974, était passé en l'étude de Maître C., un acte intitulé : « Vente d'éléments du fonds de commerce » duquel il résulte que le sieur S. vendait à dame A. les éléments du fonds d'agence matrimoniale qu'elle lui avait cédé le 30 septembre 1974, le nouvel acte portant la mention suivante :

« Étant indiqué que Madame A. est titulaire du bail des locaux sis, . » ;

Attendu qu'après avoir notifié, le 30 octobre 1974, commandement à dame A. d'avoir à quitter les lieux au plus tard le 31 octobre de la même année, le sieur R. a assigné la demanderesse en référé pour entendre prononcer la résiliation du bail et l'expulsion de celle-ci, demandes sur lesquelles le juge des référés s'est déclaré incompétent par Ordonnance du 18 novembre 1974 ; que par exploit Marquet du 27 novembre 1974, R. qui avait été informé par dame A. de son intention de céder le droit au bail litigieux pour une somme de 200 000 francs et avait été invité à exercer son droit de préemption, lui faisait notifier son opposition à ladite cession ; que par exploit du même jour, R. assignait dame A. devant le Tribunal de céans en résiliation de plein droit du bail et en expulsion, et que, par jugement du 10 juillet 1975, le Tribunal faisant droit à la demande de R. a constaté la résiliation de plein droit du bail du 30 septembre 1974 conformément à l'article 32 bis de la loi n° 574, a ordonné l'expulsion de dame A. et l'a condamnée à payer à R. une indemnité journalière d'occupation de 100 francs à compter du 1er octobre 1974 ;

Attendu qu'entre-temps et le 19 juin 1975, dame A. a assigné le sieur C., notaire, demandant qu'il intervienne dans l'instance pendante devant le Tribunal entre elle et le sieur R., et fasse cesser la poursuite dirigée contre elle et, qu'à défaut, cet officier ministériel soit condamné à la garantir et l'indemniser de toutes les condamnations en principal, intérêts et frais qui pourraient être prononcées contre elle et notamment à réparer intégralement le préjudice que représenterait pour elle, la perte du droit au bail, la dame A. fondant essentiellement cette demande sur l'article « 1382 » du Code Civil en l'état de la faute qu'aurait commise le notaire en omettant de l'informer des conséquences qu'entraînait l'exclusion du droit au bail de la vente projetée ;

Attendu que, par conclusions du 26 février 1976, dame A. reprenant l'imputation contenue dans les motifs de son assignation d'une négligence grave à l'encontre du notaire C. qui aurait manqué à son devoir de conseil, sollicite la désignation d'un expert afin de déterminer l'entier préjudice qu'elle a subi, l'allocation d'une provision de 20 000 francs et l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

Attendu que le sieur C. qui soutient, qu'en tout état de cause, son éventuelle responsabilité ne pourrait être recherchée que sur le fondement de l'article 1230 du Code civil lequel sanctionne une négligence ou une imprudence, alors que l'article 1229 du Code civil - et non pas l'article 1382 du Code civil erronément cité par la demanderesse - n'envisage que la faute intentionnelle, conclut au déboutement de dame A. en se fondant sur les moyens suivants :

1° - Il n'a jamais conseillé à dame A. d'exclure le droit au bail de la vente du fonds mais a porté cette mention à la demande expresse de sa cliente qui avait déclaré avoir consulté son avocat ; son rôle s'étant limité à rédiger un acte parfaitement licite sur la base d'une convention qui avait été établie hors sa présence par les parties, il n'était pas tenu de solliciter des instructions écrites de dame A. ;

2° - Il a d'autant moins manqué à son obligation de conseil qu'il a inséré dans l'acte de vente du 30 septembre 1974 une clause relative à l'inapplicabilité à ladite vente des prescriptions de la loi n° 574 relatives à l'exercice du droit de préemption du propriétaire des locaux, clause dont le sens était parfaitement connu de dame A. qui avait, de surcroît, toute latitude pour se renseigner auprès de lui sur les conditions d'application de ladite loi ; que C. sollicite, à titre subsidiaire, la comparution des parties et celle du sieur S. ;

Attendu qu'il y a lieu de relever, d'une part, au plan de la procédure, que l'assignation dite en garantie et intervention forcée dont le sieur C. est l'objet, n'était pas en état le 10 juillet 1975 et n'a donc pu être jointe à l'instance principale de R. et, d'autre part, au fond, que cette assignation ne constitue pas une véritable action en garantie puisque le notaire C. ne peut garantir dame A. contre une demande en résiliation de bail et expulsion, mais a, en réalité, pour objet, en l'état des conclusions des parties, de mettre en cause la responsabilité de cet officier ministériel, sur le fondement de l'article 1230 du Code civil, dame A. reprochant essentiellement au notaire C., un manquement fautif non intentionnel à son devoir de conseil, alors qu'elle ne lui avait imposé aucune rédaction de quelque nature que ce soit ;

Attendu qu'avant de procéder à l'examen des thèses en présence, il doit être considéré comme acquis aux débats, que dame A. a toujours entendu conserver le droit au bail qui était un des éléments constitutifs de son fonds, pour le vendre à un tiers ainsi que cela est établi par la notification sous forme de lettre recommandée qu'elle a adressée à R. et qui a donné lieu à une notification en réponse, en date du 27 novembre 1974, qui n'est l'objet d'aucune contestation de sa part, cette volonté résultant, de surcroît, des termes des actes des 30 septembre et 24 octobre 1974 susvisés, dans lesquels elle déclare expressément conserver la qualité du titulaire du bail ;

Attendu, au fond, qu'il ressort des écrits ci-dessus analysés du défendeur, que celui-ci ne conteste pas le principe de l'obligation de conseil qui pèse sur lui comme conséquence de sa fonction, même s'il estime n'y avoir pas failli, en l'espèce ;

Attendu, sur les deux moyens réunis, que C. ne saurait s'exonérer de sa responsabilité en invoquant le fait qu'il n'a été que le simple rédacteur d'un acte, parfaitement licite, passé sur la base d'une convention directement établie entre les parties ; qu'en effet, le devoir de conseil, qui est inhérent à sa fonction, s'impose au notaire en toutes circonstances, aussi bien lorsque son client ne l'a pas sollicité expressément - le notaire devant alors suppléer par son initiative à l'inexpérience de ce client et à son ignorance de dispositions légales surtout quand elles sont spécifiques du droit monégasque - que lorsque ledit client exige une rédaction qui compromet gravement ses intérêts ; qu'en l'espèce, au cas où dame A., éclairée par ses soins sur toutes les conséquences dommageables prévisibles qu'entraînerait pour elle l'exclusion du droit au bail de la vente projetée, cette exclusion ayant pour effet de lui faire perdre ce droit au bail, élément essentiel de la propriété commerciale, aurait néanmoins persisté dans sa décision, il lui appartenait soit d'obtenir une décharge écrite, soit de faire mention dans l'acte, de l'avertissement qu'il devait donner ;

Attendu que C. est également mal fondé à soutenir qu'il aurait satisfait à son obligation de conseil par la simple référence à la loi n° 574 portée dans la clause relative au droit de préemption, dame A. n'ayant pu, selon lui, ignorer le sens de ladite clause ;

Attendu en effet, que la rédaction de cette clause intitulée : « Droit de préemption » et telle que rapportée ci-dessus, sans référence précise à l'article visé, n'était pas de nature à attirer l'attention de dame A. sur une disposition particulière de l'article 32 bis de ladite loi, lequel essentiellement consacré au droit de préemption du propriétaire, comporte, parmi les dix alinéas qui le composent, un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois ce droit de préemption ne peut être exercé :

1° - au cas où la cession du fonds de commerce ne comprend pas le droit au bail ; dans ce cas, le bail en cours ou renouvelé est considéré comme résilié de plein droit et les locaux sont rendus au propriétaire un mois après la date de ladite cession... » ;

Qu'au contraire, l'imprécision de cette rédaction ne pouvait que conforter dame A. dans la pensée qu'elle demeurait titulaire dudit bail, la référence générale à la loi n° 574, telle que placée dans l'acte ne visant, à l'évidence, que le seul droit de préemption du propriétaire et étant destiné à faire échec à ce droit ; qu'ainsi C. ne peut prétendre que dame A. a parfaitement compris le sens de la clause relative au droit de préemption alors que cette clause ne faisait aucune mention d'une disposition spécifique du droit monégasque qui avait pour effet de lui faire perdre, de plein droit, le droit au bail qu'elle désirait précisément conserver ; qu'au surplus, C. écrivait le 18 octobre 1974, dans une lettre adressée au sieur R. :

« En réponse, je vous informe que le droit au bail dont est titulaire Madame A. n'a pas été compris dans la cession qu'elle a consentie de divers éléments de son fonds de commerce »,

circonstance qui démontre bien que cet officier ministériel pensait encore, le 18 octobre 1974, c'est-à-dire postérieurement à la rédaction de l'acte de vente, que sa cliente avait conservé le droit au bail ; que sa conviction résulte encore de l'acte de vente du 24 octobre 1974 par lequel S. rétrocédait à dame A. les éléments du fonds vendu, cet acte portant, après l'énumération desdits éléments, la mention suivante : « Étant indiqué que Madame A. est titulaire du bail des locaux sis, . » ;

Attendu que les éléments de fait ci-dessus analysés établissent suffisamment, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une comparution personnelle des parties qui serait inopérante en l'espèce, que le notaire C., est responsable de la perte du droit au bail subi par dame A. et doit être condamné à en réparer les conséquences dommageables ; que le Tribunal ne pouvant en apprécier le montant, en l'état des pièces produites, il y a lieu d'ordonner l'expertise sollicitée ; qu'il n'y a cependant pas lieu d'allouer la provision demandée non plus que de faire droit à la demande d'exécution provisoire figurant dans les conclusions du 26 février 1976, l'urgence n'étant pas établie en la cause ;

Que le sieur C. qui succombe doit être condamné aux dépens ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Dit et juge que le sieur C. est responsable de la perte du droit au bail portant sur un fonds de commerce d'agence matrimoniale sis, ., et le condamne, en conséquence, à réparer le préjudice éprouvé de ce chef par dame A. ;

Composition

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquilly, Sanita av. déf. et Tremollet de Villers (du barreau de Paris) av.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25809
Date de la décision : 03/06/1976

Analyses

Professions juridiques et judiciaires ; Fonds de commerce


Parties
Demandeurs : Dame A.
Défendeurs : C.

Références :

Code Civil
loi n° 574 du 23 juillet 1953
article 1230 du Code civil
article 1229 du Code civil
Ordonnance du 18 novembre 1974
article 1382 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1976-06-03;25809 ?

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