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20/05/1976 | MONACO | N°25805

Monaco | Tribunal de première instance, 20 mai 1976, D. c/ Orchestre National de l'Opéra de Monte-Carlo, et l'Union.


Abstract

Accident du travail

Victime - Salaire - Prestations légales - Cumul (non) - Assureur - Reversement des prestations à l'employeur - Rente - Capacité résiduelle de gain - Victime bénéficiant d'une pension de retraite

Résumé

Lorsque la victime d'un accident du travail a perçu l'intégralité de son salaire, elle ne peut cumuler celui-ci et les prestations dues au titre de la loi sur les accidents du travail, ces prestations doivent être reversées à l'employeur par son assureur-loi.

Lorsque la victime bénéficie de la retraite, la pension qu

'elle perçoit remplace le salaire que lui procurait jusqu'alors son travail ; elle ne peut pr...

Abstract

Accident du travail

Victime - Salaire - Prestations légales - Cumul (non) - Assureur - Reversement des prestations à l'employeur - Rente - Capacité résiduelle de gain - Victime bénéficiant d'une pension de retraite

Résumé

Lorsque la victime d'un accident du travail a perçu l'intégralité de son salaire, elle ne peut cumuler celui-ci et les prestations dues au titre de la loi sur les accidents du travail, ces prestations doivent être reversées à l'employeur par son assureur-loi.

Lorsque la victime bénéficie de la retraite, la pension qu'elle perçoit remplace le salaire que lui procurait jusqu'alors son travail ; elle ne peut prétendre cumuler la majoration de rente résultant du concept de la capacité résiduelle de gain et destinée à réparer son préjudice professionnel avec la pension de retraite ; toutefois, un correctif doit être apporté à cette solution dans la mesure où, à la suite de l'accident du travail et comme conséquence de celui-ci, la victime n'a pu percevoir la pension de retraite qui aurait dû légalement lui revenir si elle n'avait pas subi d'accident.

Motifs

Le Tribunal

Attendu que par un jugement du 12 juin 1975, dans lequel la situation de fait concernant le sieur D. a été exposée avec précision, en sorte que l'exposé des motifs de cette décision n'a pas à être repris, le Tribunal a déclaré nul le procès-verbal de non conciliation signé le 20 avril 1972 entre D. et les défendeurs et a renvoyé les parties devant le Juge des Accidents du travail afin qu'il soit procédé à une nouvelle tentative de conciliation ;

Attendu que cette tentative a eu lieu le 7 novembre 1975 et que le Juge des Accidents du Travail a rendu, le même jour, une Ordonnance de non conciliation fixant une provision de 9 963,40 francs payable par trimestre échu, à partir du 25 novembre 1971 date de la consolidation ;

Attendu que, par l'exploit susvisé du 26 novembre 1975, D. a assigné l'Orchestre National de l'Opéra de Monte-Carlo et la Compagnie d'Assurances l'Union, assureur-loi de celui-ci, aux fins d'homologation de la décision de la commission spéciale fixant à 80 % I'I.P.P. dont il demeure atteint et de règlement de la rente accident du travail depuis le 25 novembre 1971, sur la base de 2 100 francs par mois, soit 70 % de son salaire de 3 000 francs au moment de l'accident, avec toutes augmentations subséquentes, sollicitant, en outre, qu'il lui soit donné acte de ce que les sommes ainsi arbitrées devront être reversées à l'Opéra National de Monte-Carlo pour la période du 15 janvier 1972 au 31 août 1974, pendant laquelle celui-ci avait pris en charge les salaires lui revenant ;

Attendu que l'Union offre, d'une part, de payer une rente calculée sur le taux de 80 % et sur un salaire de 36 956,63 francs, pour la période du 25 novembre 1971 au 1er septembre 1974, soit 25 869,64 francs par an, sous réserve du remboursement à l'Orchestre National du salaire perçu pendant le même laps de temps par D., et, d'autre part, de payer une rente calculée sur le taux de 10 %, soit 1 847,83 francs par an, à compter du 1er septembre 1974, date à partir de laquelle la majoration retenue par la commission spéciale n'a plus à être prise en considération en raison de la mise à la retraite de D., car la diminution de capacité n'a aucune influence sur le montant de retraite ; que l'Orchestre National demande, en ce qui le concerne, que les arrérages dus à D. pour la période susvisée du 1er octobre au 1er août 1974 lui soient versés outre douze mois de salaire pendant l'incapacité totale ;

1° - En ce qui concerne la période du 13 octobre 1969 au 31 août 1974 :

Attendu qu'il n'est pas contesté que pendant cette période qui va de la date de l'accident à celle où l'Orchestre National a mis fin au paiement de son salaire, D. a perçu l'intégralité de son salaire comme s'il avait continué à remplir normalement son emploi de premier violon alto solo ;

Attendu que D. était en droit, aux termes de l'article 44 de la convention collective de l'Orchestre National, laquelle, en cas d'accident du travail, garantit l'intégralité du salaire pendant toute la durée de l'I.T.T. jusqu'au jour de la consolidation, de percevoir le salaire qui lui a été versé, et ce, jusqu'au 25 novembre 1971, date de son examen par le Docteur Kerner, à laquelle doit être fixée la consolidation compte tenu de l'absence d'indication plus précise sur ce point dans le rapport déposé par cet expert ; qu'à partir du 25 novembre 1971 et jusqu'au 31 août 1974, le salaire intégral payé à D. par l'Orchestre National a correspondu à un versement effectué, certes, dans un esprit de bienveillance, mais qui doit lui demeurer acquis, car ni l'un ni l'autre des défendeurs n'ont le droit de demander que cette victime restitue ce qu'elle a ainsi légitimement perçu, en sorte que les demandes présentées sur ce point par les défendeurs doivent être rejetées ;

Attendu dès lors que D. ne peut rien réclamer pour la période susvisée car il a reçu tout ce à quoi il pouvait prétendre, tant au titre de la convention collective que par application de la loi sur les accidents du travail ;

Attendu cependant que par application de ladite loi, l'Union était tenue au versement d'indemnités journalières, du 13 octobre 1969 au 25 novembre 1971, durée de I'I.T.T., puis à partir de cette date, à une rente accident du travail qu'elle offre d'ailleurs de régler sur la base de 80 % d'un salaire de 36 956,63 francs cette offre étant valable jusqu'au 1er septembre 1974 ;

Attendu que, D. ne pouvant cumuler son salaire et les prestations dues au titre de la loi sur les accidents du travail, il est évident que l'ensemble de ces prestations doit être reversé à l'Orchestre National qui, en ce qui concerne les indemnités journalières, n'était tenu que de garantir à D., l'intégralité de son salaire et lesdites indemnités, et, en ce qui concerne la rente accident du travail, n'était plus tenu à aucun versement, en sorte qu'il est en droit d'obtenir de l'Union le remboursement des arrérages que celle-ci n'a pas versés à la victime mais qu'elle était légalement tenue de payer ;

Attendu en conséquence et que pour la période non contestée par l'Union, c'est-à-dire jusqu'au 1er septembre 1974, date à partir de laquelle l'Orchestre National a cessé de payer à D. son salaire intégral, cette compagnie doit être condamnée à rembourser à l'Orchestre National, d'une part, les indemnités journalières qu'elle aurait dû verser à la victime, du 13 octobre 1964 au 25 novembre 1971, étant précisé que, si pendant cette période D. a perçu une partie de ces indemnités, il devra les reverser à l'Orchestre National aux lieu et place de l'Union, et, d'autre part, les arrérages de la rente accident du travail, calculée sur le taux de 80 % du 25 novembre 1971 au 1er septembre 1974 ; qu'il y a lieu d'ordonner d'office une expertise sur ce point, le Tribunal ne disposant pas d'éléments suffisants d'appréciation pour chiffrer ces sommes ; que cette mesure d'instruction doit être ordonnée aux frais avancés de l'Union ;

2° - En ce qui concerne la demande de D. à compter du 1er septembre 1974 :

Attendu que le problème soumis au Tribunal est de déterminer le montant de la rente qui doit être versé à D. et plus précisément de déterminer si celle-ci doit être calculée, selon la thèse du demandeur, sur le taux de 80 %, c'est-à-dire en prenant en considération l'avis de la commission spéciale qui a fixé à 20 % sa capacité résiduelle de gain, ou si elle doit l'être, comme le demande les défendeurs, sur le taux de 10 % fixé par le Docteur Kerner ;

Attendu que D., pour justifier sa prétention de percevoir sa rente accident du travail calculée sur le taux de 80 %, se fonde, d'une part, sur le fait que sa mise à la retraite anticipée a eu pour effet de diminuer sensiblement la pension qu'il aurait obtenue s'il avait travaillé jusqu'à 65 ans, c'est-à-dire jusqu'au 22 octobre 1975 et, d'autre part, sur le fait qu'après sa retraite, il aurait pu « faire des cachets » dans divers orchestres, concerts, etc. ce qui compte tenu de sa qualification lui aurait permis de percevoir 2 000 à 2 500 francs par mois, et également donner « des leçons particulières très chères » ;

Attendu que l'Union, pour s'opposer à cette prétention, souligne que la capacité résiduelle de gain n'a plus à être prise en considération à partir du moment où la victime a pris sa retraite car la diminution de capacité n'a aucune influence sur le montant de ladite retraite ;

Attendu que se trouve ainsi posée la question de savoir le sort qui doit être donné à la majoration de rente résultant de l'appréciation de la capacité résiduelle de gain, à partir du moment où la victime bénéficie d'une pension de retraite ;

Attendu que si la rente destinée à réparer le préjudice corporel éprouvé par la victime présente, aux termes de la loi 636, un caractère viager et lui demeure acquise sa vie durant, conséquence logique et nécessaire de ce que, sous réserve d'amélioration dans son état, la diminution de son intégrité physique demeurera constante et définitive, il ne peut en être de même de la majoration de rente résultant, en vérité, d'une manière implicite, de l'article 23 bis de cette loi, car cette majoration, qui a pour objet de compenser le préjudice professionnel éprouvé par cette victime, est déterminée à partir du concept de la capacité résiduelle de gain, laquelle est appréciée non seulement en fonction de l'état physique de l'intéressé, après sa consolidation, mais surtout sur le fondement de critères de nature économique, qui, fixés à un moment donné de la conjoncture économique, sont susceptibles de connaître, par la suite, des variations importantes, dans la mesure notamment où l'état du marché de l'emploi ou les possibilités de reclassement ont évolué et ne sont plus ce qu'ils étaient lorsque la commission spéciale s'est prononcée ; qu'en effet, si cette majoration de rente devait être considérée comme fixée d'une manière définitive et présenter un caractère viager, une victime, retrouvant à l'occasion d'une modification de cette conjoncture, un emploi, identique ou différent de celui qu'elle occupait, mais dont la rémunération serait sensiblement équivalente, serait en droit de cumuler cette rémunération avec la rente majorée, ce qui ne peut, à l'évidence, correspondre au but poursuivi par le législateur qui a entendu réparer un préjudice subi mais non créer un véritable enrichissement sans cause ;

Attendu qu'appliqué au problème plus particulier de la retraite, le principe ci-dessus dégagé permet de conclure que, lorsqu'une victime bénéficie de la retraite, la pension qu'elle perçoit remplace le salaire que lui procurait jusqu'alors son travail et que, dès lors, n'ont plus à être et ne peuvent plus être prises en considération les conditions dans lesquelles, après qu'elle ait été consolidée de l'accident du travail qu'elle a subi, elle a effectué ce travail, notamment en ce qui concerne l'impossibilité où elle s'est trouvée de continuer à occuper le même emploi ou même l'obligation qui lui a été imposée de se reclasser professionnellement ; que cette victime ne peut, en effet, prétendre cumuler la majoration de rente, résultant de l'application du concept de la capacité résiduelle de gain et destinée à réparer son préjudice professionnel, avec la pension de retraite qui, ainsi que le souligne la compagnie l'Union, est calculée indépendamment de toute diminution de capacité ; qu'en effet, il ne saurait être admis que le législateur ait entendu permettre à un retraité de continuer à percevoir, pendant le reste de sa vie, sous la forme de majoration de rente, une partie du salaire qu'il percevait quand il était en activité, ce qui constituerait dans ce cas également un enrichissement sans cause ;

Attendu cependant qu'un correctif doit être apporté à cette solution, dans la mesure où à la suite de l'accident du travail et comme conséquence de celui-ci, la victime n'a pu percevoir la pension de retraite qui aurait dû légalement lui revenir si elle n'avait pas subi d'accident, notamment dans l'hypothèse où le salaire qu'elle percevait a été diminué et où cette pension a été calculée sur un chiffre minoré ou encore si elle a dû prendre une retraite anticipée ; qu'en pareil cas, il apparaît logique et conforme au vœu du législateur d'admettre que, de même que pendant le temps où la victime a continué à travailler, la majoration de rente qu'elle a perçue a compensé le préjudice pécuniaire qu'elle a subi, parce qu'elle a dû changer d'emploi, ou s'arrêter de travailler, de même, à partir du moment où elle prend sa retraite, elle est en droit de conserver la partie de la majoration de rente qui correspond à la partie de sa retraite qu'elle ne percevra pas, cette perte de retraite devant être considérée comme la conséquence nécessaire de l'accident du travail ; qu'en effet, cette partie de la majoration qui lui est versée correspond à la réparation d'un préjudice qu'elle a subi et ne présente pas le caractère d'un enrichissement sans cause ;

Attendu, en l'espèce, que D. qui est né le 22 octobre 1910, bénéficie actuellement, en l'état d'une attestation fournie le 10 février 1975 par la Caisse Autonome des Retraites de Monaco, d'une pension de retraite liquidée provisoirement sur la base de 1 264,75 points-retraite, acquis le 30 septembre 1971, dans l'attente d'une régularisation de la période postérieure ; que D. estime qu'il ne perçoit pas la pension maximum à laquelle il aurait pu prétendre s'il avait pris sa retraite le 22 octobre 1975 ou éventuellement le 22 octobre 1974, par application de la loi n° 960 du 24 juillet 1974 ;

Attendu que le Tribunal ne dispose pas, sur ce point, d'éléments suffisants d'appréciation pour déterminer, d'une part, le mode de calcul et le montant définitif de la pension de D. et, d'autre part, le montant de la pension que celui-ci aurait perçue s'il avait exercé son activité jusqu'à l'âge de 64 ou 65 ans ; qu'une mesure d'expertise doit également être ordonnée d'office, aux frais avancés de l'Union ;

Attendu que les dépens du présent jugement doivent être mis à la charge de l'Union ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Dit et juge que l'Union est tenue de payer à l'Orchestre National les indemnités journalières que cette Compagnie était tenue de verser à D. pour la période du 13 octobre 1969 au 25 novembre 1971 et les arrérages de la rente qui devait revenir à D., calculée sur un taux de 80 %, pour la période du 25 novembre 1971 au 1er septembre 1974 et afin de déterminer le montant de ces sommes, désigne comme expert, Monsieur Roger Orecchia, demeurant ., lequel, serment préalablement prêté, aura pour mission :

d'effectuer le calcul desdites sommes et de rechercher si une partie des indemnités journalières ont été versées à D., du 13 octobre 1964 au 25 novembre 1971, hypothèse dans laquelle ces indemnités, qui seront chiffrées par l'expert, devront être restituées par D. à l'Orchestre National ;

Dit et juge que D. est en droit de percevoir, au titre de la majoration de rente fondée sur le concept de la capacité résiduelle de gain, la différence entre la pension de retraite à laquelle il a droit et celle qu'il aurait perçue s'il avait pris sa retraite à 65 ans ;

Et avant de statuer sur ce point, confie à l'expert Orecchia, ci-dessus désigné, la mission de calculer, d'une part, la retraite qui sera définitivement versée à D. par la Caisse Autonome des Retraites et, d'autre part, la pension que D. aurait perçue s'il avait pris sa retraite à l'âge de 64 ou 65 ans ;

Composition

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquilly et Marquet av. déf.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25805
Date de la décision : 20/05/1976

Analyses

Social - Général ; Sécurité au travail ; Protection sociale


Parties
Demandeurs : D.
Défendeurs : Orchestre National de l'Opéra de Monte-Carlo, et l'Union.

Références :

loi n° 960 du 24 juillet 1974


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1976-05-20;25805 ?

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