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25/04/1974 | MONACO | N°25709

Monaco | Tribunal de première instance, 25 avril 1974, J. et J. N. c/ S.A.M. Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers.


Abstract

Architectes

Architectes étrangers - 1° Consultation : Obligation d'avoir un associé monégasque (non) - 2° Œuvre particulière en Principauté : Obligation d'avoir un associé monégasque (oui) - 3° Choix d'un associé : Choix d'un associé différent par le maître d'œuvre - Faute de celui-ci (non)

Résumé

L'architecte étranger qui participe à une consultation en Principauté n'est pas obligé de s'associer à un architecte monégasque.

Par contre, conformément à l'Ordonnance-Loi n° 341 du 24 mai 1942 sur la profession d'architecte,

l'architecte établi à l'étranger qui désire faire œuvre d'architecte à titre particulier à Monaco doit dési...

Abstract

Architectes

Architectes étrangers - 1° Consultation : Obligation d'avoir un associé monégasque (non) - 2° Œuvre particulière en Principauté : Obligation d'avoir un associé monégasque (oui) - 3° Choix d'un associé : Choix d'un associé différent par le maître d'œuvre - Faute de celui-ci (non)

Résumé

L'architecte étranger qui participe à une consultation en Principauté n'est pas obligé de s'associer à un architecte monégasque.

Par contre, conformément à l'Ordonnance-Loi n° 341 du 24 mai 1942 sur la profession d'architecte, l'architecte établi à l'étranger qui désire faire œuvre d'architecte à titre particulier à Monaco doit désigner le confrère établi en Principauté qu'il entend choisir comme associé (2).

Ce choix ne s'impose pas toutefois au maître d'œuvre dont le refus n'a pas, faute de disposition légale sur ce point, à être fondé sur des motifs graves, établis et notoires (3).

Motifs

LE TRIBUNAL,

Attendu que la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers de Monte-Carlo (ci-dessous SBM), désireuse d'aménager le terre-plein du Larvotto et d'y construire un nouveau sporting d'été, a ouvert, courant 1971, une consultation pour l'établissement d'un projet de complexe comprenant un casino, une salle de galas, un night-club et un restaurant typique et a établi, pour cette consultation, un règlement aux termes duquel il était notamment précisé :

« Art. III : Cette consultation est limitée à certains architectes dont la liste est jointe aux présentes, qui ont été invités par les organisateurs...

» Art. VIII : Les diverses pièces des projets ne devront porter aucun nom mais seulement une devise ou un signe significatif qui sera reproduit sur les divers documents et leurs emballages. Cette devise (ou ce signe) sera reproduit sur une enveloppe opaque, cachetée à la cire et sans en-tête, qui sera déposée avec les documents prévus à l'article IV et qui contiendra l'énoncé de ces noms, prénoms et domicile ;

« Art. XI : Les prix suivants seront attribués :

1° 50 000 F au projet classé 1er,

2° 30 000 F au projet classé 2e,

3° 20 000 F au projet classé 3e.

» Art. XVI : Si l'opération se réalise et sous réserve d'un accord sur les conditions de son intervention, la construction du projet sera confiée à l'architecte dont le projet, parmi les trois classés par le jury, sera retenu par le conseil d'administration de la SBM.

« Il est enfin précisé que tout architecte de nationalité non monégasque chargé de la réalisation du programme devra, en application de l'ordonnance-loi 341 du 24 mars 1942 s'associer à un confrère monégasque. Ce dernier devra être agréé par la Société des Bains de Mer » ;

Attendu que la liste des architectes invités à participer à cette consultation, et qui était datée du 12 février 1971, comprenait 14 noms d'architectes ou de cabinets d'architectes et parmi eux :

* G. C. - J.-CI. D.,

* J. M. et M. C.,

* H. P.,

* le groupement des architectes monégasques ;

Attendu qu'à l'issue de cette consultation, le jury se réunissait les 5 et 6 novembre 1971 et, aux termes de son procès-verbal, adoptait le classement suivant :

* Premier : projet P.,

* Deuxième : projet D.,

* Troisième : projet C.,

et décernait une mention spéciale au projet de Messieurs C. et M. dont le jury avait apprécié l'interprétation des problèmes de fonctionnement d'un tel ensemble ; que ce procès-verbal comportait l'alinéa suivant :

« Ayant noté que Messieurs C. et M. auteurs du projet n° 2 auquel il avait été décerné une mention spéciale étaient de nationalité monégasque, que les auteurs des trois projets classés étaient de nationalité non monégasque, et que l'article XVI du règlement de la consultation prévoit que » ...tout architecte de nationalité non monégasque chargé de la réalisation du programme devra... s'associer à un confrère monégasque «, le jury - à l'unanimité - exprime le vœu que Messieurs C. et M. soient associés à la réalisation du programme » ;

Attendu que la SBM décidait d'adopter le projet P., classé premier et, déférant au vœu susvisé, choisissait C. comme architecte monégasque associé, conformément à l'ordonnance-loi 341 du 26 mars 1942 ;

Attendu cependant qu'au moment où il décidait de participer, à cette consultation, P. s'était adressé au sieur J. N., architecte à Monaco, et lui écrivait le 21 septembre 1971 : « ...et si, comme je l'espère, j'ai la faveur d'être lauréat, je devrai comme il est d'usage, m'associer avec un confrère monégasque : ce sera bien entendu avec le Cabinet N. frères, si toutefois tu en es d'accord » ; qu'en réponse, le 25 septembre suivant, J. N., donnait son accord à cette proposition ;

Attendu qu'à la suite du choix de C. comme architecte monégasque associé, en leurs lieu et place, les frères N. ont, par l'exploit susvisé, assigné la SBM aux fins d'obtenir paiement de la somme de 150 000 F en réparation du préjudice matériel par eux subi et de celle de 100 000 F en réparation du préjudice moral ;

Attendu que les Frères N. reprochent à la SBM d'avoir choisi, pour assister P., un autre architecte monégasque qu'eux-mêmes et d'avoir ainsi commis une faute qui leur a causé un important préjudice, dont ils s'estiment fondés à réclamer réparation ; qu'ils s'appuient pour établir cette faute, sur trois moyens ;

Attendu que le premier moyen est tiré de la violation de l'Ordonnance-Loi du 24 mars 1942, violation qui consiste,

* d'une part, dans le fait que le choix d'un architecte monégasque, comme associé de P., devait intervenir, non pas après le concours, ainsi que le soutient SBM dans une lettre du 7 janvier 1972, mais avant ce concours, cette interprétation résultant nécessairement de la rédaction de l'article 5 de l'Ordonnance-Loi susvisée, qui impose l'obligation d'association non seulement pour l'exécution des travaux, mais généralement à tout architecte désireux de faire œuvre à titre d'architecte particulier dans la Principauté ;

* d'autre part, dans le fait que le choix du confrère monégasque n'appartient qu'à P., la SBM ne pouvant refuser ce choix que pour des raisons graves, établies et notoires ;

Attendu que le second moyen est tiré de la violation du règlement de consultation établi par la SBM, violation fondée :

* d'une part sur le fait que le choix de l'associé monégasque de P. appartenait à ce dernier seul et non à la SBM qui n'avait qu'un simple droit d'agrément, et que la substitution d'un associé monégasque à celui, discrétionnairement choisi par P., a constitué une intervention illégale et arbitraire dans le fonctionnement des conditions d'attribution des travaux projetés ;

* d'autre part, sur le fait que la SBM a méconnu la compétence juridique du jury et s'est substitué à lui, dans la mesure où, en donnant suite au vœu qu'il avait émis et tendant à ce que C. et M. soient les associés de P., elle a transformé en une récompense que ne prévoyait pas le règlement une faculté d'agrément prévu par celui-ci ;

Attendu que le troisième moyen est, aux termes des conclusions du 26 juillet 1973, fondé sur la faute commise par la SBM, hors même le cas d'une faute contractuelle, et résultant de ce que, bien que P. n'ait pas mentionné dans son dossier le choix qu'il avait fait de s'assurer le concours des demandeurs, et en admettant même que ceux-ci n'aient pas été personnellement candidats, un lien de droit, contractuel ou non, s'était nécessairement établi entre les Frères N. et la SBM, lien sanctionné par le droit des obligataires et qui, en cas de faute, ouvre droit à réparation ;

Attendu que la SBM conclut au déboutement des Frères N., faute de qualité et d'intérêt légitimement protégés et susceptibles de lui être opposés et se porte demanderesse reconventionnelle en 1 F de dommages-intérêts pour procédure vexatoire et abusive ;

Attendu sur les trois moyens réunis, que le règlement de la consultation de la SBM établit que cette société entendait, d'une part, réserver à des architectes ou cabinets d'architectes qu'elle devait choisir librement, la participation à cette consultation, et, d'autre part, ne prenait, à leur égard, aucun engagement de réaliser l'opération qu'elle envisageait d'effectuer ; que l'article XVI de ce règlement débute en effet par la phrase « si l'opération se réalise... » laquelle est démonstrative de la manière dont la SBM avait conçu cette opération et l'avait divisée en deux phases : la première, relative à la consultation elle-même, et aux règles selon lesquelles les architectes conviés à y participer, seraient départagés par un jury spécialement habilité à cette fin ; la seconde, qui demeurait éventuelle et subordonnée à la décision unilatérale de la SBM et qui concernait la réalisation du projet retenu ;

Attendu dès lors que les architectes admis à cette consultation ne faisaient pas œuvre d'architecte à titre particulier dans la Principauté puisqu'ils se bornaient, en fait, à participer à un concours, sans qu'ils puissent prétendre obtenir autre chose que l'un des trois prix prévus à l'article XI et, en particulier, ne remplissaient aucune des fonctions qui aux termes de l'article 7 de l'Ordonnance-Loi du 24 mars 1942 sont celles d'un architecte et qui consistent, après avoir dressé le projet d'une œuvre immobilière, question traitée en l'espèce sous la forme de la consultation susvisée, à en surveiller l'exécution et à contrôler le règlement de la dépense ; qu'en l'espèce, les fonctions de surveillance et de contrôle ne pouvaient s'exercer que dans la mesure où la SBM décidait de passer au second stade de son projet, celui de la réalisation ; qu'en conséquence, ces architectes, et parmi eux P., n'avaient nulle obligation légale, en application de l'Ordonnance-Loi susvisée, de choisir un associé monégasque pour participer à cette consultation et que, dans ce premier stade, la SBM n'avait nulle obligation légale d'exiger une telle présence, ni même de se préoccuper de savoir si elle existait, alors surtout qu'elle avait pris le soin de l'exiger formellement dans le dernier alinéa de l'article XVI du règlement, au cas où elle aurait décidé de réaliser l'opération envisagée ;

Attendu, dès lors que la présence d'un associé monégasque ne constituait pas une obligation légale en l'espèce, et compte tenu du fait non dénié que la SBM a ignoré l'existence de relations contractuelles entre P. et les Frères N., il apparaît que ceux-ci qui n'ont aucun lien de droit avec la société défenderesse, ne sauraient rechercher la responsabilité de cette dernière au prétexte d'une faute qui trouverait sa source dans la non exécution d'un contrat passé entre P. et les Frères N., mais qui constitue pour la SBM, qui y est demeurée étrangère, une res inter alios acta ;

Attendu que le comportement postérieur à la consultation de la SBM ne saurait davantage être critiqué ; qu'en effet, si, aux termes de l'article 5 de l'Ordonnance-Loi du 24 mars 1942, l'architecte établi à l'étranger et désireux de faire œuvre d'architecte à titre particulier dans la Principauté doit, dans la demande qu'il adresse au Ministre d'État, désigner le confrère établi à Monaco et qu'il entend choisir comme associé, il ne peut être soutenu, faute de dispositions législatives impératives sur ce point, que le maître d'œuvre ne puisse refuser ce choix que pour des raisons graves, établies et notoires ; que d'autre part, en précisant in fine de l'article XVI du règlement, « ce dernier [le confrère monégasque] devra être agréé par la SBM », cette société se réservant, indirectement mais d'une manière certaine, le droit de choisir librement l'architecte monégasque dont l'article 5 susvisé imposait la présence en la circonstance ;

Qu'il est au surplus de l'essence même des contrats souscrits intuitu personae que le choix du co-contractant soit entièrement libre, aussi bien de la part de l'architecte que de la part de son client ; que la circonstance qu'en l'espèce la SBM ait suivi la recommandation qui lui avait été faite par le jury de la consultation, est sans effet juridique, puisque, en fait, ce choix a été l'œuvre de cette société ;

Attendu qu'il suit de là que la demande des Frères N. ne repose sur aucun fondement juridique et doit être rejetée ;

Attendu sur la demande reconventionnelle que la SBM ne rapporte pas la preuve d'un préjudice qui lui aurait été causé à l'occasion de la présente instance ; que la demande de dommages-intérêts doit donc être rejetée ; que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Rejetant comme inopérantes ou mal fondées toutes autres demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires des parties, déboute J. et J. N. de leurs demandes, fins et conclusions ;

Déboute la SBM de sa demande reconventionnelle ;

Composition

M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Sanita, Marquet av. déf., Sillard (du barreau de Paris) et Magagli (du barreau de Nice) av.

Note

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'Appel en date du 24 juin 1975.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25709
Date de la décision : 25/04/1974

Analyses

Architectes


Parties
Demandeurs : J. et J. N.
Défendeurs : S.A.M. Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers.

Références :

article 5 de l'Ordonnance-Loi du 24 mars 1942
Ordonnance-Loi n° 341 du 24 mai 1942
Ordonnance-Loi du 24 mars 1942
article 7 de l'Ordonnance-Loi du 24 mars 1942


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1974-04-25;25709 ?

Source

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